L’embrouillamini, tel que je le conçois en tant que praticien et amoureux des langues, est l'idiome de la confusion qui, à force de nous embrouiller, devient difficilement compréhensible parce que le destinateur envoie un message double ou triple à un destinataire qui ne sait plus ce qu’il doit recevoir. Le contact entre les deux bouts de la chaîne linguistique se fait mal car, autant physiquement que psychologiquement, la communication se brouille, flotte, ne parvient pas à être correctement maintenue.
Liaison (Canal+) est une série passionnante, fort bien menée, avec des acteurs très aguerris. Elle a été conçue par Virginie Brac à qui l’on devait déjà plusieurs épisodes d’Engrenages, succès très mérité de Canal+. Elle est produite par la société britannique Ringside Studios et la française Léonis Productions. Les deux acteurs principaux sont Vincent Cassel et Eva Green. Cassel parle l’anglais, l’italien, le portugais et l’espagnol – sa maîtrise de ces langues est très authentique (à part l’espagnol un peu trop calqué sur l’italien). Son portugais, en particulier, est quasi indétectable. Il a une oreille exceptionnelle qui lui permet de reproduire à la perfection des langues “ difficiles ” comme l’arabe ou le russe. Eva Green parle français, suédois et anglais.
Tous ces acquis langagiers tombent bien dans une série anglo-française qui veut être achetée “ à l'internationale ”, comme on dit.
Et pourtant, il y a un malaise, surtout du côté des acteurs français, présents en grand nombre. Outre les deux vedettes susnommées, on rencontre Gérard Lanvin, Thierry Frémont, Stanislas Merhar (de père slovène), Irène Jacob, Laëtitia Eidi (de mère libanaise), Eriq Ebouaney (d’origine camerounaise), Tchéky Karyo (d’origine turko-grecque).
Je n’évoque pas ici les acteurs britanniques ou d’autres nationalités pour ne pas compliquer le tableau.
Question : en quelle langue ces acteurs jouent-ils ? Autant que j’ai pu le décrypter, ils jouent dans leur langue maternelle. Mais leurs prestations sont doublées. Par eux-mêmes, m’a-t-il semblé. La production complétant par des sous-titres. Et alors là, nous sombrons dans le gloubi-boulga de la confiture linguistique. Á part Eva Green – et encore car son anglais se veut mais n'est pas extraordinaire, c’est la cata. Cassel n’est pas lui-même. Thierry Frémont, qui joue le rôle du président de la République français, est méconnaissable, outré. Gérard Lanvin en devient risible, niveau 5ème de transition. Irène Jacob est tout sauf Irène Jacob. Stanislas Merhar est à l'Ouest.
Les signes disparaissent dans une soupe à gros bouillons. Nous sommes dans la bâtardise des signifiés et dans l’édulcoration des signifiants. La série n’est ni anglaise, ni française. Même si c’est accessoire, on ne peut évaluer le jeu des acteurs, alors qu’ils sont tous très bons.
PS qui n'a rien à voir : si ce n'est pas moi qui le dis, personne d'autre ne le dira. Hier 25 avril, j'ai donné une longue conférence sur Orwell à des élèves de 1ère du Lycée Récamier de Lyon, à l'initiative de leur professeur d'anglais Maud Bergantin. C'était la première fois depuis 14 ans que je parlais devant des djeuns. Je m'en suis plutôt bien sorti. Il faut dire que ces lycéens étaient très motivés, posant une foule de questions particulièrement pertinentes.