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18 décembre 2021 6 18 /12 /décembre /2021 06:00

Il a fallu que je passe des dizaines de fois devant cet immeuble avant de remarquer la plaque ci-dessous, apposée en 2016 dans la rue où je réside.

Jean Lacroix

Cette soudaine vision m’a rajeuni d’une petit quarantaine d’années, quand Le Monde était un journal de références et qu’il publiait des chroniqueurs de haute volée. Je crois me souvenir que c’est à un rythme mensuel que Jean Lacroix offrait un long article au quotidien de la rue des Italiens.

 

Jean Lacroix est né dans la bourgeoisie catholique lyonnaise le 23 décembre 1900 dans le sixième arrondissement de Lyon (le quartier chic et bourgeois) et est décédé le 27 juin 1986 à Saint-Cyr-au-Mont-d’Or. Il étudie le droit et les lettres dans les facultés catholiques de Lyon, puis la philosophie à Grenoble (avec Jacques Chevalier, qui sera ministre de Pétain) et à la Sorbonne où il est l’élève de Léon Brunschwicg, d’origine juive mais déjudaïsé, grande figure de l’idéalisme peu sensible aux réalités sociales, que Paul Nizan taillera en pièces dans Les Chiens de garde : « On voit mal les raisons que Monsieur Brunschwicg aurait eues de pencher vers des idées dangereuses. »

 

Chevalier consacre son mémoire d’études supérieures en 1920 à la conception chrétienne de l’autorité, puis réussit une licence en droit et l’agrégation de philosophie en 1927. Dès lors, il entreprend une carrière de professeur de philosophie dans la région lyonnaise puis au prestigieux lycée du Parc à Lyon où il occupe la chaire de première supérieure jusqu’en 1968. On note qu’en 1922 il publie un petit ouvrage sur la nécessité d’un ministère de l’éducation nationale, ce qui, apparemment, n’allait pas de soi.

 

En 1932, il accompagne Emmanuel Mounier – qui aura une attitude quelque peu ambigüe pendant la Deuxième Guerre mondiale – dans la fondation de la revue Esprit. De 1945 à 1980, il sera le chroniqueur philosophique du Monde, à l’invitation d’Hubert-Beuve-Méry.

 

Il est l’auteur d’une vingtaine d’ouvrages (j’ai lu son Que-sais-je ? sur Kant et l’un de ses ouvrages sur Spinoza), et de centaines d’articles.

 

So absence d’hostilité pour ce qu’il appelait « l’homme marxiste », son autorité morale, son prestige, lui permirent de faire évoluer l’église catholique vers la gauche. Légèrement.

Jean Lacroix
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16 décembre 2021 4 16 /12 /décembre /2021 06:06

 

On sait que dans la famille de Philippe de Villiers (Philippe Le Jolis de Villiers de Saintignon) il s’en est passé des vertes et des pas mûres il y a quelques années. Mais si l'on remonte la flèche du temps, un chevalier de Villiers, né en 1652 des amours de Monsieur de Jarzé et de la célèbre courtisane Ninon de Lenclos, eut la surprise de sa vie lorsqu’il découvrit l’identité de la (vieille) femme dont il était tombé follement amoureux.

Je propose cette stupéfiante histoire, telle qu’elle a été narrée par Roger Duchêne.

 

Elle inspira « une passion funeste » à un fils chéri, le chevalier de Villiers, dont le père est cette fois Jarzé. Elle le reçoit chez elle « comme elle recevait alors les jeunes gens de la plus haute naissance, que leurs parents venaient la prier d'admettre au nombre de ses amis pour y prendre, si j'ose le dire, cette fleur du monde qu'elle avait l'art de répandre sur tous ceux qui l'approchaient ». Jarzé, qui destinait son fils « à des emplois où les grâces de la figure et de l'esprit pouvaient être essentielles, ne voulut pas lui faire perdre des leçons si utiles pour lui et auxquelles il avait plus droit qu'aucun autre ». Mais le chevalier de Villiers avait un coeur sensible et sa reconnaissance pour le bon accueil de Ninon se transforma bientôt en sentiments plus tendres, encouragés inconsciemment par la préférence involontaire qu'on lui marquait. « Cent fois, il ne sut que penser de quelques regards où se peignait de la tendresse. »

