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12 novembre 2021 5 12 /11 /novembre /2021 05:43

Un texte de Jérôme Delaplanche pour La Tribune de l'Art.

 

Nous publions ce texte de Jérôme Delaplanche, ancien responsable de l’histoire de l’art à la Villa Médicis dans la rubrique Débats, mais pour La Tribune de l'Art, il n’y a en réalité pas de débat. La “ cancel culture ”, ce mouvement venu des États-Unis et qui commence à s’implanter fortement en France jusque dans son système éducatif - Sciences-Po représente un exemple typique de cette dérive - n’a rien à faire dans le domaine du patrimoine, de l’histoire de l’art et des musées, pas davantage qu’il n’est légitime dans quelque autre discipline. Il va sans dire que La Tribune de l'Art s’y opposera toujours avec force comme nous l’avons déjà fait par exemple avec les destructions ou le déboulonnage des sculptures dans l’espace public.

 

Depuis quelques années, la critique « décoloniale » prend une ampleur grandissante au sein du discours académique, et la Villa Médicis en subit aujourd’hui les assauts. Les splendides tapisseries des Indes qui ornent le Grand Salon au cœur de la Villa sont en effet critiquées car elles seraient « marquées par l'imaginaire colonial » selon la presse qui s’est fait écho de la protestation de certains pensionnaires hébergés par la prestigieuse institution [1]. Ces derniers exigent en effet le décrochage de la tenture suivant en cela un type de revendication de plus en plus fréquent : réclamer que l’on supprime ce qui offense. Ni la nouvelle présidente du Conseil d’Administration de la Villa, Marie-Cécile Zinsou, ni la conseillère culture de la Présidence de la République, Rima Abdul-Malak, n’ont encore cédé, se conformant en cela à l’allocution d’Emmanuel Macron du 14 juin 2020 disant que « la République n'effacera aucune trace ni aucun nom de son histoire. Elle n'oubliera aucune de ses œuvres. Elle ne déboulonnera pas de statues. » En même temps, Emmanuel Macron déclarait également le 18 avril 2021 qu’il fallait « déconstruire notre histoire ».

Quand la Villa Médicis succombe au woke et à la cancel culture

Ce qu’on appelle études décoloniales (ou post-colonial studies) ne sont pas des recherches universitaires comme d’autres – qui étudieraient, comme on pourrait croire, le phénomène de la décolonisation. Il s’agit en réalité d’un militantisme politique dont l’objectif unique est une mise en accusation de l’Occident par une insistance obstinée sur son passé colonial et esclavagiste. La dimension morale et psychologique est centrale dans la définition. L’objectif de l’approche « décoloniale » n’est pas d’ordonner des faits dans une perspective historique mais de prononcer des jugements de valeur pour en définitive dire du mal de la civilisation occidentale et uniquement de celle-ci. Ce n’est pas une recherche de vérité mais un travail de sape. Cette idéologie progresse aujourd’hui avec une virulence spectaculaire dans l’organisme déjà bien fragilisé (on dit « déconstruit ») de la pensée occidentale [2].

Or, et c’est l’évidence même, l’esclavagisme, les conquêtes territoriales et la colonisation sont des phénomènes mondiaux et transhistoriques. L’Occident n’y a joué qu’une part ; l’Islam aux VIIe et VIIIe siècles (le fameux Jihad, la guerre sainte) ou les Mongols de Gengis Kahn au XIIIe siècle ont été bien plus actifs et bien plus ambitieux.

Les cités helléniques ont colonisé le bassin méditerranéen. Marseille est une colonie grecque.

L’Empire romain est le résultat de la colonisation de l’Europe. La Gaule a été colonisée par Rome pendant cinq siècles pour son plus grand bien, permettant ainsi le développement de son économie et l’essor d’une nouvelle civilisation. Pourtant, la conquête de la Gaule par Jules César a entraîné la mort d’un million de Gaulois et la réduction en esclavage de plus d’un million de personnes.

L’empereur du Mali au XIVe siècle, Mansa Moussa, est devenu un puissant empereur parce qu’il avait colonisé tous ses voisins lors de ses conquêtes en l’Afrique de l’Ouest : Gambie, Guinée, Côte d’Ivoire, Mauritanie, Niger et Sénégal.

Les Arabes ont colonisé tout le Maghreb et l’Espagne. Ils sont restés sept cents ans en Espagne ce qui est bien plus que les 132 ans de la France en Algérie. Et ils sont toujours en place au Maghreb.

Le Québec est le résultat de la colonisation de l’Amérique du Nord par la France.

Les Balkans et autres pays de la région ont été colonisés cinq siècles par l’Empire colonial ottoman jusqu’en 1913. (Ce sont donc des Européens colonisés par un empire musulman).

En Asie, le Japon a colonisé la Corée de 1910 à 1945.

La colonisation est le mouvement naturel de l’histoire. Chacun fut colonisateur ou colonisé selon les périodes de l’Histoire, selon sa force.

Or, et c’est là tout l’enjeu, le progressisme a réussi à imposer dans les esprits occidentaux une mutation paradigmatique cruciale : la force n’est plus une valeur positive. Dès lors, les notions de conquête, d’aventure, de puissance ne sont plus comprises, elles ne sont plus moralement admises. La critique de la colonisation devient alors une volonté de réécrire l’histoire à l’aune de la morale d’aujourd’hui.

Mais le véritable coup de génie du progressisme est d’avoir réussi à faire que ce basculement intellectuel s’applique uniquement à l’histoire européenne. Les décoloniaux peuvent alors tenir à l’endroit des autres peuples un discours victimaire, s’attachant à décrire systématiquement la souffrance des peuples dominés par les Occidentaux. Cette souffrance a existé, personne ne le conteste, mais il y a une immense différence entre étudier les situations historiques, comme la souffrance des peuples dominés, et utiliser cette souffrance pour accuser la civilisation occidentale d’être ontologiquement criminelle. Les décoloniaux font comme si tous les peuples du monde n’avaient pas partagé cette aspiration à la domination et comme si beaucoup d’entre eux ne l’avaient pas un jour ou l’autre violemment exercée.

L’histoire est alors instrumentalisée pour devenir une arme morale : faire le partage entre le bien et le mal, entre les méchants et les gentils. Cette moraline est désormais parfaitement assumée par certains historiens progressistes. Ainsi, selon Sylvie Thénault, agrégée d’histoire et directrice de recherche au CNRS, s'exprimant à Sciences-Po : « Être historien, c’est donner de la signification au passé et en proposer une vision. Une fonction de l’historien est de distinguer le vrai du faux, mais aussi le légitime de l’illégitime, les coupables des non-coupables. » En étant moraliste, la lecture historique en devient extraordinairement caricaturale, biaisée et malhonnête.

Et ce caractère malhonnête, biaisé et caricatural ne se voit nulle part aussi bien qu’avec l’absurde polémique autour de la tenture des Indes à la Villa Médicis.

Ces tapisseries décriraient-elles la domination coloniale de l’Occident qu’elles ne seraient que la transcription artistique d’une manifestation de sa force. Et la force n’est pas une vertu honteuse. Rappelons par ailleurs que la valorisation patrimoniale d’une œuvre d’art n’est pas la valorisation de son sujet.

Quand la Villa Médicis succombe au woke et à la cancel culture

Mais le plus comique dans toute cette histoire, c’est que la tenture des Indes ne représente même pas cela (ill. 2, 3 et 4). Il ne s’agit en aucune façon d’une représentation de la domination coloniale européenne des peuples du monde par les armes et la violence.

Quelques mots de contexte historique [3]. Entre 1637 et 1644, le comte Jean Maurice de Nassau-Siegen entreprend une expédition dans une région du nord-est du Brésil, alors colonie hollandaise de l’État du Pernambouc. Une équipe scientifique l’accompagne dans son voyage et avec elle les peintres Albert Eckhout et Frans Post qui sont chargés de documenter visuellement les paysages, les plantes, les animaux et les populations de ces contrées largement méconnues des Européens. Ils reviennent en Hollande avec de nombreuses peintures à l’huile et esquisses. En 1679, Maurice de Nassau fait parvenir à Louis XIV huit tableaux commandés à ces mêmes artistes, ainsi qu’une trentaine d’autres peintures plus petites, qui représentaient « […] tout le Brésil en pourtrait, à scavoir la nation et les habitans du Pay, les animaux à quatre pieds, les oiseaux, les poissons, fruits et herbes, tout en grandeur de vif, aussi la situation et les habitans du dit Pay, villes et Fortresses, en perspective [4] ». Dans la lettre qui accompagne l’envoi, le prince exprime également son souhait de voir ces œuvres servir de modèles aux futures tapisseries de la Manufacture des Gobelins. Quelques années plus tard, le contrôleur des Bâtiments du Roi, M. de la Chapelle, propose de faire tisser une tenture de huit tapisseries représentant « les Indes ». On nommait alors « Indes de l’Ouest » ce qui correspond aujourd’hui à l’Amérique du Sud. La Manufacture est en manque de sujets neufs et Louis XIV donne son accord. On ressort les tableaux offerts par le prince de Nassau, et on charge quatre artistes, Jean-Baptiste Monnoyer, Belin de Fontenay, René-Antoine Houasse et François Bonnemer, de les « raccommoder », c’est-à-dire de les retoucher afin de leur apporter une dimension décorative supplémentaire. La tenture est réalisée en 1687 dans les ateliers de basse lisse aux Gobelins.

