La pollution n’est pas qu’un phénomène naturel. Ses causes relèvent de choix économiques, mais aussi politiques.
Depuis plusieurs décennies, la classe dominante encourage « les gens » à prendre des mesures individuelles pour contrer les méfaits des pollutions avec des discours du style : « Éteindre sa veilleuse de télévision, c’est bon pour la planète », «Ramasser les crottes de son chien est un acte citoyen », « Tirer la chasse d’eau une fois sur deux préserve les ressources de tous » etc. Nous ne sommes pas encore à la délation, mais cela ne saurait tarder : « Hou, le vilain qui laisse la fenêtre de sa chambre ouverte alors que le chauffage collectif fonctionne à plein régime » ! On a vu sur Facebook des “Sentinelles de la vallée de l’Arve”. Tout ceci permet de ne pas remettre en question le modèle de développement. Combien faut-il de centaines de litres d’eau pour produire une côte de bœuf dans un conglomérat capitaliste transnational ? Combien faut-il dépenser de diesel pour qu’un consommateur allemand mange une salade qui a poussé en Espagne avant d’être conditionnée en Roumanie ? Le bouton veille de nos téléviseurs nous apparaît alors bien dérisoire.
D’un côté, acceptation de l’ordre politico-économique, de l’autre dénonciation de « mauvais » comportements, division, frein aux luttes collectives nécessaires. On manque d’oxygène, mais la classe dominante, elle, ne manque pas d’air.
La détérioration des conditions de vie dans la vallée de l’Arve et ailleurs a quelque chose à voir avec le recul de l’État et la prise de pouvoir de Bruxelles au service des monopoles capitalistes et financiers. Les habitants de l’Arve (ou ceux du 7ème arrondissement de Lyon, comme moi) continueront de suffoquer tant que les énergies ne seront pas revenus dans le giron d’un pôle d’État démocratique.
Ce dont les habitants de la Vallée de l’Arve ont besoin, c’est de la puissance d’un État à leur service et non à celui des monopoles capitalistes et de l'Europe de Bruxelles. Il n’y aura pas d’avancées écologiques sans que l’on s’attaque aux pouvoirs économiques, sans la nationalisation des grandes entreprises, sans la mise au pas de la finance, sans un grand pôle public de l’énergie et du transport, avec une gestion démocratique.
Il y a deux ans déjà, Lutte Ouvrière dénonçait les conditions de travail dans l’usine de Chedde :
« L’usine faisait anciennement partie du groupe Péchiney et comptait, il y a 30 ans, un millier d’ouvriers. Aujourd’hui, il n’y a plus que 180 travailleurs dans cette usine, qui dépend de SGL Carbon, un groupe allemand qui emploie 6 200 personnes et possède une quarantaine de sites dans le monde.
Mais si Chedde a perdu la plus grosse partie de ses effectifs, les conditions de travail ne se sont pas améliorées. Le travail se fait au milieu de la poussière de carbone, avec en plus la chaleur des fours. Le danger y est permanent. Plusieurs postes de travail sont exposés au brai, connu pour ses effets cancérigènes. En 2010, trois ouvriers avaient été intoxiqués par des émanations de gaz carbonique et avaient dû être hospitalisés. En janvier 2015, une explosion provoquée par la formation d’une poche de gaz dans un four a soufflé le toit d’un bâtiment, heureusement sans faire de blessés.
Dans ce dernier cas, c’était la conséquence directe d’une course au profit. En construisant des fours plus gros et en réduisant le nombre des cheminées d’évacuation de gaz, la direction voulait augmenter la productivité.
À Chedde, la direction essaie d’intimider les travailleurs, leur demande des efforts supplémentaires, laissant entendre que l’usine serait en sursis… Elle cherche même à les dresser contre de prétendus concurrents chinois ou même contre l’usine polonaise du groupe. »
Autre moyen pour lutter contre la pollution : une politique ferroviaire nationale volontariste. Les habitants de la vallée de l’Arve sont asphyxiés par une circulation par camions de marchandises qui pourraient et devraient normalement être transportées par le rail. Mais la politique de la SNCF soumise à des logiques de privatisation favorise les entreprises de transport privées et les méthodes du privé, tout en étant devenue le plus grand transporteur routier de France : Geodis-Calberson, Ouibus.
