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19 avril 2025 6 19 /04 /avril /2025 05:01

La formation des grandes villes

« Pour déterminer la disposition et la place des grands sites trypilliens dans l’histoire de l’Europe, nous essaierons de les comparer avec des structures d’habitation comtemporaines. Du Veme au IVeme mill. avant JC ont existé une série de précoces et vibrantes cultures agricoles dans le centre et le sud de l’Europe. Cela inclut les cultures de Lengyel, de Tiszapolgar, du FBC, de Kojadermen, de Gumelnitsa et de Vinca, entre autres.

Les tendances à l’urbanisation commencerent à apparaitre en Europe durant la période néolithique. L’accroissement de la population et de la complexité des structures sociales et de direction s’entremelant jouerent un role important dans ce processus. Il est intéressant de comparer les données trypilliennes avec la description de Hermann Parzinger de l’urbanisation de l’Europe. Au début (stade trypillia A, ou horizon chronologique 5-8 de Parzinger), nous avons des ‘villages disséminés’, des ‘villages agglomérés’, et des ‘proto-villes’ sur le territoire trypillien.

Le site Mogyl’na III occupait une aire approximative de 10 ha, et contenait plus de 100 habitations, avec une population variant entre 500 et 800 personnes. Nous y trouvons aussi une hierarchie complexe à 2 ou 3 niveaux. Cela incluait un grand Mogyl’na III, un petit Mogyl’na I, et un site Mogyl’na II assez proche. Nous trouvons une situation similaire en Moldavie. L’existence de très grands sites, avec des superficies de dizaines ou centaines d’hectares et d’importantes populations (5000 et plus) peut être située à l’horizon 9-12. Ce seraient des ‘villes précoces’ selon l’échelle proposée ici.

Cette corrélation montrent que lorsque les formations des proto-villes cesserent en Europe du sud, elles fleurirent à la frontiere de la civilisation européenne, entre le Prut et le Dniepr. Les proto-villes trypilliennes disparurent au moment ou Troy I-II se formerent en Anatolie.

Pourquoi les proto-villes trypilliennes apparurent ?

Il y a deux points de vue concernant les grands sites trypilliens. Certains archéologues croient qu’ils sont apparus sur la frontiere des communautés agraires sous la menace ‘d’invasions steppiques’. D’autres soutiennent que leur apparition résulte de développement sociaux internes sous la menace de guerres inter-tribales (Shmagliy and Videiko, 1993 ; Videiko, 2002, pp.70-100). Les plus récentes investigations ont montré des processus culturels internes (économiques aussi bien que sociaux) dans la culture de Trypillia, étant connectés non seulement avec la steppe, mais aussi avec les cultures d’Europe centrale.

Les proto-villes trypilliennes apparurent vers 4200 avant JC en différents territoires (et pas seulement sur la frontière avec la steppe) comme une réaction à la situation économique et politique associée à l’unité Cucuteni-Trypillienne. La croissance de la population, des conflits militaires inter-tribaux, et des migrations peuvent aussi bien être invoqués comme facteurs possibles. Ces proto-villes étaient le centre de nombreuses chefferies qui étaient dans une sorte de guerre intestines perpétuelles. Les sites devaient être transferrés vers de nouveaux champs tous les 40 à 70 ans, alors que le territoire de la steppe-forêt entre les Carpates et le Dniepr était limité. Les grands sites trypilliens sont un exemple de début de processus d’urbanisation similaire à la préhistoire des villes en Mésopotamie entre 4000 et 3000 après J.-C..

Maria Gimbutas écrivit que « les proto-IE, que j’ai dénommé le peuple des Kourganes, arrivèrent de l’Est, depuis le sud de la Russie, à cheval. Leurs premiers contacts avec la frontière des territoires d’Europe dans la région du bas-Dniepr et l’Ouest de la mer Noire commença vers le milieu du Veme mill. avant JC. Cela provoqua un flot continu de peuples et d’influences en Europe de l’est et centrale qui dura 2 millénaires. Les pacifiques agriculteurs, ainsi, furent facilement vaincu par les cavaliers guerriers des Kourganes qui prirent le dessus sur eux. Ces envahisseurs étaient armés d’armes coupantes et tranchantes ; poignards à longues lames, lances, hallebardes, arcs et flèches. 


Selon nous, néanmoins, il n’y avait pas de pré-conditions économiques, politiques ou militaires pour une agression ‘steppique’ contre les proto-villes trypilliennes, et il n’y a aucune évidence archéologique que de tels conflits aient existé. Les agriculteurs trypilliens ont construit leurs sites fortifiés bien avant que des ‘cavaliers-guerriers des kourganes’ n’apparaissent dans les steppes. Depuis le VIeme mill. avant JC, ces ‘agriculteurs pacifiques’ produisaient des armes telles que des haches-marteaux de pierre et de métal, des poignards, des pointes de flèches, qui ne sont apparus dans les tombes steppiques qu’au IIIeme mill. avant JC.

