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13 avril 2011 3 13 /04 /avril /2011 14:10

http://a6.idata.over-blog.com/500x417/0/56/45/40/chignon/chignon-bas-mariage.jpgCe 12 avril 2011, France 3 nous a proposé une fort plaisante soirée consacrée aux derniers mois de la vie de Pompidou. Une fiction avec Jean-François Balmer offrait une puissante réflexion sur la mort, le pouvoir, l’amour (les Pompidou formaient un couple très uni). Puis le précieux boniparleur Taddéi (link) réunit un plateau de qualité avec, entre autres, l’auteur du film et l’inévitable Marie-France Garraud, aujourd’hui âgée de 77 ans, conseillère de Pompidou, puis de Chirac.

 

Bien qu’étant plutôt de gauche (avec la présence d’Yves Boisset – dont j’appris que le père avait été un condisciple de Pompidou à Normale Sup’ – et de Marina Vlady), ce plateau ne fit pas grand mal à l’homme politique, celui qui avait choisi la banque d’affaires contre l’université, qui fut l’instigateur d’une politique anti-ouvrière avec Raymond Marcellin au début des années 70 et qui étouffa toute tentative de liberté dans les médias d'État. Et, avant cela, celui qui avait maté une grève du désespoir des mineurs de charbon en 1962. À cette occasion (j’avais 14 ans), j’avais participé à ma première action de soutien à un mouvement revendicatif en récoltant des fonds pour que les grévistes et leurs familles puissent manger.

 

Malgré cette bienveillance, Marie-France Garraud partit bille en tête contre le réalisateur, estimant qu’il avait manqué de respect pour la statue du commandeur. Ce que tous les participants au débat nièrent.

 

Je l’avais complètement oubliée (refoulée ?), cette acrimonie (j’adore le mot anglais cantankerous) de la conseillère de l’ombre me remit en mémoire notre brève rencontre dans le TGV Poitiers-Paris il y a une quinzaine d’années.

 

J’avais pris place à une table dans la voiture-bar pour manger un sandwich quand je découvris qu’étaient assis en face de moi Marie-France Garraud et un compagnon de voyage, se restaurant tous deux d’une salade composée. Je la reconnus telle que je l’imaginais : brillante, extraordinairement phallique, n’acceptant pas la contradiction. À Châtellerault, l’homme descendit (était-ce prévu ou n’en pouvait-il plus ?) et je me retrouvai seul face à la redoutable égérie. Plusieurs possibilités s’offraient à moi : je faisais comme si elle n’existait pas tout en restant à table, je quittai mon siège ou je restai en sa compagnie en engageant la conversation. J’étais demeuré jusqu’alors impassible, mais je sentis qu’elle savait parfaitement quel type d’individu je pouvais être : assurément pas quelqu’un de son camp politique ou de son milieu (les vieilles familles de juristes bien à droite du Poitou).

 

J’eus l'irrépressible envie de lui envoyer une vacherie. J’hésitai. Si je la jouais politique, il ne lui faudrait pas trente secondes pour me clouer le bec ou me rouler dans la farine, selon le choix de la métaphore. Je décidai de la faire perso et adressai à cette personne qui représentait tout ce que je détestais la flèche du parthe suivante :

 

— En vous regardant et en vous écoutant, je me suis longuement demandé si vous étiez Marie-France Garraud ou la femme de Chaban-Delmas.

 

Garraud détestait Chaban : l’homme, le politique. Mais elle avait la même forme de visage et le même magnifique chignon que Micheline, la femme de Chaban.

 

Je ressentis une forte surprise et une imperceptible indignation chez ma voisine de table : comment pouvais-je la confondre avec cette femme qui n’était rien d’autre qu’une « femme de » ?

 

— On nous prend en effet parfois l’une pour l’autre, dit-elle habilement.

 

Un silence pesant s’installa, que Marie-France rompit par un :

 

— Voulez-vous mon yaourt, je n’ai plus faim ?

 

Comme c’était habile de sa part ! Pour le yaourt, en effet, c’était moi ou la poubelle. Et en me donnant quelque chose, elle reprenait le dessus.

 

Malgré tout, je pris tout mon temps pour savourer ce laitage. Quasiment jusqu’à Paris. Gare Montparnasse, elle me salua courtoisement.

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7 avril 2011 4 07 /04 /avril /2011 06:26

Je reprends ce texte non sans quelque appréhension. Lorsque je l'ai publié sur mon ancien blog et sur le site du Grand Soir, il m'a valu, non pas une volée de bois vert, ce qui aurait été bien modéré, mais un torrent d'injures, presque toutes anonymes. J'étais bien sûr un affreux colon. Un raciste patenté. Je mentais car je n'avais nullement assisté à ce que je décrivais. J'étais un dandy uniquement préoccupé de sa personne. Complètement hystérique, une historienne universitaire démontra, sur son propre blog, à neuf heures du soir, que les faits narrés n'avaient jamais existé, avant de se rétracter à une heure du matin: effectivement, il y avait eu des problèmes entre les communautés que je décrivais. Avant cela, certains internautes, méfiants, avaient conseillé : attention, Gensane est un universitaire qui vérifie tout ce qu'il écrit ; il dit peut-être la vérité ! Des fous furieux me dirent que j'aurais dû défendre l'enfant égorgé. Bien sûr, c'est ce qu'ils auraient fait, eux, et en chantant L'Internationale ! “ Tu n'es qu'un lâche! ”, proclamèrent-ils. L'anonyme a le tutoiement et le courage faciles, à 5000 kilomètres de distance et vingt ans après les faits.


