Zemmour fait du prince Philip dans le texte, sans le savoir ou en le sachant. Formulé autrement, Philip fait du Zemmour depuis des décennies.
À chaque fois, les médias britanniques, qui sont, en fin de compte, plutôt cléments, évoquent les « gaffes » ducales (en anglais « blunders » ou … « gaffes »). On ne fera pas l’injure au prince Philip de penser qu’il puisse être le moins du monde gogol. Les piques qu’il assène régulièrement à ceux qu’ils considèrent comme ses inférieurs (en gros sept milliards d’individus), qu’elles soient spontanées ou pas, sont parfaitement assumées et le plus souvent réfléchies.
Lorsque l’on se rend sur les sites qui publient ces saillies, on n’est malheureusement pas étonné par des commentaires qui sont globalement positifs. Cela va de « bravo au duc de s’exprimer librement », à « rien que pour cela il mérite de figurer sur la liste civile ». Les sujets de Sa Majesté sont donc prêts à payer pour se régaler de ces petites saloperies.
Sa vie durant, Philip s’est efforcé d’oublier d’où il venait : bien que bardé de 74 quartiers de noblesses (il descend des familles royales de Grèce, d’Allemagne, de Grande-Bretagne et du Danemark), son premier contact avec le monde fut celui d’une toile cirée recouvrant une table de cuisine dans une modeste maison de Corfou. Philip et sa mère (une femme remarquable qui reçut à titre posthume le titre de Juste parmi les nations) étaient pauvres. En 1944, la mère de Philip vivait à Athènes dans « des conditions très humbles, pour ne pas dire sordides », selon l'ancien Premier ministre Harold MacMillan. Sans la charité bien ordonnée de proches de la haute société, on imagine comment la vie du prince aurait pu être un anti-destin. Enfant, Philippe fut victime des problèmes de sa famille grecque. Son père, ayant servi le roi Constantin 1er et à ce titre obligé de s’exiler après la guerre gréco-turque de 1919-1922, il fut banni du pays et s’installa neuf ans en banlieue parisienne (dans une maison louée par Marie Bonaparte, la protectrice de Freud), où il vécut de la charité de ses royales familles. Philippe fut abandonné par son père à l’âge de dix ans. Sa mère fut internée, pendant deux ans, dans une clinique après une grave dépression nerveuse et un diagnostic de schizophrénie. En 1933, Philip fréquenta la Schule Schloss Salem en Allemagne, ce qui permit d’économiser les frais de scolarité car l’école était la propriété de la famille de son beau-frère, Berthold de Bade.
Quelques exemples d'une méprisable et méprisante litanie.
En 1965, il déclare dans un musée éthiopien : « Votre peinture ressemble à celle que me ramène ma fille de l’école. »
En 1966, le duc affirme que « les femmes britanniques ne savent pas faire la cuisine ». Il y reviendra à de nombreuses reprises.
Philippe déteste le chanteur Tom Jones, l’un des préférés, il est vrai, des femmes mûres de la classe ouvrière. Il lui demande un jour : « Avec quoi vous gargarisez-vous, des galets ? » D’autres vacheries suivront.
En 1976, en visite officielle au Canada, Philip annonce la couleur : « Nous ne sommes pas ici pour des raisons de santé. Nous avons d’autres moyens pour nous amuser. »

À propos des chômeurs, le prince déclare en 1981 : « Avant, les gens disaient qu’il fallait davantage de loisirs. Et maintenant ils se plaignent parce qu’ils sont au chômage. »
En 1984, lors d’un voyage au Kenya, il reçoit d’une dame, en cadeau, une petite statue. Il lui demande : « Vous êtes bien une femme, n’est-ce pas ? »
En 1986, lors d’une réunion du Fond Mondial pour la Nature qu’il présida une quinzaine d’années, il propose cette devinette à un public médusé : « Si ça a quatre pattes et que ce n’est pas une chaise, si ça a deux ailes, que ça vole et que ce n’est pas un avion, si ça nage et que ce n’est pas un sous-marin, c’est bon à manger pour les Cantonais. »
En 1993, en Hongrie, il balance cette petite raillerie à un touriste britannique : « Vous ne devez pas être là depuis longtemps, vous n’avez pas encore la panse du buveur de bière. »
En 1995, il demande à un moniteur d’auto-école écossais : « Comment faites-vous pour empêcher les autochtones de boire pendant suffisamment longtemps pour qu’il passe leur permis ? »
En 1996, dans une école de Dunblane en Écosse, 16 enfants et leur institutrice sont massacrés par un fou qui retournera l’arme contre lui. Parmi les rescapés, le futur champion de tennis Andy Murray. On demande au duc d’Édimbourg ce qu’il pense d’une interdiction des armes à feu. Réponse : « Si un joueur de cricket décidait soudain d’entrer dans une école et de tuer des gens à coups de battes de cricket, ce qui serait facilement à sa portée, vous interdiriez les battes de cricket ? » Ce massacre déboucha sur un contrôle très sévère par le gouvernement de John Major, toute détention d’armes à feu étant interdite aux personnes privées.
En 1997, il donne au chancelier allemand Helmut Kohl le titre de Reichkanzler (celui d’Hitler).
En 1998, il demande à un étudiant britannique qui revient d’une longue randonnée en Papouasie Nouvelle-Guinée : « Vous avez donc réussi à ne pas vous faire dévorer ? »

En 1999, il déclare à des enfants sourds postés à côté d’un orchestre caraïbéen : « Si vous restez aussi près de cette musique, pas étonnant que vous soyez sourd. »
En 1999, il demande à Lord Taylor of Warwick, éminent juriste né à Birmingham de parents jamaïcains : « De quel endroit exotique de la planète êtes-vous originaire ? »
En 2002, devant une boîte à fusibles fixée de manière rudimentaire : « On dirait que c’est du bouleau d’Indien. »
La même année, il demande à des Aborigènes lors d’un voyage officiel en Australie : « Est-ce que vous vous lancez toujours des flèches ? »
Au groupe anglais de hip-hop Diversity (dix danseurs), il demande en 2009, alors qu’ils viennent de remporter devant lui “ La Grande-Bretagne a du talent ” : « Vous êtes tous membres de la même famille ? »
En 2010, il dit à une jeune Anglaise qui vient de travailler plusieurs mois, bénévolement, dans un orphelinat en Roumanie, et qui, à ce titre, a remporté une distinction qu’il a lui-même créée : « C’est vrai, il y a de nombreux orphelins en Roumanie. Ils doivent en faire l’élevage. »
À propos de sa fille Ann, cavalière émérite : « Si ça ne pète pas et si ça ne mange pas de paille, ça ne l’intéresse pas. » [Les chevaux préfèrent nettement l’avoine à la paille]
À Obama qui lui dit qu’il vient de rencontrer les principaux responsables du Royaume-Uni, de la Chine et de la Russie, il demande : « Vous arrivez à les distinguer les uns des autres ? »
À un enfant un peu fort qui visite une navette spatiale, il affirme : « Jamais tu ne voleras dans cet engin. Tu es trop gras pour être astronaute. »
À propos de la Russie : « J’aimerais beaucoup aller dans ce pays, même si ces salauds ont assassiné la moitié de ma famille. »
Au président du Nigéria habillé en boubou traditionnel : « Vous êtes prêt pour aller au lit ! »
Il exprime sa satisfaction au sanglant dictateur du Paraguay le général Stroessner : « C’est un bonheur d’être dans un pays qui n’est pas dirigé par son peuple. »