Depuis que je tiens ce blog, je me suis exprimé à plusieurs reprises sur les caméras de vidéo-surveillance dans les villes pour dire qu’elles ne servaient pas à grand-chose. En langage politiquement correct, en mentant, donc, on les appelle désormais « système de vidéo-protection ». Hé oui Orwell, génial observateur des tendances fascisantes dans son pays : on ne surveille pas, on protège. Je ne parle pas de la vidéo-surveillance dans les lieux privés : banques magasins, immeubles, où elle est un peu plus efficace, encore qu’on ne compte plus le nombre de bijoutiers braqués, cambriolés, voire tués, sous l’œil protecteur de leur système de vidéo.
Soyons objectifs et reconnaissons que ces caméras ont une vraie utilité dans la mesure où elles permettent de repérer plus rapidement les auteurs de délits ou de crimes.
Depuis 25 ans, Londres est la capitale la plus vidéeo-surveillée au monde (après Monaco qui est un cas un peu particulier). Cela n’a nullement empêché des meurtres de masse terroristes très meurtriers. Souvenons-nous de la cinquantaine de morts et des 700 blessés des attentats perpétrés par quatre terroristes décidés dans les gares de Londres le 7 juillet 2005 (après les 200 victimes de Madrid en 2004). Sans parler, évidemment de quantité de crimes et délits banals. Londres compte environ 300 000 caméras, le Royaume-Uni plus de quatre millions. Les divers rapports officiels qui ont étudié l'utilité de la vidéo-surveillance outre-Manche ont évoqué soit un « fiasco total », soit une efficacité extrêmement limitée quant à la lutte contre la criminalité ou la délinquance. Les Britanniques ont complètement intériorisé le flicage, comme l’avait d’ailleurs envisagé Orwell chez qui ce problème était vécu comme une névrose. Dans les séries policières, lorsque des enquêteurs arrivent sur le lieu d’un crime, leur première question est : « Y a-t-il de la vidéo-surveillance ? », même si le crime a eu lieu en plein milieu d’un bois.
Ce n’est sûrement pas un hasard si le premier promoteur de la vidéo-surveillance en France fut Patrick Balkany, dans les années 1990, dans sa bonne ville de Levallois-Perret. Depuis ces temps héroïques, il s’installe annuellement environ 30 000 nouveaux systèmes de vidéo-surveillance en France. On en a même vu dans des villages où il ne se passe quasiment rien, à part le concours annuel de la pêche au brochet. J’ai un théorème à ce sujet : lorsqu’un maire installe quelque chose qui ne sert à rien (caméras, « gendarmes couchés », ronds-points fleuris somptueux), cherchez le pot de vin.
Nice est la ville la plus vidéo-surveillée de France : une caméra pour 272 habitants. La vidéo-surveillance de la ville a permis de reconstituer le parcours du terroriste et de son camion et de comprendre son mode opératoire. Cela fait une très belle jambe à tous les gens massacrés !
Outre les 1257 caméras, le très sécuritaire Christian Estrosi a installé dans sa ville un centre de supervision urbain où 70 policiers municipaux pilotent des caméras 24 heures sur 24. 24 heures sur 24, vous vous rendez compte ? Little Brother ne dort même pas ! Les Niçois qui ont payé des impôts substantiels pour cette quincaillerie haute-technologie et qui sont morts écrabouillés auront l’éternité pour réfléchir au génie de leur maire et à cette analyse du sociologue Laurent Muchielli : « Les caméras de rue ont un apport très limité à la répression pour un prix assez exorbitant. Par ailleurs, c'est dans l'humain et le social que réside l'origine des problèmes, c'est là également que se trouvent les solutions durables ».
Les sytèmes de vidéo-surveillance, à Nice comme ailleurs, sont utilisés de manière politique. Certains quartiers sont davantage épiés que d’autres. Chez Estrosi, les collèges, les quais de bus, les cimetières sont particulièrement surveillés. Ce qui fout la trouille au premier terroriste venu, pas vrai ? Le problème est que la communication fonctionne dans les deux sens et qu’on communique toujours pour soi d’abord, pas pour l’autre. Les images que les terroristes suscitent sont leur signature, leur publicité. Mais apparemment, la majorité des citoyens pensent être protégés efficacement. Plus de 80% des Français sont favorables à toujours plus de flicage par vidéo-surveillance.
Daech le sait et s’en amuse.
Estrosi Little Brother continuera longtemps à materner ses administrés à condition qu'ils restent sous son regard, qu'ils soient coupables ou innocents. Orwell l'avait anticipé : le citoyen n'est qu'un objet d'une vision globale, déterminé en surface par une technique, mais en fait par un pouvoir qui se veut total. Le panopticon de Bentham n'a rien changé à la criminalité en Angleterre.
Au lendemain des attentats de janvier 2015, le little Estrosi (surnommé "motodidacte") louait son système de surveillance en conseil municipal, comme l’a rappelé le Huffington Post. « Avec 999 caméras, et une caméra pour 343 habitants [alors qu’] à Paris, il y en a 1 pour 1532, je suis à peu près convaincu que si Paris avait été équipée du même réseau que le notre, les frères Kouachi n’auraient passé 3 carrefours sans être neutralisés et interpellés », avait-il lancé à l’époque.
Les massacrés - les Niçois surtout - apprécient de plus en plus.