http://www.dakaronline.net/photo/art/default/1992331-2749422.jpg?v=1289523787

Cela a été dit avant moi mais je le répète : la meilleure dénonciation du colonialisme de la littérature française est le fait de Céline, le pire raciste d'extrême droite que nous ayons connu. Je renvoie au tiers du Voyage au bout de la nuit consacré à l'Afrique. Lorsque tout a été dit, force est de reconnaître que ce haut fait littéraire nous expose une seule chose : les gens du Nord ont volé leur continent aux gens du Sud, et ils s'y sont perdus.

 

Lorsque l'on séjourne, ce qui fut mon cas des années durant, dans nos anciennes colonies, cette réalité ne nous revient en pleine figure qu'en temps de graves difficultés. Aujourd'hui, je pense bien sûr aux Français et autres expatriés qui résident en Côte d'Ivoire. Cela fait quinze ans maintenant que ce pays est en crise plus ou moins violente, après trente ans d'éteignoir et d'étouffoir imposés par le très habile autocrate Houphouët-Boigny. Je lis sur le visage de ces Européens et autres Libanais, protégés dans leur intégrité physique par les soldats du 43e Bataillon d'infanterie de marine stationné en permanence à Port-Bouët (accords militaires bilatéraux obligent), juste à côte de l'aéroport, l'acceptation plus ou moins confuse d'une réalité toute simple : par-delà leur attachement à ce pays attachant, par-delà leur engagement authentique dans la vie de ce pays, les dés étaient pipés.

 

Il y a cinquante ans, juste après les indépendances, le Sénégalais Cheikh Hamidou Kane publiait L'Aventure ambiguë. Ce roman séminal racontait le passage d'un jeune homme de l'école coranique à l'école des Blancs, des “ toubabs ”, là ou l'on apprend la dialectique et son côté obscur, la mauvaise foi (dans les deux sens du terme). Un séjour en Europe le fera douter de son dieu. Depuis que les Européens se sont partagé l'Afrique lors de la Conférence de Berlin en 1885, ce qu'on appellera, sous tous les présidents de la République française, la Françafrique, est totalement conditionnée par l'ambiguïté de cette aventure commune. Les gens du Nord ont déterminé le regard que les gens du Sud portent sur eux-mêmes. Mais le regard que ceux du Sud leur ont renvoyé les a empêchés de se voir tels qu'ils sont et de comprendre l'ambiguïté existentielle de leur situation sous les tropiques.

 

En cette circonstance dramatique, j'avais enfin compris cela. Dans mes fibres.

 

Un enfant égorgé

 

