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25 mars 2023 6 25 /03 /mars /2023 06:01

Au lycée, je n'ai éprouvé aucun goût particulier pour l'écriture, que ce soit dans les cours de français ou de philo. Il n'y a qu'en anglais que je me déchaînais parce que j'y voyais quelque chose de sportif. Comme il y a prescription, je peux dire que je battis mon record en terminale, lors d'une composition d'anglais de deux heures où j'écrivis un essai de six pages, puis pour un copain un essai de quatre pages, dans un style complètement différent et avec des fautes.

 

En 1970, j’ai pu rédiger mon premier livre, L’autre Angleterre, encouragé en cela par Bernard Cassen qui avait été mon professeur à Amiens (et dont la carrière se poursuivrait à Paris 8 et au Monde Diplomatique dont il serait le directeur) et qui m'avait très efficacement initié à la civilisation britannique et à la rigueur intellectuelle.

 

Un (long) mot sur Bernard Cassen. Quand nous nous sommes connus, j'avais 19 ans et lui 30. J'en ai quasiment 75 et lui 85. Il s’agit certainement de l’homme qui a exercé la plus forte et durable influence sur moi. Lorsqu’il débarqua en 1967 à la Faculté des Lettres d’Amiens, je vis tout de suite qu’il était doué d’une personnalité hors du commun. Il avait été reçu premier à l’agrégation d’anglais en se permettant de faire une dissertation de quatre pages, tant son esprit de synthèse était exceptionnel, et il venait d’être nommé maître-assistant après avoir enseigné au lycée Henri IV et à la Sorbonne. Il nous donnait des cours de civilisation britannique, et c’était passionnant. Il venait d’un milieu modeste des Landes (son nom signifie “ chênaie ” dans le patois local). Ses parents, employés, s’étaient établis à Argenteuil, en banlieue parisienne, pour trouver du travail. Tous deux étaient des militants communistes purs et durs. Bernard sera d’ailleurs, pendant longtemps, compagnon de route du Parti Communiste. Nous devînmes amis à l’occasion des “ événements ” de Mai 68, un mouvement d’abord estudiantin, puis social et politique, qui dura deux mois et qui fit trembler le régime sur ses bases (je me souviens de la première manif’ à Amiens, dans la Rue des Trois Cailloux, en compagnie d'Alain Bombard, ce médecin qui avait traversé l’Atlantique dans un canot pneumatique en se nourrissant de plancton, d'eau de mer et de quelques poissons). Pendant ces deux mois de lutte, je compris tout de suite à quel point Cassen avait un sens politique rare, sachant devancer l’événement car il comprenait parfaitement ce qui se passait, et faisant preuve d’un jugement très lucide sur les hommes et les femmes. L’année suivante, je passai ma licence d’anglais assez facilement (je profitai de mes loisirs pour rédiger un mémoire de maîtrise sur les Beatles sous la direction d’André Crépin) et je m’apprêtai à partir pour un an en Grande-Bretagne, enseigner le français à la Tadcaster Grammar School où j’avais été brièvement lycéen. Mes valises étaient quasiment bouclées lorsque je reçus un coup de téléphone de Cassen qui me dit : « viens me rejoindre à Vincennes où, avec quelques autres, nous avons fondé une université et où l’on a besoin de gens comme toi. » Il me donna une heure pour réfléchir, me forçant légèrement la main, il faut bien le dire. Avant même de prendre ma décision, je sentis que mon destin allait basculer. Si je partais pour Tadcaster, j’allais peut-être passer toute ma vie comme professeur de français en Angleterre, pays qu’à l’époque j’aimais beaucoup – c'était avant Thatcher – et que je commençais à connaître vraiment bien. Si je choisissais Vincennes, je me dirigeais vers une carrière universitaire sous la tutelle très efficace de mon ami Bernard. Je choisis de rester en France et défis mes valises.

 

 

Lui et moi devions écrire un livre ensemble sur les mutations politiques et culturelles dans les années soixante, pour la prestigieuse collection U2 chez Armand Colin. Cassen se serait chargé de la politique, et moi de la culture. Mais le mandarin qui dirigeait cette collection, Paul Bacquet, avait refusé ma collaboration au motif que je n’avais qu’une maîtrise. Très correct, Cassen retira le projet et me présenta aux gens de Bordas. Plus particulièrement Jacques Bouillon. Ce fut pour moi un grand honneur et un grand plaisir que de travailler son sa direction : Bouillon était en effet l'auteur de manuels d'histoire que j'avais utilisés au lycée comme quantité d'autres élèves de France.

 

Le livre parut en 1971. J’avais à peine vingt-trois ans et la très grande joie de pouvoir livrer à un public que j’espérais important le fruit de mes connaissances, de mes expériences, de ma sensibilité, de mes convictions. J’avais intitulé la première partie du livre “ Les autres Anglais ”. J’y passais en revue tous les Anglais qui n’entraient pas dans le moule dominant : les immigrés, les Teddy boys, les hippies., les skinheads. Dans la deuxième partie, “ L’autre Culture ”, je parlais des mouvements culturels nés à la marge : le théâtre et le cinéma de contestation, le pop art et, bien sûr, la pop music. Mon livre se vendit à environ 5000 exemplaires. Je me souviens qu’un hebdomadaire d’extrême gauche, Politique Hebdo, pour qui, par la suite, j’allais écrire quelques articles, lui consacra deux pleines pages, tandis que l’ami Cassen se fendit d’une vingtaine de lignes pour Le Monde. Cette expérience d’écriture survenait après quelques autres. Ainsi, j’avais publié mon premier article sérieux en 1969 dans un hebdomadaire anglais dont j’étais un fidèle lecteur, New Society. L’article s’appelait “ Yé Yé and After ” ; j’y brossais un rapide tour d’horizon de la musique yé-yé française, en repérant que sa figure de proue, Johnny Halliday, était un caméléon au sens où il ne créait rien de personnel, se contentant de suivre, avec talent certes, les modes musicales. Et comme, en cette décennie très bouillonnante, les modes changeaient à peu près tous les six mois, son fonds de commerce était garanti.

