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21 mai 2025 3 21 /05 /mai /2025 05:01

Une preuve de plus que les Français ont intégré la pauvreté et la précarisation :  60% d'entre eux serait pour que leur salaire leur soit versé hebdomadairement ou quinzomadairerement. Il s'agit là d'un recul de plus de 70 ans dans notre histoire sociale.

 

Le salaire est apparu au Moyen Âge. Le mot salaire vient du latin salarium qui était la rétribution en sel donnée aux légionnaires. Le mot français “ salaire ” apparaît au XVème siècle et “ salariat ” seulement à partir du début du dix-neuvième siècle (selon Marx, le salariat transformait le travail en marchandise, et son développement impliquait celui du rapport social capitalise dans la société). Au Moyen Âge, il existait onze formes de salariat dans le monde des artisans. En effet, la grande partie de la population active était composée de paysans – serfs, libres, métayers, petits propriétaires –, autosuffisants ou payés en nature. C’est avec l’apparition du prolétariat que le salaire s’est imposé. La France comptait que 400 000 ouvriers en 1789, 1,2 million en 1848 et 3 millions en 1881. En 1830 un peu moins de 50 % de la population active est salariée, 62 % en 1936 et 90 % en 2000. La première officialisation du salaire vient du code civil napoléonien de 1804. Il s’agit de l’article 1710 : « louage d’ouvrage ». Il stipule : « Le louage d’ouvrage est un contrat par lequel l’une des parties s’engage à faire quelque chose pour l’autre moyennant un prix convenu entre elles. » À partir de 1890-1893, une poignée de députés essaie d’imposer un code du travail avec le contrat de travail. Il ne sera voté qu’en 1910. Les conventions collectives suivront en 1919. Code, contrat et conventions sont indispensables à la fixation et la protection du salaire.

 

Depuis plus d'un siècle, le salaire est devenu incontournable. Il n'empêche que les travailleurs doivent le défendre encore et toujours contre toutes les attaques qui veulent le diminuer ou le précariser. Ce qui constitue notre modèle social – dont on sait qu'il fait de plus en plus l’objet d’attaques “ décomplexées ” – n’est jamais allé de soi et est de plus en plus fragilisé. L’ensemble de ces sécurités sociales pour lesquelles nous cotisons sont le fruit d’un siècle de mobilisations, de grèves, de manifestations, de négociations et de répressions. Disposer, ne serait-ce que d’une fiche de paie, était loin d’être une évidence il y a un siècle. On travaillait alors sans savoir si l’on serait correctement payé le lendemain, encore moins la semaine. Une véritable avancée n’a pu avoir lieu qu’après la Seconde Guerre mondiale avec la création de la Sécurité sociale à la Libération.

 

Au départ, l’ouvrier était payé soit à la pièce, soit à l’heure. Il sera payé aussi à la quinzaine, faisant la queue au bureau du comptable pour toucher sa paie en liquide, alors que l’employé et l’agent de maîtrise étaient mensualisés. La mensualisation et l’obligation d’avoir un compte en banque pour éviter le liquide se feront progressivement entre 1969 et 1978. Lorsque mes parents, au sortir de la Deuxième Guerre mondiale, entrent dans la vie active comme instituteurs, ils sont, dans un premier temps, payés en liquide à la fin de chaque semaine à l'Inspection académique d'Arras.

 

En 1950 le gouvernement instaure le SMIG, salaire minimum interprofessionnel garanti, qui, 2 ans plus tard sera indexée sur l'inflation. Un processus appelé l'échelle mobile des salaires qui disparaîtra en 1982. En 1970, le Premier ministre Jacques Chaban-Delmas transforme le G en C comme croissance. Les coups de pouce au SMIC disparaissent autour des années 2006-2007. En 2019, 2 300 000 salariés étaient smicards. Avec la précarisation des emplois et autres temps partiels nombre de travailleurs ne perçoivent même plus un SMIC entier.

 

Au XIXème siècle, le bulletin de paye n'existait pas. Seules quelques grandes entreprises les établissaient et les conservaient pour elles-mêmes en y mentionnant uniquement les décomptes d'heures et les retenues. Le 1er juillet 1929, les premières cotisations apparaissent. Il faut attendre 1931 que la loi impose la délivrance d'une pièce justificative prouvant qu'un salarié cotise et est rémunéré. Ce document devra comporter le nom et la qualification du salarié, les montants bruts et nets et certaines déductions avec leurs montants respectifs. On a longtemps été payé à l’année, à la semaine, à la tâche, mais surtout à la journée. Ce qui fait que les jours fériés, comme des fêtes religieuses, on n’était pas payé du tout. Gros problème au Moyen Âge par exemple puisqu’on comptait plus d’une centaine de jours fériés par an. En 1942, la mention du nom et de l'adresse de l'employeur devient obligatoire. En 1959, se rajoute également sur le bulletin de paie l'organisme auquel l'employeur verse ses cotisations et la distinction entre les heures de travail à taux normal et celle à taux majoré. La loi du 18 août 1986 prévoit que les cotisations patronales devront apparaître dès 1989. Depuis 2017, a été mis en vigueur le bulletin de paie simplifié. Il est plus clair pour ses destinataires et est en conformité avec l'article L. 3243-1 du Code du Travail imposant la distribution du bulletin de paie a chaque versement du salaire. Un délai de conservation des bulletins de paie par l'employeur a également été instauré.

 

Le 20 avril 1970, sous la présidence de Georges Pompidou, le salaire devient mensuel, assurant le même montant chaque mois, quel que soit le nombre de jours travaillés (février respire !). La mensualisation est alors un vrai progrès pour les travailleurs : elle garantit un salaire identique chaque mois, elle est calculée sur une base mensuelle moyenne (52/12e de la durée hebdomadaire) ; les salariés à temps plein ou partiel sont concernés mais certaines catégories d’entre eux en sont exclues (travailleurs à domicile, saisonniers, intermittents). Le lissage de la rémunération permet une continuité salariale malgré des horaires irréguliers.

On peut malheureusement se demander si nous allons assister prochainement à la fin de la mensualisation du versement des salaires. 63% des salariés français souhaitent être payés au cours du mois pour éviter d'être à découvert. Une proposition de loi va être proposé par Jean Laussucq, député Ensemble pour la République (présidé par Gabriel Attal), pour assouplir la demande d'acompte sur salaire.

Allons-nous repartir à zéro ?

Je complète la rengaine qui m’a servi de titre (et qu’on chantait encore dans les années cinquante) : «  Amène ta semaine avec la mienne ça fera une bonne quinzaine ».

Amène ta s'maine avec la mienne…
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commentaires

3
Cela ne corresspond pas à la tendance générale actuelle - depuis mitterand en fait - à devenir salariée, fonctionnarisée, assistée. Cela fait longtemps - à part chez les militaires et les intérimaires - que l'on ne demande plus d'avance mais des prets. Que l'on espère jamais rembourser.
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