Quand la Villa Médicis succombe au woke et à la cancel culture

En 1726, à la demande du directeur de l’Académie de France à Rome, le Surintendant des Bâtiments du Roi envoya à Rome pour la décoration du palais Mancini, siège de l’Académie (antérieurement à son installation à la Villa Médicis au début du XIXe siècle), plusieurs suites de tapisseries des Gobelins dont cette tenture des Indes. La version envoyée fut tissée, en laine et soie, entre 1723 et 1726.

La tenture des Indes connaissait depuis son premier tissage un immense succès. La société cultivée se passionnait alors pour les voyages lointains. Plus qu’un « portrait » du Brésil, la tenture des Indes offre une image de l’exotisme au sens large, mélangeant avec la faune et la flore de l’Amérique du Sud des éléments africains (éléphant), voire imaginaires.

La remise en cause de cette tenture sous l’angle du décolonialisme eut lieu une première fois lors d’une conférence qui se tint à la Villa Médicis le jeudi 15 mars 2018 à l’époque où j’y dirigeais le département d’histoire de l’art. J’avais pu suivre avec la plus grande attention l’intervention de Cécile Fromont, historienne de l’art spécialiste des productions culturelles de l’Afrique et de l’Amérique latine pour la période moderne (1500-1800). Cécile Fromont fait partie des chercheurs qui procèdent à une « relecture » de l’époque coloniale. On pouvait s’attendre lors de cette prise de parole à une critique sans concession de l’iconographie de la tenture grâce à une expertise historique approfondie et une analyse implacable des enjeux culturels et politiques. Or, l’historienne ne put que souligner l’intérêt de ces œuvres comme témoignage de l’histoire diplomatique du royaume chrétien du Congo au XVIIe siècle. Les personnages noirs que l’on voit dans ces compositions tissées sont les ambassadeurs africains et leurs serviteurs présents au Brésil en 1640.

Quand la Villa Médicis succombe au woke et à la cancel culture

Cette première attaque ayant échoué, les adeptes de l’idéologie décoloniale entreprirent d’organiser le 30 septembre 2021 une journée entière de conférences pour s’en prendre une nouvelle fois à ces vénérables tapisseries. Il s’agissait alors de « ré-envisager les "objets patrimoniaux" à l’aune de perspectives méthodologiques et épistémiques nouvelles ». (On notera les guillemets soupçonneux autour d’« objets patrimoniaux »). Le texte d’annonce de cette journée est saturé de cette idéologie post-coloniale qui semble n’avoir pour seul objectif que la condamnation de la méchante Europe. Les historiens se font moralistes et c’est une morale de la déconstruction.

La tenture est évidemment une représentation exotique et fantasmée des pays lointains. L’étrangeté de la végétation, des animaux, des individus est mise en valeur par l’artiste, témoignant de la curiosité des Européens pour l’autre et l’ailleurs. Nul racisme, nulle caricature : c’est une description émerveillée de la beauté d’un monde inconnu. Or, aux yeux de nos nouveaux moralistes, rien ne peut être positif dans cette curiosité. Le texte d’annonce de la journée d’étude affirme ainsi que « l’exubérance des éléments déployés n’est pas sans soulever plusieurs questionnements du point de vue des débats actuels autour des questions du racisme, de l’esclavage et du passé colonial des nations. » Tout est bon pour évoquer « l’exploitation coloniale qui se sert du labeur des esclaves africains » quand bien même précisément cette tapisserie montrerait l’inverse : une mission diplomatique africaine au Brésil, magnifique témoignage de la participation du continent noir aux prémices de la globalisation du monde.

Une fois de plus, le courant progressiste met en œuvre une politique de la censure fondée sur une lecture moralisatrice, culpabilisatrice et de surcroît ici parfaitement biaisée. Cette critique puritaine qui veut expurger ce qui ne lui convient pas est désignée sous le nom américain de « cancel culture », une culture de l’annulation qui est surtout une annulation de la culture. Dans le mouvement créé par ce courant de la pureté, des films sont censurés, des livres sont condamnés, des dictionnaires sont modifiés, des personnes qualifiées perdent leur emploi. Les excès délirants de cette lame de fond ont conduit à la destruction de statues de grands hommes à travers le monde anglo-saxon. Quand elles ne sont pas détruites, ces œuvres sont dégradées. Les pouvoirs publics, pleutres et soumis, décrètent alors que ces sculptures sont « problématiques » et les retirent. En France, la statue du général Joseph Gallieni est vandalisée, celle du grand Colbert est également souillée. Cette pulsion nihiliste fait immanquablement songer à la révolution culturelle chinoise et à la lutte contre « les quatre vieilleries », entraînant la destruction des œuvres d’art et des témoignages du passé non conformes à l’idéologie autorisée.

Mais le plus frappant reste la soumission des institutions et des intellectuels aux caprices émotionnels d’une petite minorité d’individus endoctrinés travaillant avec acharnement à une grande épuration de l’Histoire sur l’autel de la probité morale. Guidés par une volonté d’interdire ce qui n’est pas conforme à l’idéologie politiquement correct, ces derniers veulent chasser de l’espace public tout ce qui peut « offenser ». Nous sommes tombés au niveau des talibans qui ne supportent pas ce qui est contraire à leur vision du monde.

Pierre Jourde, écrivain, professeur d’université et critique littéraire, publia en 2019 dans L’Obs une tribune éloquente à cet égard : « Notre époque a la passion de la censure, et désormais cette censure n’est plus la vieille censure réactionnaire de droite, elle est presque exclusivement pratiquée par des gens qui se réclament de la gauche et du progrès, et exercent un véritable terrorisme intellectuel. C’est un retournement historique, qu’on étudiera lorsqu’on fera l’histoire des mentalités et des idées au XXIe siècle. Au nom du progrès, de la gauche, du Bien, on persécute et on empêche de parler ou de travailler des écrivains, des artistes, des journalistes, des intellectuels. »


Charlie Hebdo a pris acte lui aussi aujourd’hui de ce grand retournement. Il concède désormais que la censure a changé de camp. Dans son éditorial du 7 janvier 2020, « Les nouveaux visages de la censure », le chef de la rédaction expliquait qu’il y a « trente ou quarante ans », le politiquement correct « consistait à combattre le racisme ». Mais tout a changé. « La gauche anglo-saxonne a inventé le politiquement correct pour faire oublier son renoncement à lutter contre les injustices sociales. La lutte des classes, trop marxiste à ses yeux, a été remplacée par la lutte des genres, des races, des minorités, des sous-minorités et des micro-minorités. »

La remise en cause aujourd’hui de la tenture des Indes conservée à la Villa Médicis est symptomatique d’un vaste mouvement. Les auteurs de l’attaque le disent d’ailleurs eux-mêmes. Cette affaire est révélatrice d’un bouleversement intellectuel majeur qui dépasse très largement la seule question patrimoniale. La critique décoloniale promeut une vision culpabilisatrice et mortifère de l’histoire européenne qui se nourrit d’une puissante haine de soi [5]. Et désormais, l’Occident se déteste tant lui-même qu’il cherche avec fureur son propre anéantissement.

 Jérôme Delaplanche

Notes

[2Pierre-André Taguieff, L’imposture décoloniale, Paris, 2020.

[3Madeleine Jarry, « L’Exotisme au temps de Louis XIV : Tapisseries des Gobelins et de Beauvais », Medizinhistorisches Journal, Bd. 11, H. 1/2 (1976), p. 52-71 ; Marie-Henriette Krotoff (dir.), La Tenture des anciennes et nouvelles Indes, Aix-en-Provence, musée des tapisseries, 1984 ; Gerlinde Klatte, Helga Prüßmann-Zemper et Katharina Schmidt-Loske, Exotismus und Globalisierung. Brasilien auf Wandteppichen : die Tenture des Indes, Deutscher Kunstverlag, 2016.

[4Cité par Madeleine Jarry, p. 54.

[5Pascal Brukner, Le Sanglot de l’homme blanc, Paris, 1983.

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8 novembre 2021 1 08 /11 /novembre /2021 06:10

Dans Le Monde Diplomatique de novembre 2021, Arnaud Bontemps, Prune Helfter-Noah et Arsène Ruhlman expliquent pourquoi l’État paye pour disparaître : « « Bienvenue chez VFS Global, le partenaire officiel des autorités françaises à Alger », proclame le site d’un prestataire chargé de trier les dossiers de visas pour la France. Depuis dix ans, Paris lui confie le traitement des demandes qui lui sont adressées dans certains pays du monde, comme l’Algérie. Mais l’externalisation des fonctions régaliennes touche tous les pans de l’action publique, au point que peu y échappent, de la médiation culturelle à l’aide sociale à l’enfance. La situation a pris un tour singulier depuis une dizaine d’années : les pouvoirs publics lancent désormais des appels d’offres dits « d’assistance à maîtrise d’ouvrage » pour sélectionner des prestataires à même de les aider à… sélectionner ou gérer des prestataires. »

 

Dans Le Grand Soir, John Pilger évoque les tortures mentales et physiques subies par son ami Julian Assange : « Lorsque j’ai vu Julian Assange pour la première fois à la prison de Belmarsh, en 2019, peu après qu’on l’a arraché de son refuge à l’ambassade d’Équateur, il m’a dit : "Je crois que je perds la tête."

