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23 avril 2023 7 23 /04 /avril /2023 05:01

On aborde là un sujet très délicat, avec des divergences d’appréciation nombreuses et importantes chez les économistes, en tenant compte du fait que la majorité de ceux qui ont accès aux grands médias sont globalement de droite, européistes, en faveur du statu quo, et hostiles à toute intervention de l’État lorsqu’une entreprise connaît des difficultés, quand elle ne se meurt pas.

 

Je suis parti d’une brève réflexion et d’une boutade de Fabien Roussel (qui ne passe pas son temps uniquement à comploter avec des socialistes de droite) à l’occasion d’une interview accordée à Apolline de Malherbe, dont il avait observé qu’elle parlait plus longtemps que lui (pas de sa faute si son nom signifie “ mauvaise herbe ”). « Nous avons perdu un million d’emplois industriels en l’espace de dix ans, ils ont mis la France sur LeBoncoin et ils l’ont vendu en morceaux ».

 

Récemment, le lecteur le plus fidèle de mon blog me faisait observer qu’en tant que puissance industrielle la Chine était récemment passée devant les États-Unis (28% de la production mondiale contre 16%) Suivaient assez loin le Japon, l’Allemagne, la Corée du Sud, l’Inde, l’Italie (2,3%) et la France qui, avec 1,9% de la production mondiale, devançait péniblement le Royaume-Uni et le Mexique. Á noter également que si l’on considère la place de l’industrie française par rapport à la richesse du pays, elle n’entre aujourd’hui que pour 13% du PIB, contre 23% en 1980 et plus de 30% dans les années cinquante. Cela dit, la valeur ajoutée de l’industrie a progressé ces cinquante dernières années, passant de 28 milliards à 41 milliards d’euros en prix constants.

 

Cet effacement a entraîné une stagnation des emplois industriels à partir de 2015. Un léger mieux fut observé entre 2017 et 2019. Selon France Stratégie – cet intitulé est un programme à lui tout seul : c’est le jeune conseiller Macron qui suggéra ce nouveau nom de baptême – qui a succédé au Commissariat général du Plan et qui dépend du Premier ministre, une tendance à la stabilisation devrait se poursuivre au moins jusqu’en 2030, l’emploi industriel qualifié devant augmenter. Théoriquement, on n'achète que ce qui est à vendre. Mais dans le grand marché capitaliste mondial, on achète aussi ce qui souhaite être vendu mais qui n'ose pas le proclamer urbi et orbi. On peut dès lors justifier toute prédation, toute dérive capitalistique. Á titre d'exemple, je reviendrai en fin d'article sur la mésaventure de Latécoère (mon tropisme sud-ouest m'ayant fait choisir cette entreprise parmi 100).

 

Quand les entreprises étasuniennes font leurs emplettes ça barde. Et cela ne date pas d'hier. En 1967, Jean-Jacques Servan-Schreiber – pourtant l'un des plus “ américains ” de nos patrons de presse – publiait Le Défi américain, qui allait devenir l'un des deux ou trois best-sellers de la décennie. JJSS envisageait que les investissements étasuniens en Europe pouvaient devenir la première puissance économique du continent. Il estimait que nous étions en train de renoncer à notre compétitivité et que la pente vers le sous-développement était inexorable. Avec un montant de 12 milliards d'euros proposé par General Electric pour racheter la division énergie d'Alstom, nous avons été ces temps-ci en présence du plus gros achat d'une entreprise française par un groupe étasunien. Très bien placé également fut le rachat en 2007 de Danone biscuits et céréales – avec sa marque LU en tête de gondole, dont on nous assure qu'il est désormais un fleuron de l'agriculture “ durable ” – par Kraft Foods (chiffre d'affaire : une vingtaine de millions de dollars). Hé oui, quand on mange un yaourt Danone, quelques centimes vont dans la poche de Warren Buffet.

