En 1954, j'étais en CP. Avec mon père comme instit' à l'école Voltaire d'Hénin-Liétard. Un bon tiers des élèves étaient des Polonais de la deuxième génération. Les quatre-cinquièmes des enfants étaient fils d'ouvriers ou paysans. La rentrée se faisait début, voire mi-octobre, je ne me souviens plus exactement. Il fallait bien que les gosses de paysans ramassent (en fait : ramassassent) les patates. Six semaines après la rentrée, les meilleurs élèves savaient lire. Au premier janvier, toute la classe (60 élèves) lisait sans aucun problème. On faisait une dictée de mots par jour. Les vraies dictées, toujours tirées d'une œuvre de la littérature (en pays chti on avait une prédilection pour Émile Verharen), commençaient en CE1 (deux à quatre lignes) et se poursuivaient en CE2 (huit à dix lignes).
J'étais au lycée en classe de cinquième quand mon prof de français nous donna la dictée de Mérimée. Je fis une bonne quinzaine de fautes. Moins de vingt, en tout cas. N'étant ni chasseur ni fils de chasseur, je ne pouvais connaître la différence entre “ cuissot ” et “ cuisseau ”. Alexandre Dumas fit dix-neuf fautes, Napoléon III quarante-cinq ou soixante-quinze selon les sources. Le champion toutes catégories fut un diplomate autrichien : le prince de Metternich, avec trois fautes.
Essayez de battre ces records en famille en pensant à la pauvre Najat qui vient d'inventer le fil à couper le beurre avec sa dictée quotidienne.
Pour parler sans ambiguïté, ce dîner à Sainte-Adresse, près du Havre, malgré les effluves embaumés de la mer, malgré les vins de très bons crus, les cuisseaux de veau et les cuissots de chevreuil prodigués par l'amphitryon, fut un vrai guêpier.
Quelles que soient et quelqu'exiguës qu'aient pu paraître, à côté de la somme due, les arrhes qu'étaient censés avoir données la douairière et le marguillier, il était infâme d'en vouloir pour cela à ces fusiliers jumeaux et mal bâtis et de leur infliger une raclée alors qu'ils ne songeaient qu'à prendre des rafraîchissements avec leurs coreligionnaires.
Quoi qu'il en soit, c'est bien à tort que la douairière, par un contresens exorbitant, s'est laissé entraîner à prendre un râteau et qu'elle s'est crue obligée de frapper l'exigeant marguillier sur son omoplate vieillie. Deux alvéoles furent brisés, une dysenterie se déclara, suivie d'une phtisie.
- Par saint Martin, quelle hémorragie, s'écria ce bélître ! À cet événement, saisissant son goupillon, ridicule excédent de bagage, il la poursuivit dans l'église tout entière.
En 1950, la dictée fut adaptée et augmentée de la manière suivante :
Le dîner à Sainte-Adresse
Pour parler sans ambiguïté, ce dîner à Sainte-Adresse, tout près du Havre, véritable festin offert en l'honneur de Saint Henri - son patron - par l'un de mes meilleurs amis, ancien ingénieur cantonal de la voirie, pensionné de la Ville de Paris, et mué depuis sa retraite en gentleman-farmer cauchois, ne fut pour aucun de nous ni un vrai guêpier ni l'un des plus dangereux guets-apens.
Cependant pour s'être délectés à l'extrême, certains des quelque trente et un convives dyspepsiques (ou dyspeptiques), m'a-t-on dit, qui s'étaient bien persuadés et s'étaient même fait fort de ne point flancher, durent en pâtir un assez long temps.
Un quincaillier, ex-fusilier marin, et un vieux joaillier, qui se sont succédé en tant que fabricien et marguillier de la paroisse, faillirent même en trépasser le lendemain : le premier, mal remis d'une dysenterie, et aussi maigre qu' un râteau et un goupillon réunis, eut une hémorragie qui l'amena à toute extrémité ; encore plus étique, le second, un malbâti, aux omoplates si arquées, qu'on l'eût dit atteint de phtisie, ne put éviter l'érysipèle facial ni l'urticaire quasi généralisé.