Quand Ninon s'aperçut de l'amour que le jeune homme n'arrivait plus à lui cacher, elle essaya contre lui les secours de la rigueur et de l'absence. Il lui promit de ne plus l'aimer. Vainement. Un jour, elle le fit passer dans son cabinet : « Levez les yeux sur cette pendule, insensé que vous êtes. Il y a maintenant plus de soixante cinq ans que je vins au monde. Me convient il d'écouter une passion comme l'amour ? Est ce à mon âge qu'on peut aimer et qu'on doit être aimée ? Rentrez en vous même, chevalier. Voyez le ridicule de vos désirs et celui où vous voudriez m'entraîner. » Les larmes versées en prononçant ces mots par l'objet de sa passion ne firent qu'augmenter les désirs du jeune homme. « Est ce là, réplique-t-il, cette Ninon si tendre et si philosophe ? N'a t elle pris que contre moi cette ombre de vertu qui suffit à son sexe pour se croire estimée ? » Prisonnière de son personnage, la séductrice ne sait que répondre et ordonne au jeune homme de sortir.

Elle décide de frapper un grand coup, et après avoir consulté Jarzé, qui la délivre du secret, elle convoque le chevalier dans sa petite maison de Picpus, au faubourg Saint Antoine. Il y vole comme à un rendez vous galant. Il trouve sa dame seule, mais triste et abattue. Il lui redit son amour, qui surpasse toute raison. N'écoutant que son ivresse, il se porte « à la dernière extrémité » quand Ninon, indignée, s'écrie : « Arrêtez, cet affreux amour ne sera point au dessus des devoirs les plus sacrés. » Elle lui découvre sa naissance. Mais le jeune homme « prononce à peine une fois le doux nom de mère », tant il sent brûler dans son cœur la même ardeur criminelle. Il s'enfuit et, dans un bosquet proche, se jette bientôt sur son épée. Ninon l'y trouve et, "dans ses yeux presque éteints", aperçoit encore de l'amour...

Ninon de Lenclos fut une des femmes les plus extraordinaires du XVIIe siècle. À la fois savante, athée et libertine. Elle corrigea une première version du Tartuffe de Molière et légua par testament 2 000 livres au jeune Arouet (Voltaire), alors âgé de 11 ans, en qui elle avait vu un petit génie. Elle mourut peu après à 85 ans.

 

 
Le Chevalier de Villiers
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15 décembre 2021 3 15 /12 /décembre /2021 06:02

Serge Grah (coordon.) : Jean-Marie Adiaffi Adé. Entre éclairs et foudres. Préface de Jean-Noël Loucou. Abidjan, Valesse Éditions, 2021.

 

Cela fait 22 ans que Jean-Marie Adiaffi est parti rejoindre le monde de ses ancêtres. Il n’était âgé que de 58 ans.

 

On ne remerciera jamais assez le journaliste, poète et essayiste Serge Grah d’avoir coordonné ce très beau livre, très richement illustré, qui fait le tour de la personnalité et de l’écriture de cet homme et de cet écrivain unique.

 

Adiaffi, comme la plupart des intellectuels et des artistes de sa génération, fut formé à l’école de la France : baccalauréat français, Capes de philosophie, IDHEC. Mais peu d’écrivains ont su aussi bien que lui s’approprier, puis se détacher de l’esthétique de la puissance coloniale pour faire surgir une œuvre authentiquement africaine.

 

Pour ce qui me concerne, de 1980 (La carte d’identité) à 1990 (Silence, on développe), je n’eus de cesse que d’attendre son prochain ouvrage, à chaque fois un coup de poing, un cri lancé par une voix tonitruante, cependant suffisamment éraillée pour ne pas être menaçante mais, au contraire, bienveillante.

 

Il m’avait fait l’honneur de me montrer sa case à fétiches dans son petit appartement de Cocody. Nous nous croisions fréquemment sur le campus de l’Université d’Abidjan. Il me vannait d’un « Ça va, petit Blanc ? » auquel je répondais (je le dépassai d’une demi-tête) « fort bien, et toi le grand Noir. » C’est lui qui m’initia aux philosophes présocratiques, Héraclite au premier chef avec sa vision “ mobile ” de l'univers. Comme il me savait profondément athée, il n’insista jamais trop pour m’expliquer le concept du bossonisme, qui était sien, (de bosson, génie en langue agni) qui était pour lui la religion des Africains. Á ses yeux, l’animisme était une perte de temps dans la perspective d’une théologie de la libération africaine, une modernisation sans occidentalisation : « C’est du panthéon d’un peuple, de son projet religieux, ses messagers et ses messages que se déduit son projet de société. Se déterminent se forment également l'ensemble des grandes valeurs intellectuelles, morales, éthiques, esthétiques, spirituelles, fondatrices de sa civilisation. Mais surtout, de sa conscience. Installer donc un peuple au centre de sa religion, c’est l’installer à nouveau dans son propre génie créateur, dans le foyer ardent de sa propre forge. »