 

Bref, après l’écriture de L’autre Angleterre, il m’est clairement apparu que j’aimais écrire, dès lors que j’écrivais sur ce qui me motivait. De fait, ce serait une véritable règle de vie chez moi : toujours tenter d’associer l’effort et le plaisir. Par exemple, si j’ai régulièrement pratiqué le vélo – j’évalue avoir fait au moins 80 000 kilomètres sur deux roues – ce qui n’est pas mal pour quelqu’un qui n’est pas sportif, d’autant que le vélo est une activité physique plutôt exigeante (« c’est dur, le vélo, disait Coluche, qu’est-ce qu’il faut être con pour aimer ça ! ») ­, c’est parce que j’ai toujours voulu éprouver du plaisir à pédaler. Plaisir physique et plaisir esthétique : ressentir les paysages, respirer le bon air. Donc, jamais de home trainer.

 

Souvenirs (3) : trouver du sens à l'écriture
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24 mars 2023 5 24 /03 /mars /2023 06:01

S’il est un être humain qui me fascina quand j’étais enfant, au moins autant que Gérard Philipe, c’est bien Jacques Anquetil (et le Gilbert Bécaud des années 50, mais c'est une autre histoire).

 

Il était doué pour le vélo comme Heifetz pour le violon ou Horowitz pour le piano. Il gagna son premier Tour de France en 1957 à l’âge de 23 ans après avoir surclassé, quatre ans durant, tous les champions de l’époque dans les courses contre la montre. Sur la photo ci-dessous, il a 19 ans. Nous sommes en 1953 et Fausto Coppi, le campionissimo de l'époque, vient de remporter le Trophée Baracchi associé à Riccardo Philippi. Ce trophée est la plus célèbre course contre la montre courue à deux. Anquetil, de concert avec Antonin Roland, qui eut beaucoup de mal à suivre la cadence imposée par son coéquipier, termina second. Cette photo est prémonitoire car Coppi sait exactement à qui il serre la main et que ce gringalet – physiquement, il n'avait rien d'impressionnant – ira loin. Á la fin du Baracchi, Antonin Roland déclara :  « C'est le plus formidable rouleur que j'aie jamais vu. Je l'ai relayé pendant les trente premiers kilomètres, après je n'ai pas pu passer...Et pourtant je marchais bien. » Anquetil roula donc devant son coéquipier pendant 72 kilomètres.

 

Sur le vélo, il avait un style inimitable de pureté, de beauté, si bien que, dans un peloton de 100 coureurs, on le reconnaissait instantanément. Il allait dominer le cyclisme mondial une douzaine d’années durant, sans jamais être vraiment populaire. Il symbolisa une certaine France élitiste et technocratique qui gagne, mais on n'aime pas toujours les premiers de la classe, contre Raymond Poulidor, son éternel second, qui fut dans les années soixante l’un des trois personnages les plus populaires du pays avec De Gaulle et Brigitte Bardot et qui, quant à lui, incarna une France rurale en voie de disparition, cette France que l’on retrouvait tous les matins dans l’émission de Pierre Bonte, “ Bonjour Monsieur le Maire ”, sur les antennes d’Europe n° 1. Puis-je mentionner, que, politiquement, ils n’étaient pas à front renversé : Anquetil modéré, le patron du peloton ; Poulidor cégétiste, lecteur de L'Humanité.

 

Plus tard, je découvrirai les tenants et les aboutissants de sa vie privé en me disant que sous la glace il y avait un feu d'enfer. Mais cela ne nous regarde pas… bien que tout ait été écrit sur cette intimité insensée.

 

J'ai rencontré le champion du monde de boxe Alphonse Halimi, en 1957. Halimi était un pied-noir d’origine très modeste qui s’était sorti de la misère en enfilant des gants de boxe.

 

Il venait de remporter le championnat du monde en battant un Irlandais et en s’écriant « j’ai vengé Jeanne d’Arc », ne sachant pas qu’elle avait été brûlée, non par les Anglais, mais par des Français et que plus ennemis que les Anglais et les Irlandais, tu meurs. Pour arrondir ses fins de mois, Halimi faisait tous les soirs une exhibition de ses talents sur la piste du Cirque Pinder, à l’époque l’un des deux grands cirques français (avec le clown Zavatta qui nous faisait mourir de rire). Un jour que ce cirque s’était arrêté à Hénin-Liétard, Halimi était venu nous rendre visite à l’école Voltaire. Il était très gentil, à peine plus grand que nous (il appartenait à la catégorie des poids coq). Des élèves avaient écrit pour lui un compliment et le lui avaient remis. En le prenant, il dit, à ma grande surprise : « Merci beaucoup les enfants, mais je ne sais pas lire. » Pour moi qui étais fils et petit-fils d’instituteurs, qui avais su lire couramment à l’âge de cinq ans, qui avais une grand-mère tout juste titulaire du Certificat d’Études mais qui ne faisait jamais une faute d’orthographe et qui avait su lire couramment dès l’âge de cinq ans, il était inconcevable qu’un adulte, qui plus est champion du monde, fût illettré. Dans les décennies suivantes, le nombre d’illettrés ne ferait malheureusement que croître dans notre beau pays.