En fait, un ‘village’ de la culture trypillienne tel que Maydanets dans la région Bug du sud-Dniepr devait avoir une armée plus puissante que l’ensemble des forces de toutes les tribus Sredny Stog réunies. La désintégration de la culture de Trypillia peut être reliée aux changements dans l’environnement physique après 3500-3400BC. Ces changements ont mené à une expansion de l’économie de production dans la zone des steppes.

Les interactions entre les cultures de Trypillia et Sredny Stog créerent les conditions pré-requises pour ce processus. Après 3400-3200 avant JC, des groupes de population trypillienne prirent part à la création de nouveaux groupes culturels dans les régions des steppes et des forêt-steppes. Cela incluse les cultures Usatovo et Gorodsk, entre autres. Ce ne fut qu’après ces événements que le pastoralisme steppique apparut. Les cultures de Trypillia et Bolgrad-Aldeni jouerent le role de civilisations supérieures dans la création de la tradition semi-nomadique européenne. D’un autre coté, les proto-villes apporterent la garantie de la préservation de l’identité de la culture trypillienne. Nous pouvons en conclure que d’une certaine manière le facteur ‘Ouest’ a joué un rôle dans ce processus, en connexion avec l’origine des proto-villes trypilliennes.

La période de « Polgarisation » dans le territoire trypillien cessa après 4300/4200 avant JC, lorsqu’apparut le premier grand site dans l’est de la culture de Trypillia. Après cela suivit une longue période (entre 4000 et 3400avant JC) durant laquelle seuls les territoires des différents groupes locaux trypilliens avec une organisation en proto-villes restèrent en dehors du processus d’intégration culturelle sous l’influence des cultures néolithiques tardives et énéolithiques d’Europe centrale. Ce n’est qu’après la disparition du système des proto-villes que le processus intense d’influence en provenance du groupe Baden commença. (Cela n’eut pas d’effet sur le territoire du groupe Kosenivka, ou les dernières proto-villes existèrent jusqu’en 2900-2750 avant JC). Les proto-villes disparurent complétement à la fin du IVeme ou au début du IIIeme mill. avant J.-C., comme résultat d’un changement culturel global.

Les premieres étapes de l’urbanisation ?

Nous pouvons détecter plus d’un parallèle entre les développements de la zone Ubaid-Uruk-Jemdet Nast et la zone trypillienne. Expansion territoriale, accroissement de la population, concentration de la population sur de grands sites, développement des échanges commerciaux, apparition des premiers systèmes d’enregistrement, hiérarchies à 2 ou 3 niveaux – tous ces phénomènes apparaissent de manière similaire, et il semble que la Mésopotamie et l’Europe se développeront de la même manière entre 5000 et 3000 avant JC. Seule la conclusion de ces développements différent : les premiers états apparurent en Mésopotamie, alors que les proto-villes tombèrent en décadence entre 3400 et 3000BC.

Il est logique de supposer que si des processus similaires prirent place dans ces premières sociétés agricoles, ce fut pour résoudre les mêmes problèmes. Comme l’augmentation de la population jusqu’à la surpopulation, le manque de terres agricoles, et des conflits entre communautés.

Il peut être considéré que l’apparition des grands sites dans la culture Cucuteni-Trypillia n’est que la première phase de l’urbanisation, ou l’un de ces modèles possibles. Ce processus fut interrompu sur le territoire ukrainien au début de l’age du bronze, après 3200BC. La disparition des proto-villes 500 ans plus tard fut la conséquence de la crise d’une économie agricole intensive.

L’ancien Proche-Orient et l’Europe ont montré deux chemins de développement de civilisations au IVeme mill. avant JC : le développement des premières villes et des états en Mésopotamie contre la rupture temporaire du progrès social en Europe. De ce point de vue, le développement puis le déclin des proto-villes trypilliennes nous apportent l’opportunité d’étudier les premiers stades d’urbanisation qui, en d’autres lieux, ont été obscurcis par les développements ultérieurs. C’est la raison pour laquelle nous considérons que l’étude des grands sites trypilliens, les proto-villes d’Ukraine, sont du premier intérêt. »

Conclusion

Nous ignorons bien des choses encore sur la fin de cette civilisation et sur son existence même. Il semble clair que, peu avant sa chute, elle a impulsé des changements sociaux d’ampleur menant à une société fondée sur la division en classes sociales fondée sur la propriété privée, notamment celle des troupeaux, alors qu’elle avait atteint son plus haut niveau de développement sur la base de la propriété collective, qu’elle a tenté de passer au patriarcat alors qu’elle avait toujours connu le fonctionnement d’une société matriarcale.