En 1988, j’ai passé quelques mois à Dakar, où j’ai donné des cours à l’Université Cheikh Anta Diop.
Le soir, j’aimais beaucoup descendre et remonter la rue principale du Plateau, m’arrêter à une terrasse de café (un établissement géré par une Française qui possédait un basset aussi laid que raciste : il aboyait après tout mendiant noir s’approchant à moins de cinq mètres des lieux) pour siroter une bière et croquer des arachides. Parfois, rarement, quand le cinéma offrait autre chose qu’un navet, je m’offrais un billet pour la séance de dix-huit heures.
Un soir, j’assistai à un film de guerre, disons de série C, mais très efficace, violent à souhait. Ce film dénonçait l’occupation soviétique de l’Afghanistan. Toute une époque : Georges Marchais justifiait cette guerre en disant que les troupes des camarades allaient éradiquer le droit de cuissage. Les dialogues de cette toile impérissable n’étaient pas du Claudel. Il ne fallait surtout pas interférer avec le bruit assourdissant des mitrailleuses et les hurlements des Afghans torturés. Je finis par m’endormir d’un demi-sommeil, bercé par les détonations.
Lorsque, vers vingt heures, je sortis de la salle, je découvris que la grande artère (Avenue Pompidou, anciennement William Ponty) était bizarrement déserte. Un chauffeur de taxi, que je n’avais pas sollicité, s’arrêta à mon niveau et me dit : « Monte, monte, vite ! ». Je m’exécutai et lui demandai ce qui se passait. Il me répondit : « Ils ont tué des Nars ».
- Qu’appelles-tu des « Nars » ?
- Des Naritaniens.
Des Mauritaniens, pensai-je.
- Mais qui a tué des Mauritaniens ?
- Nous, les Sénégalais.
- Mais pourquoi ?
- Parce qu’ils ont égorgé nos femmes en Mauritanie. Ils leur ont coupé les seins. Alors, nous on s’est vengé, mais l’armée a balancé des grenades offensives. Sinon, on les tuait tous.
À la frontière sénégalo-mauritanienne, des paysans sénégalais avaient tué des bergers mauritaniens dont les troupeaux dévastaient leurs plantations. En représailles, des Mauritaniens avaient mutilé des Sénégalaises. Heureusement, la diplomatie allait rapidement triompher.
Je réalisai soudain que, dans mon demi-sommeil de cinéphile, des vraies détonations s’étaient mélangées aux détonations fictives. Je rentrai chez moi aussi vite que le taxi le put et me couchai sans manger. Toute la nuit, des échanges sporadiques de coups de feu se firent entendre à l’autre bout de la ville.
Le lendemain matin, comme j’avais sauté un repas, j’avais très faim. Je descendis dans la rue pour acheter une baguette. Surprise : toutes les petites échoppes étaient par terre. Impossible de se procurer du pain, des légumes, le journal. Il était neuf heures et je décidai de partir en quête de nourriture. Je marchai deux ou trois kilomètres et ne trouvai rien. Tous les petits commerces avaient été détruits. Forcément, puisqu’ils appartenaient à des Mauritaniens. Je me résolus à revenir vers le centre de Dakar, où j’allais bien finir par trouver une boulangerie appartenant à un Sénégalais. Il commençait à faire bien chaud et j’avais l'estomac dans les talons.
Je me trouvai soudain en présence d’un rassemblement d’une cinquantaine de personnes très excitées, devant une villa de taille moyenne. « Ils sont comme moi, ils ont faim », pensai-je. Tous criaient en wolof, une langue dont je ne connaissais pas un traître mot, mis à part les salutations, assez déplacées dans ce contexte. Je me hissai sur la pointe de pieds pour mieux voir.
Ce que je découvris me fit tourner de l’œil : le père, la mère, une petite fille d’environ huit ans, sur le trottoir, égorgés.
Quand on est dépassé par un spectacle, quand on est submergé par une vision, on réagit toujours un peu bêtement. Au lieu de demander aux Sénégalais, dont deux d’entre eux tenaient toujours fermement une machette rouge de sang, pourquoi ils avaient fait cela, je dis:
- Pourquoi les avez-vous traînés dehors ? Sous-entendu : si vous les aviez laissés dedans, je n’aurais rien vu.
- C’est pour montrer qu’on les a tués.
- Mais pourquoi avez-vous tué la petite ?, demandai-je toujours aussi bêtement car le meurtre d’un enfant innocent – quoi qu’en pensent certains – n’est pas plus scandaleux que celui d’un adulte tout aussi innocent.
- Comme ça, elle ne fera pas d’enfants qui nous tueront.
Je ne pensai plus rien et je me dis : ce n’est pas tout, mais j’ai vraiment faim, il faut que je trouve du pain.
Il me fallut quelques secondes pour m’étonner de mon attitude, de ma réaction. Je me remémorai une conversation avec un étudiant chrétien de Beyrouth et une très belle page d’Orwell. Au début des années soixante-dix, j’avais eu une longue conversation avec un jeune Libanais résidant à Paris, qui m’avait expliqué la guerre civile dans son pays. Il m’avait raconté – ce qu’il m’avait été impossible d’intérioriser – que, le matin, des jeunes fréquentaient les mêmes bancs de la même université américaine, que l’après-midi ils se canardaient, et que le soir ils draguaient les mêmes filles dans les mêmes boîtes. Bien sûr, le jour suivant était identique au précédent. Comment, en effet, comprendre cela ?
Dans “ L’art de Donald McGill ”, un essai de 1942, Orwell explique que, en chacun de nous, il y a une moitié de Don Quichotte et une moitié de Sancho Pança. Une moitié prête à l’héroïsme et une moitié qui préfère rester gentiment en vie. Cette seconde moitié, Orwell la dénomme notre moi privé, notre moi officieux. Elle est la voix de notre ventre qui conteste celle de notre âme. Sancho Pança préfère dormir dans des lits douillets, ne pas trop travailler, boire de la bière. Et il gagne toujours contre Don Quichotte.
Voilà pourquoi, au beau milieu de cette horreur, je cherchais du pain.

Que je finis par trouver.

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6 avril 2011 3 06 /04 /avril /2011 06:26

J'ai reçu de "Nathalie Libertine" (un pseudo ?) l'invitation suivante. je me demande ce que signifie "les prochaines gb" dans ma région (grande bouffe, grande baise, grosse bertha ?).

(Sculpture de Jean-Paul Floch)

 

http://www.artactif.com/img/reportages/bronze05.jpgBonjour,

Nous organisons 5 fois par mois dans votre région une partouze privee .  
Majoritairement organisées en France, elles peuvent néanmoins nous conduire dans les capitales des villes de pays voisins et frontaliers.

Toutes nos destinations sont choisies avec beaucoup d’application et répondent obligatoirement aux exigences du concept de standing, loft, yacht, château, demeure de charme, chaque site offre sa part de rêve et ses particularités.

  

Dans ces lieux magnifiques, tout est pensé pour vous étonner, vous séduire et vous permettre d’échanger en toute tranquillité dans le plus grand confort.

  

la plupart d'entre eux bénéficient d'équipements de bien-être (spa, sauna,hammam, jacuzzi, soins, piscine et massages), qui favorisent des ambiances de très grande détente.

  

  

Nos soiréesfonctionnent selon le principe d'une formule "All inclusive" pour un montant variable de 50 € par personne selon les lieux d'accueil.

 

  • Dîner buffet gastronomique aux chandelles
  • Open Bar
  • Productions d'Artistes, Ambiance musicale*

 

Bien sur les hommes seuls sont bienvenus. 
On commence a 13h avec une pause entre 19 en 21 hr pour manger et boire quelque chose.Il y aura maximum 3 hommes, le gb est uniquement sur réservation..