Souvenirs (2) : Jacques Anquetil et Alphonse Halimi
Souvenirs (2) : Jacques Anquetil et Alphonse Halimi
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23 mars 2023 4 23 /03 /mars /2023 06:01

Je commence ici une série – qui ne sera pas trop longue – où je vais aller à la pêche aux souvenirs. Ce n'est pas pour moi l'heure des bilans, du moins je l'espère. Dans mon esprit, il s'agissait de m'adresser à Raphaëlle et Rébecca, de leur parler de ma vie, bien remplie avant elles, personnellement et professionnellement. De leur parler par écrit car scripta manent. D'évoquer mes réussites, mes échecs, mes expériences (même si je sais que l'expérience n'est guère transmissible). Heureusement, d'ailleurs, car, comme disait Confucius, “ l'expérience est une lanterne que l'on porte sur le dos et qui n'éclaire jamais que le chemin parcouru. ”

 

J'avais 54 et 56 ans quand elles sont nées. Pour elles, je viens d'un monde perdu, qui n'a jamais existé. D'où des réflexions du genre : “ il n'y avait qu'une seule chaîne à la télé quand tu étais enfant ? ” Hé oui, mais ce n'était pas grave parce qu'on n'avait pas la télé. Comment pourraient-elles comprendre que j'ai perfectionné ma technique vélocipédique sur un terril désaffecté ? Que chez le crémier il n'y avait qu'une sorte de yaourts et de petits-suisses (excellents, d'ailleurs et bien moins trafiqués que ceux d'aujourd'hui) ? Que dans ma classe en primaire, dans mon Pas-de-Calais natal, nous étions tous blancs et que les seuls descendants d'immigrés étaient des Polonais encore plus blancs que nous ? Du coup, je me suis dit, genre, et si j'en faisais profiter mes quelques centaines de lecteurs réguliers ?

 

Je vais commencer court, non par un souvenir (on n'a pas de souvenirs avant l'âge de quatre ans, à la rigueur quelques éclairs) mais par un petit miracle, laïc évidemment. Je suis né à 7 mois et je pesais moins de quatre livres. Il n'y avait pas de couveuse dans le coin. Mon père avait imaginé de me faire dormir entre deux briques chauffées au four, et entourées de papier journal, évidemment. Comme dans un premier temps je refusais tout lait, y compris celui de ma mère, le docteur avait prescrit des piqûres d'eau de mer, du sérum, quoi, sous la peau du ventre. Mon père, qui n'avait jamais piqué qui que ce soit, dut s'y mettre car aucune infirmière n'avait osé officier sur une petite créature aussi chétive. Je ne mourus pas et comme ensuite j'acceptai le pelargon, je commençai à croître normalement. Je l'avais échappé belle, d'où le sourire radieux de mon père dans la photo ci-dessous. Et mes bonnes joues.

 

Au Nord, c'était les corons...

 

En 1949, mes parents louent une petite maison à Drocourt, à deux kilomètres d'Hénin-Liétard, juste en face d’une cokerie qui crache une infecte fumée vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Lorsque les habitants font sécher des draps dans la cour, ils sont jaunes en moins d’une heure. Cette usine sera dirigée, une quinzaine d’années plus tard, par l'ingénieur Paul Richirt, un ami de mes parents, le mari d’une de mes professeurs de latin avec qui je suis amie depuis 60 ans.

Souvenirs (1)
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15 mars 2023 3 15 /03 /mars /2023 06:01

Par Reporterre

 

Les familles et proches des prolétaires morts au travail se sont rassemblés à Paris pour demander les mesures qui pourraient mettre fin à cette hécatombe.

 

Adrien, Hugo, Flavien, Romain, Jérôme, Mohamed… Du mégaphone s’échappe une interminable série de prénoms. Comme pour les accompagner dans l’air froid parisien, les pétales rose pâle d’un prunier myrobolan s’envolent à leur tour dans les bourrasques. Et puis, d’une même voix fragile, les familles s’écrient : « Morts au travail ! »

 

Le 4 mars, une centaine de femmes et d’hommes vêtus de t-shirts blancs ont occupé le square d’Ajaccio, du 7ᵉ arrondissement de Paris. Répondant à l’appel du collectif Familles : Stop à la mort au travail, tous dénonçaient le déni et le silence entourant les accidents mortels au travail. Une larme ruisselant sur la joue, les yeux clos ou fixant le béton glacial, ils arboraient les portraits souriants de leurs proches défunts.

 

Parmi eux, celui de Romain Torres et sa petite bouille d’adolescent au sourire angélique. Le 28 juin 2018, dans une forêt reculée d’Alsace, ce jeune stagiaire bûcheron a été mortellement percuté par un tronc. « Il adorait se promener dans les bois et construire des cabanes. Son rêve était de devenir garde forestier à l’ONF [Office national des forêts] », témoigne Sabine, sa mère.

 

Jugé, son maître de stage a été condamné à deux ans de prison avec sursis et 2 000 € d’amende. Il a été reconnu coupable de quatre infractions aux règles de sécurité. « Romain n’avait que 17 ans. Il faut témoigner, dire que des élèves peuvent mourir en formation. Les apprenants doivent protéger nos enfants. »

 

 

De jeunes ouvriers morts au travail

Des histoires comme celle-ci, Matthieu Lépine en a recensé 1 399, entre 2019 et 2022. Professeur d'histoire en Seine-Saint-Denis, il est l'auteur d'une enquête sur les morts au travail, appelée L'Hécatombe invisible (Le Seuil). « Les agriculteurs et ouvriers agricoles figurent parmi les plus touchés, souvent victimes des engins manipulés, comme le petit Arthur, écrasé par le bras mécanique d’un tracteur à 14 ans, détaille-t-il. D’autres métiers ne sont pas en reste, comme les bûcherons, les marins-pêcheurs ou les routiers. Et bien sûr, en première ligne, il y a les ouvriers du BTP. »

 

Roses blanches et portraits plastifiés recouvrent désormais la clôture métallique du square. Accroupie, un poster de son fils sous le bras, une femme bataille avec un rouleau de scotch. Les mains anesthésiées par le froid, elle s’impatiente et éclate brusquement en sanglots. Valérie Wasson a perdu son garçon de 21 ans en mai 2020. Ingénieur stagiaire pour le groupe Fayat, il travaillait depuis trois jours sur le chantier du RER E, à Pantin : « Il a été envoyé seul sur un toit pour ramasser des câbles. On l’a retrouvé six mètres plus bas. »

 

Dès lors, la famille Wasson s’est lancée dans une bataille pour obtenir justice et réparation. En première instance, le groupe a écopé de 240 000 € d’amende pour homicide involontaire et a immédiatement fait appel. « Ils jouent du système judiciaire pour nous épuiser jusqu’à l’abandon. C’est comme ça qu’ils évitent les vagues face aux familles précaires. C’est parti pour durer dix ans, mais on ne lâchera rien », promet Valérie.