La privatisation de l’électricité (les barrages en montagne) va désormais empêcher toute maîtrise de la production et de la consommation au bénéfice des citoyens. Olivier Berruyer, du site Les-Crises.fr a bien résumé le problème :
« La grande affaire pour la commission européenne, c’est l’entorse à la concurrence libre et non faussée sur le marché de l’énergie. La France possède le deuxième réseau hydroélectrique européen. Bâti pour l’essentiel au sortir de la Seconde Guerre mondiale, il est totalement amorti. Il permet de produire l’énergie renouvelable la moins chère, entre 20 et 30 euros le mégawattheure, contre plus de 50 euros pour le nucléaire, au-delà de 80 euros pour l’éolien et le solaire. Selon la direction générale de l’énergie et du climat, les installations hydroélectriques dégagent un excédent brut d’exploitation de 2,5 milliards d’euros par an. Investissements et rémunération du capital déduits, le bénéfice s’élèverait à quelque 1,25 milliard d’euros par an.
De tels résultats suscitent bien des convoitises. Tous les privés en veulent leur part. Dès 2006, date de l’ouverture du marché français de l’énergie à la concurrence, les rivaux d’EDF ont demandé à bénéficier eux aussi des concessions hydrauliques, exploitées jusqu’alors à 80 % par EDF et 17 % par Engie (ex-GDF-Suez) dans le cadre de la nationalisation de l’électricité et de la loi sur l’eau. En 2012, l’association française indépendante de l’électricité et du gaz (Afieg), regroupant l’allemand E.ON, l’italien Enel, le suédois Vattenfall, le suisse Alpiq, s’est à nouveau manifestée pour réclamer d’avoir sa part dans les concessions hydrauliques. Depuis, certains membres semblent s’être beaucoup activés pour porter le dossier devant la commission européenne. »
Les privatisations découlent de la logique des traités européens. Pendant ce temps, l’État organise son propre recul : des bureaux de poste vont fermer du côté du Plateau d’Assy après ceux du Pays du Mont-Blanc, alors qu’ils avaient été refaits en 2010.
La fermeture de deux antennes de la CPAM à Sallanches a eu lieu en 2014. Des fermetures de lits d’hôpitaux sont planifiées. Tout cela pourrit la vie des gens dont les impôts filent vers le CICE.
L’or blanc est synonyme de pollution. Il faut désormais rentabiliser rapidement les stations, donc skier quand il n’y a pas de neige, faire venir un maximum de touristes, donc d’automobilistes.
Les incinérateurs sont également source de pollution. Celui de Passy est géré par une filiale de Suez. Il brûle 60 000 tonnes de déchets par an dont 25 000 tonnes seulement sont des ordures ménagères. Le reste sont des déchets industriels, des encombrants qui devraient être recyclés et non incinérés et des ordures ménagères extérieures aux villages concernés. L’effet de couvercle du fond de la vallée empêche un vrai dégagement des fumées.
Les habitants de cette vallée ont beaucoup souffert cet hiver. Pourtant, dès 2009, certains avaient sonné l’alarme. En dénonçant, par exemple, la présence beaucoup trop forte de benzopyrène, un polluant persistant, très cancérigène, que l’on trouve en particulier dans la fumée de cigarette. Ce poison à petit feu provient des pots d’échappement, de la combustion domestique, des usines metallurgiques, des centrales électriques fonctionnant au pétrole ou au charbon, des incinérateurs. Il diminue la fertilité et peut provoquer des altérations génétiques.
Village au fond de la vallée
Comme égaré presque ignoré
Bientôt tous morts dans la vallée ?