 

Il était décharné et émacié, ses yeux étaient creux et la maigreur de ses bras était soulignée par un ruban jaune d’identification noué autour de son bras gauche, symbole évocateur du contrôle institutionnel.

 

À l’exception des deux heures de ma visite, il était confiné dans une cellule solitaire dans une aile appelée du nom orwellien "soins de santé ».

 

La torture insidieuse qu’il a subie à Belmarsh a eu des effets dévastateurs. Lisez les rapports de Nils Melzer, rapporteur spécial de l’ONU sur la torture, et les avis cliniques de Michael Kopelman, professeur émérite de neuropsychiatrie au King’s College de Londres, et du Dr Quentin Deeley, et réservez un mépris pour le mercenaire des Etats-Unis au tribunal, James Lewis QC, qui a qualifié tout cela de "simulation".

 

J’ai été particulièrement ému par les paroles expertes du Dr Kate Humphrey, neuropsychologue clinique à l’Imperial College de Londres. Elle a déclaré à l’Old Bailey l’année dernière que l’intelligence de Julian était passée d’un niveau "supérieur, ou plus vraisemblablement très supérieur" à un niveau "nettement inférieur" à ce niveau optimal, au point qu’il avait du mal à absorber les informations et que ses "performances se situaient dans la fourchette basse à moyenne".

 

Lors d’une autre audience de ce drame honteux et kafkaïen, je l’ai vu lutter pour se souvenir de son nom lorsque le juge le lui a demandé.

 

Pendant la majeure partie de sa première année à Belmarsh, il était confiné. Privé d’exercice physique, il arpentait la longueur de sa petite cellule, d’avant en arrière, d’avant en arrière, pour "mon propre semi-marathon", m’a-t-il dit. Cela sentait le désespoir. Une lame de rasoir a été trouvée dans sa cellule. Il a écrit des "lettres d’adieu". Il a téléphoné aux Samaritains à plusieurs reprises.

 

Au début, on lui a refusé ses lunettes de lecture, oubliées lors de son enlèvement brutal à l’ambassade. Lorsque les lunettes sont enfin arrivées à la prison, elles ne lui ont pas été remises avant plusieurs jours. Son avocate, Gareth Peirce, a écrit lettre après lettre au directeur de la prison pour protester contre la rétention de documents juridiques, l’accès à la bibliothèque de la prison, l’utilisation d’un ordinateur portable basique pour préparer son dossier. La prison mettait des semaines, voire des mois, à répondre. (Le gouverneur, Rob Davis, a été décoré de l’Ordre de l’Empire britannique).

 

Les livres que lui a envoyés un ami, le journaliste Charles Glass, lui-même survivant d’une prise d’otages à Beyrouth, lui ont été retournés. Julian n’a pas pu appeler ses avocats américains.

 

Depuis le début, il est constamment sous médicaments. Une fois, quand je lui ai demandé ce qu’ils lui donnaient, il n’a pas pu le dire.

Revue de Presse 379
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4 novembre 2021 4 04 /11 /novembre /2021 06:08

Facebook est très réactif. Il lui a fallu un an et demi pour estimer qu'un de mes articles devait être censuré. Cet article n'avait pas grand-chose de politique (quand bien même), même si, avec Orwell, tout était, politique : un de ses amis disait qu'il était capable de se lancer dans une dénonciation des conditions de travail dans l'industrie textile après s'être mouché dans un mouchoir fabriqué en Angleterre.

 

J'ai contesté. Pour passer le temps et sans grande illusion. D'autant que Facebook m'avertit qu'à cause du Covid (ben voyons !), ils ne seront peut-être pas capables d'étudier ma protestation. On verra.

Facebook, Orwell et moi
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2 novembre 2021 2 02 /11 /novembre /2021 06:02

Dans son éditorial du Monde Diplomatique de novembre 2021, Serge Halimi explique comment la Grèce est redevenue exemplaire : « Athènes vient d’offrir un Noël anticipé à ses armées : vingt-quatre avions de combat Rafale et trois frégates dernier cri, en attendant des F-35 et des hélicoptères Sikorsky, sans oublier drones, torpilles et missiles. Les officiers grecs ne seront pas seuls à la fête puisque des groupes d’armement français, Dassault en particulier, comptent au nombre des principaux fournisseurs d’Athènes.

 

 

Il y a six ans pourtant, les autorités européennes et le Fonds monétaire international (FMI) — la « troïka » — imposaient leur férule à un pays ruiné, asphyxié, ravalé au rang de protectorat. Ils passaient la moindre de ses dépenses à la paille de fer afin de contraindre la Grèce à rembourser une dette dont même le FMI admettait le caractère « insoutenable ». Encouragée par l’Allemagne, la « troïka » s’était acharnée contre les dépenses sociales. S’ensuivirent des hausses fulgurantes des taxes et des cotisations maladie, un report à 67 ans de l’âge de la retraite (dont les pensions furent amputées quatorze fois de suite), des baisses des allocations-chômage et du smic (de 32 % pour les moins de 25 ans), des hôpitaux bondés privés de moyens et de médicaments, etc.

 

 

Pour Benoît Bréville, la préférence nationale est un remède de charlatan : « À six mois de l’élection présidentielle en France, l’extrême droite monopolise la scène médiatique et politique. Ses deux candidats potentiels, Mme Marine Le Pen et l’éditorialiste xénophobe Éric Zemmour, totalisent 35 % des intentions de vote dans les sondages — une situation inédite. Profitant de l’atonie et de la dispersion des forces de gauche, ils imposent leurs thèmes. Parmi ceux-ci, entre le « grand remplacement » et la menace islamiste, la préférence nationale occupe une place de choix. »

 

 

Gilles Favarel-Garrigues et Laurent Gayer dénoncent le temps des justiciers autoproclamés : « Milices surveillant les frontières, bandes organisées pourchassant les comportements « immoraux », redresseurs de torts solitaires suppléant des forces de police « débordées » ou « trop faibles » : un peu partout dans le monde, des gens prennent la justice en main, au nom d’une conception souvent réactionnaire de la loi. Une pratique que les réseaux sociaux relaient et amplifient. »

 

Pour Paul Pasquali, l’ascenseur social a toujours été en panne : « Souvent centrés sur la clôture sociale dont s’entourent les élites, les débats sur la méritocratie comportent un angle mort : le sort du tiers de la population le moins diplômé. Contrairement aux années 1960, où le rapport de forces salarial était plus favorable aux ouvriers, il est devenu presque impossible de se projeter sereinement dans l’avenir sans titre scolaire. Une des sources de la colère sociale ? »

 

 

Maxime Robin récit les patrouilles d’habitants pour protéger Chinatown à New York : « Arrivés sans le sou et parvenus à s’élever dans la société, les Asiatiques installés aux États-Unis incarneraient le rêve américain. On les dit durs à la tâche, brillants à l’école, mais aussi discrets et dociles. Derrière ces stéréotypes se cache pourtant une communauté morcelée, en proie à une multiplication des incidents haineux depuis le début de la pandémie. »

 

Au Nicaragua, selon Gabriel Hetland, les élections se déroulent sans opposition : « Dimanche 7 novembre, les Nicaraguayens se rendront aux urnes pour un scrutin présidentiel dont peu doutent qu’il reconduira M. Daniel Ortega au pouvoir. Une nouvelle victoire pour la gauche latino-américaine ? Bien sûr !, répondent certains, qui voient le dirigeant sandiniste comme un révolutionnaire anti-impérialiste. Non content de se dresser contre Washington, M. Ortega affiche une « option préférentielle pour les pauvres », comme l’a souligné le ministre des affaires étrangères Denis Moncada le 26 septembre 2021, lors d’une réunion « de solidarité » avec son pays organisée dans la banlieue de New York. Il reprenait la terminologie associée à la doctrine sociale de l’Église catholique revendiquée par le courant de la théologie de la libération, hier puissant en Amérique latine. Mais d’autres estiment que le président Ortega et son épouse, Mme Rosario Murillo, dirigent un régime autocratique qui aurait éviscéré la démocratie nicaraguayenne et se serait rendu responsable de répression et de violation des droits humains. En d’autres termes, le sandiniste d’aujourd’hui aurait trahi celui d’hier qui avait contribué à faire triompher la révolution à la fin des années 1970. »

 

 

En Afghanistan, il y aura moins de troupes étasuniennes mais plus de dromes (Gilbert Achcar) : « En achevant le retrait des troupes américaines d’Afghanistan, le président Joseph Biden a démontré qu’il ne céderait pas aux pressions des « faucons ». Il n’est plus question de stationner des effectifs militaires américains importants dans des guerres de longue durée. Mais cela ne signifie pas, loin de là, que les États-Unis sont tentés par le pacifisme… »

 

 

Marc Pellas décrit la monarchie de plomb qui règne sur le Bahreïn : « Depuis 2017, les amateurs de cyclisme suivent les performances de l’équipe professionnelle Bahrain Victorious (anciennement Bahrain-Merida, puis Bahrain-McLaren). Très en vue durant le dernier Tour de France, ses coureurs, européens pour la plupart, véhiculent l’image de modernité que cet archipel du Golfe revendique. Ce soft power par le biais du sport vise à occulter une autre réalité. Dans cette monarchie à majorité chiite, la famille régnante sunnite a progressivement écrasé toute velléité de participation politique de ses citoyens. Elle s’aligne ainsi sur ses deux voisins, protecteurs et donneurs d’ordres, saoudien et émirati, tenants, chacun à sa manière, d’un absolutisme monarchique perpétuel. »

