Cette photo a été prise vers 1960. On aura reconnu les deux grands champions Charly Gaul et Jacques Anquetil. En ce temps-là les coureurs ne portaient pas de casque (c’était l’attribut des pistards) et il leur était loisir de faire assaut d’élégance, d’où les lunettes de soleil du coureur normand.
Mais ce qui m’a intéressé dans ce domcument, c’est le spectateur complètement aléatoire qui, déjà, ne regarde plus Anquetil (tout comme le personnage à l’extrême gauche de la photo).
Á l’époque, j’ai eu deux fois l’occasion d’assister, avec mon père, au passage de grands champions. La première fois en 1954 ou 1955, pour voir passer Louison Bobet, victorieux du Tour de France, la seconde fois en 1959 lors du passage du Tour de France où Anquetil terminerait troisième.
Tout cela pour vous dire que mon père était habillé, en ces deux occasions, comme le spectateur de la photo : costume, chemise, cravate. En ce temps-là, lorsqu’un homme assistait à une manifestation publique, il s’habillait. C’était une sorte d’hommage rendu aux pourvoyeurs du spectacle. En tout état de cause, il eût été impensable que mon père – instituteur – puisse rencontrer au bord de la route des élèves ou des parents d’élèves, pas dépenaillé, vous n’y pensez pas, mais par exemple habillé d'un survêtement. Mon père avait légèrement dérogé avec les us et coutumes car il avait choisi une veste pied-de-poule. Je me souviens que ma mère avait surveillé ma mise : short “ habillé ” sur mes gambettes et une veste sur ma chemise.
Loin de moi l'idée de dire que c'était mieux avant. Disons que nous étions tous différenciés : Anquetil avait l'air d'être Anquetil. Les spectateurs étaient endimanchés même si nous n'étions pas un dimanche. On allait regarder passer le Tour de France, les “ géants de la route ”, comme on disait à l’époque, comme d’autres allaient à l’opéra.