 

Tout le monde peut faire des yaourts, à commencer par chacun d'entre nous. Mais tout le monde ne maîtrise pas l'électronique. Il est dès lors bien dommage qu'Exxelia, un siècle de savoir-faire dans les composants passifs complexes, donc des produits stratégiques pour, par exemple, la Défense nationale, ait été vendu à Heico, grand spécialiste des systèmes de télécommunication et autres satellites.

 

C'est donc la fleur au fusil et le menton galoche en avant que l'excellent ministre de l'Économie Bruno Le Maire put déclarer en 2022 qu'il n'y avait “ plus de souveraineté politique sans souveraineté technologique et qu'il fallait construire la souveraineté numérique de l'Europe. ”

 

L'année 2015 fut l'annus horribilis de nos entreprises. Trois des meilleurs d'entre elles tombèrent dans des girons étrangers : Lafarge, Alstom et Alcatel-Lucent. Ceux qui préfèrent voir le verre à moitié plein décidèrent que ces ventes allaient permettre la pérennité d'activités fragiles. Et aussi, bien sûr, mais chacun l'avait deviné, de créer des emplois.  Ah bon ?  Nous, les Français, nous étions juste capables de faire couler ces fleurons que le monde entier nous enviait dix ans plus tôt ? Tandis que Nokia, par exemple, repreneur d'Alcatel-Lucent (dont le PDG avait reçu une énorme prime de départ), brillait de tous ses feux de compétence. En 2016, l'entreprise supprima 15 000 emplois dont 400 en France. Puis 460 en 2020. Elle supprima 1233 emplois chez Alcatel en 2020. Cela dit, depuis 2015, l'entreprise avait perçu en France 273 millions d'euros de crédit d'impôt et avait bénéficié d'une ristourne d'impôts sur les sociétés de 39 millions en trois ans. Et, pour finir, cette entreprise exemplaire annonça vouloir supprimer 10 000 postes dans le monde en 2023. 

La désindustrialisation de la France

L'équipementier aéronautique français Latécoère est donc passé sous pavillon étasunien. Le fonds Searchlight possède désormais 62,76% du capital du groupe. Mais le groupe français n'avait-il pas d'autre choix ? Pour la directrice générale du groupe, Yannick Assouad, cette opération se révélait nécessaire. La société était surendettée en 2014. En 2015, les fonds Monarch et Apollo ont racheté cette dette pour la transformer en grande partie en capital, sauvant ainsi l'entreprise, selon la directrice.

 

En prenant la direction du groupe en 2016, Yannick Assouad a tenté de transformer Latécoère et à revoir son implantation industrielle. Apollo et Monarch ont refusé de suivre. Ils sont sortis du capital fin 2018. Searchlight est alors intervenu pour prendre le contrôle total de l'entreprise. Les sociétés travaillant pour la Défense nationale sont censées être protégées :

 

1) Par le décret Montebourg du 14 mai 2014 qui permet au gouvernement de refuser des investissements étrangers dans les secteurs stratégiques.

2) Par la loi Pacte de 2019, qui rappelle que tout investissement étranger doit être soumis à autorisation préalable, et qui surtout a élargi le secteur stratégique.

3) Par une autorité chargée du suivi des engagements dès l’autorisation des investissements.

4) Par l’obligation d’audits externes réguliers. 

Les négociations se déroulèrent dans le secret le plus absolu.

Latécoère est toujours le premier équipementier mondial en matière de fuselage, portes, sièges, câblage et systèmes embarqués. L'entreprise fabrique 500 000 pièces par an pour Airbus, Boeing, Bombardier, Dassault. Il était urgent de laisser s'envoler cette entreprise sans qui Saint-Exupéry et Mermoz seraient peut-être restés à terre.

