Je reprends ici deux articles de François Jarraud pour le Café Pédagogique qui expose les dangers gravissimes des projets macroniens.
Dans un nouveau document proposé aux syndicats le 25 mai, le ministre de l'action et des comptes publics envisage la suppression des instances paritaires des fonctionnaires, notamment ceux de l'Etat. Ce sont ces instances qui sont légalement consultées sur l'avancement et les mutations par exemple. Leur suppression permettrait d'alléger la gestion des personnels, de permettre une gestion locale et de récompenser le mérite individuel. Le gouvernement envisage de supprimer les fondements mêmes du statut des fonctionnaires.
Dans un document destiné au groupe de travail sur les organismes consultatifs compétents, le ministre de l'action et des comptes publics, Gérald Darmanin, propose plusieurs scénarios d'évolution du statut des fonctionnaires, notamment les fonctionnaires d'Etat comme les enseignants.
Il rappelle que le droit de participation des agents publics passe par des organismes consultatifs où siègent les représentants du personnel, dont les CAP (commissions paritaires), en application de l'alinéa 8 du préambule de la constitution de 1946 (annexé en 1958) et de l'article 9 du statut général. Une loi de 1984 et un décret de 1982 ont confirmé les droits des CAP.
Sont soumis aux CAP de droit les questions de titularisation, licenciement, promotion, avancement, détachement, sanctions, mutations. A la demande du fonctionnaire, les CAP sont aussi compétentes sur la révision de la notation, les temps partiels, les absences.
Darmanin met en avant plusieurs objectifs. Il s'agit de "fluidifier les mobilités individuelles", en théorie permettre aux fonctionnaires de bouger davantage, en pratique d'instaurer l'arbitraire. Il veut aussi revoir l'architecture actuelle par corps. Il envisagerait plutot une gestion par catégorie (A, B ou C). Enfin il veut surtout mieux "prendre en compte la valeur professionnelle" des agents. Mais les "pistes d'évolution" contenues dans le document vont très loin.
Ainsi pour la mobilité, le ministre propose de "supprimer toute compétence des CAP sur les actes de mobilité et mutation ainsi que pour les questions de disponibilité, détachement. Les CAP ne seraient plus consultées sur les promotions : elles recevraient juste "la liste des agents retenus par l'autorité de gestion". Les CAP ne seraient plus compétentes sur les mesures individuelles favorables (titularisation).
Finalement, pour "remédier aux lourdeurs constatées par les employeurs en matière de gestion individuelle des ressources humains", le ministre propose "la suppression éventuelle du paritarisme à l'exception des questions disciplinaires". Encore cette consultation pourrait-elle être "dématérialisée" pour gagner du temps... Rappelons que le paritarisme implique la participation à égalité des représentants des personnels élus démocratiquement dans des instances décisionnelles. Cette présence de représentants élus a déjà été supprimée dans l'Université par Pécresse (loi LRU), cet état de fait ayant été entériné par Hollande. Les commissions paritaires matérialisent une philosophie des rapports sociaux basés sur des droits et une association à la gestion des représentants du personnel. Ce sont ces CAP qui donnent aussi a ux syndicats leur force dans le système éducatif. Supprimer les CAP c'est aussi penser la suppression du syndicalisme dans l'appareil d'Etat, un syndicalisme qui en fut absent pendant des décennies.
Le 1er février, le Premier ministre annonçait qu'il lançait le chantier de la "rémunération plus individualisée. Une part de la rémunération (de l'agent) doit être liée au mérite et à l’atteinte des résultats individuels et collectifs", disait-il. Il envisageait de donner plus de pouvoirs aux managers, comme les chefs d'établissement. Au niveau central comme déconcentré, les managers publics, dont l’implication et la responsabilisation sont déterminantes pour la réussite de la transformation publique, ne disposent pas, selon Philippe, des leviers nécessaires à l’exercice de leurs missions... En tant qu’employeurs, leur capacité d’initiative et leur marge de manœuvre apparaissent excessivement contraintes". Le gouvernement veut leur donner notamment " plus de souplesse dans leurs recrutements". Toutes choses qui impliquent de changer le statut.
Jean-Michel Blanquer rappelait dans un ouvrage récent qu'il faut " développer une gestion des ressources humaines au plus près du terrain... Nous devons mieux reconnaître. le mérite de nos professeurs.". A plusieurs reprises il a évoqué la remise en question du statut. Ainsi dans Acteurs publics il disait : " pour le mouvement des enseignants, il ne faut pas s’en remettre uniquement à la « machine » et à l’ancienneté. Nous devons remettre de l’humain dans la gestion des ressources humaines". Il annonçait aussi " plus de pouvoirs aux recteurs, aux inspecteurs d’académie, aux chefs d’établissement" et " la "pluriannualisation" du temps de travail des enseignants."
Dans une note récente rédigée pour la FCPE, François Dubet avait vu juste. " Le recrutement des enseignants par les établissements mettra à mal la conception traditionnelle de l’autonomie professionnelle des enseignants et privera les syndicats d’une de leurs principales ressources, celle de la « cogestion » des carrières.
Le 22 mai les syndicats avaient réussi à faire l'unité pour la défense du statut de la Fonction publique. Il ont été très moyennement entendus avec des manifestations moins suivies que le 22 mars et un taux de grévistes au mieux identique. Autant de signaux qui sont interprétés au gouvernement comme l'opportunité d'aller au bout de son projet. Les fonctionnaires, notamment les enseignants sont peut-être déjà au pied du mur.
Il y a belle lurette que les "faucialistes" suédois se sont lancés dans ce type de contre-réforme avec les résultats catastrophiques que l'on connaît. Pas grave pour la banque internationale qui gouverne nos destinées. Mais l'échec fut à ce point patent que l'OCDE a demandé à la Suède de faire marche arrière. Donc d'opérer une contre-contre réforme afin d'améliorer le niveau de compétences des élèves et de réduire les inégalités.
Dans les années 1990, la Suède s'était faite la championne du "New Management" en matière d'éducation. Le système avait été totalement décentralisé. De fonctionnaires d'Etat, les fonctionnaires étaient devenus employés municipaux. Les chefs d'établissement eurent une liberté de gestion totale en matière pédagogique et de recrutement. Les parents pouvaient inscrire les enfants dans les écoles de leur choix, ce qui contribua à la ghettoïsation du pays, en disposant d'un chèque éducation. Cette contre-réforme fut effectuée en moins de cinq ans.
Dans son évaluation de l'éducation en Suède, l'OCDE observa que les relations entre élèves et professeurs étaient bonnes (ah, la proximité !) mais que les performances des élèves n'avaient cessé de baisser en compréhension de l'écrit, en maths et en sciences. La discipline dans les classes laissaient par ailleurs de plus en plus à désirer.
L'OCDE a donc suggéré à la Suède de revoir le financement de son éducation, à repenser la formation des enseignants en la réétatisant par le biais d'une formation nationale. Elle lui a demandé de remettre en cause la municipalisation de l'école et, qui est frappé au coin du bon sens, de renforcer l'enseignement du suédois à l'école primaire.
Même l'OCDE, qui n'est pas un repère de gauchistes, en vient à postuler que pensée libérale et enseignement de qualité pour tous ne font pas bon ménage. Le chèque éducation (ce simple concept est une horreur), l'autonomie des écoles, les chefs d'établissement "managers" ont plongé le système dans la déroute.
Le gang du banquier qui aime tant les bas résille s'en fiche, tout comme il a considéré comme billevesée les critiques adressées par des syndicalistes de gauche (ce n'est pas un pléonasme) à la privatisation du rail britannique.