En revanche, ce noble et fameux balthazar, véritablement sans pareil, fit les délices avouées de maint autres commensaux bien famés et au gaster plus résistant ; les uns, gastronomes subtils, ou épicuriens éclectiques adorant festiner, les autres, joyeux et robustes gastrolâtres pleins d'embonpoint, n'aimant qu'à faire chère lie sans avoir pourtant rien d'infâme.
Pince-sans-rire aussi exubérants qu'hilares, un honorable contremaître de fabrique et un honnête fabricant d'allume-feu, n'engendrant point le spleen - lesquels en persiflant, s'étaient ri de tous les lazzi qu'on ne manqua pas de leur décocher - me firent seuls l'effet d'être des demi pique-assiette.
Les effluves embaumés de la mer nous arrivaient par les baies entr'ouvertes de la salle à manger. Fort soucieuse de ses devoirs de parfaite maîtresse de maison, la bru de mon ami, riche et amène douairière que la guerre ignoble et cruelle a fait pleure - ses valeureux jumeaux étant tombés ensemble à la terrible " cote 304 " - s'était laissé entraîner par son sens aigu de la politesse et son vif désir de nous réserver un accueil aussi aimable que sincère et chaleureux. Amie des fleurs, elle s'était crue obligée de décorer cette salle spacieuse et tout inondée de lumière : des plantes hiémales placées çà et là dans les multiples alvéoles emplis d'eau des jardinières en cristal, de même que des rhododendrons, phlox, cannas, phœnix, arums, dahlias et azalées s'échafaudant en longs cornets de baccarat, ou fusant en geyser d'élégants cache-pot, attestaient de toutes parts son amour de la décoration florale et expliquaient l'invitation qu'elle nous avait faite d'aller visiter ses serres et ses parterres.
Quoi qu'en ait dit avec excès et sans nulles ambages un doucereux bélître, neurasthénique censeur à l'air égrotant, et quelles qu'aient été les réflexions et les excédantes critiques d'un géomètre, ratiocinant splénétique qui patrocina jusqu'à satiété des arrhes exorbitantes qu'étaient censés avoir versés sensément mais à contre-cœur sa fille et son beau-fils, pour obtenir cession d'un vieux cottage - arrhes équivalant aux trois quarts de la somme due - on se pouvait croire chez Lucullus.
En effet, le maître queux s'était surpassé, car, quelque exiguës qu'ont paru à tous, la cuisine et deux pièces auxiliaires que, d'autorité, il avait fait siennes, et en dépit de l'exiguïté de l'office affectée au personnel ancillaire, chaque mets fut estimé succulent , et les entremets régals nonpareils qui eussent régalé un roi.
Aussi, cet émule de Vatel sans épée, moins négligent qu'à cheval sur le règlement, gagna le lot des dîneurs les plus exigeants ; ces derniers, sans scission ni dissension aucune, avaient jugé de sa tâche et de son mérite, en vertu de droits régaliens qu'ils s'étaient arrogés.
Précédant de délectables hors-d'œuvre, qu'accompagnaient des vol-au-vent de ris d'agneau, un potage Ésaü fut d'abord apprécié ; vint ensuite une appétissante bouillabaisse noblement corsée et de très haute facture : muges, dorades, crevettes-bouquets, clovisses, moules boulonnaises bien raclées et autres frutti de mare, le rendaient digne des difficiles becs fins mêmes, de la vivante et lumineuse Canebière.
Après une bonne matelote d'anguilles et de truites saumonées à la ravigote, un confit de porc et un navarin, épaulés d'un châteaubriant aux échalotes, m'ont semblé avec l'entrecôte cuit à point, de sérieux plats de résistance.
Puis, fin salmis de gelinottes, mijoté au vin rancio d'excellent arôme ; pigeonneaux en cocote accordés de morilles ; gibelotte de lapereaux finement accommodée d'oignons blancs ; cuisseau de veau pané ; râble de levraut rôti, parfumé de thym, baignant dans un coulis cantonné de girolles ; cuissot de chevreuil aromatisé de cannelle et de girofle moulus, s'entre-suivirent aussi abondants qu'exquis ; une salade de scarole et de raiponce mêlée et aillolisées, ainsi que les ice-cream vanillés pleins d'avantages pour chacun, aidèrent à la digestion.
