Suite de l'article du banquier sur l'université dans Esprit.
Que faire ?
L’innovation et la recherche ne peuvent voir leur situation s’améliorer qu’à la condition de développer trois grands axes d’actions : mieux inciter la recherche privée ; développer les liens public-privé ; avoir une politique de recherche et d’enseignement supérieur plus efficace afin d’améliorer la recherche de base qui est indissociable de l’enseignement.
Simplifier et redéployer les aides de l’État à la recherche privée plutôt que les augmenter
La stagnation de l’intensité de recherche privée a été soulignée précédemment. Malgré l’ancienneté de ce phénomène, l’administration ne dispose pas d’évaluations comparatives permettant d’asseoir un diagnostic solide des causes de la faiblesse de la recherche privée.
La faiblesse de la recherche privée n’est pas liée à une trop faible intensité de la recherche au sein des entreprises existantes, mais à la spécialisation industrielle de la France dans les secteurs de faible technologie. L’industrie française possède des leaders mondiaux dans le ciment ou le verre, les secteurs de l’aéronautique, de l’agroalimentaire, du luxe, des équipements ferroviaires, mais peu d’entreprises au premier rang international dans les secteurs de haute technologie.
Le retard de la France et de l’Europe par rapport aux États-Unis ne serait pas dû à une trop faible spécialisation dans les secteurs technologiques, mais à une intensité moindre de recherche-développement concentrée essentiellement dans l’industrie des technologies de l’information et de la communication (Tic), dans les secteurs des services commerciaux et des prestations de services aux entreprises. L’industrie des Tic est le secteur le plus intense en recherche-développement aux États-Unis, avec 20% de la valeur ajoutée consacrée à la recherche-développement.
Ces éléments généraux de diagnostic doivent être complétés par les conclusions d’une étude de l’Ocde, qui avance que le niveau de recherche-développement privée obéit à deux séries de déterminants : l’une tient aux « conditions cadre » de l’économie (niveau de concurrence sur les marchés de produits, conditions macroéconomiques stables et faibles taux d’intérêt réels, existence de systèmes de financement efficaces, etc.), l’autre aux « politiques scientifiques » (accès au stock de connaissances étrangères, collaborations entre recherche publique et recherche privée, offre de ressources humaines pour la recherche, mesures fiscales en faveur de la recherche privée, etc.).
Pour la France, trois facteurs limitent le niveau de recherche-développement privée :
les faibles liens entre recherche publique et recherche privée. Toutes choses égales par ailleurs, ils font baisser l’intensité de recherche-développement privée en France de 13% par rapport à la moyenne de l’Ocde. Les collaborations public-privé jouent en revanche positivement pour le taux de recherche-développement privée du Royaume-Uni ;
la faible part des personnels de recherche-développement dans les entreprises par rapport à l’emploi total. Alors que le nombre de chercheurs dans les entreprises contribue positivement au taux de recherche-développement privée de l’Allemagne et des États-Unis, il fait baisser de 7% le taux français par rapport à la moyenne de l’Ocde, toutes choses égales par ailleurs ;
les réglementations qui limitent la concurrence sur les marchés de produits. Les faibles réglementations sur les marchés de produits contribuent positivement au taux de recherche privée en Allemagne, au Royaume-Uni et aux États-Unis. En France, l’indice de réglementation serait responsable d’un écart à la baisse de 6% du taux de recherche-développement privée par rapport à la moyenne de l’Ocde.
La distribution des financements publics directs ne reflète pas la contribution des différents secteurs à l’effort national de recherche-développement. En 2005, quatre branches se partagent ainsi 87% du financement public total alors qu’elles ne réalisent que 35% de la Dird (l’aéronautique et le spatial 47,4%; les instruments médicaux de précision et d’optique 15,9%; les équipements radio, télé et communication 14%; la fabrication de machine et d’équipement 14,4 %). Les industries automobile et pharmaceutique, les deux branches les plus intensives en recherche-développement, ne percevaient pour leur part que respectivement 0,6% et 1,4% du financement public.
La répartition par taille des financements publics illustre la prédominance des grandes entreprises (plus de 1 000 salariés) qui bénéficient de 81% des aides alors qu’elles réalisent 65% de la recherche-développement. A contrario, celles de moins de 1 000 salariés perçoivent 20 %, alors qu’elles regroupent 41% des effectifs de recherche-développement, ce phénomène touchant surtout les entreprises de 500 à 1 000 salariés (4% des financements pour 10% de l’effort de recherche). Selon le dernier tableau de bord de la science, de la technologie et de l’industrie de l’Ocde (2007), la France est avec les États-Unis et le Royaume-Uni, le pays qui finance le plus les grandes entreprises.