Voici les dates de nos prochaines gb dans votre  région:

vendredi  8  avril   -  mercredi 13  avril  - vendredi 15  avril   -  mercredi 20 avril    - vendredi 22 avril   

Bien sur vous pouvez participer sur nos soirées .

Bisous
Nathalie, Amelie, Veronic, Amber et  Patrick

 

 

 

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1 avril 2011 5 01 /04 /avril /2011 06:34

 

http://diane.sr.free.fr/wp-content/uploads/2010/07/elena-basescu-1.jpgTous les mardis nous franchissons, mes filles et moi, le même carrefour qui nous mène au centre de Toulouse.


Tous les mardis, nous passons devant le même mendiant. Un Roumain d’une cinquantaine d’années. Il a choisi cet endroit stratégique car le feu repasse au rouge au bout de vingt secondes pour environ une minute.


Sans que je leur aie suggéré ou demandé quoi que ce soit, mes filles ont décidé de donner à ce pauvre homme un billet de cinq euros. Elles savaient que cela représentait une certaine somme, comparée aux piécettes jaunes de Madame Chirac. Elles avaient un peu surévalué la valeur de ce don, surtout après que je leur eus expliqué qu’avec un tel billet on ne pouvait s’acheter que cinq baguettes de pain.


Bref, le feu passa au rouge. Elles lui tendirent l’offrande. Le mendiant fut sidéré. Il leur embrassa les mains, me tint le bras aussi longtemps qu’il put.


Je les félicitai pour leur geste.


— Oh, il nous reste encore cent euros d’économie, on pourra encore en donner un peu, me répondirent-elles tout naturellement.

 

En photo : Elena Basescu, la fille du président roumain.

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31 mars 2011 4 31 /03 /mars /2011 06:59

Vous êtes prévenus : ce qui suit risque de n’intéresser que moi.

 

J’écris ces lignes au moment où j’enterre ma dernière tante. Ça ravive des souvenirs…

 

J’ai sous les yeux deux photos : l’une représente le père de ma grand-mère paternelle (un de mes arrière-grands-pères, donc) ; l’autre représente la grand-mère maternelle de ma grand-mère paternelle.

 

Je me suis intéressé aux secrets de famille, de manière inconsciente, dès l’âge de sept ans. J’habitais à l’époque Hénin-Liétard, la ville convoitée par Steve Briois et Marine Le Pen, une cité de 25000 habitants dans le Pas-de-Calais minier. À l’école primaire – où mon père enseignait, je me trouvais dans une situation linguistique et onomastique intéressante : la majorité des enfants était d’origine ch’ti, avec des noms en “ court ” ou en “ ez ” (Delecourt, Deramecourt, Bultez) ; une minorité était d’origine franchement flamande (Van de Kerkove – Du Cimetière et non Du Champ de blettes, ce qui est le cas de Beethoven – Van de Putte, qui nous faisait bien rire et qui n’est que l’équivalent de Dupuis, Annaert, Deloddère, Bruyneel ; pour finir, les Polonais : Lech, Zajac, mais pas l’improbable Skaslageulenski. Dans tout cela, pas la moindre de trace de Gensane. Ce qui m’intriguait par-dessus tout, c’était que personne, en pays ch’ti, n’était spontanément capable d’épeler notre nom correctement. Nous disions "Gensane", on écrivait "Janssen", le fils de Jean.

 

Je découvrirais une trentaine d’années plus tard que la raison de ce mystère, de cet improbable nom catalan avait tout simplement à voir avec un secret de famille du côté de mon grand-père paternel. Secret que plusieurs membres de ma famille ne souhaitent pas me voir évoquer, entre nous, à plus forte raison publiquement.

 

Dans mon blog censuré par Nouvelobs.com, j’ai relaté une dizaine de secrets de famille, de manière anonyme, bien sûr. J’en reprendrai peut-être deux ou trois pour la rubrique “ Florilège ”. De fait, ce sont les travaux, déjà anciens, de Serge Tisseron, qui m’ont incité à m’intéresser consciemment au secret qui avait plombé ma famille paternelle – moi, moins que les autres puisque je suis capable d’en parler.

 

Ce qui me titille les neurones, c’est qu’avec ces deux photos, je suis peut-être (ou peut-être pas) en présence d’un autre secret. Je n’ai eu connaissance de ces documents qu’à l’âge de 61 ans. Mes parents, mon père en l’occurrence, n’en possédaient pas d’exemplaires. La mère de ma grand-mère maternelle était pour moi une personnage familier. Elle était décédée après ma naissance et l’on me racontait quand j’étais enfant, que, dans les mois qui avaient précédé sa mort, elle me promenait dans mon landau, dans le bien nommé Bois-Bernard, situé aux portes d’Hénin-Liétard. Pendant toute mon enfance, mon père évoqua souvent sa “ Grand-Mère Neuville ”, ses talents de pâtissière, sa gentillesse. Mais jamais, au grand jamais, il ne me parla de son “ Grand-père Neuville ”. Au point que j’imaginais qu’il avait dû mourir pendant la Première Guerre mondiale, voire avant, et que la “ Grand-mère Neuville ” avait été sa vie durant une veuve méritante.