 

Hormis mon modeste témoignage, ce livre comporte des textes sur la pensée philosophique d’Adiaffi, son rapport à l’histoire de l’Afrique, aux mythes et légendes, son écriture « en liberté », « débordante », son positionnement politique à mes yeux un peu ambigu : critique parfois virulent du président Félix Houphouët-Boigny, il s’affirmait bédéiste de gauche, du nom d’Henri Konan Bédié, immensément riche et héritier spirituel d’Houphouët. Il admirait ces deux hommes pour leur rapport à leurs racines et à leur identité. Á noter qu’Adiaffi ne prôna jamais le concept d’ivoirité.

 

Écoutons Adiaffi dans son poème Yalé Sonan (homme de misère) :

 

Je suis un nègre d’égout

Camelote carbonisée

Qui plus est.

Homme à blanchir, peine perdue, à l’omo

Á astiquer sans espoir à l’ajax ammoniaqué.

Je suis un nègre noir manqué,

Noir de Chine indélébile

Comme les traces frémissantes du fouet.

[…]

Tant mieux

Si le fouet fait de tout son affaire

Sauf le sourire blanc

De l’homme noir

Le sourire sourire qui

Sourit le cœur riant de gaieté.


 

 

Note de lecture (201)
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3 décembre 2021 5 03 /12 /décembre /2021 06:00

Pour les admirateurs des Beatles, la sortie du film Get Back est un événement particulièrement marquant. Voir ces personnalités, ces créateurs extraordinaires, concevoir deux ou trois dizaines de chansons qui ont l’air de sortir de nulle part si ce n’est de notes jetées sur des bouts de papier, avant d’en jouer une sélection sur le toit du bâtiment d’Apple avec l’intensité de quatre personnages déjà entrés dans la légende qui savent qu’ils ne se produiront plus jamais ensemble a quelque chose de bouleversant, d’empoignant.

 

Devant nous, ils créent “ I’ve Got a Feling ”, “ Get back ”, “ Let it Be ”, “ The Long and Winding Road ”, “ Golden Slumbers ”, “ Jealous Guy ”, “ Something ” “ Oh Darling ”, des œuvres qu’on chantera encore dans cent ans.

 

J’avais vu la première version de ce document d’environ deux heures il y a 50 ans. Outre que cette reprise plus élaborée (le film est un peu long – plus de sept heures dont on aurait pu aisément retrancher un cinquième, vu les redites) nous renseigne davantage sur le processus de création de chacun des quatre Beatles (un des passages touchants montre George aider Ringo à se dépatouiller d’“ Octopus’s Garden ” que le batteur est en train de crée au piano, un instrument dont, selon ses dires, il connaît trois accords), il ne cache rien des tensions d’un groupe qui ne s’est pas encore disloqué mais où chacun mène sa barque et a ses propres projets de vie et musicaux.

 

Il est clair que Paul domine le groupe d’autant plus aisément que John et Ringo se laissent complètement dominer et que George attend une heure qui ne viendra que quand le groupe n’existera plus. Paul est en fait la figure déterminante depuis Sgt Pepper. Mais John et Paul, en tant que compositeurs, s’entendent depuis plusieurs années pour donner le moins de place possible à George qui a accumulé sous le coude des dizaines de chansons dont on s’apercevra, dans les années qui vont suivre, qu’elles sont – pour beaucoup – de petits chefs-d’œuvre.

 

Mais, pour l’instant, il ronge son frein. Il y a ce passage qui, déjà, nous avait fait sursauter il y a cinquante ans où le compositeur de “ Something ” (la plus belle chanson d’amour jamais écrite selon Frank Sinatra) dit à son très vieux camarade (Paul et George se fréquentaient avant de connaitre John) : « Je joue ce que tu veux, si tu veux que je joue ceci, je le joue, si tu veux que je joue cela, je le joue aussi ; je peux même ne rien jouer du tout ». Notre cœur saigne pour le créateur de “ My Sweet Lord ” et “ Isn’t It a Pity ? (écoutez la version de Nina Simone juste pour le plaisir) ”. Mais les réalisateurs de la première comme celle de la seconde version nous ont privé de ce que Paul a ajouté à George :

 

– Excuse-moi George mais je traine depuis plusieurs semaines une chtouille (“an itching disease ”). Je suis un peu énervé et préoccupé.