La réforme du crédit impôt recherche (Cir, qui consiste en la détermination du crédit en fonction du volume de la recherche et en un déplafonnement) renforcera massivement le financement par l’État de la recherche privée. Au total (mesures fiscales et aides directes), l’État prendra en charge, à terme, près de 25% de la dépense privée, soit environ le double de la moyenne de l’Ocde. Cette réforme présente l’avantage de rééquilibrer le soutien public entre secteurs en tenant compte de leur contribution effective à l’effort de recherche-développement. Mais dans le même temps, elle profitera surtout aux grandes entreprises et renforcera la concentration des crédits en leur faveur.
Même si l’on peut penser qu’elle contribuera également à renforcer l’attractivité du territoire pour le maintien ou l’implantation de centres de recherche, son coût important pour les finances publiques, plus de 3 milliards d’euros en régime permanent, conduit néanmoins à s’interroger sur le dimensionnement de cette mesure et sur son articulation avec le volume des aides directes. Elle semble plutôt s’intégrer dans une politique globale de baisse de la pression fiscale des entreprises.
Au risque de paraître iconoclaste, il est légitime tout d’abord de se demander si l’objectif de Lisbonne (3% pour l’intensité globale de recherche-développement dont 2% du Pib pour les entreprises) constitue une référence commune réaliste pour des pays européens dont la taille, les spécificités et la spécialisation industrielle sont très diverses.
Pour des pays comme la France, le Royaume-Uni et l’Italie, il est évident que, même à dix ans, cet objectif est hors de portée. Un calcul simple montre que pour porter à cet horizon l’intensité de recherche-développement privée en France à 2 %, il faudrait un rythme de croissance de la recherche-développement financée par les entreprises de plus de 10% – soit un quasi-triplement du rythme observé sur la période 1992-2005.
En raison de l’internationalisation de leur activité, beaucoup d’entreprises n’envisagent au mieux qu’un maintien au niveau actuel de leur capacité de recherche en France, le développement s’effectuant au plus près des marchés en forte croissance. L’externalisation croissante de leurs activités de recherche les amène à nouer des liens de long terme avec les meilleurs centres de recherche au niveau mondial. La qualité de la recherche publique et sa disponibilité sont des atouts essentiels qu’il est indispensable de valoriser.
Les pôles de compétitivité, lancés fin novembre 2004, ont été conçus pour leur part afin de renforcer la compétitivité en développant des dynamiques régionales d’innovation autour de clustersà la française. Chaque pôle a créé un support unique pour regrouper les crédits de soutien à la recherche-développement, des différents financeurs, mais chaque financement est instruit selon chaque procédure spécifique.
À l’image de l’organisation adoptée par beaucoup de pays, le dispositif de financement gagnerait à s’organiser autour de deux pôles : l’Anr, qui financerait la recherche fondamentale des laboratoires, et une agence de l’innovation technologique en charge du financement des entreprises et de la recherche collaborative. La fusion d’Oseo et de l’Aii pourrait fournir l’ossature de cette nouvelle agence. Le champ de l’agence ne devrait d’ailleurs pas se limiter au seul financement de la recherche privée, surtout si son axe prioritaire est le développement des entreprises moyennes. L’efficacité de cette politique commanderait de mettre à la disposition de l’agence les leviers essentiels de l’innovation que sont : les aides publiques à la recherche et à l’innovation, les garanties, les synergies avec les dispositifs de soutien au capital-risque qui ont été développés par la Caisse des dépôts et consignations (Cdc Entreprises). L’autre avantage de ce schéma serait d’instituer une séparation claire entre les instances de décision sur les politiques publiques et les structures en charge de leur exécution.
Améliorer les liens entre recherche publique et recherche privée pour de meilleures retombées économiques
Les projets communs entre laboratoires publics et entreprises doivent être facilités, en particulier en faisant émerger de nouveaux centres d’excellence en fédérant et en renforçant les laboratoires de recherche technologique existants. Il est proposé de faire émerger des sites leader en matière de propriété intellectuelle et de création d’entreprises, et dans chacun de ces sites de mettre en place des offices mutualisés de transfert de technologie professionnalisés et ayant atteint la taille critique nécessaire.
P. Llerena et M. Sylos-Labini soutiennent que la recherche fondamentale décroche en qualité dans certains secteurs par rapport à son homologue américain et affiche une productivité apparente plus faible que celles de l’Allemagne et du Royaume-Uni. D’après ces auteurs, la réponse européenne et française en matière de valorisation devrait passer prioritairement par l’amélioration de la qualité de la recherche de base, fondée sur le modèle d’open-science. Même si ces analyses peuvent être contestées, elles ont le mérite de rappeler que la bonne recherche fait la bonne valorisation.