Un jour de 1972, ma grand-mère paternelle m’écrivit une longue lettre, dans laquelle elle racontait par le menu la tristesse de son veuvage récent. À l’époque, nous n’avions pas le téléphone et ne correspondions que par écrit. Je fus frappé par la qualité du français de cette vieille personne qui n’avait pas poursuivi ses études au-delà du Certificat d’études et dont la seule lecture, sa vie durant, avait été celle du journal quotidien que son mari lisait avant elle. Pas une faute d’orthographe, des phrases courtes, nerveuses, précises. De l’ironie maniée à bon escient, de l’humour à ses dépens. Je montrai cette lettre à ma mère en lui exprimant mon étonnement.

 

— Mais ne sais-tu pas, me dit-elle, que ta grand-mère a eu pendant toute son enfance un précepteur à la maison ?

 

J’en tombais sur le séant : cette femme très réservée, toujours dans l’ombre de son mari instituteur, fille de paysans, me disait-on et assurait-elle en personne, avait reçu une éducation de princesse ? Et ma mère d’ajouter que mon arrière-grand-père, dont j’entendais enfin parler, était un riche paysan, un vrai propriétaire terrien qui, vers 1914, roulait carrosse à essence et qui – ce que je n’ignorais pas – avait donné en dot à sa fille une ferme dans le Boulonnais.

 

Cet aïeul s’était-il enrichi par des voies légales ou illégales ? Comment un paysan pouvait-il devenir riche dans le bocage du Boulonnais autour de 1900 ? Nous n'étions pas dans les vastes étendues de la Brie et l’on ne connaissait pas encore les moiss’ batt’ à l’époque ! Naïvement, je crus que mes questions finiraient par avoir leurs réponses. Je n’eus pas le réflexe de la curiosité. Un jour, je m’en ouvris vaguement à ma grand-mère. Elle éluda et me dit simplement que sa grand-mère maternelle s’appelait Dina et qu’elle était de mère portugaise. Le mystère s’épaississait : comment, vers 1850, une Portugaise s’était-elle retrouvée dans le canton de Fruges ; comment et pourquoi avait-elle épousé un Charles Flahaut (patronyme germanique très courant dans le Nord) dont elle aurait cette Dina ? Je n’en ai jamais rien su.


Dina-Flahaut---copie.jpg

 

 

Je contemple cette photo de Dina. Je n’y connais pas grand-chose en vêtements féminins du XIXe siècle. Mais cette femme semble correctement habillée. Je ne sais ce que vaut sa coiffe, mais elle est soignée, recherchée même. Je trouve qu’il y a quelque malice dans ce doux regard, une calme résignation. Mais bon sang (3% du mien), d’où vient-elle, qui fut-elle vraiment ?

 



Louis-Neuville-1---copie.jpg

 

Le regard de Louis n’est ni doux ni malicieux. Mon bisaïeul louche comme ce n’est pas permis. Ce qui renforce le mystère : personne dans sa descendance n’a eu de réels problèmes oculaires. Mon père est mort à 67 ans sans avoir jamais porté de lunettes. Un paysan, cet homme ? Que nenni ! On dirait un notaire. Sa coiffure et sa moustache sont soignées. Taillé dans un tissu de qualité, le costume est bien coupé et il tombe bien. Comme le duc Philippe d’Édimbourg, Louis a les mains croisées dans le dos. Il se sent assuré, fort bien campé sur ses pieds.

 

Que me dis-tu, Louis ? J'ai beau savoir  qu'il y eut chez toi, à demeure, une femme de ménage (enfant, ma grand-mère n'essuya jamais une petite cuiller mais, mariée, elle fut la bonne à tout faire de son mari, l'instituteur IIIe République, le notable au village), une cuisinière et un précepteur, en plus des ouvriers agricoles, tu ne me dis rien et je crains que tu ne sois à jamais muet.

 

PS : Depuis que j'ai écrit ce billet, une information donnée par une parente renforce encore le mystère: Louis le bigleux tenait sa fortune de son père, Pierre-Louis (ah, l'originalité des prénoms en ces temps!), instituteur ET riche (et non instituteur DONC riche). Il semble que cet ancêtre possédait – pourquoi, comment ? – d'importantes propriétés terriennes.

 


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25 mars 2011 5 25 /03 /mars /2011 07:28

J'avais emmené mes gamines à une aire de jeux située en bord de Garonne. N’ayant plus l’âge de faire de la balançoire ou du toboggan, je pris place sur un banc public.

Une dame d’un certain âge – je lui donnai 85 ans – vint s’asseoir à côté de moi. Elle était accompagnée d'un homme un peu plus jeune qu’elle – dont je me dis qu’il était son mari – et deux jeunes enfants qui l’appelaient « Grand-mère ».

Elle engagea la conversation dans un français très fluide, précis, teinté de quelques toulousianismes. Soudain, je compris que l’homme qui l’accompagnait n’était pas son mari mais son fils.

— Quel âge avez-vous, lui demandai-je ?

— Je suis née en 1915, je vais donc avoir 96 ans.

C’est peu dire qu’elle ne les faisait pas.

Elle me raconta qu’elle avait travaillé de 10 à 72 ans. Comme ouvrière, puis comme serveuse dans la restauration. De 1925 à 1955, elle n’avait pas été déclarée, si bien que, pour toucher autre chose qu’une pension de misère, elle avait dû, effectivement, trimer jusqu’en 1987.