 

Imaginez la réaction des trois autres. « Lave-toi », dit George, « oui, lave-toi », enchérit John. « Mais je me lave tous les jours », dit Paul, « et ça ne part pas ».

 

Ouf ! On a retrouvé ici nos quatre gosses (lorsque Paul regarde un documentaire consacré aux Beatles, il les appelle « those kids ») ébouriffés et complices.

 

Alors, je pose une question de béotien : est-ce que, s’il avait acheté le bon médicament à 3 shilling 50, Paul aurait pu sauver le groupe ? Après tout, la fistule anale de Louis XIV gouverna le pays pendant des années…

 

 

 

 

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21 novembre 2021 7 21 /11 /novembre /2021 06:11

Il faut juste 50 ans de recul pour en être convaincu...

 

Un petit mot sur la bière et les mères allaitantes : quand j'étais enfant dans les années 50, cette saloperie d'argument avait toujours cours. Dinch' nord en particulier, terre de brasseries.

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10 novembre 2021 3 10 /11 /novembre /2021 06:06

 

J'ai récemment reçu un courrier collectif professionnel à propos d’une initiative fort intéressante prise par un centre de recherches. Courrier écrit dans ce qui voulait être de l’inclusif. L’auteur (auteure ?, auteur.e ?, autrice ?) était en fait un collectif de trois auteurs de sexe féminin, comme l’attestaient leurs prénoms.

 

Comme toujours ou presque, le problème était que ces éminentes universitaires n’étaient pas capables d’utiliser leur propre jargon de manière cohérente, tout comme la langue française d’ailleurs. Ainsi le mot « théâtre » ne comportait pas d’accent circonflexe ; quant aux accords, hum, hum : « Pour respecter l’alternance des langues (anglais tous les deux ans, et autre langue enseigné à l’université…) ».

 

Une liste de ces incohérences :

 

  • des auteur.e.s internationaux susceptibles d’être intéressés
  •  
  • Nous donnons la chance à un auteur étranger si vous connaissez des auteur.e.s  qui mériteraient d'être davantage connus/ lus
  •  
  • nous sommes à la recherche d’un auteur anglophone
  •  
  •  même si nous sommes ouverts à des candidatures
  • ce projet original géré par les étudiants
  • nous sommes particulièrement actifs cette année malgré l’absence d’auteur en résidence
  • Vous pourrez entendre nos conversations avec des auteurs, éditeurs

                                    *                                                                                        *

 

Il faudra qu’un jour ou l’autre ceux qui pratiquent tant bien que mal l’écriture inclusive comprennent deux choses :

  • leur écriture codée – et laide de surcroît – n’est valable que pour une petite catégorie (j’allais dire « élite ») intellectuelle et renforce de ce fait l’écart entre éduqués et non éduqués ;
  • Lorsqu’on pratique l’écriture inclusive, on part toujours du mâle : « autrice » (sur « factrice » ou « institutrice ») d’accord ; « auteur.e » pas d’accord. On souligne de ce fait le stigmate de brûlante manière. Et on revient au mâle…
L’écriture inclusive : pas à la portée de la première maîtresse de conférences venue
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21 octobre 2021 4 21 /10 /octobre /2021 05:14

J’adore me plonger dans le Littré et son petit-neveu le Robert. En passant par le Centre national de Ressources textuelles et lexicales

 

Alors, revenons un instant sur le mot « nègre »

 

Au XIXe siècle, on l’utilisait déjà de manière péjorative. Ce contre quoi s’était insurgé Victor Hugo dans Bug-Jardal, roman dont il avait écrit la première mouture à 16 ans : « Nègres et mulâtres! (...) Viens-tu ici nous insulter avec ces noms odieux, inventés par le mépris des blancs? Il n'y a ici que des hommes de couleur et des noirs ». Dans Théâtre et son double, Artaud mettait en regard Blancs et Noirs de manière savoureuse : « Si nous pensons que les nègres sentent mauvais, nous ignorons que pour tout ce qui n'est pas l'Europe, c'est nous, Blancs, qui sentons mauvais. » Céline ne faisait pas dans la dentelle : « Des morceaux de la nuit tournés hystériques ! Voilà ce que c'est les nègres, moi j'vous le dis ! Enfin, des dégueulasses... des dégénérés quoi !... − Viennent-ils souvent pour vous acheter ? − Acheter ? Ah ! rendez-vous compte ! Faut les voler avant qu'ils vous volent… (Voyage au bout de la nuit)