Ce lien est reconnu de longue date dans beaucoup d’établissements étrangers parmi la promotion de l’excellence scientifique et la valorisation des connaissances constituent les deux facettes d’une même politique. Nombre de directeurs d’offices universitaires de transfert de technologie mettent ainsi en exergue, comme au Mit, leur rattachement au vice-président chargé de la recherche. Les études économétriques, toutes de source américaine, confirment cette relation. C’est ainsi que la qualité, mesurée par le classement du National Research Council américain des départements universitaires délivrant des thèses, est un élément significatif d’explication des montants des redevances de brevets perçus par ces établissements.
Bien que ces questions fassent toujours l’objet de discussions au sein de la communauté scientifique, les études économiques tendent à infirmer la plupart des craintes exprimées. Les collaborations de recherche entre les entreprises et les laboratoires publics ne poussent pas nécessairement ces derniers vers davantage de recherche appliquée. Au contraire, des laboratoires engagés dans la valorisation sont à l’origine de plus de publications dans les revues orientées vers la recherche de base. En outre, la protection de la propriété intellectuelle des inventions de la recherche publique permet aux entreprises d’investir dans des développements coûteux et risqués, dont certains n’auraient pas lieu en l’absence de protection.
Réorganiser la recherche et l’enseignement supérieur pour accroître les performances académiques
Il est difficile aujourd’hui de soutenir que la spécificité du modèle français n’est pas un obstacle à son rayonnement international. De plus, la France connaît une érosion de ses positions scientifiques. Celle-ci, mesurée à travers le nombre de publications comme le nombre de citations, se vérifie dans la plupart des domaines aussi bien à l’échelle mondiale qu’à l’échelle européenne.
La priorité est donc aujourd’hui de s’organiser afin de mettre en place un système d’enseignement supérieur et de recherche performant permettant de remédier à cette situation. Cette politique passe par deux priorités : faire émerger des universités aptes à affronter la compétition internationale, financées de manière significative et fonctionnant en s’appuyant sur un dispositif adapté alliant autonomie et évaluation ; redonner de la souplesse à l’organisation et au financement de la recherche publique en s’attachant à définir des priorités et à articuler l’appareil de recherche autour de projets plutôt que des structures.
Une dizaine d’universités autonomes, bien financées, bien évaluées
Les exemples étrangers témoignent du rôle fondamental que joue l’enseignement supérieur dans les performances de recherche et la valorisation. Les grandes universités européennes qui ont réussi dans ce domaine présentent des caractéristiques communes : une masse critique en matière de recherche et un champ scientifique pluridisciplinaire ; des règles de gouvernance qui leur donnent la capacité de définir leur propre stratégie, notamment leur politique scientifique ; l’autonomie dans la définition et l’exécution de leur politique de recrutement ; ce qui leur permet d’attirer les meilleurs enseignants ; le libre choix de leurs étudiants ; un cadre de gestion souple et des instruments de pilotage efficaces.
Des choix courageux doivent donc être effectués pour faire évoluer rapidement le système français et susciter l’émergence d’une dizaine d’universités de recherche compétitives au niveau mondial dotées de l’autonomie et d’un mode de gouvernance analogue à ceux de leurs concurrentes étrangères. Prenant conscience de son retard, l’Allemagne a affiché clairement une politique de sélectivité et d’excellence.
Le travail récent mené dans le cadre du centre Bruegel ne montre pas autre chose, qui met en évidence que les universités européennes souffrent d’une faible gouvernance et d’une autonomie insuffisante. Plus encore, les corrélations établies par cette même étude soulignent que la performance en matière de recherche d’une université est améliorée par une autonomie accrue. Enfin, confortant les constats précédemment établis, cette même étude montre l’existence d’un lien positif entre le budget par étudiant et la performance en matière de recherche. En effet, les trois facteurs déterminants sur les performances (tant en termes de recherche que de formation pour une université) sont l’âge, la taille et le budget. Viennent ensuite d’autres facteurs liés à la gouvernance au premier rang desquels l’autonomie budgétaire.