Le dessert fut également de qualité : crème caramélée, petits-fours aux amandes, vaste tourte normande - sorte de poudingoïde galette miellée, cassonadée, tout entourée de pets-de-nonne et gourmandée de carrés de pistache, de coings et de rhubarbe - couronnèrent, appuyés de grap-fruit glacés le faste, incroyable et pourtant réel, de cette profusion de succulences.
Le tout fut arrosé de vin de très bons crus et de haut millésime. Certains graves, entre autres, dionysiaque nectar et orgueil de notre hôte, souleva l'enthousiasme des gourmands, comme celui des gourmets les plus délicats.
Bien qu'abstème par idiosyncrasie - fâcheux privilège inhérent à ma nature - et quels que pussent être les non-sens et les contresens qui contrecarraient mon dur régime d'hépatique, je transigeai sans remords avec ma conscience , en goûtant, dussé-je avoir à m'en repentir, à tous les magnums et jéroboams successivement dispensés par l'échanson, gai et au ton plaisant en diable.
Ni de ces nombreuses voluptés gustatives, ni des extra et rafraîchissements variés, prodigués par l'amphitryon, je n'eus, sauf de légers spasmes œsophagiens ponctués de rots étouffés et de borborygmes discrets, aucun sujet de repentance.
Un gobelet de vespétro en main, je participai même , en détonnant peut-être, au gaudeamus entonné par un coreligionnaire de mon ami, et que barytona en chœur l'assemblée tout entière.
Que ceci soit dit en français ou en latin, vraiment, " le bon vin réjouit le cœur de l'homme ".
Ce n'est pas tout : mon ami Philippe Arnaud, plus indispensable que jamais, s'est fait ses deux propres dictées :
I- Mon propos, ici, sera non conformiste, et même, à proprement parler, cynique. Au grand dam des taxinomistes et autres thuriféraires du classement, je n’ai jamais aimé qu’un chien fût autre chose… qu’un chien (et non un barzoï, un airedale, un chow-chow ou tout canin à pedigree).
J’aurais presque, lorsque m’échut mon chien, requis ses seize quartiers de bâtardise. Comment décrire cet animal, à tous égards extraordinaire ?
Pour se le représenter, qu’on imagine un hamster, mais un hamster examiné de près avec une lunette astronomique, un hamster poilu et à la queue touffue, un hamster délié du jarret, un hamster… avec une allure de chien. Ou bien, vu par l’autre bout de la lunette, un éléphant, mais un éléphant sans trompe ni défenses, un éléphant velu comme un ours, qui se gratterait l’oreille avec sa patte arrière et enterrerait ses os sous les dahlias. Ou bien encore un chat, mais un très gros chat, un chat au museau allongé, et qui japperait après le facteur. Mon chien débute, à l’avant, par une truffe ébène et se conclut, à l’arrière, par une queue ondulée. Cette queue marque la différence essentielle entre l’homme et le chien, car l’homme, mesdames et messieurs, ne se conclut pas. Qu’y a-t-il, en effet, derrière l’homme ? Il n’y a rien. De la nuque aux talons – sauf un accort renflement callipyge chez sa compagne – il s’achève en falaise accore, comme à Etretat (et cette conformation abrupte est, n’en doutons pas, concomitante de la raideur de l’homme envers ses semblables). Mon chien a huit pattes : deux à l’avant, deux à l’arrière, deux à gauche et deux à droite, ce qui lui est très utile pour “marcher à l’amble” (même en plein soleil), à l’instar des destriers, palefrois, haquenées et autres équidés.
Panégyrique : du grec /panêguris/, “assemblée de tout le peuple”.
Discours à la louange d’une personne illustre, d’une nation, d’une cité.