 

Dans son recueil Corps perdus, Aimé Césaire faisait briller le mot nègre : « Et comme le mot soleil est un claquement de balles / et comme le mot nuit un taffetas qu'on déchire / le mot nègre / dru savez-vous / du tonnerre d'un été / que s'arrogent / des libertés incrédules. »

 

Au XIXe siècle, on a utilisé ce vocable d’une manière qui se voulait scientifique : un nègre blanc était un albinos de race noir, et un nègre pie était une curiosité dont l’albinisme n’était pas complet.  Un botaniste avait proposé cette comparaison audacieuse : « Les nègres-pie ou tachés de blanc sur diverses parties de leur corps, ressemblent à ces panachures des pétales et feuilles de certains végétaux cultivés. » Clemenceau utilisait le mot de manière factuelle : « Des nègres se sont fait tuer au service de la cause esclavagiste, dans la grande guerre civile américaine. On vit des nègres narguer John Brown qui montait à l'échafaud pour avoir voulu délivrer la race noire de ses chaînes. » Plutôt condescendant, l’expression « parler petit nègre » date de la fin du XIXe siècle. « Au XXe siècle, on utilisa le mot nègre de manière ordurière : « noir comme dans le trou du cul d’un nègre », « à vouloir blanchir la tête d’un nègre, on perd sa lessive. » Ou péjorative : « travailler comme un nègre ». Mais aussi de manière plus gentille : « un nègre en chemise », ou – rien à voir : un panneau noir qui intercepte la lumière des projecteurs. Depuis le début du XXe siècle, un nègre est quelqu’un qui  a écrit un livre qu’un autre a signé. L’anglais a deux mots : « ghost writer », écrivain fantôme, qui est neutre, et « hack writer », qui est péjoratif (qui écrit à la hache). Quarteron qui se décrivait comme un « nègre », avec des « cheveux crépus » et un « accent légèrement créole », Alexandre Dumas fut l’auteur (sic) de 650 livres. Écrits par 45 nègres, dont la tâche de certains consistait simplement à recopier les manuscrits des autres. De retour de Saint-Petersbourg où il avait courtisé la comtesse Hańska, Balzac déroba à celle-ci l’ossature, et même carrément une première mouture, de Modeste Mignon.

 

La « négritie » de Flaubert (le monde des Noirs) n’eut guère de succès : « Je bûche, je pioche, (...) comme la négritie en personne. »

 

Au XXe siècle, on broda à qui mieux-mieux sur le mot nègre. Dans Le Voyage au bout de la nuit, Céline tente de remettre au goût du jour « nègrerie » (lieu où on enferme les nègres : « La nègrerie pue sa misère, ses vanités interminables, ses résignations immondes. » Paul Morand et Marcel Aymé affectionnent « négrescent » ou « négrescant » (qui ressemble à un nègre : « Pour l'instant, les justes étaient tous noirs, noir d'ivoire, mulâtres olive, quarterons foncés, (...) métis bistres, créoles négrescents (Morand) ». « Les puants du cinéma et du porte-plume, tous métèques, négrescants, macaques épouillés de l’avant-veille (Aymé). « Négrité », comme « vietnamité » et « francité » firent long feu. Tout comme la « négrure » (état de celui qui a la peau foncée) d’Alphonse Daudet (« C’est pas la négrure, c’est pas ça qui le fait pleurer, c’est que l’imposture du vieux péché »). « Négrifier » (1939) n’a pas pris non plus.

 

Á l’origine, « nègre » est un adjectif qui vient du latin niger, nigra, nigrum. Un homo niger est un homme dont la peau est noire. Aucun jugement moral dans ce qui n’est qu’une simple observation. « Nègre » deviendra substantif à la fin du XVIIIe siècle. On oppose alors les nègres vivant près de l’océan – et dont beaucoup furent réduits en esclavages – aux Maures qui vivent près de la Méditerranée. « Nègre » vient du Portugais « negro », mot forgé par les Portugais lorsqu’ils abordent la côte occidentale de l’Afrique. Ce qu’expliquera Littré par la suite : « Quand les Portugais découvrirent la côte occidentale de l’Afrique, ils donnèrent aux peuples noirs qui l’habitent le nom de negro, qui signifie noir. De là vient notre mot nègre. L’usage a gardé quelque chose de cette origine. Tandis que noir se rapporte à la couleur, nègre se rapporte aussi au pays ; et l’on dit plutôt les nègres, en parlant des habitants de la côte occidentale d’Afrique, que les noirs. » Le mot est apparu dans la langue française en 1516 (son féminin « négresse » date de 1637) mais fut rare jusqu’au XVIIIe siècle. Le vocable n’était toujours pas péjoratif. Une « négresse » au XIXe siècle est une bouteille de vin rouge tandis qu’au XXe, le « nègre » est un appareil qui charge les grumes sur le chariot d’une scie mécanique.