Je la félicitai pour sa mémoire.

— Je me souviens de tout, me dit-elle. Par exemple, en 1930, de l’inondation du siècle.


http://pluiesextremes.meteo.fr/media/upload/19300301/moissac_voie_ferree.jpg

 

La Garonne, le Tarn, l’Aveyron et d’autres cours d’eau de moindre importance avaient quitté leur lit. À Saint-Sulpice-la-Pointe, l’Agout était monté jusqu’à 22 mètres (record d'Europe) ! À Rabstens, terre de vignobles, le Tarn avait atteint 18 mètres ! Le département du Tarn-et-Garonne avait été presque entièrement ravagé.

Elle me raconta son implication dans la Résistance. « Comme petite main », précisa-t-elle. Je lui demandai si elle avait connu Pierre Bourthoumieux, fondateur de la pharmacie du quartier de la Croix de Pierre (ou j’habite), mais surtout grand résistant socialiste, fait prisonnier, emmené en camp de concentration, et brûlé vif avec ses camarades dans un train lors de la déroute des soldats allemands en avril 1945.

— Bien sûr, me dit-elle. Je peux vous dire qu’il mérite amplement qu’on ait inauguré des places et des rues à son nom.


http://greglamazeres.free.fr/greglamazeres.free.fr/pb_a_la_tribune.jpg

 

Bourthoumieux était un pharmacien pas comme les autres (une de ses filles a repris sa pharmacie et a épousé un de mes cousins éloignés). En 1934, il écrivait ceci :


« En régime socialiste, les soins médicaux et pharmaceutiques font partie d’œuvres d’assistance collective et ne constituent plus une charge pour les travailleurs. […] Un socialiste ne pose pas le problème des prix des produits pharmaceutiques. Il recherche le moyen de les supprimer, et quand il proteste contre la publicité effrénée dont s’entourent certains produits à défauts de vertus curatives, un socialiste qui a lu Marx réclame la suppression de cet état de chose, non pas en se plaçant sur le terrain économique, mais tout simplement sur le terrain moral. »

 

Puis la sémillante nona (et nonna) me parla de ses deux maris. Le premier dont elle divorça, juste après la guerre (pas fréquent, le divorce, chez les ouvriers, à l’époque) parce qu’il courait après tout ce qui bougeait, le second, mort d’Alzheimer, après une longue période de folie quasi-furieuse en hôpital psychiatrique.

Comme je m’apprêtai à la quitter, elle demanda à haute voix :

— Quand serons-nous débarrassés du clown ?

— De qui parlez-vous, demandai-je perfidement ?

— Comme si vous ne le saviez pas, me répondit-elle.

 

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22 mars 2011 2 22 /03 /mars /2011 11:06

Encore Luciole.

 

deauville03 2011 001.jpg

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19 mars 2011 6 19 /03 /mars /2011 08:08

Depuis que j'ai écrit ces lignes, les deux personnes évoquées sont mortes.

Dommage : elles auraient pu devenir des personnages récurrents de ce blog.


Sur le Banc

 

http://i.ytimg.com/vi/76aGF_M0XYM/0.jpgJe discutais l’autre jour sur un banc avec une dame d’un certain âge. Son visage était doux et triste. Elle ne s’était jamais remise de son veuvage, quinze ans auparavant. Elle était désormais parvenue à ce stade de l'existence où les petits-enfants, devenus adultes, sont éparpillés, vivent leur vie et ne se souviennent qu’une fois ou deux l’an qu’ils ont une grand-mère qui s’est beaucoup occupée d’eux quand ils étaient jeunes.

 
Nous rejoignit une de ses amies, une personne d’un âge encore plus certain. Elle était née en 1922. Elle me dit qu’elle était la dernière d’une fratrie de trois, qu’elle avait vu le jour vingt ans après sa sœur aînée (sa mère étant alors âgée de quarante-quatre ans), et vingt-deux ans après son frère. Je calculai que la mère de ces trois enfants était née en 1878, et le père en 1868 puisqu’il avait dix ans de plus que sa femme. C’était vertigineux.

 
Sans trop d’égards pour cette vieille dame, j’osai lui faire remarquer qu’elle ne devait pas s’appeler “ Désirée ”.


— “ Aimée ” non plus, ajouta-t-elle. Ma mère a pleuré chaque jour de sa grossesse. Puis, elle ne m’a pratiquement jamais regardée. J'y pense tous les jours.


Bref, ces deux personnes souffraient profondément depuis des lustres. Ma sympathie pour elles en prit un coup lorsque je découvris qu’elles avaient signé une pétition contre un quidam dont le seul crime avait été de s’être toujours tenu à de strictes relations professionnelles avec un employeur du sexe féminin qui le poursuivait d’une hargne obsessionnelle depuis des mois.


Comme quoi, souffrir n’empêchait nullement de faire souffrir. Bien au contraire…

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16 mars 2011 3 16 /03 /mars /2011 15:14

L'Izoard, il a tous les droits


http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/e/e3/Izoard-stèle_Bobet-Coppi.JPG

Je regardais, il y a peu, sur Arte, un fort joli film consacré à Éric Tabarly. Le grand marin y parlait de l’amour pour ses bateaux, le légendaire Pen Duick I en particulier, et il expliquait pourquoi il était devenu quasiment muet face aux journalistes neuneux qui lui posaient des questions ineptes du genre « Vous ne vous ennuyez pas pendant ces longues traversées ? » De fait, j'avais assisté à une conférence donnée, il y a une trentaine d’années, au Centre culturel français d’Abidjan durant laquelle Tabarly s’était montré prolixe en réponse à des questions pertinentes posées par des gens concernés.


