La saga Dexia est un véritable thriller digne des plus grandes productions hollywoodiennes. Toutes les
« ingrédients » s’y retrouvent : deux petites banques qu’on décide de marier pour le meilleur – elles connaîtront le pire –, une nouvelle monnaie qui ouvre un marché jamais égalé
de 300 millions de personnes, des managers jeunes et ambitieux voulant transformer le nain en géant. Et, bien sûr, tous les moyens sont bons. Cependant, ils ont oublié la fable de la grenouille
plus grosse que le bœuf. Tout cela serait risible, si cela ne provoquait des drames sociaux et l’éventuelle faillite des pouvoirs régionaux et locaux français et belges.
Dexia est exemplaire de la faillite du néolibéralisme.
Dexia est un enfant de l’Europe néolibérale. Elle fut fondée par un haut fonctionnaire français du nom de
Pierre Richard (à ne pas confondre avec l’acteur…) bardé de diplômes, cabinetard sous les gouvernements Chirac puis Balladur, irrésistiblement attiré par les sirènes du privé, bref, le parfait
petit soldat du capitalisme triomphant.
Pierre Richard ou la folie des grandeurs
Pierre Richard commença sa « carrière » de banquier au Crédit local de France qu'il avait créé en
1986 en le séparant de la Caisse de dépôts et de consignation. En octobre 1987 il en fut président du directoire, puis PDG en décembre 1993, à la suite de la privatisation dont il fut le maître
d’œuvre, sous Balladur.
Privatisation ? 1993 ? Il y a un lien : les débuts de l’Acte unique, la fameuse
« Europe 1992 » lancée par le président de la Commission européenne de l’époque, Jacques Delors (père de Martine Aubry), qui instaura la libéralisation par la fin des barrières
douanières, la libre circulation des capitaux, des biens et des services et, dans une moindre mesure, des hommes.
Jacques Delors : le père de l'Acte unique ou de l'Europe néo-libérale
Une vague de privatisations envahit toute l’Europe. Le grand marché fondé par l’Acte unique suscite toutes
les convoitises et particulièrement celles des banques. Dans l’Europe d’alors qui ne comptait pas encore les pays de l’Est, il fut procédé à la privatisation de toutes les banques par la
suppression du secteur public de crédit. Ensuite, les grands groupes bancaires lancèrent des OPA sur les banques privatisées qui étaient bien entendu de trop petite taille pour s’imposer dans
le marché unique. Les banques qui avaient choisi le « stand alone » connurent très vite des déboires.
Dexia est née de l’alliance en 1996 du Crédit communal de Belgique (CCB) et du Crédit local de France
(CLF). En outre, le CCB et le CLF, bien que désormais banques privées, finançaient toujours les pouvoirs locaux. Une banque privée qui gère l’argent public !
Il y avait une différence fondamentale entre le CCB et le CLF. Le CCB, avec son nombreux réseau d’agences
en Belgique, était une banque de dépôts provenant des entreprises et des particuliers, qui prêtait aux communes pour leurs investissements. Le CLF empruntait sur le marché financier pour
ensuite prêter aux communes. Cette pratique a été étendue avec la création de Dexia et sous la férule de Pierre Richard.
Un "11 septembre" bancaire
Vint ensuite la mégalomanie. Richard voulut transformer sa banque franco-belge en une grande institution
financière internationale. Il déclara à l’époque, juste avant l’introduction de l’Euro (le Monde du 6 octobre 2011) : « L’euro sera un tremblement de terre pour
les banques. Les établissements de taille moyenne vont disparaître et on va assister à de gigantesques restructurations. »
Dexia : un "11 septembre" bancaire ?
Le séisme a eu des effets bien plus destructeurs que ce que prévoyait Pierre Richard !