 

Il commencera à le devenir vers 1800. Où l’on commence à utiliser des expressions comme « traiter comme un nègre », synonyme de « traiter comme un esclave ». Au XXe siècle, le mot devient de plus en plus souvent péjoratif. Mais pas systématiquement. « L’art nègre », la « Revue nègre » ne sont pas des expressions dépréciatives. Voir également L’anthologie nègre de Blaise Cendrars en 1921. Lorsqu’Aimé Césaire crée le concept de négritude dans les années 1930, il s’agit d’une proclamation revendicative : « Qui sommes-nous dans ce monde de Blancs », demandait-il ? Jean-Paul Sartre emboita le pas en 1949 : « Le nègre ne peut nier qu’il soit nègre ni réclamer pour lui cette abstraite humanité incolore : il est noir. Aussi est-il acculé à l’authenticité : insulté, asservi, il se redresse, il ramasse le mot de « nègre » qu’on lui a jeté comme une pierre, il se revendique comme Noir en face du Blanc, dans sa fierté. »

 

Nous sommes loin de Baudelaire et le proche lointain de la femme noire : 

 

Je pense à la négresse, amaigrie et phtisique

Piétinant dans la boue et cherchant l’œil hagard,

Les cocotiers absents de la superbe Afrique

Derrière la muraille immense du brouillard.

 

Dans son édition de 2001, le Robert dit du mot « nègre » qu’il est raciste, « sauf lorsqu’il est employé par les Noirs eux-mêmes. » Un nègre est aussi le premier d’une promotion de Saint-Cyr depuis que Mac-Mahon salua un mulâtre qui avait fait mieux que les Blancs d’un « C’est vous le Nègre ? Eh bien, continuez ! »

 

Du mot “ nègre ”
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14 octobre 2021 4 14 /10 /octobre /2021 04:57

 

Ce nom bizarre, Sojourner Truth, elle se l’est choisie en 1843, à l’âge de 46 ans. On peut le traduire par “ la vérité qui demeure ”. Son nom de naissance était Isabelle Baumfree. Ses parents étaient esclaves et avaient treize enfants. Elle fut vendue à l’âge de 11 ans.

 

Elle est unie contre son gré à un autre esclave dont elle eut cinq enfants. En 1827, après l’abolition de l’esclavage, un de ses enfants est vendu illégalement en Alabama. Elle a le courage d’aller en justice (son procès est le premier intenté par une femme noire) contre un Blanc. Elle gagne.

 

En 1843, elle devient méthodiste. Elle donne des conférences sur l’abolition de l’esclavage, le pouvoir des femmes et l’abolition de la peine de mort. Ses mémoires sont publiés en 1850 sous le titre : Narrative of Sojourner Truth : A Northern Slave.

 

Mesurant 1,80 mètre et douée d’une voix puissante, elle en impose physiquement. Elle collecte des vivres pour les régiments noirs de l’Union pendant la guerre de Sécession et cherche des emplois pour les soldats démobilisés.

 

Elle rencontre le président Lincoln en 1864. Elle réclame pour chaque ancien esclave « 40 acres et une mule ». Elle se prononce pour la création d’un État noir.

 

Quand elle meurt à 86 ans, plus de 1 000 personnes suivent son enterrement. En 2014, le magazine Smithsonian l’élit l’une des 100 personnes les plus importantes de l’histoire des États-Unis.

 

En 1997, le robot de la sonde spatiale “ Mars Pathfinder ” est baptisé “ Sojourner ” en sa mémoire. Sont aussi nommés en son honneur (249521) Truth, un astéroïde, et également un cratère de Vénus.

Femmes au pouvoir (12)
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3 octobre 2021 7 03 /10 /octobre /2021 09:05

Avec le concours de la municipalité de Lyon et de l'Université Lyon 2, les amis de Michel Cornaton, décédé le 5 octobre 2020, lui ont rendu hommage les 1er et 2 octobre 2021. Docteur en sociologie et docteur ès lettres (psychologie), Michel fut professeur de psychologie à l'Université d'Abidjan (Côte d'Ivoire), professeur de psychologie sociale à l'Université Lumière Lyon 2, fondateur et directeur de la revue littéraire Le Croquant.