 

À côté de la photo de Jérémy repose celle de Maxime Wagner. Père de deux enfants, il s’est éteint à l’âge de 37 ans sur l’un des 170 chantiers du Grand Paris. Intérimaire pour une filiale de Vinci, il participait à creuser le tunnel du prolongement de la ligne 14.

 

Dix mois plus tard, Abdoulaye Soumahoro, ouvrier d’Eiffage de 41 ans et papa de trois enfants, a chuté dans un malaxeur à béton situé à 30 mètres de profondeur sur le chantier de la ligne 16. Percuté par une barre métallique de plusieurs centaines de kilos, un homme de 61 ans a allongé la funeste liste du Grand Paris le 5 janvier 2022, sur le chantier de la future station Pleyel, à Saint-Denis.

 

« Et tout ceci n’est que la partie émergée de l’iceberg. Pour les travailleurs détachés ou sans-papiers, les Moldaves, les Serbes ou les Ukrainiens, le Grand Paris est un carnage invisible et gratuit, assure Frédéric Mau, secrétaire fédéral de la CGT, les oreilles emmitouflées dans son bonnet. Les morts sont discrètement renvoyés dans des boîtes en carton vers leur pays d’origine, et on affrète des charters pour les mutilés. »

 

De jeunes ouvriers morts au travail

À l’écart de la foule, Viktoriia Obydniac est immobile, l’air hagard. Son mari, Roman, est mort d’une chute sur un chantier de BTP en Seine-et-Marne. Elle tente depuis d’affronter la barrière de la langue et de l’accès au droit. Son époux n’ayant pas de numéro de Sécurité sociale permanent, les démarches s’enlisent : « Elle dit qu’elle n’a toujours rien perçu et qu’elle tente de s’en sortir comme elle peut pour nourrir ses deux enfants, traduit la femme qui l’accompagne. Certains collègues de son mari l’aident à payer son loyer, mais la plupart l’ont ostracisé par peur de représailles du gérant, s’ils venaient à dénoncer les conditions de travail. »

 

Le collectif a ensuite été reçu, près de trois heures durant, au ministère du Travail, à quelques pas du square d’Ajaccio. Parmi la liste de doléances déposées : la création d’une cellule d’urgence offrant un soutien psychologique et juridique aux familles meurtries, le décompte transparent des accidents ou encore le retour des comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), disparus en 2020. « En France, nous sommes 25 millions d’actifs pour 1 700 inspecteurs du travail, déplore un syndiqué. Les morts sont loin d’être une fatalité. Finissons-en avec cette inacceptable absence de contrôle. »

De jeunes ouvriers morts au travail
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9 mars 2023 4 09 /03 /mars /2023 06:01

Par Régis de Castelnaud

 

L’affaire Palmade qui ne quitte pas la première page des gazettes nous donne finalement une leçon très politique. Nous avions dit dans ces colonnes ce que l’on pouvait en penser moins en ce qui concernait la dimension « faits divers » et les conséquences judiciaires de la tragédie que sur ce qu’elle pouvait révéler concernant certaines mœurs des couches supérieures de la société, pas seulement dans le domaine du show-business. Et puis il y a eu également la réaction de la caste face à la réaction de l’opinion publique.

On assista d’abord à un regroupement visant à minorer la responsabilité du comédien en le présentant comme une victime. Puis devant l’horreur des conséquences de l’accident et l’avalanche de révélations témoignant d’une manifeste dépravation physique et morale, la peur de l’amalgame provoquait l’abandon en rase campagne de Pierre Palmade, présenté comme indéfendable. Nettoyage urgent des réseaux sociaux pour faire disparaître toutes les photos compromettantes, déclarations vengeresses, compassion surjouée pour les victimes : vite, vite, prenons nos distances avec le boulet. C’est qu’il ne fallait surtout pas que le bon peuple s’imagine que la consommation de cocaïne et de stimulants chimiques pour accompagner des pratiques sexuelles (« chemsex ») étaient généralisées et monnaie courante dans certains milieux, et pas seulement dans le showbiz.

Peine perdue, parce que la première question qui venait à l’esprit à poser aux belles âmes était simple : vous saviez tout, pourquoi n’avez-vous rien fait, alors que vous prétendez aujourd’hui être étrangers à ces pratiques et ses comportements ? Et en fait, la réponse est tout aussi simple, les couches supérieures de la société et en particulier celles du monde politique, des médias et du spectacle sont profondément gangrenées. D’abord par des modes de vie ou la transgression est considérée comme normale. Ensuite parce que cette transgression est traitée comme telle par un système qui nourrit un sentiment d’impunité, les comportements illégaux étant vécus comme un privilège lié à la position sociale. Alors certes, Pierre Palmade usait de ces dérives de façon paroxystique, mais son milieu semblé n’y voir d’inconvénient puisqu’il tolérait ça très bien et se gardait surtout d’intervenir. Dans l’enchaînement de ses responsabilités, finalement, la chose la plus choquante, c’est qu’alors qu’il était sous l’emprise de drogues multiples, il avait fait le choix ce soir-là de prendre le volant. Sans bien sûr qu’aucune des personnes qui l’accompagnaient ne l’en dissuade. Comme aucun de ses amis ne s’était ému qu’il le fasse régulièrement et constitue un danger public. Car ce n’était pas seulement une tolérance mais également une protection car nombreux dans ces milieux sont ceux qui font exactement la même chose.