Il fit racheter par Dexia de petites banques étrangères, notamment en Turquie et aux Etats-Unis. De plus,
il ajouta au groupe Dexia l’activité de banque commerciale et la gestion d’actifs. Tout cela pour un coût de 8 milliards. D’autre part, les régions et les municipalités furent
« invitées » à souscrire à des produits « structurés », c’est-à-dire des crédits aléatoires purement spéculatifs, ce qu’on appelle des « actifs toxiques ». En
Belgique, Dexia alla même jusqu’à promettre des taux de 13 % sur ces fameux actifs. C’est l’euphorie : Dexia qui pesait 5 milliards d’euros en Bourse en 1996 passe à 17 milliards en
octobre 2000. Mais il y a un hic…
Il faut recapitaliser. Là, la partie belge commence à rechigner. Cela va trop loin. Richard
est remplacé par le Belge Axel Miller, mais reste toujours au Conseil d'administration.
Axel Miller ne plaisait pas aux Français.
Arrive la crise des subprimes en 2008. Les gouvernements belge et français
ont dû puiser 3 milliards d’Euros chacun dans la caisse et donner des garanties pour sauver et puis maintenir Dexia à flot. Axel Miller passe à la trappe – Sarkozy voulait sa peau – et est
remplacé par le duo composé du Français Pierre Mariani, comme administrateur délégué et de l’ancien Premier ministre belge, Jean-Luc Dehaene, nommé Président du Conseil d’administration.
Le clan Sarkozy
Le tandem Mariani - Dehaene est mené par Mariani.
Pierre Mariani est un proche de Sarkozy. Il fut son directeur de cabinet lorsqu’il était ministre du budget
sou Balladur. C’est donc un homme de la « caste ». Tout va pour le mieux dans la meilleure Sarkozie … A part qu’en réalité, Dexia a besoin de 260 milliards d’euros. Tout cela
n’empêche cependant pas Dexia de poursuivre sa dérive. Dehaene a vieilli. Il est député européen, administrateur de plusieurs sociétés, entre autres le brasseur belgo-brésilien INBEV, etc, en
plus de Dexia. C’est beaucoup pour un seul homme. Il se laisse manifestement manipuler par Mariani qui fait la pluie et le beau temps. Les Belges comptent pour du beurre. Il est vrai que les
Français ne leur pardonnent pas l’éviction de Richard… L’Europe se construit ! Cependant, comme l’écrit Mediapart : « La nouvelle direction, co-détenue par le
Belge Jean-Luc Dehaene et le Français Pierre Mariani, n'a eu, tout ce temps, que le rôle de syndic de faillite, chargé d'éteindre en douceur toutes les dérives du passé. Comme toutes les autres
banques, comme les Etats européens, elle a cherché à s'acheter du temps. Les marchés boursiers, longtemps aveugles sur l'état de santé réelle de la banque, ne s'y sont pas trompés. Depuis 2008,
l'action Dexia n'a jamais dépassé les 5 euros. »
Jean-Luc Dehaene : Dexia, le mandat de trop ?
2008 n’est pas encore terminé qu’une autre crise se profile à l’horizon : celle des dettes souveraines
et particulièrement celle de la Grèce. Et, cela va sans dire, Dexia se retrouve dans la tourmente. Et, bien entendu, comme l’Europe n’a édicté aucune règle pouvant servir de garde-fous, les
banques ont continué à faire n’importe quoi et Dexia en particulier. Résultat : la crise bancaire est toujours là. Tout cela a fini par inquiéter les dirigeants européens. Aussi, ont-ils
décidé de faire un audit de la situation des banques en juillet 2011. La Commission européenne a imposé ce qu’on a appelé les « stress tests », c’est-à-dire un test de solvabilité, à
toutes les banques de la zone Euro. Le résultat est risible. Il ne manque que 2,5 milliards d’euros répartis entre neuf banques européennes pour leur permettre de faire face à une
situation économique plus grave. Dexia, bien entendu, a passé ce « grand oral » haut la main : avec un ratio de plus de 11% de fonds propres, elle paraissait
même être une des mieux capitalisées du système bancaire européen. Sinistre plaisanterie. On peut même se poser la question de l’honnêteté et de l’objectivité de cette mascarade.