 

Ci-dessous le texte de mon témoignage lors de cette rencontre.

 

J’ai connu Michel Cornaton comme professeur de psychologie à l'Université Nationale de Côte d'Ivoire vers 1980. J'avais autour de trente ans et lui un peu plus de quarante. Nous fûmes collègues dans ce lointain proche où des amitiés très solides pouvaient se nouer entre expatriés. Michel est l’une des personnalités les plus singulières, les plus riches et les plus attachantes qu’il m’a été donné de côtoyer. 

 

L'Université avait confié à Michel la grave et lourde responsabilité de fonder les enseignements et la recherche de psycho, tâche dont il s’acquitta admirablement. Avec l’estime et la reconnaissance, et des collègues ivoiriens, et des collègues français.

 

La maladie l’a empêché de revenir par le livre sur sa période abidjanaise. Il me dira sa « peine » de ne pas pouvoir rendre compte de son « éveil africain ». Ce fut un beau moment de sa vie. D’une part parce qu'il fonda les études universitaires de psychologie en Côte d’Ivoire en opérant une vraie synthèse entre les données de l’Université française en la matière et le champ à labourer et à théoriser des acquis africains qui avaient précédé son arrivée sur le sol ivoirien. D’autre part, parce qu'avec sa nouvelle épouse Fabienne (ancienne membre de la troupe de Maurice Béjart et qui enseigna la danse classique à Abidjan), il s’adonna de nouveau aux joies de la paternité avec son petit dernier Irénée, compagnon de jeu, dans le bac à sable de notre immeuble, de mon fils Nicolas. Au risque de surprendre, quand je pense à Michel, ce n’est pas l’image de l’intellectuel singulier et éblouissant qui vient en premier, mais celles de nos conversations sans fin, au retour de la Fac, assis sur un banc de pierre inconfortable d’où nous surveillions nos rejetons en refaisant le monde, naturellement. Il faut dire qu’il y a chez Cornaton une force intellectuelle tranquille et désarmante – à laquelle je me suis frotté pendant des années à Abidjan – quand il introduit mine de rien un argument, une réflexion dans la conversation, avec humour et en soulevant, en un effort simulé, des montagnes d’esprit qui désarçonnent.

 

La dernière fois où nous nous vîmes, autour d’un repas, chez moi, en compagnie de ma fille aînée Isabelle qu’il avait connue enfant à Abidjan, il exprima, en une sorte d’élégie ad hominem, de chant de mort prémonitoire, l’idée selon laquelle, en bout de vie, l’écriture servait à retrouver ceux que l’on avait aimés, en étant le porte-plume de quelque chose qui nous dépassait tous.

 

Sa vie durant, il resta traumatisé par sa rencontre avec Bourdieu, ce qui ne l’empêcha pas d’être le premier en France à soutenir une thèse sur la guerre d’Algérie. Il m’écrivit un jour qu’en trente ans à peine, il avait « en effet rencontré le pire des hommes, Pierre Bourdieu, en 1964, et la crème des hommes, Jean Tardieu, en 1991. Malgré  la rime riche, rien de plus antithétique que ces deux êtres, le  sociologue et le poète ».  Et il sut donner un sens profond aux deux étapes africaines de son existence. Je me permets ici de citer l’article que j’avais consacré au dernier livre de Michel : « Par delà les justifications moralisatrices et culturelles (la « mission civilisatrice », le « fardeau de l’homme blanc »), en Algérie ou ailleurs, la colonisation, qu’elle ait été de peuplement ou non, c’était bien : « ôte-toi de là que je m’y mette », ce que, dans les années trente, Orwell avait qualifié de " racket ". Comme il n’y avait pas de place pour tout le monde sous le beau soleil africain (ou indochinois ou autre), il fut décidé de pousser les indigènes pour prendre leur place, de les obliger à se resserrer, à occuper les cases noires de l’échiquier (les mauvaises terres) pour que les Européens occupent les blanches. En 1860, un officier avait froidement planifié le bouleversement nécessaire : « Nul doute, dans un siècle, l’élément indigène se sera transformé, et le but de la France sera atteint ; ou s’il est resté réfractaire, les transactions aidant, la case blanche aura absorbé la noire. Dans ce cas, aux yeux des nations, comme devant notre conscience, nous aurons agi avec équité, et nous pourrons dire : si l’élément indigène a disparu, c’est qu’il avait à disparaître. » Jamais Michel ne mit en avant son courageux passé militant en Algérie.