Deux exemples récents établissent l’existence de cette protection est de ces privilèges, y compris sur le plan judiciaire. C’est Emmanuel Pellerin, parlementaire macroniste, cocaïnomane avéré et reconnu, qui fait l’objet d’un signalement pour avoir mis son fils en danger, et qui voit l’enquête sur ses infractions prestement classées sans suite par le parquet, pendant que le ministère de la Justice viole la loi sur le secret de l’enquête, en le faisant prévenir de l’existence de celle-ci ! Affaire proprement ahurissante, et rapidement étouffée par les médias dits « mainstream ». Quelques jours après la tragédie provoquée par Pierre Palmade, ce sera la cérémonie des Césars consacrant triomphalement Benoît Magimel, autre consommateur de cocaïne et d’héroïne. Celui-ci a été deux fois condamné pour conduite sous l’emprise de stupéfiants, dont une fois après avoir provoqué un accident et renversé un piéton. Le quantum des peines infligées par la justice était simplement risible. Dans le milieu du cinéma, et d’ailleurs dans bien d’autres, être l’objet d’une accusation, fût-elle fantaisiste, de sexisme, vaut proscription perpétuelle. Renverser des gens sur des passages cloutés sous l’emprise de la cocaïne semble à l’inverse considéré comme vétille à oublier.

Même si les addictions dont il souffre sont assimilables à une maladie, il est désormais peu probable que Pierre Palmade rencontre la même indulgence judiciaire que Benoît Magimel. Utilisée jusqu’à l’écœurement par des médias soucieux d’audimat et pas fâchés de la diversion médiatique en ces temps de lutte contre la réforme des retraites, son affaire a pris trop d’importance. Et comme tous ses amis l’ont lâché, la justice va devoir faire normalement son travail, et c’est tant mieux. C’est la seule voie qui doit être utilisée pour traiter cette affaire. Mais pour autant, le bloc élitaire ne devrait pas se tenir pour quitte.

Alors face à la colère populaire, les belles âmes souhaitant conserver privilèges et impunité passent leur temps pour dénoncer cet horrible « populisme », cette terrible tentation du lynchage qu’ils prétendent voir dans ce qui est qu’on le veuille ou non une colère contre la France d’en haut. On ne les entend pas lorsque les médias font de la surenchère dans le traitement des faits divers dès lors que les cibles des campagnes n’appartiennent pas à leur monde. Mais là une des incarnations de cette connivence entre le showbiz et la politique s’est précipitée pour condamner sans appel ceux qui s’indignent de cette corruption étalée.

Roselyne Bachelot, sorte de rombière tantôt ministre, tantôt chroniqueuse, toujours soucieuse de montrer qu’elle appartient à la France d’en haut en mélangeant politique et showbiz, est venue se plaindre des réactions de l’opinion. « La société française est traversée par une sorte de haine des riches ». Vous avez raison, Madame Bachelot, les couches populaires, qui sont sûrement pleines de défauts, sont quand même attachées à ce que Jean-Claude Michéa, reprenant l’expression de George Orwell, appelle la « décence ordinaire ». Et elles ont parfaitement compris tout ce que l’affaire Palmade révèle de turpitudes et de corruption, et par conséquent de détestable. L’aversion qu’elles ressentent et qui vous chagrine tant renvoie, que vous le vouliez ou non, à quelque chose qui s’appelle la lutte des classes.

Et dont les manifestations vont se loger partout.

Affaire Palmade : la caste veut garder ses privilèges
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8 mars 2023 3 08 /03 /mars /2023 05:55

Environ 12 000 personnes manifestaient à nouveau devant le Parlement grec, à Athènes, dimanche 5 mars, cinq jours après l'accident de train survenu le 28 février près de Larissa, dans le centre du paysLes manifestants, qui ont notamment brandi des pancartes "A bas les gouvernements assassins", ont répondu à l'appel des étudiants, des cheminots et des employés du secteur public alors que les trains et le métro sont en grève dans le pays.

 

Le lourd bilan humain (57 morts) et l'origine humaine de la tragédie ont poussé plusieurs milliers de personnes dans les rues, pour réclamer la démission du gouvernement et plus d'investissements dans le réseau ferroviaire du pays, au point de provoquer des heurts violents entre manifestants et policiers, vendredi soir.

 

Parce qu'il s'agit du pire accident ferroviaire du pays

 

La collision frontale entre un train de passagers et un autre transportant des marchandises a été telle que des éléments "ont été projetés à des centaines de mètres dans les champs voisins", explique le journal Kathimerini. Plus de 340 passagers se trouvaient à bord, avec 10 membres du personnel.

 

Jamais un accident de train n'avait coûté autant de vies dans le pays. "C'est une tragédie terrible qui a choqué la population", résume à franceinfo Georges Prevelakis, professeur émérite de géopolitique et spécialiste de la Grèce à la Sorbonne (Paris I), qui rappelle que le train était "rempli d'étudiants". L'université de Thessalonique a déclaré que neuf de ses élèves avaient été tués dans cet accident, et 26 autres blessés. "Nous sommes tous anéantis. Il n'y a pas de mots pour décrire notre douleur et celle de tous les membres de la communauté universitaire", a déploré son recteur. 

 

Comment ces deux trains ont-ils pu se retrouver face à face sur la même voie ? Dans cette affaire, les enquêteurs privilégient la piste de la négligence. Venu sur les lieux de la catastrophe, le Premier ministre grec, Kyriakos Mitsotakis, a affirmé que "le drame est dû (...) principalement à une tragique erreur humaine". Le chef de gare du poste de Larissa a été arrêté mercredi après une déposition au commissariat. L'homme de 59 ans est poursuivi pour "homicides par négligence" et "lésions corporelles involontaires". Il a "avoué une erreur", mais "ne peut pas porter seul le fardeau de la responsabilité" a déclaré samedi son avocat, cité par la chaîne ERT.

Parce que les chemins de fer du pays ont été délaissés

Depuis la collision ferroviaire, de nombreuses voix se sont élevées pour réclamer la modernisation du réseau ferré national – voire sa renationalisation. Des manifestants ont notamment défilé à Larissa, devant les locaux de la compagnie Hellenic Train, au cri de "La privatisation tue !" ou encore "Leurs profits, nos morts". L'entreprise, privatisée après la faillite de la Grèce et la contraction d'un prêt du Fonds monétaire international (FMI) en 2010, a été rachetée par le groupe ferroviaire public (sic) italien Ferrovie dello Stato Italiane en 2016.  Mais cette exploitation privée du réseau ferroviaire ne s'est pas accompagnée de travaux significatifs. Dans le détail, des radars de sécurité sont attendus, et les systèmes de signalisation manuels sont pointés du doigt pour leur dangerosité. "Cela fait depuis l'an 2000 que les systèmes ne fonctionnent pas", a déploré Kostas Genidounias, président d'un syndicat de conducteurs de train.