Cependant, la facture est là. Dexia se trouve être insolvable. « Libération » dénonce le 17
septembre la pratique des prêts à risques aux collectivités locales. Dexia n’a en rien freiné ses recours à des produits « dérivés » ou « actifs toxiques. Dès lors, comme le
dénonce ATTAC France, le problème central est le devenir de ces actifs toxiques de Dexia. Alors, où va-t-on ? C’est le démantèlement de Dexia qui est à l’ordre du jour. Le
gouvernement français essaye de refiler Dexia France à la Banque postale et à la Caisse de dépôt et de consignation de reprendre les actifs. Celles-ci refusent. Du côté belge, il a été décidé
de nationaliser Dexia banque. Bref, on en revient à l’ancien Crédit communal de Belgique…
Quant aux actifs toxiques, c’est la bouteille à encre. L’idée est de les séparer des actifs
« sains » et de les mettre dans une banque résiduelle ou « bad bank » (chaque crise génère son néologisme). Dexia s’est débarrassé d’une partie de ces « pommes
pourries » après 2008, mais en a ajouté d’autres en achetant, entre autres des obligations d’Etat grecques en grande quantité, puisqu’elles assuraient un rendement plus important que
les autres. Autrement dit, que ce soit avec les produits dérivés ou les titres de dettes souveraines, Dexia a poursuivi sa stratégie spéculative envers et contre tout.
Finalement (jusqu'à quand ?), un accord est intervenu dimanche 9 octobre entre Fillon et Leterme. La
Belgique rachète Dexia banque Belgique pour 4 milliards d'Euros, le gouvernement français crée Dexia - agence municipale pour 0,7 milliards d'Euros qui sera sans doute reprise par La Caisse des
Dépôts et des Consignations et la Banque Postale. Enfin, des garanties pour 90 milliards d'Euros (!) sont données pour la «bad bank», dont la Belgique assurera 60,5 %. Sarkozy s'en tire à bon
compte : en principe, ce serait aux Français à garantir ce qu'ils ont généré : en effet, les actifs toxiques ont été décidés et achetés au niveau français. Les administrateurs belges étaient
aux abonnés absents... ou n'ont rien voulu voir, ou se sont faits tout simplement rouler. Le lendemain de l'accord, Dehaene démissionne. Cela commence bien pour le futur (?) gouvernement Di
Rupo... Faire passer l'austérité après cette sinistre plaisanterie sera quelque peu difficile !
Yves Leterme et Didier Reynders se sont faits rouler !
Tout cela prouve l’échec du « grand marché » tel qu’il a été conçu.L'écroulement
de Dexia, qui se targuait d'incarner la grande Europe en construction, celle du marché unique et du marché tout court, pourrait marquer la même rupture. Sa faillite renvoie à l'aveuglement et
au déni des autorités européennes depuis le début de la crise de 2008. Les Etats européens, qui n'ont cessé de temporiser, sont rattrapés par la réalité. Il leur faut maintenant trouver une
réponse dans l'urgence.
Le fameux adage « too big to fail » est désormais démenti avec Dexia. La folie des grandeurs de
Pierre Richard et de ses successeurs a conduit Dexia à sa perte. C’est la faillite, il n’y a pas d’autre mot.
Pour un secteur public européen du crédit
Nationaliser Dexia banque, comme vient de le faire la Belgique, et sans doute d’autres organismes
financier – car on peut être certains que d’autres banques vont suivre – ne suffit pas. Cela revient à socialiser les pertes pour privatiser ensuite les bénéfices lorsque les choses seront
quelque peu redressées.
Il est indispensable d’organiser un secteur public européen du crédit. C’est la seule manière de contrôler
ces géants aux pieds d’argile. Et, en passant, sanctionner sévèrement les responsables de ce gâchis qui ruinent les Etats, l’économie et génèrent la misère. Les banquiers ont diversifié leur
métier : ils sont devenus assureurs, investisseurs, spéculateurs. Qu’ils en reviennent à leur métier de base : la banque et qu’ils le fassent convenablement. Il est indispensable
d’organiser un contrôle public et strict des activités bancaires et boursières en faisant de la Commission bancaire et de la Commission de la Bourse de véritables polices avec des magistrats
spécialisés. Et enfin, on commence à l'évoquer, séparer une fois pour toutes les activités de banques de dépôt, des activités commerciales et spéculatives. En clair, sauver l'économie réelle en
rejetant une fois pour toutes la financiarisation.
Mais, tout cela ne suffit pas. C’est un système qu’il faut revoir. Il sera évoqué dans un prochain
article.
Pierre Verhas