 

Malgré l’utilisation d’un double, d’un intercesseur (ou peut-être grâce à), on peut dire qu’il n’y a pas, chez Michel Cornaton, l’épaisseur d’une feuille de papier à cigarette entre l’œuvre et l’homme. Michel ne reconstruit pas son passé : il le déconstruit pour en offrir une vision construite bourrée de sens. L’empathie qu’il éprouve pour son double est contagieuse. Comme Montaigne – et il m’avait gentiment reproché de convoquer l’auteur des Essais quand je pensais à lui –, c’est lui-même qu’il peint mais il n’a pas besoin d’avertir son lecteur que son œuvre est « de bonne foi ». Comme Montaigne il « forge son âme ». Il quête ce que les Allemands appellent Erfahrung, c’est-à-dire l’expérience accumulée, et il nous en donne l’origine. Et comme son écriture est aussi précise que limpide, on sort enrichi et heureux de l’avoir lu. »

 

Je voudrais terminer ce propos d’une manière que je qualifierai de « cornatonesque », c’est-à-dire, par une anecdote, en espérant faire sourire – Michel était un prince de l'humour, en particulier lorsqu'il l'adressait à ses dépens – tout en visant le sens profond de l’existence. Un jour, à Abidjan, Michel et Fabienne nous demandent de garder Irénée deux heures car ils avaient un rendez-vous impromptu. Nous acceptons, bien sûr. Au bout d’une demi heure, Irénée a une diarrhée tropicale. Nous le nettoyons et le rendons propre comme un sou neuf à ses parents qui se confondent en excuses alors qu’ils n’étaient coupables de rien. Quelques semaines plus tard, Michel nous offrit un exemplaire de son dernier livre. Dans la longue dédicace dont il eut la gentillesse de nous gratifier, il écrivit : « s’il vous arrive de vous occuper à nouveau d’Irénée et s’il a à nouveau un embarras gastrique, au moins je vous aurai fourni le papier nécessaire. »

Un magnifique portrait de Winfried Veit réalisé en cinq jours pour cette rencontre

Michel Cornaton : souvenir et hommage

Michel Cornaton à table avec ma fille aînée

Michel Cornaton : souvenir et hommage
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23 septembre 2021 4 23 /09 /septembre /2021 05:27

Monte dans la R12, on va acheter des Raider au Mammouth.

Au fait, si tu vas au Mammouth, tu peux me prendre du Tang et un paquet de Triscottes ?

A propos de voiture, t’as eu ton permis de conduire dans un paquet de Bonux ou dans une pochette surprise ?

– Jean-Jacques, je crois bien que j’ai oublié mon chéquier au Shopi !
– Appelle-les. Tu as le numéro ?
– Attends je regarde dans le botin.

– Je voulais vous appeler mais je n’ai plus d’unités sur ma carte téléphonique. Me voilà Gros-Jean comme devant.
– Pas de blème ! Laisse sonner trois fois, on te rappellera dans la cabine.

Ton rôti est fameux. C’est comme Félix Potin, on y revient.

Nicolas ! Nicolas ! Nicolas, coupe internet je dois téléphoner !

Il n’y a avait plus de place en non-fumeurs. Dernière fois que je prends un Corail fumeurs.

Sans abuser, tu peux passer au vidéoclub ? N’oublie pas de rembobiner la cassette sinon ils retiennent 2 Francs.

Pour connaître les horaires des prochaines diffusions de Supercopter, c’est 36 15 code La Cinq.

Paraît que la fille à Lisette et Raymond elle a rencontré son gars sur Minitel. Non mais laissez tomber la neige quoi !

T’as le dernier Jean-Patrick Capdevielle ? T’as écouté la face B ?

J’ai une réunion à la F.O.L. mais si tu veux me joindre, n’hésite pas à me biper sur mon Tatoo, c’est hyper pratique.

– Nicolas ! Nicolas ! Nicolas, je n’ai plus la petite flèche sur l’écran.
– Je t’ai déjà dit Maman, enlève la petite boule de la souris et nettoie.

-– Tu vas chez Gérard et Elizabeth ce soir ?

– Je ne peux pas. J’ai une nouba chez René et Sylvie. 

Jean-Jacques, je crois qu’on est perdu. Attends je regarde sur la carte.

Bon je me tire. Allez ciao les nazes !

C'était hier, c'est devenu incompréhensible
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