L’autonomie est un levier – d’incitation déterminant aussi – dans la mesure où elle responsabilise les acteurs locaux en leur octroyant un budget et en les intéressant aux performances obtenues. Aussi l’autonomie doit-elle à terme aller plus loin que la loi du 10 août ne l’a prévu. En effet, il importe que l’embauche, la gestion des personnels et des carrières comme la sélection des étudiants puissent être faites par les universités. Une plus grande autonomie n’a de sens que si elle s’accompagne d’une évaluation plus exigeante et conduite au niveau national voire international. C’est la condition pour éviter le clientélisme. L’Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (Aéres), dont le fonctionnement est régi par le décret 2006-1334 du 3 novembre 2006, est chargée de procéder à l’évaluation des établissements, des unités de recherche et des formations supérieures. C’est cette agence qui devrait être le principal outil de l’évaluation des universités.
Il importe ainsi que dans son application la loi du 10 août 2007 mette en œuvre et fasse vivre un système d’évaluation pertinent. Les universités doivent être jugées tout à la fois sur leurs performances en matière de recherche (publications et impact), de valorisation (brevets, contrats, créations d’entreprises) et de formation. Sur ce dernier point, il importe qu’une évaluation des structures, des formations comme des enseignants puisse être mise en place, qui sanctionne les performances de chacun. Cette évaluation devrait pouvoir prendre en compte la réussite des étudiants mais aussi leur capacité à entrer sur le marché du travail, leur employabilité.
Les principaux pays de l’onde ont introduit depuis de nombreuses années des mécanismes de concurrence pour promouvoir l’excellence des laboratoires. L’émulation entre les établissements a été renforcée par les règles qui lient l’attribution des ressources à l’évaluation des performances scientifiques. Ces procédures ont entraîné un classement explicite des établissements et une concentration des moyens sur les équipes les plus reconnues. Aussi l’évaluation des universités selon des critères de recherche, de réussite aux examens, d’employabilité aurait, elle, vocation à être rendue publique afin de susciter une compétition entre établissements. Outre cette publicité, il importera aussi que l’allocation des moyens dédiés aux universités prenne en compte ces évaluations dans le cadre d’une dotation à la performance.
Si le caractère élitiste des grandes écoles fait l’objet d’un large consensus, l’idée de différencier les universités suscite plus de remous. La logique d’aménagement du territoire, qui a parfois prévalu, a conduit à une dispersion des moyens qu’on retrouve également dans le trop grand nombre de pôles de compétitivité labellisés. Il faut réaffirmer avec force que l’enseignement supérieur et la recherche n’ont pas vocation à être le levier d’une politique d’aménagement du territoire, même si un maillage territorial au niveau de la licence demeure indispensable.
Ceci conduit à revoir deux coupures profondes qui structurent le système français et contrarient cet enrichissement mutuel. D’abord, la coupure entre universités et grandes écoles prive aujourd’hui les universités des meilleurs étudiants. Il importe sur ce point, comme cela est évoqué depuis de trop nombreuses années, de rapprocher universités et grandes écoles. Un premier pas pourrait être franchi en regroupant les écoles de premier rang dans un Mit à la française qui leur donnerait une véritable visibilité internationale et une taille suffisante pour développer des collaborations de recherche avec les universités et la mobilité des étudiants et des enseignants.
Les pôles de recherche et d’enseignement supérieur ont été également l’occasion de rapprochements (comme à Paris-Est) entre grandes écoles et universités. Il importe d’aller plus loin en rapprochant par exemple les classes préparatoires de l’université. Ce rapprochement est décisif afin de conforter la place des universités dans le dispositif de formation.
La coupure entre enseignement supérieur et recherche est elle aussi problématique. La différence de statut entre chercheurs et enseignants-chercheurs comme le cloisonnement entre organismes de recherche et universités ne fait plus vraiment sens. Ainsi, le lien entre recherche et enseignement supérieur est-il déterminant car il assure le statut même des unités mixtes de recherche, composées de personnels enseignants-chercheurs relevant des universités et de personnels chercheurs relevant des organismes. Si la logique de l’autonomie est conduite à son terme, les unités mixtes de recherche devraient relever entièrement de l’université. Ceci devrait progressivement conduire à revoir le statut des personnels travaillant dans ces unités, plus rien ne justifiant la dualité d’aujourd’hui.
En d’autres termes, des laboratoires propres à chaque organisme de recherche demeurent parfaitement légitimes mais les unités mixtes de recherche devraient avoir vocation à intégrer l’université tandis que les chercheurs qui y travaillent seraient associés aux charges d’enseignement de l’établissement.
Enfin, il importe de souligner que les universités, quand bien même elles seraient autonomes et évaluées, n’ont pas vocation à piloter la recherche française. Les axes stratégiques doivent être définis au niveau du ministère voire de l’Union européenne et les grandes actions structurées par les organismes de recherche. Toutefois, les principaux campus (associant universités, grandes écoles, laboratoires, Iut, etc.) devraient progressivement pouvoir jouer un rôle décisif en matière de recherche.