 

 

Intéressant article de Coline Houssais qui brosse un historique de la cornemuse dans son usage militaire : « L’essor impérialiste de la Grande-Bretagne a été symbolisé, entre autres, par l’usage de la « great highland bagpipe » sur le théâtre des combats. Aujourd’hui, cet instrument demeure répandu dans les armées des pays arabes, dont le sultanat d’Oman, la Jordanie ou l’Égypte. En Palestine ou au Liban, les groupes paramilitaires, les scouts et les orchestres folkloriques l’ont aussi adopté. »

 

Le Monde Diplomatique (258)

Akram Belkaïd voit dans les relations entre la France et l’Algérie des c rimes et des connivences : « Querelle passagère ou dégradation durable des relations diplomatiques ? Le 2 octobre, dans un contexte bilatéral déjà tendu, Alger annonçait le rappel « pour consultations » de son ambassadeur à Paris et le rejet des « propos irresponsables » de M. Emmanuel Macron tels que rapportés par le quotidien Le Monde. Le 30 septembre, en recevant au palais de l’Élysée dix-huit jeunes gens descendants de protagonistes de la guerre d’Algérie (1954-1962), le président français avait en effet affirmé que ce pays s’était construit sur « une rente mémorielle » entretenue par un « système politico-militaire » ayant réécrit l’histoire et diffusant « un discours qui repose sur une haine de la France ». M. Macron s’était aussi interrogé sur l’existence d’une « nation algérienne avant la colonisation française », ce qui a eu le don d’irriter la majorité des Algériens, opposants au pouvoir compris. Outre le rappel de son ambassadeur, Alger a ordonné la fermeture de son espace aérien aux avions militaires français qui interviennent au Mali dans le cadre de l’opération « Barkhane ». »

 

Pour Jean-Christophe Servant, il ne faut pas oublier la dictature en Guinée-Équatoriale : « La Guinée-Équatoriale était un « élément-clé du régime franquiste et de ses aspirations de grandeur, mais économiquement, c’était une colonie marginale », nous explique l’anthropologue catalan Gustau Nerín, professeur d’études africaines à l’université de Barcelone. Les deux anciennes provinces autonomes espagnoles de Río Muni (sur le continent) et de Fernando Poo (une île à trente kilomètres des côtes, aujourd’hui île de Bioko, d’où l’État équato-guinéen tire ses ressources pétrolières) ont accédé a l’indépendance, réunies en un seul pays, le 12 octobre 1968. Elles sont ainsi passées du franquisme à la présidence autoritaire et sanglante de Francisco Macías Nguema, avant que ce dernier ne soit renversé en août 1979 par son neveu, M. Teodoro Obiang Nguema Mbasogo. Aujourd’hui âgé de 79 ans, le dictateur bat le record continental de longévité au pouvoir : quarante-deux ans en août 2021. « Pour moi, résume Nerín, il existe trois types de régimes politiques mondiaux : le libéralisme, qui prétend que l’État n’a pas à s’immiscer dans l’économie. Le socialisme, qui préconise que l’État protège les pauvres. Et le régime guinéen, dans lequel l’État protège, subventionne et défend les riches. » »

 

 

Pour Philippe S. Golub, Pékin mise sur la finance contre Washington : « L’entrée de la Chine à l’Organisation mondiale du commerce, en 2001, avait été facilitée par l’espoir américain que la libéralisation économique du pays entraîne l’« ouverture politique ». Vingt ans plus tard, c’est tout le contraire : la dérégulation sert Pékin, qui s’appuie sur les multinationales américaines pour contrer les velléités protectionnistes de la Maison Blanche. »

 

 

Frédéric Durand estime que la COP26 est une conférence à la recherche du temps perdu : « La conférence des Nations Unies sur les changements climatiques qui se tient début novembre à Glasgow (COP26) vise à traduire dans les faits l’accord universel signé à Paris en 2015. Pour limiter les conséquences funestes d’un réchauffement déjà en cours, chaque pays doit s’engager à réduire beaucoup plus drastiquement ses émissions de gaz à effet de serre dans les trois prochaines décennies. Les procrastinations du passé ne prêtent guère à l’optimisme. »

 

 

Une salutaire réflexion d’Évelyne Pieiller sur la politisation de la nostalgie : « Le fond de l’air bruit de l’annonce que notre monde, voire notre civilisation, tire à sa fin. Et pas uniquement à cause du changement climatique. Cette déploration, ancestrale, en rend coupable la raison universaliste qui sépare l’humain du reste du vivant et remplace par la démocratie abstraite l’inscription dans le concret d’une terre et d’un groupe. Des notions qui, pour certaines, ne sont plus l’apanage de l’extrême droite. »

 

 

Arnaud Bontemps, Prune Helfter-Noah et Arsène Ruhlman explique pourquoi l’État paye pour disparaître : « « Bienvenue chez VFS Global, le partenaire officiel des autorités françaises à Alger », proclame le site d’un prestataire chargé de trier les dossiers de visas pour la France. Depuis dix ans, Paris lui confie le traitement des demandes qui lui sont adressées dans certains pays du monde, comme l’Algérie. Mais l’externalisation des fonctions régaliennes touche tous les pans de l’action publique, au point que peu y échappent, de la médiation culturelle à l’aide sociale à l’enfance. La situation a pris un tour singulier depuis une dizaine d’années : les pouvoirs publics lancent désormais des appels d’offres dits « d’assistance à maîtrise d’ouvrage » pour sélectionner des prestataires à même de les aider à… sélectionner ou gérer des prestataires. »

 

 

Aurélien Bernier dénonce la folie organisée autour du prix de l’énergie : « Depuis la fin de l’été 2021, les prix de l’énergie grimpent dans toutes les régions du monde. Le tarif régulé du gaz en France a augmenté de 57 % pour les ménages depuis le 1er janvier. L’électricité suit le même chemin : passée, en dix ans, de 120 euros par mégawattheure à 190 euros, la facture des particuliers va monter en flèche en 2022. Cette crise tire l’inflation dans la zone euro à son plus haut niveau depuis 2008 (3,4 % sur un an) et menace particulièrement les personnes précaires et les entreprises. Alors que beaucoup de commentateurs n’y voient que des raisons conjoncturelles, les vraies causes sont à rechercher à Bruxelles. »

 

Panthéon : selon Alain Garrigou, on y entre et on en sort : « Le 30 novembre, Joséphine Baker doit faire son entrée au Panthéon. Intervenant après une série d’hommages, de commémorations et quelques mois avant un scrutin présidentiel, la décision du président Emmanuel Macron n’est pas dépourvue de visées électorales. Mais au fait : comment, depuis plus de deux siècles, entre-t-on au Panthéon et… comment est-il parfois arrivé d’en sortir ? »

 

 

Sandrine Lana et Hélène Servel dénoncent la fraude au travail détaché : « En théorie de plus en plus stricte, la législation sur le travail illégal peine à être respectée. Les récentes condamnations pour fraude d’entreprises espagnoles qui délivraient de la main-d’œuvre temporaire dans le secteur agricole français, qui en bénéficiait, pourraient cependant marquer une avancée. Dans le collimateur désormais, les « entreprises utilisatrices » ou donneuses d’ordres. »

 

 

 

Le Monde Diplomatique (258)

Hubert Prolongeau nous aide à mieux comprendre les générations Manga : « On se doutait qu’ils n’allaient peut-être pas tous se précipiter sur les volumes de la Pléiade, mais personne ne pensait que la ruée vers les mangas prendrait cette ampleur. Le « passe culture », ce chèque de 300 euros offert par le ministère de la culture à tous les jeunes de 18 ans, est devenu un « passe manga », venant gonfler encore des ventes en pleine expansion. Ce que consacre la Japan Expo, la grande vitrine annuelle de la culture populaire japonaise, qui fera une très large place au genre dans son édition du 14 au 17 juillet 2022, au parc des expositions de Paris-Nord Villepinte. »

 

 

Serge Halimi et Pierre Rimbert expliquent pourquoi si Julian Assange s’appelait Navalny, il ne serait pas là où il est : « n mars 2017, M. Julian Assange achève sa cinquième année de réclusion dans l’ambassade d’Équateur à Londres. Les dirigeants de la Central Intelligence Agency (CIA) sont résolus à s’emparer de lui et envisagent de le tuer : WikiLeaks, que M. Assange a cofondé, vient de révéler quels outils la CIA utilise pour espionner les appareils électroniques. La fuite est décisive. Les dirigeants de l’agence songent d’abord à l’enlèvement du coupable. Mais violer l’intégrité de l’ambassade équatorienne pour se saisir d’un citoyen australien réfugié à Londres serait diplomatiquement délicat. Puis ils se persuadent que M. Assange s’apprête à fuir en Russie, avec la complicité de l’Équateur et du Kremlin. Ils élaborent alors des plans encore plus rocambolesques : « Des affrontements armés avec des agents du Kremlin dans les rues de Londres, un carambolage avec un véhicule diplomatique russe transportant Assange afin de s’en saisir, des tirs sur les roues d’un avion russe le transportant afin d’empêcher l’engin de décoller pour Moscou. (…) L’une des hypothèses prévoyait même qu’Assange tenterait de s’enfuir dans un chariot à linge. » En définitive, l’opposition de la Maison Blanche à une opération juridiquement bancale aurait eu raison de ces projets.Tous ces éléments, un long article mis en ligne le 26 septembre dernier par une équipe de journalistes de Yahoo News les détaille grâce à des entretiens avec une trentaine de fonctionnaires des agences de sécurité américaines. M. Michael Pompeo, alors directeur de la CIA, n’avait pas caché son jeu en avril 2017 : « WikiLeaks est un service de renseignement hostile aux États-Unis, souvent encouragé par la Russie. (…) Nous ne permettrons plus aux collègues d’Assange de recourir à la liberté d’expression pour nous écraser avec des secrets volés. Nous allons devenir une agence beaucoup plus méchante. Et dépêcher nos agents les plus féroces dans les endroits les plus dangereux pour les écraser. »

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1 novembre 2021 1 01 /11 /novembre /2021 06:08

L'Obs relate longuement le témoignage – lors du procès de Salah Abdeslam – des médecins qui ont réussi à « sauver sous la menace » des victimes du Bataclan. 