Non-conformiste : lorsque l’on a, comme ici, affaire à un adjectif, on n’emploie pas de trait d’union. Celui-ci n’est requis que pour les substantifs : des non-combattants mais des unités non combattantes.
Cynique : avant de désigner une attitude morale, ce mot a qualifié une école philosophique (celle de Diogène), qui prétendait revenir à la nature en méprisant les conventions sociales, l’opinion publique et la morale, en les méprisant… comme des chiens, du grec kunikos (“qui concerne le chien”).
Dam : au préjudice, au dommage de. Se prononce “dans”.
Taxinomiste (ou taxonomiste) : spécialiste de la taxinomie, c’est-à-dire de la science des lois de la classification des formes vivantes.
Thuriféraire : du latin ecclésiastique, “celui qui porte l’encens”. Par extension, celui qui “encense”, c’est-à-dire qui rend un culte exagéré à. Attention à la place du “h”.
Barzoï : lévrier russe. Se prononce “bar-zo-i-e” (bien épeler les dernières voyelles).
Airedale : mot anglais, abréviation de Airedale terrier, du nom de la vallée (dale) de l’Aire. Se prononce “airedelle” ou “airedale” (plutôt la deuxième forme).
Chow-chow : mot anglais du jargon anglo-chinois. Se prononce “chocho”.
Pedigree : mot anglais, tiré de l’ancien français /pié de grue/ “marque formée de trois points”. Extrait du livre généalogique d’un animal de race pure. Se prononce pédigré et non pédigri.
Echoir : verbe défectif (inusité à certains temps et à certaines personnes), qui signifie être dévolu par le sort ou par un hasard (ce qui fut le cas pour mon chien).
Bâtardise : comme pour bâtard, ne pas oublier l’accent circonflexe sur le premier “a ”. L’expression, bien entendu, est ironiquement dérivée des “seize quartiers de noblesse”, exigence de l’aristocratie d’Ancien régime de posséder 16 arrière arrière-grands-parents nobles pour accéder à certaines charges.
Sans trompe ni défenses : bien mettre le singulier à “trompe” (il n’en a qu’une) et le pluriel à “défenses” (il en a deux).
Dahlias : attention à la position du “h” (entre le premier “a ” et le “l”.
Japperait : ne pas oublier les deux “p”.
Conclut : au présent de l’indicatif, le verbe, à la troisième personne du singulier, prend une terminaison en “t”, à la différence de la première personne, où cette terminaison est un “s”, aux première et troisième personnes du singulier du présent du subjonctif, où cette terminaison est un “e”, et au participe passé, où la terminaison est un “u”.
Mesdames et messieurs : la forme pleine est requise – avec minuscules – dans un dialogue, lorsqu’une personne s’adresse à une autre. Autrement, on emploie la forme abrégée, qui donne, au pluriel, MM. (pour Messieurs), et non Mrs et Mmes (pour Mesdames).
Accort : de l’italien “/accorto/”, avisé, habile, et dont le sens a glissé vers gracieux, vif, plaisant, avenant.
Accore, du néerlandais “/schore/”, écueil, en parlant d’une côte, d’un écueil, qui plonge verticalement dans une mer subitement profonde (ce qui n’est pas forcément le cas à Etretat, pour la mer, mais l’est assurément pour la falaise).
Callipyge : épithète d’Aphrodite, signifiant “qui a de belles fesses”.
Abrupte : lorsqu’on prononce le mot, bien faire sonner le “p” et le “t”.
Concomitante : il n’y a qu’un seul “m”, un seul “t” et, à la différence de “accommoder”, ou de “accompagner”, un seul “c” à l’intérieur du mot. On dit “concomitant de” et non “concomitant à” ou “concomitant avec”.
Amble : allure d’un quadrupède (hameau, girafe, cheval, éventuellement chien), qui déplace simultanément les deux pattes – avant et arrière – du même côté. Cette allure est réputée très confortable pour le cavalier, au point que l’on dressait les chevaux pour les dames – et qui chevauchaient en amazone.
