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30 août 2023 3 30 /08 /août /2023 05:01

 

 

Encore une bonne émission (“ Spécial investigation ”) de Canal+ consacrée à La Poste. Bonne, mais courte : 25 minutes pour traiter de la souffrance au travail et de la privatisation – même quand on montre bien que tout est lié, c’est un peu rapide.

 

Avec la privatisation des postes en Europe, nous sommes en plein dogmatisme libéral. Rien n’obligeait les Européens à privatiser ces services qui fonctionnaient très bien au temps où les employés s’occupaient simplement d’acheminer le courrier.

 

Dans l’émission de Canal+, j’ai retenu, en particulier, les interventions de trois personnes :

 

– la mère d’un jeune postier qui s’était suicidé, les conditions de travail étant largement responsables de cette fin tragique ;

 

– une employée répondant avec le sourire que, pour elle, tout baignait. On découvrait après quelques secondes qu’elle s’exprimait sous la surveillance de deux sbires de la com’ payés grâce aux impôts des contribuables. La Poste, désormais, c’est la Corée du Nord ;

 

– une carpette de luxe responsable du développement nous expliquant qu’aujourd’hui on essayait de vendre des porte-clés dans les bureaux de poste, et que, si cela ne prenait pas, demain on proposerait autre chose. Je suggère du jus de carotte lyophilisé. C’est ça le libéralisme : on tente des coups, pas de politique à long terme, la recherche du profit n’importe comment, aucun sens du service du service public.

 

On le sait, ces dérives scandaleuses ont commencé à la fin des années 1980, sous les socialistes. Le ministre Paul Quilès, polytechnicien, donc fonctionnaire jusqu’au bout des sourcils, impulse l’engrenage fatal de la privatisation et de la défonctionnarisation des personnels. La Poste se sépare de France Télécom pour des raisons “ économiques ”, alors que les télécoms font de somptueux bénéfices. Aujourd’hui, La Poste s’est associée à un fournisseur privé pour vendre du téléphone, en pleine concurrence avec Orange.

 

La logique de l’avancée inexorable vers le privé est la même que partout ailleurs. L’État se désengage ou annonce qu’il va se désengager, et le service public est contraint de chercher des financements privés en vendant par exemple du sperme d’aurochs en poudre. Le patron de La Poste, aux commandes de cette forfaiture, a un intérêt personnel à ce que cela se réalise rapidement, car s’il est reconduit en tant que patron privé, son salaire sera multiplié par 5 ou 10.

 

Un témoignage personnel sur “ avant ”. Quand j’étais enfant dans les années cinquante, j’habitais dans le Pas-de-Calais. Mes grands-parents résidaient à 850 kilomètres de là, dans le Lot-et-garonne. Nous n’avions pas le téléphone et correspondions par courrier. Si je postais une lettre tôt le matin, le facteur la leur délivrait le lendemain à 10 heures. Si je la postais un peu plus tard, ils la recevaient le surlendemain. À l’époque, il n’y avait pas d’informatique, pas de TGV, quasiment pas d’autoroutes. Le tri était manuel, la plupart des facteurs faisaient leur tournée à pied. Une très grande majorité des employés étaient fonctionnaires, ils ne subissaient aucun harcèlement, n’étaient pas évalués toutes les 48 heures et n’étaient pas sanctionnés parce qu’ils ne vendaient pas suffisamment de jus de carottes lyophilisé. Bref, ça marchait franchement bien. Le village de mes grands-parents est un chef-lieu de canton de 900 habitants (il en a perdu 200 en 50 ans). Il a perdu également sept ou huit commerces. Et il a surtout perdu son bureau de poste, il y a quelques années. Face à une population constituée pour une grande part de personnes âgées et de citoyens d’origine maghrébine, l’administration postale fut sans pitié. Malgré la présence, l’été, pendant de nombreuses années, de Roger Louret (né à deux pas) et de ses Baladins en Agenais, le village a difficilement survécu. La Poste lui a enfoncé la tête dans l’eau.

 

Il y a une trentaine d’années, il m’a été donné de rencontrer longuement Robert Galley, qui avait été, auparavant, ministre des PTT. Galley fut un homme politique farouchement de droite mais, peut-être parce qu’il avait été un grand résistant, il fit honneur au sens de l’État. Pour lui, être en politique ne signifiait pas, comme pour les avocats d’affaires d’aujourd’hui en mission dans des territoires qu’ils doivent ravager, tuer le service public, mais, au contraire, le faire vivre au service de la collectivité. Il m’expliqua que le budget des PTT était autonome par rapport au budget de l’État. Les communications téléphoniques, la vente des timbres suffisaient à payer les fonctionnaires et à faire tourner cette énorme administration. Pas de surendettement, pas de rachat d’entreprises concurrentes, pas de guichets réservés aux entreprises, pas de “ Banque postale ” (mais on recevait un avis lors de chaque transaction). Pas d’UPS, pas de DHL.

 

Le bonheur de lire mardi midi une lettre que mon grand-père m’avait écrite lundi matin.

 

 

La Poste, avant…
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commentaires

A
Je vais faire un aveu : je ne regarde plus depuis longtemps les émissions genre " investigations.." . C'est ainsi que je n'ai jamais regardé l'émission Cash Investigation sur France 2. D'ailleurs on peut se demander pour quelles raisons ce genre d'émissions qui reposent sur la dénonciation des dysfonctionnements sont si nombreuses sur les chaînes télé et entre autres sur M6 dont c'est presque une spécialité. <br /> Il me semble que ces émissions cultivent la partie stérile de la critique, celle contre laquelle on doit lutter en permanence, car elle ne produit aucune conséquence et surtout elle conforte en chacun de nous cette tendance négative au fatalisme puisque le monde est rempli d'individus malfaisants et que le fonctionnement général est pourri par nature. Dans ces conditions pourquoi changer puisque tout ce vaut, au moins nous savons ce que nous avons et il serait hasardeux sinon pire de tenter autre chose.<br /> Ces émissions ne font finalement que prolonger sous une autre forme nos petites conversations critiques sur les choses de la vie ou sur la vie des autres.<br /> Pour revenir sur Cash Investigation, j'ajoute que je ne supporte pas le côté Clint Eastwood d'Elise Lucet dont les dénonciations comme je l'indiquais précédemment ont peu ou pas d'effet. D'ailleurs si le spectacle continue c'est qu'il est stérile pour le progrès et très favorable au statut quo.<br /> J'imagine, parce que je ne suis pas certain, qu'il en serait autrement si tout ce cirque était remplacé par des émissions où des politiques exposeraient sur un sujet donné ( par exemple La Poste ) ce qu'il en était, ce qu'il en est et surtout ce qu'il pourrait en être.
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