 

Au Bataclan, il était « Méd 1 » : l’un des deux médecins du RAID entrés dans la fosse gémissante à 23 heures, une bonne heure après la tuerie, le 13 novembre 2015. Samy Amimour est mort. Ses deux comparses sont à l’étage, où ils se sont retranchés avec des otages. L’attaque n’est pas finie. Avec un collègue, « Méd 2 », Matthieu Langlois, 51 ans, va, quarante minutes durant, évoluer entre les deux cents victimes, vivantes et mortes, allongées dans la fosse. A la barre, le docteur, carrure de policier des forces spéciales, contrôle psychologique de celui qui s’est entraîné à agir sur les terrains de crise, raconte sa nuit de sauvetage, alors que le Bataclan est encore sous la menace.

 

Le but n’est pas de pratiquer des soins sur place (à part poser des garrots en cas d’hémorragie à stopper), mais de rassembler les victimes dans le « nid de blessés » et d’extraire au plus vite celles qui ont une chance de survivre. C’est un « triage », même si les médecins préfèrent parler de « priorisation ». 

 

« Ceux qui pouvaient marcher étaient déjà évacués. A la voix, je demande si des victimes peuvent venir vers nous, nous rejoindre. Je vois un bras qui se lève, un jeune qui me regarde. Je me dis avec “Méd 2” qu’il va falloir y aller ; que si on n’y va pas, il sera trop tard. On ne peut pas attendre que l’assaut soit donné.»”

 

«Nous parlons ici de sauver sous la menace. C’est souvent en faisant des choses très simples : en évacuant. L’objectif est de sortir au plus vite les blessés de la zone rouge, ce qui demande beaucoup d’expertise médicale. »

 

« Je me souviens d’une jeune femme blessée à la tête, ramenée au nid de blessés, raconte le médecin du RAID. J’ai décidé de faire évacuer d’autres blessés. Les policiers à côté d’elle m’ont regardé avec des yeux [ronds]. Pour moi, elle était tellement atteinte que je préférais donner une vraie chance à ceux qui avaient des lésions “survivables”. Cette femme, nous l’avons évacuée aussi, ensuite, à la Pitié. J’ai su qu’elle était malheureusement décédée le lendemain matin. »” 

 

« En exercice, avec un feutre, je mettais un “1”, un “2”, sur le front. Mais là, malheureusement, sur le front, il y avait du sang, de la sueur ; pour les pompiers, ça ne voulait plus rien dire à l’arrivée, quelques minutes plus tard… » 

 

« La victime est-elle capable de parler ? Est-elle pâle ? Ses muqueuses sont-elles décolorées ? Comment respire-t-elle ? Je peux dire si c’est “Tout de suite maintenant” ou si, pour l’instant, ça va aller. Au premier étage, je trouve un jeune homme qui a reçu une balle là [en haut du thorax, côté gauche]. Il dit : “Je saigne derrière”. Je regarde parce qu’il peut y avoir un petit trou devant et un comme ça [énorme, mime-t-il avec ses mains] derrière. Mais c’est un petit trou. Je l’ai assis le dos acculé au mur. Je ne m’en suis pas occupé tout de suite mais je le gardais à l’œil. Je l’ai pris en charge une demi-heure plus tard. »”

 

« Un policier de la BRI est venu me chercher parce qu’il y avait une jeune femme très gravement blessée derrière la cuvette des toilettes ; elle avait un bras quasiment arraché. Il ne fallait surtout pas la tirer. Mais lui parler, la rassurer, car elle souffrait considérablement. Le policier l’a chargée sur ses épaules et l’a descendue au rez-de-chaussée pour la remettre aux secours.  »

 

Revue de Presse 378
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28 octobre 2021 4 28 /10 /octobre /2021 05:01

Par Philippe Arnaud, forcément...

 

Le mercredi 20 octobre, comme à l'habitude, j'ai écouté, à 12 h 45 sur France Inter, le Jeu des 1000 euros. L'équipe du Jeu reste en général du lundi au vendredi dans la même localité (souvent une petite commune) et le mercredi est réservé à un "Spécial jeunes" (c'est-à-dire à des candidats collégiens ou lycéens).

Ces jeunes ont en gros le même profil : ce sont de "bons élèves", mais, surtout, en dehors de la vie scolaire, ce sont des jeunes s'intéressant à tout. Ils sont fréquemment grands lecteurs et ont des centres d'intérêt variés dans divers domaines, culturels, artistiques ou sportifs. D'ailleurs, une pré-sélection, effectuée quelques minutes avant l'émission, permet de choisir ceux qui répondront au maximum de questions, dans le plus de matières possibles : histoire, littérature, sport, musique, peinture, politique, calcul mental...

Cette semaine, l'équipe du Jeu était à Entrecasteaux, petite commune du Var de 1200 habitants, située entre Brignoles et Draguignan. Et les deux joueurs étaient une lycéenne et un lycéen (c'est dans cet ordre qu'ils furent présentés). La fille était en terminale, sans plus de précision et si Nicolas Stoufflet (l'animateur), n'a pas mentionné la classe du garçon, on peut supposer que celui-ci était vraisemblablement, lui aussi, en terminale. Je m'arrêterai ci-après sur une question dont les réponses – ou, plus précisément, les "non-réponses" – de ces jeunes gens m'ont paru révélatrices d'un problème : comment des jeunes gens instruits, intelligents, cultivés, curieux, vifs d'esprit, ont-ils pu buter sur cette si simple question ?

Cette question était dite "rouge" (la dernière, la plus difficile) et elle était ainsi formulée : "En 1974, le 22 juin 1974, la Coupe du Monde de football a opposé deux équipes qu'on a parfois appelées les frères ennemis. De quels pays s'agit-il ? Un combat fratricide, si on peut le dire."

Remarque 1 : précision. Il s'agissait du match RDA-RFA, remporté sur le score de 1 à 0 par la RDA. Ce qui était un coup de tonnerre, compte tenu que la RFA avait été championne du monde contre la Hongrie, en 1954, qu'elle avait été finaliste contre l'Angleterre en 1966, et qu'elle ne s'était inclinée en demi-finale, face à l'Italie, en 1970, qu'au terme d'un match mémorable, d'un match de légende, remporté sur un score de 4 à 3 par l'Italie, à l'issue des prolongations. Cette victoire de la RDA sur la RFA était donc symbolique, qui voyait la "grande" RFA, battue par la "petite" RDA, laquelle était mal aimée en Occident (à cause du Mur de Berlin), sauf par les communistes. Autour de la RDA se cristallisaient, en France et en Europe, toutes les oppositions politiques et géopolitiques entre communistes et anti-communistes, pro-soviétiques et anti-soviétiques.

[Remarque dans la Remarque 1. On peut toutefois se demander si cette défaite n'arrangeait pas (très opportunément...) l'équipe de la RFA. En effet, ce résultat la plaçait automatiquement, au 2e tour, dans le groupe B, celui de la Pologne, de la Suède et de la Yougoslavie, pays qui, même s'ils possédaient de bonnes équipes (la Suède avait été troisième en 1950 et finaliste en 1958, la Yougoslavie, demi-finaliste en 1962), n'avaient pas des équipes aussi performantes que celles du groupe A (avec le Brésil et l' Argentine). L'Allemagne, en ce cas, aurait couru de grands risques d'être éliminée à ce niveau par exemple par le Brésil, donc de ne pas se retrouver en finale. [Au demeurant, l'Allemagne a été coutumière de ces calculs mesquins, par exemple en 1982, en jouant "plan-plan" avec l'Autriche – à l'issue d'un match, il faut le dire, plutôt scandaleux – pour éliminer l'Algérie avec le seul score qui permettait aux deux équipes (celle de la RFA et celle de l'Autriche) de se qualifier pour le second tour (soit 1 à 0 pour l'Allemagne). Fin de la remarque dans la Remarque 1.]