Destrier : cheval de bataille au moyen âge. Le destrier était conduit de la main droite (d’où le nom) par son cavalier, lorsqu’il ne le montait pas.
Palefroi : du bas latin /paraveredus/, de /veredus/, cheval. Cheval utilisé pour la marche, la cérémonie, la parade, par opposition au destrier.
Haquenée : de /Hackney/, village anglais renommé pour ses chevaux. Bien que le nom soit féminin, peut désigner aussi un cheval de taille moyenne, d’allure douce, allant ordinairement l’amble (voir ci-dessus), que montaient les dames.
Equidé : famille de mammifères à laquelle appartient le cheval. Peut se prononcer “ékidé” ou “é-cu-i-dé”. Pour corser la difficulté, on pourra prononcer de la première façon.
Sources : petit dictionnaire Robert, Dictionnaire Bordas des /Pièges et difficultés de la langue française/, par Jean Girodet (Paris 1981), plus diverses consultations téléphoniques auprès de cliniques vétérinaires et clubs hippiques. Cette dictée a été inspirée par les chroniques d’Alexandre Vialatte, en particulier la chronique /Le cheval est une espèce de homard/, /Antiquité du Grand Chosier/, (Paris, Julliard, 1984, p. 163).
II- Enfin à Vienne ! Lundi, dès potron-minet, nous avons piqué vers l’est. Vers midi, nous étions aux portes de Bâle. Puis, après une brève collation – gare à la somnolence postprandiale ! – nous avons poursuivi notre voyage au nord de la Suisse. A la frontière austro-helvétique, nous avons changé nos francs contre des schillings. La route, après l’ascension du col de l’Arlberg et la redescente subséquente dans la vallée de l’Inn, a doucement atterri à quelques kilomètres de la
capitale tyrolienne. Le lendemain, après avoir traversé le saillant bavarois – butte-témoin du Saint Empire romain germanique – nous avons serpenté à travers Haute et Basse-Autriche. Notre terrain de camping, sis au sud de Vienne, évoque déjà la plaine pannonienne. Non loin de là, pérenne sous ses avatars, court le limes. Des Antonins aux Habsbourg on y a toujours monté la garde : face aux Marcomans, aux janissaires, aux armées du pacte de Varsovie. Aujourd’hui, les gardes-frontière ne
surveillent plus que les passages clandestins de pauvres hères : Tsiganes, Kurdes, Chinois… Vienne elle-même abrite une curieuse population : les vendeurs de journaux indiens (entendre les vendeurs indiens de journaux viennois). Etranges vendeurs enturbannés, au profil dravidien, que nous avons vus courir aux carrefours… Au pied de l’église Saint-Charles-Borromée – bâtie en l’honneur du saint éponyme – dans un grand bassin, dôme et colonnes, en leurs icônes inversées, oscillent… Il n’est point, dans cette pièce d’eau, de lascive Aphrodite callipyge ou
d’impudique Vénus anadyomène : une sobre œuvre de Moore répond, seule, aux courbes baroques du tambour. Déjà, la fête du jour s’achève et, sur un ciel en Ouest vêtu comme un Khalife, se silhouette la ligne de faîte de la Forêt Viennoise. Attablés devant un vin blanc de Styrie, nous regardons monter la marée du soir. Noyant d’ombre cariatides et atlantes, rinceaux et rondes-bosses, elle atteint bientôt les acrotères. C’est en vain que les trophées battent des ailes : eux aussi seront engloutis.
*Notes pour la correction* : on s’est, pour l’essentiel, référé aux
ouvrages de
Maurice Grévisse, /Le bon usage/, 11^e édition, 1980, Duculot, ci-après
mentionné /Grévisse/ ;
Jean Girodet, /Pièges et difficultés de la langue française/, 1986,
Bordas, ci-après mentionné /Girodet/ ;
Alain Rey, /Dictionnaire historique de la langue française/, Robert,
1998, ci-après mentionné /Rey/.
*Potron-minet* : expression datant de 1835, et signifiant de grand matin. Potron est une déformation du bas latin posterio, « cul », et minet désigne le chat. Le chat passant pour être très matinal, cette expression peut être interprétée comme «dès qu’on peut voir le cul du chat ». /Rey/, p. 2876 et /Girodet/, p. 618.