Le boy de Rothschild a eu beau lancer – en anglais, évidemment – un “ Choose France ” à 140 chefs d'entreprise du monde entier réunis à Versailles, Alstom, Alcatel, Technip, Lafarge, Pechiney, notre chère moutarde Amora, Rossignol, sont passées sous bannière étasunienne. Á noter tout particulièrement le cas de HGH, spécialiste mondial de l'infra rouge, inventeur de systèmes de veille avec sa caméra panoramique, auxiliaire précieux de nos troupes. Cette société, d'un très haut niveau technique est contrôlée par le groupe Carlyle depuis 2018 (capital-investissement, 3661 millions de dollars au 21 décembre 2019). Pour “accélérer la croissance d'HGH et son développement sur de nouveaux marchés”. C sla, oui…

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Cet article est la preuve que l'Etat, les États ne sont pas des structures sans pouvoir, désarmés face aux pouvoirs financiers ou aux entreprises transnationales. <br /> Ce sont les États qui organisent ou accompagnent ou laissent faire ces mouvements capitalistes puis qui leur assurent les conditions de la continuité de leurs avantages contre l'intérêt général.<br /> Il faut insister et encore insister : contrairement au discours officiel les États ne sont pas dépendants du pouvoir financier mais l'inverse. Les États sont une réalité concrète plusieurs fois centenaires - une territoire, un peuple, un patrimoine ancien non seulement fait de biens matériels mais aussi culturel - face à un pouvoir financier instable. Ce dernier doit donc investir l'Etat pour assurer son présent et son avenir. <br /> Il faut déconstruire ce discours permanent, obsessionnel de l'impuissance de l'Etat. <br /> Ce discours sur cette impuissance il n'est pas bien entendu frontal mais insidieux. <br /> Je lisais dans AutoPlus un article sur les autoroutes. Il était très instructif sur la mentalité qui nous est inculquée. On y lit ceci ( je résume ) :<br /> " Avenir des autoroutes<br /> L'Etat a l'heure du choix<br /> ( Chapô : )<br /> Un nouveau rapport officiel, confirmant que l'Etat s'est bien fait plumer lors de la privatisation, vient d'être rendu public....<br /> Extraits :<br /> Documents à charge émanent du Parlement, de la Cours des comptes ou de l'ART....<br /> Les sociétés concessionnaires ont bien ficelé leurs contrats....<br /> Le dernier rapport pourra, cette fois, être suivi d'effets comme l'ont expliqué les ministres Bruno Le Maire et Clément Beaune.<br /> Autoroutes du Sud devenues Vinci Autoroutes valaient 15,1 milliards vendues 10,1 milliards. Paris-Rhin-Rhône et Rhône-Alpes cédées a Eiffage,pour 6,7 milliards au lieu de 10,7 milliards. <br /> Bruno Le Maire directeur de cabinet de Villepin à l'époque a tenté de se justifier : " je reconnais que les calculs que nous avons faits n'ont pas été bons..."<br /> L'idée récurrente de renationaliser'les autoroutes n'a aucun sens car il faudrait débourser 40 à 50 milliards d'euros de compensation. " On n'est pas en Union Soviétique " dixit Bruno Le Maire. "<br /> Bon j'arrête là parce que la suite est du même tonneau concernant les prétendues impossibilités à déprivatiser. On aura remarqué au passage les formules suivantes :<br /> " l'Etat s'est bien fait plumé ... " comme si les négociateurs côté État étaient des gens incompétents ou naïfs alors que " les concessionnaires ont bien ficelé leurs contrats". Bruno le Maire enfonce le clou de la fable de la naïveté puisqu'il dit " je reconnais que les calculs que nous avons faits n'ont pas été bons..."<br /> Mais le meilleur de tout le récit reste la remarque du même Bruno selon laquelle " On n'est pas en Union Soviétique "et ajoute l'auteur de l'article, qui sous couvert de prétendues critiques valide la doxa, il faudrait pour renationaliser débourser 40 à 50 milliards. Voilà comment on verrouille le débat en prétendant qu'il n'y a qu'une seule réponse. <br /> Naïveté pour naïveté on pourrait faire un bilan complet de l'opération privatisation qui va du prix des concessions aux gains engrangés, les comparer à ceux qui étaient envisagés et en conclusion mettre sur la balance pour la décision finale le poids du pouvoir régalien de l'Etat. On a bien vu à d'autres époques et en bien des lieux différents la façon dont des pouvoirs de toutes sortes ont fait plier ces prétendues forces.
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