Remarque 2. Les deux candidats ignoraient apparemment tout de cette Coupe du Monde (et de ses résultats), comme cela ressortait de leurs réponses. Ils ont cité en effet des pays qui ne s'étaient pas qualifiés pour cette Coupe, comme la France, l'Angleterre, le Pays de Galles et même... le Luxembourg. Au demeurant, leurs réponses (France-Allemagne, Angleterre-Pays de Galles, Allemagne-Luxembourg, Allemagne-Pologne, Allemagne-Pays-Bas), n'ont pas manqué d'une certaine cohérence avec la question puisqu'il s'agissait presque à chaque fois de pays voisins de l'Allemagne (France, Pologne, Luxembourg, Pays-Bas), de pays qui furent en guerre contre l'Allemagne (en référence au terme "ennemis" dans l'expression "frères ennemis") comme la France, la Pologne ou les Pays-Bas, ou en référence au terme "frères" lorsqu'ils ont cité l'Angleterre et le Pays de Galles - puisque ces deux derniers pays parlent la même langue. Au passage, ils ont mentionné (sans doute par hasard...) deux des équipes que la RFA a effectivement affrontées : la Pologne (au 2e tour) et les Pays-Bas (en finale).

Remarque 3. Mais le fond du problème ne réside évidemment pas dans ces considérations sportives mais dans l'arrière-plan politique (voire géopolitique) qui était l'objet même de la question. Pour ces deux lycéens, la guerre froide (dont la séparation des deux Allemagnes fut l'un des symboles les plus forts) était un concept n'affleurant pas à leur conscience. Ils n'ignoraient certainement pas cette notion (on leur en avait certainement parlé en classe et, comme ils étaient curieux et cultivés, si on leur avait posé directement une question sur la guerre froide, ils auraient vraisemblablement fourni une bonne réponse). Mais ce n'était pas une situation qui les avait marqués psychologiquement (comme elle put marquer les enfants du baby-boom ou des générations nées avant-guerre).

Remarque 4. Il est possible, en effet, que l'on ne cite spontanément que les événements ou les situations qui ont eu, pour soi, un fort impact émotionnel. De la déclaration de guerre de la France à la Prusse, en juillet 1870, à la victoire des alliés sur l'Allemagne hitlérienne, en mai 1945, il s'est écoulé 75 ans. Ce laps de temps peut paraître élevé quand on a 17/18 ans (âge moyen d'un élève de terminale) mais il représente peu de choses au regard de l'Histoire européenne, voire d'une vie humaine. Un Français ou une Française qui avait 80 ans en 1945 (ce qui était rare mais pas exceptionnel : le maréchal Pétain, chef de la France de Vichy, était né en 1856, sous le second Empire, et il mourut en 1951, sous la IVe République) avait vu, au cours de sa vie, en 75 ans, trois guerres avec l'Allemagne. Ces guerres, à des titres différents, ayant toutes été désastreuses pour la France, marquèrent profondément les esprits de tous les Français qui vécurent de 1860 à 1960.

Remarque 5. Par exemple, il me souvient que, dans les années de mon enfance (décennie des années 1950), les adultes n'appelaient les Allemands que les "Boches", les "Chleuhs", les "Fridolins", les "Frisés", voire les "Vert-de-Gris" ou, plus rarement, les "Doryphores", tous surnoms que – à part le premier – on peut supposer inusités par les jeunes gens nés après l'an 2000 (voire carrément inconnus d'eux). De même, il persista une germanophobie bien au-delà de 1945 : une personne de mes proches, née au début des années 1910 (et solidement de droite), me déclarait sans rire que les événements de Mai-68 avaient été fomentés par des Juifs instrumentalisés par l'Allemagne pour déstabiliser et abaisser la France...

 

Djeuns' et mémoire historique

Remarque 6. A l'inverse, il est psychologiquement et mentalement peu aisé, pour un lycéen (une lycéenne) ou un collégien (une collégienne) de 2021, de se représenter concrètement la guerre froide et ses traductions sur le terrain (par exemple la division de l'Allemagne). Ainsi, de même que les petits enfants (peut-être jusqu'à cinq ans) peinent à s'imaginer que leurs parents, dans leur jeunesse, aient pu ne pas se connaître (pour les tout-petits, leurs parents sont nés en même temps qu'eux et ils ont, de tout temps, formé un couple), les jeunes lycéens ou collégiens peinent à se représenter deux Allemagnes.

En effet, ceux qui sont encore dans le secondaire en 2021 n'ont pratiquement connu qu'un chancelier d'Allemagne depuis leur prime jeunesse : la chancelière Merkel. Lorsqu'ils en ont entendu parler, ça a été comme d'une dirigeante d'un riche pays de 82 millions d'habitants, puissant économiquement, politiquement et financièrement, et imposant ses volontés à l'Europe, via la Commission européenne, le Parlement européen et la Banque Centrale européenne (dont le siège, symboliquement, se situe à Francfort). Aujourd'hui, où l'on peut se déplacer sans encombre en Europe, par voie terrestre (où l'on peut aller en Finlande et dans les pays baltes), il est difficile de s'imaginer qu'à quelques kilomètres en amont de Hambourg, jusqu'en novembre 1989, on butait sur une frontière hermétique – et périlleuse à franchir.

Remarque 7. En dehors des étudiants en histoire (censés s'intéresser à tous les secteurs du passé, en dehors de leur programme annuel), il semble y avoir, chez les jeunes, des angles morts de la connaissance. Comme s'ils ne voyaient le passé que dans un rétroviseur de pare-brise (donc des événements lointains : croisades, Réforme, Révolution, guerre de 14...), et qu'ils étaient dépourvus de rétroviseurs extérieurs, leur signalant des événements plus proches d'eux-mêmes (la guerre froide par exemple).

Remarque 8. On peut se demander quelles raisons expliquent la méconnaissance de ce passé proche chez les adolescents. Une première raison est que ces enfants ont eux-mêmes des parents dont les plus âgés ont entre 45 et 50 ans, donc qui étaient adolescents lors de la chute du Mur de Berlin, en 1989 (mon fils et ma belle-fille avaient 14 et 17 ans). Lesdits parents étaient en moyenne trop jeunes pour s'intéresser à la politique, et, plus encore, à la géopolitique (d'autant plus qu'aussi bien le Parti communiste que l'URSS étaient déjà entrés en déliquescence et ne représentaient plus, ni idéologiquement ni stratégiquement, une "menace" - pour autant, d'ailleurs, que l'un comme l'autre aient jamais représenté une telle "menace". Ce raisonnement vaut a fortiori pour les plus jeunes de ces collégiens, qui ont donc des parents également plus jeunes. Une de mes nièces, qui a une fille en 3e, est née en 1982. Elle avait alors 7 ans en 1989. Il est, de ce fait, peu vraisemblable que les collégiens et les lycéens de 2021 aient eu des parents qui leur aient parlé de la guerre froide comme d'une expérience ayant marqué leur enfance.

Remarque 9. La deuxième raison se ramène globalement à la première : les grands parents de ces enfants (globalement la génération du baby-boom), née après 1945, n'ont pas non plus connu de guerre. Ils ont échappé aux engagements de la guerre d'Indochine (1946-1954) et de la guerre d'Algérie (1954-1962), lesquelles n'ont pas touché le territoire métropolitain (en dehors des attentats de l'OAS). Depuis 1945, ils ont vécu dans une France en paix, qui, de surcroît, jusqu'à l'orée des années 1980, a été une France prospère.

On se retrouve là à peu près dans la situation du XVIIIe siècle, entre la mort de Louis XIV (1715) et le début des guerres de la Révolution et de l'Empire (1792). Entre ces deux dates, il s'est écoulé 77 ans, soit à peu près le même intervalle que celui qui nous sépare de la capitulation de l'Allemagne en 1945 (soit 76 ans). Or, le XVIIIe siècle (entendu comme l'intervalle qui sépare le règne de Louis XIV de la Révolution), passe pour un siècle de paix malgré les guerres de Succession de Pologne, de Succession d'Autriche, de Sept Ans et d'Indépendance des États-Unis. En effet, ces guerres, même si elles furent désastreuses pour la France diplomatiquement et stratégiquement (comme la guerre de Sept Ans) ou ruineuses (comme cette même guerre ou la guerre d'Indépendance des Treize colonies), ne se déroulèrent pas sur le territoire français et furent bien moins éprouvantes, par rapport au XVIIe siècle, que la terrible guerre de Trente Ans, que la fratricide Fronde ou que les épuisantes 33 années de guerre (certes pas ininterrompues) de Louis XIV, en particulier de la dernière, l'âpre guerre de Succession d'Espagne, qui dura 14 ans et s'acheva un an avant la mort de Louis XIV.

En résumé. Les collégiens ou lycéens des années 2010 et 2020 n'ont pas eu de parents – ni même de grands-parents – qui leur aient parlé de conflits que ceux-ci avaient vécu, dont ils avaient souffert, dans leur chair ou dans leurs biens, comme ce fut le cas pour toutes les générations nées, disons, de 1865 à 1965 (pour avoir un chiffre rond). En outre, pour les générations du baby-boom, les conflits armés liés à l'affrontement Est-Ouest se déroulèrent loin de chez eux (en Asie, en Afrique, en Amérique latine). Le plus proche de ces conflits, la guerre civile grecque (1946-1949), fut trop marginale et eut lieu trop tôt pour que la génération du baby-boom en fût marquée.