*Est, Ouest, Nord, Sud* : lorsque le point cardinal désigne, sans complément, une région, un groupe de pays, il prend une majuscule. Avec complément il garde la minuscule. Même chose lorsqu’il s’agit d’une direction. Le vent d’est. Ex., ici : vers l’est, et le nord de la Suisse. /Girodet/, pp. 292, 528, 553 et 737. Plus loin (le ciel, en Ouest…), le nom ouest porte une majuscule. Mais il s’agit d’une licence poétique, qu’on ne sanctionnera pas.
*Postprandiale* : après le repas. Avec la préposition latine post, signifiant « après » et le nom latin « prandium », déjeuner. Les composés en post s’écrivent en un seul mot sans trait d’union sauf si le second élément commence par un t- (post-traumatique). Exceptions : post-abortum, post-partum, post-scriptum et, sans trait d’union, post mortem. /Girodet/, p. 617.
*Schilling* : le schilling est la monnaie autrichienne. Les monnaies étrangères prennent la marque du pluriel français. /Grévisse/, p. 320.
*Ascension* : attention au groupe « sc », au « en » et au « s » de la dernière syllabe. /Girodet/, p. 68.
*Subséquente* : désigne ce qui vient après dans le temps. /Rey/, p. 3666.
*Inn* : rivière alpestre de 525 km, née en Suisse, se jette dans le Danube à Passau (Bavière). La ville d’Innsbruck (pont sur l’Inn) est la capitale de la province autrichienne du Tyrol.
*Saillant bavarois* : il s’agit, bien entendu, de l’ancienne principauté ecclésiastique de Berchtesgaden, dont la seule voie de communication facile menait plutôt vers la Bavière que vers l’Autriche. En tant que quasi-enclave (prononcer kazi) – à l’image de Constance, elle témoigne de l’enchevêtrement du Saint Empire romain germanique.
*Butte-témoin* : hauteur formée d’une couche dure surmontant des roches tendres, et qui témoigne de l’ancienne existence d’un revers de côte ou d’un plateau. Lorsque les noms composés sont formés de deux noms ou de deux adjectifs, ils prennent tous les deux la marque du pluriel, ex. ici, butte et témoin sont deux noms. /Grévisse/, p. 304. Voir Max Derruau, /Précis de géomorphologie/, p. 307, Masson, 1972.
*Saint Empire romain germanique*(962-1806) : majuscules à Saint et à Empire, minuscules à romain et germanique. Pas de traits d’union. /Girodet/, p. 271.
*Basse-Autriche* : prend une majuscule et trait d’union si la dénomination désigne une unité administrative ou politique bien définie. La Haute-Autriche et la Basse-Autriche sont deux provinces autrichiennes (ayant respectivement Linz et Vienne pour capitales). /Girodet/, p. 99.
*Sis* : du verbe seoir – prononcer soir - (situé). Sis se prononce si.
*Pannonienne* : plaine comprise entre les Alpes orientales et les Carpates et correspondant à une large partie de la Hongrie. Attention à la succession des « n » : deux, puis un, puis deux.
*Avatar* : pas de difficulté d’écriture. Au sens figuré correct, chacun des états par lesquels passe une personne ou une chose au cours du temps. Ne pas employer au sens d’aventure ou d’accident. Vient du sanskrit et désigne les incarnations successives d’un dieu dans la religion hindoue.
*Limes* : prononcer « limesse ». Sous l’Empire romain, zone de fortifications plus ou moins continue bordant la frontière d’une province du côté du monde étranger à la romanité. A l’époque romaine, le limes était dirigé vers le Nord, contre les peuplades germaniques, sous les Habsbourg (de 1526 à 1683) vers le sud-est, contre les Turcs, enfin, de 1947 à 1991, durant la guerre froide, contre les troupes du pacte de Varsovie.