Le film d’Arte nous donna l’occasion de voir Olivier de Kersauzon jeune, plus drôle que ronchon et ayant encore une peau de bébé, de retrouver Alain Colas et tous les autres champions formés par Tabarly. Mais il nous permit surtout de côtoyer un monde fascinant quand on lui est totalement étranger, celui des gens de la mer, avec son discours, ses codes, ses valeurs.

 

Nous éprouvons toujours la même sensation quand nous nous approchons brièvement d’un groupe mu par une même passion. Pensons aux alpinistes, aux collectionneurs de vieilles voitures qui se retrouvent le dimanche matin sur des aires d’hypermarchés, aux numismates, aux aéromodélistes etc. Je me souviens avoir un jour rencontré un groupe de fanatiques de cactus nains. J’avais trouvé cela, à première vue, complètement surréaliste, avant de me dire que cette activité avait autant de sens que la philatélie.


Pour ce qui me concerne, à mon modeste niveau, c’est le vélo.


D’avoir effectué à bicyclette au moins deux fois le tour de la terre depuis que je suis né (ça a l’air considérable, et pourtant cela n’a rien d’exceptionnel) a permis au citadin que je suis d’entendre le chant des oiseaux et m’a donné l’occasion de croiser quelques champions, beaucoup d’amateurs de haut niveau, des « professionnels de la profession ». Parce que j’ai toujours roulé un peu, j’ai pu franchir des cols, dans les Pyrénées, et surtout dans les Alpes. J’en suis peut-être à une trentaine. Les cols et autres ascensions que j’ai aimés, je les ai répétés deux, trois, quatre fois. Mon préféré : la Cayolle parce que la pente est à 3% pendant les dix premiers kilomètres, ce qui me permet de chauffer doucement mes vieilles jambes. J’ai toujours fait les vingt derniers kilomètres sans m’en rendre compte. Et puis j’adore le petit hameau d’Uvernet, juste avant les gorges du Bachelard. J’aime bien aussi son jumeau, le col d’Allos, souvent emprunté par les coureurs du Tour de France, mais il est plus pentu, avec des passages à 11%. Le col que je déteste – et dont je n’ai jamais répété l’ascension – c’est celui de Restefond, la fameuse route de la Bonnette. Ce n’est pas parce que il est le plus haut d’Europe, mais parce qu’il n’y a pas un mètre de plat (on ne s’en rend pas compte en voiture, mais dans les cols il y a souvent du plat et – j’y reviendrai – des descentes) et parce qu’il se termine vicieusement, après 23 kilomètres à 6%, par mille mètres à 10%, avec généralement le vent dans le nez.


Picarde.jpgQuand on monte, on fait des rencontres. J'ai par exemple été doublé dans la “ Montagne de Reims ” (courte mais bonne) par Zoetemelk qui, alors que je ahanais, aurait très bien pu se faire un shampooing et se curer les ongles de pied. Il me passa tellement vite que je lâchai un cri de surprise. Il se retourna, me sourit gentiment et continua sa route. Lors d’une de mes deux ascensions du Galibier, je montai en compagnie d’un père quarantenaire très musclé qui poussa littéralement sa fille de 15-16 ans pendant les huit kilomètres les plus durs en répétant « Allez mon bébé, allez mon bébé, on va y arriver ». Dans Aspin, j’ai doublé (ça m’arrive de doubler) un unijambiste. Après l’ascension de la Montagne Noire, dans le Tarn, j’ai roulé sur le plat, pendant quelques kilomètres, avec de bons amateurs quadras qui m’ont raconté que, lorsqu’ils étaient bien meilleurs, vers l’âge de 25 ans, ils avaient été lâchés sans rémission à l’entraînement par un gosse de 14 ans qui les avaient d’abord rattrapés. Il s’appelait Jalabert. Dans le haut niveau, il n’y a pas de secret. J’effectuais une petite ascension pyrénéenne en juillet 1998 en compagnie de deux bons amateurs qui avaient bien voulu m’escorter, quelques heures après l’arrestation par la douane du soigneur de Festina. Alors que je ne connaissais même pas le sigle EPO, j’appris tout en deux ou trois kilomètres : combien ça coûtait, qui en prenait (individuellement ou en équipe), qui n’en prenait pas, comment s’en procurer. Dans le milieu cycliste, seuls les commentateurs de France 2 n’étaient pas au courant… Un qui était au parfum, et que j’ai rencontré près de Poitiers dans les années quatre-vingt-dix, c ‘était le goûteur d’Anquetil : un équipier qui, dans les années soixante, testait la chimie qui donnait du supplément d’âme au grand champion.