Remarque 10. Toute histoire, disait Benedetto Croce, est contemporaine. En effet, on ne s'intéresse aux événements du passé qu'en tant qu'ils éveillent un écho dans les événements ou les situations du présent. Et, souvent, on les voit – ou on les interprète ou on les réinterprète – en fonction des préoccupations, des craintes, des fantasmes du présent. En 1904, par exemple, le manuel d'histoire de 3e, écrit par Albert Malet, présentait ainsi la répression de la Bohême par les Habsbourg, au début de la guerre de Trente ans : "Les villes furent dépeuplées ; la langue allemande y remplaça la langue tchèque, qui ne fut plus parlée que par les paysans à peu près réduits en servage. Ce fut une première et odieuse tentative pour détruire une nation et germaniser un peuple".

Lorsqu'on lit ces lignes, on voit clairement qu'elles sont démarquées de ce qu'éprouvaient au même moment les Français face à la politique de l'empire allemand en Alsace-Moselle : germanisation des toponymes (voire des patronymes), obligation d'user de la langue allemande. Les Français relisaient la politique des Habsbourg (dynastie germanique) à l'égard de la Bohême sous le prisme de ce qu'ils voyaient se dérouler dans leurs provinces perdues en 1871.

Remarque 11. Mais, à l'inverse, qu'est-ce qui dans la période actuelle pourrait rappeler la période de la guerre froide : l'affrontement idéologique ? Les régimes dits communistes se sont effondrés en Europe et en Russie. La Russie, en 1991, a, en tant qu’État successeur de l'URSS, subi une considérable diminutio capitis (perte de la moitié de la population, du quart du territoire, de la plupart des côtes "utiles" – mer Noir, mer Baltique – désindustrialisation, dénatalité, hausse de la mortalité. La Chine n'est plus (pour le moment ?) qu'un adversaire économique. Il n'y a plus, en Afrique, en Asie ou au Proche-Orient, de guérillas se réclamant du marxisme, et, en France, le Parti communiste, qui a dû, vu les circonstances, abandonner toute référence à l'URSS, recueille des résultats confidentiels aux élections. Qu'est-ce qui pourrait faire penser que, jusqu'en 1989, l'Europe rassemblait la plus forte concentration, qu'on eût jamais vue, d'armées prêtes à en découdre ? Rien.

Remarque 12.  Comme je l'ai dit au début, il est plus que probable que les jeunes candidats de mercredi savaient ce qu'était la guerre froide. Mais ils n'en avaient qu'une connaissance livresque, comme celle de la conquête de la Gaule, de la découverte du Nouveau Monde ou de la prise de la Bastille. La guerre froide n'éveillait pas, en eux, les émotions (dans un sens ou dans l'autre, d'ailleurs...) de la génération du baby-boom – ou des générations antérieures – à l'occasion de la répression du soulèvement hongrois de 1956, de l'écrasement du Printemps de Prague en 1968 ou de la chute du Mur de Berlin en novembre 1989.

Mais la guerre entre l'OTAN et le pacte de Varsovie n'a pas eu lieu. La période de la guerre froide, au lieu du souvenir d'un affrontement titanesque  et des dévastations et deuils y afférents, est donc passée, dans l'esprit de nos lycéens, "sicut nubes... quasi naves... velut umbra" (Comme un nuage... comme des navires... comme une ombre).

Mais, au fond, n'est-ce pas mieux ainsi ?

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25 octobre 2021 1 25 /10 /octobre /2021 05:08

 

Une tendance lourde le monde : des dirigeants suprêmes se comportent de plus en plus comme de dangereux truands. C'est le cas, selon le World Socialist Website, de Bolsonaro au Brésil, accusé de meurtre de masse pour la politique d'immunité collective dans son pays. « Le rapport publié mercredi par la Commission d’enquête parlementaire (CPI) du Sénat brésilien sur la réponse du président Jair Bolsonaro à la pandémie de COVID-19 a mis à nu une politique criminelle responsable de la mort de centaines de milliers de Brésiliens.

Avec un bilan officiel de plus de 600.000 morts, le Brésil est le deuxième pays après les États-Unis pour le nombre de décès dus au COVID-19. Il compte le troisième plus grand nombre de cas, soit plus de 20 millions, juste derrière les États-Unis et l’Inde. Le rapport de la CPI prouve qu’une telle tragédie n’était pas inévitable mais plutôt la conséquence tout à fait prévisible d’une stratégie meurtrière. »

 

On en parle peu dans les grands médias français mais, toujours selon le World Socialist Website, « Une vague de grèves continue aux États-Unis, suscitant peur et répression parmi la classe dirigeante.

Les dirigeants d’entreprises à travers les États-Unis répondent à une vague de grèves – qui deviendra la plus importante depuis des décennies – avec une peur et une hostilité croissantes. La politique de longue date qui consiste à s’appuyer sur la bureaucratie syndicale pour étouffer la lutte des classes ne parvient pas à contenir la flambée de grèves et, de plus en plus, les entreprises et l’establishment politique recourent aux briseurs de grève, aux injonctions des tribunaux et aux menaces de répression de l’État.

 

La colère de larges sections de travailleurs a commencé à déborder, après avoir été étouffée pendant quatre décennies par l’AFL-CIO. Qualifiés de «héros» et d’«essentiels» par les services de relations publiques des entreprises, les travailleurs des secteurs de la santé, de la fabrication, des transports, de la logistique et de l’entreposage, ainsi que d’autres secteurs, ont subi de plein fouet la pandémie de COVID-19. Ils travaillant des heures de plus en plus longues pour des salaires de misère et avec des protections inadéquates contre le virus. Pendant ce temps, les travailleurs ont assisté à la montée en flèche des bénéfices des entreprises. Aussi, ils ont vu la croissance de la fortune des super-riches depuis 2020. Le dernier rapport de Forbes montrant que la richesse des milliardaires américains a augmenté de 70 pour cent, soit le montant astronomique de plus de 2.100 milliards de dollars. »

Revue de Presse 377

 

En Espagne, selon Libération, trois scénaristes ont fait mieux que Romain Gary : « Espagne : derrière l’écrivaine à succès Carmen Mola se cachaient trois hommes.

 

Lauréat d’un grand prix littéraire en Espagne, un trio d’hommes proches de la cinquantaine est sorti de l’anonymat, alors qu’il signait sous un nom féminin. Une supercherie qui agace les activistes féministes.

 

Une professeure de mathématiques, née à Madrid, proche de la cinquantaine, mère de trois enfants. Une auteure de romans policiers discrète et solitaire, qui préférait utiliser un pseudonyme. Voilà ce que l’on croyait savoir de Carmen Mola. La supercherie a duré jusqu’à vendredi. Ce jour-là, Camen Mola a remporté le prix Planeta, le plus important de la littérature hispanique, pour son nouveau roman La Bestia. L’ouvrage raconte l’histoire d’un journaliste, d’un policier et d’une jeune fille qui tentent de percer le secret derrière une vague de meurtres parmi les classes populaires, lors de l’épidémie de choléra dans le Madrid de 1834

 

Le prix Planeta, accompagné d’un pactole d’un million d’euros, a poussé les vrais auteurs à sortir de leur trou. Derrière l’énigmatique signature, se cachent en réalité trois auteurs masculins. Carmen Mola, pseudonyme sous lequel a été publiée une trilogie de romans policiers (La fiancée gitane, Le réseau pourpre, La Nena) à succès, était en fait le trio d’auteurs : Jorge Díaz, Agustín Martínez et Antonio Mercero

 

« Derrière le nom de Carmen Mola, il n’y a pas, comme dans tous les mensonges que nous avons racontés, une enseignante de lycée, mais trois écrivains, trois scénaristes et trois amis […], qui un jour, il y a quatre ans, ont eu l’idée folle de combiner leurs talents pour écrire une histoire ensemble», a expliqué Jorge Díaz après avoir reçu le prix. «Cette histoire a eu du succès et en a donné une autre, une autre, une autre… et à la fin, elle nous a amenés ici ce soir», a-t-il ajouté. Le trio avait, au fil des interviews, disséminé des éléments sur la vie (elle aussi fictive) de l’auteure, présentée comme «la Elena Ferrante espagnole ».

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18 octobre 2021 1 18 /10 /octobre /2021 05:10

 Habitant à quelques centaines de mètres de l’endroit décrit dans cet article du Progrès, je peux témoigner qu’il est mesuré, dans la forme comme sur le fond : « Une nouvelle fois, les commerçants de la Guillotière tirent la sonnette d’alarme concernant l’insécurité grandissante qu’ils subissent dans le quartier. Lassées de « l’inaction» politique, plusieurs associations souhaitent mener des opérations conjointes pour attirer l’attention des pouvoirs publics. Et frapper fort.

À bout de nerfs, les témoignages désabusés s’enchaînent au carrefour du cours Gambetta et de la place Gabriel-Péri. Incivilités, violence, attroupements et trafics divers émaillent le quotidien… Et si la situation n’est pas nouvelle, le fait est qu’elle ne s’améliore pas.