Nous défendons l’idée que ce passage de la société collectiviste à la division en classes sociales et du matriarcat au patriarcat est très probablement à la source des troubles qui ont mené à sa chute. Bien sûr, ce type d’hypothèses est fermement combattu par la plupart des auteurs, tout simplement en n’y faisant même pas allusion ou en émettant toutes les autres hypothèses, même sans aucun fondement historique. C’est au point que, parmi les thèses qui fondent cette chute sur un changement climatique, les uns parlent d’une hausse des températures et les autres d’une chute des températures. Ceux qui parlent d’une invasion d’un autre peuple guerrier ne peuvent même pas mettre un nom sur ce peuple, ni des dates, ni des restes, ni aucune preuve.

A l’inverse, les changements sociaux d’ampleur qu’a tentés la société de Cucuteni ont laissé des traces dans la dernière phase de cette société et elle a chuté peu après. C’est donc plus qu’une hypothèse farfelue de fanatiques de la lutte des classes ! C’est ceux qui refusent même d’en discuter qui sont fanatiques anti-luttes des classes et refusent de voir dans les révolutions antiques de véritables révolutions politiques et sociales avec aussi des réactions des anciennes sociétés, réactions qui ont pu parfaitement être eux aussi des mouvements insurrectionnels.

Il est fort probable que cette chute d’une société au passage de la propriété commune à la division en classes sociales et du matriarcat au patriarcat du fait de la révolte sociale n’est pas un cas d’espèce : la plupart des sociétés qui ont chuté à la fin du néolithique sont sans doute dans le même cas. L’étude de la chute de Cucuteni n’en est que plus importante !

Partout dans le monde, la société divisées en classes sociales est issue de la société sans classes, la société fondée sur la propriété privée est issue de la société collectiviste, le patriarcat est issu du matriarcat. Et, partout dans le monde, ce passage ne s’est pas réalisé insensiblement et sans réactions. L’histoire ce changement radical reste à écrire…

La disparition de la culture de Cucuteni-Trypillia, la civilisation matriarcale néolithique la plus ancienne et brillante d’Europe (II)
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commentaires

A
D’abord je dois dire que je suis toujours admiratif de ces gens qui consacrent leur temps et leur vie à des études si particulières qu’elles contreviennent à l’idéologie actuel qui ne voit d’intérêt que dans ce qui peut se monnayer immédiatement en gloire personnelle ou en argent. Y a-t-il une chance que grand nombre et l’officialité médiatique s’intéresse à ce genre de recherche ?<br /> Cependant tous les démontages des mécaniques sociales qui ont conduit comme ici du collectivisme à la société de classes, du matriarcat au patriarcat sont selon moi essentiellement matérialistes car ces explications ignorent la part déterminante qui revient à la nature humaine. Cela aurait-Il été possible sans le facteur humain qui conduit l’homme à privilégier son intérêt personnel et immédiat ? <br /> Par conséquent il m’est difficile de croire à un âge d’or et même aurait-il existé en quoi changerait il le présent et l’homme d’aujourd’hui ?<br /> Des tas de bouquins ont été écrits sur les raisons qui ont fait l’Histoire telle que nous la connaissons.<br /> Par exemple pourquoi tout a commencé en Mésopotamie, l’importance de la présence de certains mammifères comme les bovins, les ovins ou l’existence du cheval et d’un climat favorable à certaines cultures et leur diffusion grâce a l’immensité du continent Eurasien<br /> Certains comme Jared Diamond dans son essai « l’homme et son environnement dans l’histoire, De l’inégalité parmi les sociétés »apporte une réponse à la question « Pourquoi une telle domination de l'Eurasie dans l'histoire ? Pourquoi ne sont-ce pas les indigènes d'Amérique, les Africains et les aborigènes australiens qui ont décimé, asservi et exterminé les Européens et les Asiatiques ?<br /> Ici aussi il y a une explication mécaniste des faits oubliant au passage ce qu’on peut nommer de façon générique et peut-être simpliste, la nature humaine.<br /> J’ai toujours garder en mémoire l’exemple de « Cortès qui soumet les Aztèques et s'empare de Tenochtitlan. Le 19 février 1519 avec une poignée d'Espagnols - environ cinq cents -Ces soldats aux ordres du jeune Herman Cortés s’alliant aux peuples indiens de la région affrontent le redoutable empire aztèque. » <br /> Ce qui important à noter c’est l’alliance des peuples indiens de la région qui ne supportaient plus la tyrannie des aztèques. On constate à travers cet exemple que contrairement aux récits officiels les peuples premiers ne vivaient dans des sortes de paradis et que tout banalement il en était là-bas comme ici, hier comme aujourd’hui.<br /> En quelque sorte je ne crois pas que le monde tel que nous le connaissons aurait pu être différent. Pour cette raison les batailles pour l’égalité et la démocratie sont sans fin. Il ne s’agit pas de sombrer dans le fatalisme mais, à l’instar de Camus, de ne pas oublier Sisyphe et son rocher,
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