Il y a quelques semaines, je me suis trouvé, par raccroc, invité dans un colloque scientifique de haut niveau. J’y repérai un collègue quinqua très athlétique. Je lui demandai quelle activité sportive il pratiquait. Il me répondit : le vélo. Ce colloque devint aussitôt beaucoup plus passionnant. Lors d’un repas, nous nous lançâmes dans une conversation pour initiés, écoutés par cinq ou six collègues éberlués. On parla des vertus de l’aluminium et du carbone (il roulait, ce qui n’est pas fréquent sous nos cieux, sur un Raleigh), de braquets, des livres de Jean Bobet ou de Paul Fournel, du Perjuret qu’il avait descendu la peur au ventre en pensant à Roger Rivière. On se raconta quelques-unes de nos ascensions (il en avait au moins 300 à son actif et ne roulait qu’en montagne : le plat le barbait). Plus nous sentions nos collègues largués, plus nous en rajoutions à l’unisson de nos souvenirs, en parfaite connivence :


- Dans le Granon, entre le km 11 et le km 13, j’ai failli vomir, me dit-il.

- Ca m’est arrivé dans le Ventoux, répondis-je. Et pourtant, j’avais mis tous les atouts de mon côté : j’étais parti à sept heures du matin, par Sault (moins difficile), par beau temps, sans me conditionner.

- Je me suis gelé au sommet du col Agnel à 2700 mètres, alors qu’il faisait 25° au départ de Molines.

- Moi de même. Pourtant, les habitants du coin m’avaient prévenu. La descente fut un enfer à partir du Rocher d’Annibal.

- Le col de Vars, il est pénible : je hais cette succession de faux-plats, de petites descentes casse-pattes, suivies de remontées sur un bitume mal entretenu.

- Puisque tu parles de descente, rétorquai-je, pense au kilomètre de l’Izoard où une descente nous assassine littéralement dans la casse déserte avant les 1500 derniers mètres à 9%.

- Oui, mais l’Izoard, il a tous les droits, prononça-t-il péremptoirement.


De fait, il avait raison : pour tous les cyclistes, de Koblet à celui qui se traîne à 10 à l’heure, l’Izoard c’est le mythe.


Un mythe collectif et individuel. C’est le col de Bobet et de Coppi (certains saluent ou se signent en passant devant la stèle érigée en leur souvenir par les lecteurs de L’Équipe). Ce n’est pas l’ascension la plus dure, mais quand on arrive dans la casse déserte, on est ailleurs, sur la lune et dans la lune, tels des extra-terrestres. On ne respire plus le même air.


J’effectuai ma première ascension de l'Izoard après une grave maladie, deux lourdes opérations. Me lancer à partir de Châterau-Queyras signifiait pour moi que j’étais de nouveau du côté des vivants. Jusqu’à Arvieux, j’ai douté. Lorsque j’entamai la route droite, à 10%, de La Chalp à Brunissard, j’ai pensé que je n’y arriverais pas. Heureusement, je fus rejoint par une enfant de 14 ans, une Picarde qui voulut bien m’accompagner au long de ces trois kilomètres terribles. Bizarrement, j’effectuai les six derniers kilomètres sur un nuage.


Au sommet, j’avais tous les droits…

 

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11 mars 2011 5 11 /03 /mars /2011 15:00

Le café drôle

 

J’ai longtemps enseigné à l’Université Nationale de Côte d’Ivoire, à Abidjan.
J’ai noué avec certains étudiants des rapports de forte sympathie. Une année, en particulier, avec des étudiants de licence qui avaient vu en moi une sorte de grand frère et qui avaient surestimé mon aptitude à leur donner de bons conseils.

 
Bref, un jour, en veine de confidences, ils m’avaient confié, sous le sceau du secret, les surnoms qu’ils avaient attribués à certains de mes collègues, ivoiriens ou expatriés. Nous en avions bien ri, jusqu’au moment où je leur avais demandé si, moi aussi, j’avais fait l’objet d’un baptême estudiantin. Après un pesant moment d’hésitation, ils me confièrent qu’ils m’avaient surnommé « le café drôle ».
Diantre ! Où étaient-ils allés chercher cela ? D’emblée, cela dit, le surnom me flatta : la Côte d’Ivoire était l’un des tout premiers producteurs de café au monde (ah ! le robusta qui nous faisait palpiter le palpitant). Comme, par ailleurs, je faisais parfois preuve d’humour, jusque dans mes cours, je me dis que ce café drôle n’était peut-être pas si aberrant que cela.
Je demandai néanmoins des explications sur la motivation d’un tel surnom.
— C’est parce qu’un jour, me dirent-ils, pendant l’un de vos cours sur l’histoire de l’Angleterre, vous avez évoqué un café drôle. On n’a pas compris pourquoi, mais on n’a pas osé vous demander ce dont vous parliez exactement. C’était durant la partie consacrée au Moyen-Âge.
Je rentrai chez moi plus que perplexe. Je relus donc tout le chapitre en question. Pas plus de trace de café que de drôlerie. Normal pour un cours rédigé en anglais.
Je me souvins soudain avoir brodé à partir de l’écrit lorsque j’avais évoqué l’avancée du christianisme outre-Manche. J’avais alors commencé une phrase par : « A cathedral was built ».
La cathédrale s’était donc transformée en « café drôle ».
Ceci me permit de vérifier un principe de phonétique bien connu : on n’entend que ce qu’on est capable de reproduire. Mes étudiants n’étant pas à l’aise avec le schwa de “ ca ” et le th sourd de “ the ”, ils avaient entendu “ café ”.

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