« Ce quartier, c’est l’enfer. Les gens ne veulent plus venir. On va en crever », s’émeut un commerçant de la rue. « Il n’y a pas un jour sans bagarre. Ce matin, ils étaient 15 contre 15. Ce n’est plus possible », renchérit un autre. Selon les commerçants alentours, l’augmentation des larcins, trafics en tout genre et bagarres de rues coïnciderait avec le début de la crise sanitaire. »

 

Le Monde revient sur la répression sanglante, le 17 octobre 1961, d’une manifestation pacifique d’Algériens à Paris : « Alors que la guerre d’Algérie (1954-1962) touche à sa fin, la tension entre la police parisienne, alors dirigée par Maurice Papon – également impliqué dans la rafle de 1 600 Juifs à Bordeaux entre 1942 et 1944 – et le FLN s’accroît, jusqu’à la mise en place d’un couvre-feu, pour les « Français musulmans d’Algérie » uniquement. Pour boycotter cette règle discriminatoire, la Fédération de France du FLN organise, le 17 octobre 1961, une large manifestation appelant hommes, femmes et enfants à défiler dans la capitale. La mobilisation est voulue pacifique, toute arme étant strictement interdite

 

En fin d’après-midi, au moins 20 000 Algériens – et jusqu’à 40 000 selon des estimations internes au FLN – gagnent ainsi la rue. Mais la manifestation est rapidement et durement réprimée par la police parisienne, échaudée par la diffusion de fausses informations faisant état de plusieurs morts et blessés parmi les forces de police. De nombreux manifestants sont tués : passés à tabac, dans la rue ou dans les centres d’internement vers lesquels ils étaient emmenés, jetés dans la Seine ou bien abattus par balle. Au moins 12 000 Algériens ont été arrêtés, et au moins 120 ont été tués – les estimations de certains historiens portant même le bilan à plus de 200 morts.

 

Le Figaro, le grand quotidien du matin...

Revue de Presse 376

Dans Res Publica, Jean-Claude Boual explique pourquoi l’Éducation est sur une pente plus que critique : « Une école laïque, facteur d’émancipation individuelle et collective devient un obstacle à l’acceptation du néolibéralisme financier qui repose sur des dogmes qui n’ont par définition aucune base scientifique sérieuse malgré la littérature économique « savante » et abondante pour les justifier. La laïcité est donc attaquée de tous les cotés, avec des arguments contradictoires mais faisant système pour la détruire. La droite, l’extrême droite qui historiquement l’ont toujours combattu en font un de leur cheval de bataille en la dévoyant vers des positions xénophobes et racistes, les religions en profitent pour la remettre en cause et développer leurs établissements scolaires en demandant toujours plus de financement à la puissance publique (qu’elles obtiennent pour certaines), en contradiction avec les principes de laïcité, la pseudo-gauche radicale y voit un nouveau champ d’activisme, le « sel de la terre » s’étant selon elle déplacé de la classe ouvrière (la lutte des classes) vers les religions discriminées et les discriminations de toutes natures, intersectionnelles, racialisées, néo-féministes, patriarcales… en raison de l’unique domination de l’homme blanc. Dévoyé, le combat pour la laïcité à l’école et sur tout le parcours de formation est toujours aussi essentiel et d’actualité.

 

L’école laïque est un enjeu fondamental pour notre avenir. Un socle existe encore, le gouvernement n’a pas réussi à tout détruire, la réforme du bac n’en est qu’à ses prémisses, tout peut être inversé. Pour cela il convient d’établir le bon diagnostic, savoir que tout n’est pas qu’une question de moyen et que nous ne rétablirons pas un système éducatif formant des citoyens libres par la démagogie, s’adresserait-elle aux enseignants lors de campagnes électorales.

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13 octobre 2021 3 13 /10 /octobre /2021 05:05

 

Il était le dernier survivant des compagnons de la Libération. Il est décédé le 12 octobre 2021 à Paris.

 

On doit s’incliner devant le grand courage de celui qui fut un jeune et héroïque résistant et combattant de la France libre. Si la France en avait compté davantage, la guerre eût été moins longue.

 

Mais je ne serais pas celui que je suis si j’en restais là. Fils de général, Hubert Germain fut député et ministre gaulliste. Proche de Messmer, ce qui est tout dire. Pour les gens de ma génération, il fut surtout le plus extraordinaire godillot de De Gaulle, fanatique comme ce n’était pas permis. Il s’illustra en particulier en mai 1968 en invectivant à qui mieux-mieux les étudiants et travailleurs en lutte. Sans parler de la période durant laquelle il fut un ministre des Postes et Télécommunications très hostile aux salariés et une des chevilles ouvrières de l'“ autonomie ” de La Poste. Il fut également très hostile à Jacques Chaban-Delmas (ancien résistant comme lui), ayant rejoint le “ Groupe des 43 ” constitué à l'initiative de Jacques Chirac pour plomber la candidature du maire de Bordeaux à l'élection présidentielle, et donc favoriser celle de Giscard d'Estaing.

 

Il en était à ce point risible qu’il ne se passait pas une semaine sans que Le Canard Enchaîné n’épinglât une de ses âneries coutumières. Pour nous qui savions pourquoi nous étions contre De Gaulle et son banquier Premier ministre, Germain fut le parfait idiot utile de la Vème République.

RIP Hubert Germain
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11 octobre 2021 1 11 /10 /octobre /2021 05:10

 

Le World Socialist Website évoque un rapport du Sénat des EU confirmant les efforts de Trump pour impliquer le ministère de la Justice dans le coup d’État tenté le 6 janvier.

 

Le rapport se concentre sur les agissements de l’ancien président Donald Trump et de ses alliés de la Maison-Blanche et du Parti républicain après sa défaite électorale pour forcer les hauts fonctionnaires du ministère de la Justice à soutenir leurs affirmations bidon d’une élection frauduleuse afin de réaliser un coup d’État fasciste.

 

 

Le rapport explosif est intitulé « Subversion de la justice : comment l’ancien président et ses alliés ont fait pression sur le ministère de la Justice pour renverser l’élection de 2020 ». Il s’agit notamment des tentatives répétées de Trump et de ses alliés de la Maison-Blanche de forcer les responsables du ministère à rendre publiques des enquêtes inexistantes sur des activités frauduleuses présumées concernant le vote illégal de mineurs en Géorgie, et sur des satellites-espions italiens. Le rapport couvre la période cruciale entre la défaite électorale de Trump face à Joe Biden en novembre et une réunion cruciale de « 2 à 3 heures » le 3 janvier dans le bureau ovale de la Maison-Blanche. Au cours de cette réunion, de hauts responsables du ministère de la Justice ont menacé de démissionner en réponse à la tentative de Trump d’évincer le procureur général par intérim Jeffery Rosen.

 

L’Obs nous apprend que la justice a rétabli la loi anti-avortement du Texas. Cette loi ultra-restrictive, interdit d’avorter une fois que les battements de coeur de l’embryon sont détectés, soit à environ six semaines de grossesse quand la plupart des femmes ignorent être enceintes. Une Cour d’appel fédérale a permis vendredi au Texas de rétablir une loi interdisant la majorité des avortements dans cet Etat américain, deux jours après le blocage de ce texte controversé

Elle avait été bloquée temporairement mercredi par un juge fédéral du Texas à la suite d’une plainte du gouvernement de Joe Biden. « Cette cour ne permettra pas que cette privation choquante d’un droit si important se poursuive un jour de plus », avait écrit le juge dans sa décision

Les avortements au-delà de six semaines avaient alors repris dans les cliniques de l’Etat

Le procureur général du Texas avait fait appel devant la cour fédérale de La Nouvelle-Orléans, réputée une des plus conservatrices du pays, qui lui a donné raison. Selon toute vraisemblance, le gouvernement fédéral contestera la décision de la Cour d’appel devant la Cour suprême des Etats-Unis

Cette dernière a garanti en 1973, dans son arrêt emblématique Roe V. Wade, le droit des femmes à avorter, et a précisé ensuite qu’il s’appliquait tant que le foetus n’est pas viable, soit vers 22 semaines de grossesse

« La Cour Suprême doit intervenir et arrêter cette folie », ont réagi des militants qui défendent le droit à l’avortement. « Cette loi cruelle touche plus durement ceux qui font déjà face à des discriminations en matière d’accès aux soins », a-t-elle ajouté.

 

Lu dans Le Figaro que les contrebasses, les claviers, les violoncelles, autrefois tolérés, ne sont plus acceptés dans les trains. Ce qui complique la vie des artistes en déplacement pour leurs concerts. Depuis début 2021, des musiciens dénoncent une multiplication des contraventions à leur égard – entre 50 et 150 euros  – lors de leurs déplacements ferroviaires. La taille de leurs instruments est mise en cause par la SNCF, laquelle considère que certains de ces objets ne respectent pas les normes de sécurité en vigueur. Ainsi, le 12 juin, pour un de ses premiers concerts depuis la reprise de la vie culturelle, Aurélie se rend à Niort avec sa contrebasse. Alors qu'elle effectue sa correspondance, elle est repérée par trois contrôleurs, lesquels la sanctionnent.

«Ils m'ont dit que c'était 50 euros et qu'ils me faisaient un prix car c'était 150 en temps normal, témoigne la jeune femme. Je trouve ça bizarre de faire ça à la tête des clients. » Tant qu'une solution n'est pas trouvée, la musicienne évite d'utiliser le rail. «Pour l'instant j'adapte mes trajets», se résigne-t-elle.

Revue de presse 375
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