 

Les méthodes de recrutement d'Hellenic Train se trouvent désormais sous le feu des critiques. A Larissa, le chef de gare mis en cause était en fait un bagagiste promu pour cause du manque d'effectif, comme l'explique le journal Kathimerini, qui a interrogé à ce sujet l'ancien directeur de la sécurité et de la circulation de la compagnie.

 

En décembre 2022, le gendarme grec du ferroviaire avait par ailleurs infligé une amende de 300 000 euros à Hellenic Train pour avoir abandonné plus de 800 passagers en pleine vague de froid. Lors de son déplacement sur les lieux du drame jeudi, le Premier ministre grec a publiquement reconnu des "faiblesses chroniques" dans le secteur ferroviaire, avant d'annoncer la création d'une commission d'enquête indépendante sur la tragédie. Kyriakos Mitsotakis est allé encore plus loin, dimanche, en demandant pardon aux familles des victimes dans une adresse solennelle. "Nous ne pouvons pas, ne voulons pas et ne devons pas nous cacher derrière l'erreur humaine" imputée au chef de gare, a insisté le dirigeant conservateur, a-t-il affirmé. 

Parce que le contexte politique était déjà très tendu 

Si les manifestations ont éclaté avec autant de force, c'est aussi parce que la Grèce n'en est pas à son premier scandale imputé à des défaillances, explique Georges Prevelakis à franceinfo. "Un autre accident de train, mais aussi le grand incendie de 2018, ont dévoilé les faiblesses de l'administration, détaille le spécialiste, et ont conduit le gouvernement actuel à mener des réformes, principalement dans les services publics." Une politique laborieuse qui peine toutefois à porter ses fruits. "Il y a eu des progrès importants avec la numérisation de l'administration, mais ça prend beaucoup de temps, souligne Georges Prevelakis. Et en attendant, il y a des crises qui éclatent parce que le travail n'est pas achevé." 

 

Entre 2010 et 2018, la Grèce a connu trois plans de sauvetage financier qui lui ont imposé de prendre des mesures d'austérité draconiennes. Salaires, pensions de retraite, embauches dans le public ont été diminués, en plus du gel des budgets des administrations.

 

En août dernier, le pays est finalement sorti du viseur de la Commission européenne, qui le surveillait de près. Mais ces politiques de rigueur ont eu de lourdes conséquences sociales, et ont conduit à plusieurs mouvements de grève générale, sur fond de montée de l'extrême droite. La tragédie du 28 février "relance les débats (...) sur la nécessité de réformes profondes", analyse Georges Prevelakis. Elle devrait peser sur les prochaines élections législatives en Grèce, prévues pour le milieu d'année.

 

Source : France Info.  

 

 

Grèce : la privatisation est-elle la cause de la catastrophe ferroviaire ?
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7 mars 2023 2 07 /03 /mars /2023 06:01

 

Aggravation du chômage, allongement de la pénibilité, absence de prise en compte des gains de productivité… Pour le philosophe Henri Peña-Ruiz, auteur notamment de Marx quand même (Plon), Entretien avec Karl Marx (Plon) et Karl Marx penseur de l’écologie (Seuil), bien des arguments en faveur de la réforme des retraites méritent des objections en règle (publié par Marianne.net)

 

Le chômage

 

Évoquons d’abord l’abandon de la question du chômage. Celui-ci est aggravé dès lors que des emplois sont rendus indisponibles par le fait de reculer l'âge de la retraite. Le partage du travail, en revanche, permettrait de lutter contre le chômage tout en gardant la retraite à 62 ans. Il faut donc en finir avec le sophisme selon lequel "on vit plus longtemps donc on doit travailler plus longtemps". Cette affirmation est fausse par son abstraction. L'égalité devant la mort n'existe pas. Et la différence d’espérance de vie selon les métiers a des conséquences lourdes. Pour l'ouvrier qui meurt 8 ans avant un cadre supérieur, travailler plus longtemps c'est aussi mourir plus tôt, et ne pas pouvoir profiter de la retraite.

 

Gains de productivité du travail

 

Quant aux gains de productivité du travail, il est scandaleux de les passer sous silence quand on entend souligner le déficit prétendu des personnes qui assument le financement des retraites par rapport à celles qui en jouissent. Quand on souligne qu'en 1950 il y avait quatre "actifs" pour un retraité, alors qu'en 2020 il y en a "seulement" 1,7, on abdique tout sens historique. On oublie que si les quatre actifs produisaient des biens mesurables par l'indice 400, 1,7 "actifs" produisent aujourd'hui des biens mesurables par l'indice 1200 (INSEE). Qu'a-t-on fait des gains de productivité ainsi multipliés par 10 ? Le capitalisme définirait-il la seule manière possible de les utiliser ? Par quel paradoxe le progrès de la productivité peut-il conduire à repousser l'âge de la retraite ? Objection : « Le travail produit beaucoup plus dans le même temps donc on peut travailler moins sans risque pour l’économie ». La logique du capitalisme mondialisé est autre. Il joue la géographie des délocalisations contre l’histoire des conquêtes ouvrières pour réduire le coût du travail.

 

Le financement

 

Financer les retraites...Voilà le leitmotiv ressassé, sur la base d'une approche comptable partiale qui passe sous silence le rôle possible des cotisations patronales, et des augmentations de salaire, pour un partage plus équitable des gains de productivité. L’impensé des économistes néo-libéraux favorables aux réformes actuelles est l'accroissement vertigineux, depuis 1975, des inégalités entre les revenus du capital et ceux du travail, et des inégalités de patrimoine.