*Habsbourg, Antonins* : les Habsbourg (sans s), ont régné sur l’Autriche de 1278 à 1918, les Antonins (avec s), ont régné sur l’Empire romain de Nerva à Commode, soit la totalité du II^e siècle après J.-C. Pour les règles d’attribution du pluriel aux noms propres, voir /Girodet/, p. 870.
*Marcomans* : ancien peuple germain apparenté aux Suèves. Battus par Drusus en 9 A.C., ils s’installèrent au sud du Danube et finirent par faire la paix avec Commode (empereur romain, fils de Marc Aurèle, qui régna de 180 à 192). Ils sont à l’origine du nom Marmagne, commune de la banlieue de Bourges, dans le Cher (donnée confirmée par la mairie de cette même commune).
*Janissaires* : est l’altération (1546) de jehanicere (1457), lequel est emprunté, par l’intermédiaire de l’italien giannizzero (av. 1470), au turc yeniceri (prononcer Iénitchéri), nouvelle troupe. Troupe d’élite turque, créée dans la 2e moitié du XIVe siècle, et recrutée par l’enlèvement d’enfants de populations chrétiennes.
*Pacte de Varsovie* : avec un p minuscule et un V majuscule, contrairement à Pacte atlantique (P majuscule et a minuscule), désignant l’O.T.A.N. /Girodet/, p. 556.
*Gardes-frontière* : un « s » à gardes, pas de « s » à frontière. Ne pas oublier letrait d’union, contrairement à garde forestier. Ce sont *des* gardes qui surveillent *la* frontière. Mais on peut aussi écrire avec un « s » aux deux mots. On préférera la première graphie. /Girodet/, p. 343.
*Hère* : homme misérable. Ne pas confondre avec haire, chemise de crin.
*Indien, Viennois* : avec une majuscule lorsqu’il désigne un ressortissant de l’Inde. Avec une minuscule lorsqu’il s’agit d’un adjectif, comme ici. Voir, à l’inverse, Tsiganes, Kurdes, Chinois. On préférera la graphie Tsigane à Tzigane.
*Enturbanné* : coiffé d’un turban. Avec deux « n ».
*Dravidien* : relatif aux populations du sud de l’Inde, à la peau noire, mais sans les traits des populations de l’Afrique sub-saharienne.
*Vus* : Lorsqu’un verbe conjugué avec l’auxiliaire avoir, suivi d’un verbe à l’infinitif, est précédé du complément d’objet direct, et que ce c.o.d. est lui-même sujet de l’action exprimée par l’infinitif, comme ici (ce sont les vendeurs qui courent), le participe passé s’accorde en genre et en nombre avec le c.o.d. Ex. : Etranges vendeurs […] que nous avons *vus* courir aux carrefours. /Girodet/, p. 856.
*Eglise* : s’écrit avec une majuscule lorsqu’il s’agit de l’institution
(l’Eglise catholique), avec une minuscule lorsqu’il s’agit du bâtiment
(une église romane) . /Girodet/, p. 856.
*Saint-Charles-Borromée* : archevêque de Milan (1538-1584), contribua à la Réforme catholique et se dévoua lors d’une épidémie de peste. Saint patron de l’Empereur Charles VI de Habsbourg (1685-1740), qui fit bâtir l’église. Ecrire avec traits d’union et majuscules.
*Saint* : avec une majuscule lorsqu’il désigne un lieu, un édifice, une fête, avec une minuscule lorsqu’il désigne une personne canonisée par l’Eglise. /Girodet/, p. 698.
*Eponyme* : qui donne son nom à. L’église Saint-Charles-Borromée de Vienne tire son nom du saint évêque de Milan Charles Borromée. /Rey/, p. 1276.
*Dôme et colonnes* : il n’y a qu’un dôme (avec accent circonflexe) et plusieurs colonnes, dont les deux qui précèdent la façade sont inspirées de celles qui furent élevées, à Rome, à la gloire des Empereurs Trajan (98-117) et Marc Aurèle (161-180). On notera que ce fut précisément à Vienne que mourut Marc Aurèle, en campagne contre des tribus germaniques, notamment les Marcomans.