 

Comparons les Trente Glorieuses (entre 1950 et 1983) et l'âge de la mondialisation capitaliste (entre 1983 et 2016). Entre 1950 et 1983, les revenus ont progressé de 4% par an pour la majorité de la population, et les plus hauts revenus ont progressé d’à peine 1% par an. La solidarité redistributive a bien fonctionné. Pour les 33 années qui suivent, c’est l’inverse qui se produit. Entre 1983 et 2016, le revenu moyen des 1% les plus aisés a progressé de 100% (en sus de l’inflation), et celui des 0,1% les plus aisés de 150%, contre à peine 25% pour le reste de la population (soit moins de 1% par an). Les 1% les plus riches ont alors capté 21% de la croissance totale, contre 20% pour les 50% les plus pauvres. Les chiffres confirment aussi la forte croissance des plus hauts patrimoines. Les entreprises du CAC 40 ont distribué 60 milliards d'euros de dividendes en 2019 battant le record de 2008. La solidarité s'est donc effondrée, à rebours du modèle social français. En France, la fin des « Trente Glorieuses », conjuguée avec le premier essor d’une mondialisation capitaliste débridée, a consacré le démantèlement des conquêtes sociales et tout particulièrement des services publics, forme de salaire indirect qui tempère les inégalités. Denis Kessler, vice président du CNPF (devenu le MEDEF) a indiqué le vœu du patronat dans la revue Challenges, le 4 octobre 2007 :« Le modèle social français est le pur produit du Conseil national de la Résistance. Un compromis entre gaullistes et communistes. Il est grand temps de le réformer... Il s'agit aujourd'hui de sortir de 1945, et de défaire méthodiquement le programme du Conseil national de la Résistance ! » Un vœu parachevé par M. Macron, soldat zélé du MEDEF, récent fossoyeur du code du travail, du statut de la SNCF, des allocations chômage, et aujourd'hui des retraites.

 

A qui profitent ces réformes ? Les statistiques de l’INSEE en témoignent. Voyez les rémunérations exorbitantes des dirigeants et le niveau abyssal de leur fortune. Et c’est une telle ploutocratie qui s’insurge contre l’idée d’une majoration des cotisations patronales destinées à conforter les retraites par répartition ! On mesure cet égoïsme de classe et les bénéfices secondaires qu’elle en tire dans la perspective d’une retraite par capitalisation, accessible seulement à ceux qui ont les moyens d’épargner. Du pain bénit pour les fonds de pensions et les assurances privées. En France, un salarié travaille 45 jours par an pour payer les dividendes des actionnaires. En 1981, c’était 10 jours.

 

 

Les six sophismes de la réforme des retraites, par Henri Peña-Ruiz

 

Pénibilité

 

Quant aux nouvelles pénibilités, elles justifient des régimes spéciaux de retraite. Le gouvernement l'a prouvé en décidant de maintenir pour les policiers un régime spécial. Que ne fait-il la même chose pour les autres métiers pénibles ? Comment peut-on prétendre que la pénibilité du travail des cheminots a disparu avec la locomotive à vapeur ? Le stress du conducteur d'un TGV lancé à 340 km/heure est bien réel, de même que le fait de travailler à toute heure. Comme pour les mineurs jadis, voués à la mort par les coups de grisou et la silicose, nombre de professions sont aujourd’hui pénibles. Refuser de prendre en compte le port de charges lourdes est une honte. Les déménageurs et les ouvriers du bâtiment, pour ne citer qu’eux, apprécieront ce refus réaffirmé par le président de la République, en cela fidèle serviteur du Medef.

 

Quant aux 28 suicidés de France Télécom, leur sacrifice, récemment condamné par la justice, pourrait nous rappeler le stress angoissant d'un qui-vive permanent lié au turn-over des postes. Pensons également aux enseignants sous-payés, qui dans les classes subissent de plein fouet le dénigrement de l'Ecole par des parents déboussolés, l'indiscipline et l'irrespect d'enfants à qui on n'inspire plus le goût et le respect de l'Ecole comme du savoir qui les émancipe. Il en va de même de la multiplication ubuesque de tâches administratives diverses. Christine Renon, directrice d’école à Pantin, s’est suicidée le 21 septembre 2019 en disant sa souffrance dans une lettre bouleversante. Pensons aussi aux infirmières, si mal payées, stressées par la misère des hôpitaux publics, victimes de la réduction de la dépense publique. Pendant ce temps, les cadeaux fiscaux vont bon train pour les plus riches. Cet inventaire des nouvelles pénibilités n’est pas exhaustif, et il faudrait le relier avec la différence de l'espérance de vie.

 

 

Espérance de vie

 

Quelle différence d'espérance de vie, et de vie en bonne santé, entre les catégories sociales les plus aisées et les plus démunies ? Place aux chiffres de l’Insee.  Entre 2012 et 2016, le niveau de vie des personnes situées parmi les 5 % les plus aisées atteint une moyenne de 5 800 euros mensuels. Parmi les personnes les plus aisées, à la naissance, les hommes ont une espérance de vie de 84,4 ans. En revanche, parmi les 5 % de personnes les plus modestes, dont le niveau de vie moyen n’atteint que 470 euros par mois, les hommes ont une espérance de vie de 71,7 ans. Les personnes les plus aisées vivent donc en moyenne 13 ans de plus que les plus modestes. Pour les femmes, un tel écart est plus faible : à la naissance, l’espérance de vie parmi les 5 % de personnes les plus aisées atteint 88,3 ans, contre 80,0 ans parmi les 5 % les plus modestes, soit 8 ans d’écart. Selon l’enquête Santé et protection sociale de 2014, 11 % des adultes issus des 20 % les plus modestes ont renoncé à consulter un médecin au cours de l’année, contre 1 % des adultes issus des 20 % les plus aisés.

 

PS : j'ai publié sur Facebook les quelques lignes qui suivent :

 

Économie. Le seul chiffre qui vaille la peine d'être retenu : en France, un salarié travaille 45 jours par an pour payer les dividendes des actionnaires. En 1981, c’était 10 jours.

 

En 36 heures, cette note a été reprise près de 400 fois. Ce qui ne m'était jamais arrivé. Raphaëlle, qui a toujours le mot pour rire, me dit : “ tu es un influenceur, désormais ”. C'est cela, je me demandais ce qui avait changé en moi !

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4 mars 2023 6 04 /03 /mars /2023 06:01

Ce qui me frappe (sic) dans cette séquence extrêmement violente, c'est la proportion d'élèves, de profs et d'agents de sécurité, obèses, pour ne pas dire énormes. Á commencer par l'adolescent qui fracasse sa prof. Á noter également que plusieurs adultes passent près de la scène comme si de rien n'était. Sommes-nous dans un lycée à population aisée ? Il y a fort peu de Noirs présents. Sans l'intervention de plusieurs élèves, la prof, inconsciente après avoir été projetée à terre, aurait été massacrée.  

 

On observe également que les flics et autres agents de sécurité interviennent à reculons, tout comme celui qui (chemise bleue et blanche) semble être le proviseur. Et ce ne sont pas les flics qui emmènent le criminel en puissance hors de la scène – ils semblent n'en avoir rien à cirer – mais un élève (ou un jeune membre du personnel).

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3 mars 2023 5 03 /03 /mars /2023 06:01

Il était né en 1869 dans le petit village de La Neuville-Vault, au nord de Beauvais, et mourut dans ce même village en 1958, dont il fut le maire de 1908 à 1947.

 

J’ai plaisir à l’évoquer, d’une part parce qu’il fut un écrivain talentueux (poète, romancier, critique littéraire au Mercure de France où il côtoya André Gide) et parce qu’il fut le voisin de champs du seul de mes arrière-grand-pères que j’ai connu, décédé lui aussi en 1958. Un mot sur ce paysan picard. Je crois que je n'ai jamais su quel était son prénom pour la bonne raison qu'on l'appelait “ Grand-père Demarseille ”. Sa famille était originaire de Marseille-en-Beauvaisis (dont elle portait le nom, donc – plus incrusté dans le terroir, tu meurs !), à 10 km du petit village de Bonnières où il passa toute sa vie. Pendant son service militaire, qui dura sept ans, il fut pendant quelques jours l'un des gardiens de la reine de Madagascar Ranavalo III, emprisonnée sur ordre de Galliéni. Ce fut sûrement le seul moment singulier, pour ne pas dire exotique, de son existence.

 

On appelait Philéas Lebesgue “ le poète-paysan ”. De son père, il avait hérité en 1908 d’une ferme et d’une bibliothèque fournie. Par respect pour son père, et aussi par goût personnel, il décida de partager sa vie entre l’agriculture et la culture.

 

Á l’adolescence, il fut victime d’une grave maladie (la polio, me semble-t-il) qui le cloua au lit pendant un an. Il en profita pour lire énormément et pour apprendre d’autres langues que celles acquises au lycée de Beauvais : le latin, le grec ancien et l’anglais. Il devint un phénomène linguistique : à la fin de sa vie, il comprenait au moins 16 langues étrangères – et pouvait écrire en ces langues : l’allemand, l’anglais, le danois, l’espagnol, le galicien, le gallois, le grec, l’italien, le norvégien, le polonais, le portugais, le roumain, le russe, le serbo-croate, le slovène et le tchèque. Il connaissait également le sanskrit, le breton, le provençal et, forcément, le picard (il publia une grammaire du picard du pays de Bray), langue qu’il utilisait lorsqu’il conversait avec mon aïeul qui, pour sa part, n’avait que très peu fréquenté l’école et était totalement inculte (sauf en matière d'agriculture – je me souviens de lui mangeant un peu de terre et me disant : “ ce n'est pas encore le moment de semer ”).

 

Il collabora à de nombreuses revues européennes dans les langues des pays où elles étaient publiées (espagnol, anglais, grec, serbo-croate). Passionné par la culture portugaise, il fut le premier critique littéraire français à repérer, dès 1913, le jeune Ricardo Pessoa, lui-même bilingue portugais-anglais.

 

Il entretint une immense correspondance avec, entre autres, Georges Duhamel, Pierre-Jean Jouve, Louis Pergaud, René Maran, Émile Verhaeren, Filippo Tommaso Marinetti.

 

Proche du courant symboliste, il écrivait en vers traditionnels ou libres, ses sujets favoris étant la femme, la campagne, l’ésotérisme, le machinisme agricole. Il fut également musicien et auteur de chansons, comme celles qu’il mit lui-même en musique (voir le recueil des Chansons de Margot).

 

Un jour de 1955 ou 1956, ma mère, petite-fille de l’ami de Philéas, mon père, et moi tant qu’à faire, furent invités à passer un après-midi chez le poète. J’ai gardé un souvenir assez diffus de cette séquence mémorable. J’avais été frappé par la machine à écrire que l’on voit ci-dessous et par un énorme fatras de journaux, de revues, de lettres, d’écrits de tout sorte entassés sur la table de la cuisine-salle à manger où nous étions accueillis. Et j’ai encore en mémoire la voix douce de cet homme alors âgé.

 

La famille picarde de ma mère a gardé jusqu’au bout le contact avec la fille de Philéas Lebesgue qui avait repris la ferme. Je la revois encore, âgée de 70 ans, à vélo, le vent dans le nez, entre La Neuville-Vault (L'Neuville-Weu, comme on dit en Picard) et Milly-sur-Thérain, le village de mes grands-parents maternels.

 

J'aime bien ce poème :

 

 

Mon père

Mes pas dans les tiens, mon Père,

Etouffent leur bruit mou, ce soir,

Dans la bruyère

Où tu vins si souvent t’asseoir,

Pour y bercer ton rêve austère ;

Mes pas dans les tiens,

Mon père, Je me souviens...

Voici le ruisseau, mon Père,

Où nous buvions, loin des regards,

La belle eau claire ;

Voici la prairie aux grisards ;

Voici le sentier aux fougères.

J’entends le ruisseau, Mon Père,

Dans un sanglot...

 

En photo : le poète ; mon arrière-grand-père et un de ses petits-fils (photo de Robert Gensane) ; la maison des Lebesgue.

Connaissez-vous Philéas Lebesgue ?
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28 février 2023 2 28 /02 /février /2023 06:01
La sécurité avant tout !

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