*Icône* : toujours féminin, avec un accent circonflexe sur le ô. L’adjectif inversées porte donc la marque du féminin pluriel.
*Oscillent* : bien prononcer osci-l-e, et non osci-y-e.
*Lascive* : « qui excite aux plaisirs amoureux » ou « enclin aux plaisirs amoureux ». Attention au groupe « sc ».
*Callipyge* : du grec « kalos », beau, et « pugê », fesse. Signifie donc « qui a de belles fesses ». Trois difficultés : « ll », puis « i », puis « y ». /Rey/, p. 592.
*Anadyomène* : vient d’un adjectif grec signifiant « émergeant de l’eau ». Difficultés : le « y », un seul « m » et l’accent grave sur
l’avant-dernier « e ».
*Moore* : sculpteur anglais (1898-1986). Son style se caractérise par l’utilisation impressionnante des vides et des creux. Attention aux deux « o » et au « e » final.
*Fête*, avec un accent circonflexe. Ne pas écrire comme *faîte* (voir plus loin), sommet d’un édifice, d’un toit, et, par extension, partie la plus élevée de quelque chose de haut.
*Khalife*, ou calife : souverain musulman succédant à Mahomet. Le membre de phrase est inspiré de Saint-John Perse (/Chronique/, VII, p. 402, Gallimard, Bibliothèque de La Pléiade, 1972). On appréciera la graphie khalife plutôt que calife, et, s’il se peut, la majuscule. L’image compare la splendeur du coucher de soleil avec la somptueuse parure du dignitaire musulman.
*Silhouette* : vient du nom du Contrôleur général (ministre des finances) Etienne de Silhouette (1709-1767), en charge de son ministère de mars à novembre 1759, chansonné pour ses projets d’économie. On a supposé sans preuve que l’expression évoquait le fait qu’Etienne de Silhouette avait l’habitude de tracer ce genre de profils. Ne pas oublier le « h » après le « l » et les deux « t ». Le verbe a d’abord été relevé chez Sainte-Beuve en 1857. /Rey/, p. 3508.
*Forêt Viennoise* : bien que couverte de bois, il s’agit, tout comme la Forêt Noire, d’un massif montagneux, en l’occurrence les derniers contreforts des Alpes. Deux majuscules et pas de trait d’union.
*Styrie* : une des provinces autrichiennes, située au sud-est du pays, ayant Gratz pour capitale.
*Cariatide* : statue de femme tenant lieu de pilastre ou de colonne. A préférer à caryatide, plus rare. /Girodet/, p. 138.
*Atlante* : équivalent masculin de la cariatide. Pas de majuscule, comme pour l’habitant de l’Atlantide, pas de « h » comme dans athlète.
/Girodet/, pp. 74 et 138.
*Rinceau, rinceaux* : ornement sculpté ou peint composé de branches, de feuilles, de fruits en enroulement, servant principalement à la décoration des frises et des pilastres. /Rey/, p. 3256.
*Ronde-bosse* : donne, au pluriel, des *rondes-bosses*. Sculpture ne s’appuyant pas à une surface plane, et qu’on peut donc voir de tous côtés, à la différence du haut-relief ou du bas relief. On dit, sans trait d’union, une sculpture en ronde bosse, mais, avec un trait d’union, une ronde-bosse. /Girodet/, p. 691.
*Acrotère* : Sorte de piédestal sans ornement, servant de socle, placé au-dessus d’une corniche, notamment aux extrémités ou au faîte d’un fronton. /Glossaire des termes techniques/, p. 32, La nuit des temps, Editions Zodiaque, 3^e édition. On dit un acrotère. /Girodet/, p. 17.
*Trophée* : masculin, bien que terminé par un e muet. S’emploie, à partir du XVIe siècle, dans le domaine de la représentation artistique pour un groupe d’attributs divers servant d’ornement et se spécialise pour « motif décoratif formé d’armes, de drapeaux, groupés autour d’une armure. /Rey/, p. 3932. En Autriche, les trophées incluent parfois des aigles dans la décoration, d’où l’image.