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20 mai 2025 2 20 /05 /mai /2025 05:01

Thomas Porcher (et al.). L’économie pour les 99%. Paris : Stock 2025.

 

On se souvient qu’entre l’Europe (« l’Europe, l’Europe, l’Europe », disait De Gaulle) et la lutte contre le capitalisme débridé – ne parlons même pas de désir de socialisme – le président Mitterrand avait choisi l’Europe. Il y a au moins dix ans de cela, l’Europe a, elle aussi, choisi, en principe usque ad finem tempus : « Il ne peut y avoir de choix démocratique contre les traités européens », asséna Jean-Claude Juncker, ancien président de la Commission européenne, dans la foulée l’accession au pouvoir du parti Grec Syriza. Juncker avait ainsi précisé sa pensée : « On ne peut pas sortir de l’euro sans sortir de l’Union européenne. À l’inverse, pour revenir, il faudrait que les 28 parlements nationaux soient d’accord, avec traité d’adhésion et ratifications idoines. C’est une pure spéculation. Le débat sur la sortie de la Grèce de la monnaie commune est un faux débat. »

 

Un grand merci à l’économiste Thomas Porcher pour son dernier livre (une BD avec beaucoup de dessins mais aussi beaucoup de texte) consacré au rôle de ces 22 000 fonctionnaires et 10 000 contractuels (ce qui, en soi, n’est pas exorbitant : un euro par jour et par citoyen) qui gèrent nos vies, parfois selon les directives des politiques que nous avons élus, de plus en plus souvent selon leur propre initiative. La fonction publique européenne ne coûte pas cher. Pensons à Bercy qui compte 130 000 agents. 6,4% du budget seulement (9,7 milliards d’euros en 2022) est consacré aux dépenses administratives, dont à peu près la moitié aux rémunérations des fonctionnaires et agents des institutions, qui payent même des impôts ! La réforme de 2004 a débouché sur une baisse des salaires pour tout nouveau fonctionnaire, comprise entre 20 à 30%. Les économies dégagées par cette réforme entre 2004 et 2020 sont estimées à 8 milliards d’euros.

 

Le problème est que l’UE est pilotée, gérée comme si elle était une religion. D’une manière générale, le libéralisme fait l’objet de véritables mantras : « There is no alternative » – il n’y a pas d’autre choix – Margaret Thatcher ; « Je préfèrerais être impopulaire que manquer à mon devoir » (François Mitterrand en 1983) ; « Le libéralisme ne sera pas un choix mais une nécessité » (Jacques Chirac en 1984) ; « La politique est désormais l’art d’accommoder les restes, sous-entendu les rares marges d’autonomie qui subsistent » (François Hollande, 1985) ; « Il n’y a pas d’alternative à l’allongement de la retraite » (Nicolas Sarkozy, 2008) ; « S’il y avait un autre chemin, je l’aurais pris » (David Cameron, 2013) ; « L’autre politique est un mirage » (Emmanuel Macron, 2014). Toutes ces prises de position pouvant être couronnées par ce credo hollandien de 2014 : « C’est l’offre qui crée la demande ». Dans son ouvrage de 2002 Les nouveaux maîtres du monde, l’altermondialiste suisse Jean Ziegler estimait – en forçant peut-être un peu le trait – que la mantra thatchérienne pouvait être perçue comme un pouvoir totalitaire plus efficace que le bolchevisme et le nazisme qui aurait émergé du « mercantilisme mis en place par les entreprises s’appuyant sur l’État. »

 

Cette propagande incessante, même si douce, a fonctionné. Pour la majorité du demi-milliard d’individus peuplant l’UE, le libéralisme est devenu évident, inscrit dans nos gênes, et à peine est-il besoin d’en parler. Il existe tout de même une résistance à cette inexorabilité. Ainsi, lors de la campagne pour l’élection présidentielle de 2017, le boy de Rothschild était soutenu par une quarantaine d’économistes. Mélenchon, par une centaine. Et l’on n’insistera jamais assez sur les relations incestueuses entre les grands dirigeants de l’Europe et les grandes banques. José Manuel Barroso, l’ancien président de la Commission européenne, a été recruté par Goldman Sachs après avoir géré la crise contre le peuple grec. Avant lui, le président français Georges Pompidou avait été fondé de pouvoir chez Rothschild. Quant au boy, il a gagné, dans cette même banque, 3 millions d’euros en quatre ans, ce qu’un fonctionnaire de Bercy gagne dans toute sa carrière.

 

Mais le logiciel “ néolibéral ” est toujours le seul représenté comme légitime, prévient Thomas Porchet, malgré ses échecs patents. Fondé sur un paradigme qui présuppose l’efficience des marchés, notamment financiers, il prône de réduire les dépenses publiques, de privatiser les services publics, de flexibiliser le marché du travail, de libéraliser le commerce, les services financiers et les marchés de capitaux, d’accroître la concurrence en tout temps et en tout lieu. Même si les plus faibles doivent rendre gorge. Á partir de 2011, la Grèce s’est vu imposer une austérité budgétaire sans commune mesure par les experts de la Commission européenne, la BCE et le FMI, ce qui a amplifié la récession, économique.

 

Or, la fonction publique, ça marche ! Même si l’on s’en tient uniquement à une logique comptable. Selon l’auteur, en France, pour un euro investi en dépense publique, on récupère 1,40 en PIB. Tandis que le libéralisme n’est d’aucune utilité pour 99% de la population. Depuis le tourant libéral, les revenus ont progressé de moins de 1% par an pour la majorité (ils ont baissé de 0,4% pour les retraités) tandis qu’ils ont plus que doublé pour les plus riches. Rappelons que le virage libéral a été impulsé par trois Français “ de gauche ” : Jacques Delors, Michel Camdessus (ancien gouverneur de la Banque de France, puis directeur du FMI) et Henri Chavranski (conseiller économique et financier auprès de l'OCDE). Incidemment, la TVA (inventé parle haut fonctionnaire français Maurice Lauré et instituée par la loi du 10 avril 1954)  est un grand facteur d’inégalités : la part de cet impôt dans les ménages en France est de 3,4% chez les plus aisés et de 8,1% chez les plus pauvres. Elle a rapporté 272 milliards d’euros en 2023.

 

Comment les maîtres du monde voient-ils notre avenir socio-économique à court terme ? En juin 2001, Serge Tchuruk, PDG d’Alcatel, censé recentrer cet énorme fleuron français sur les télécoms, proclamait : « Alcatel doit devenir une entreprise sans usine ». Les salariés – et le grand public découvrirent alors l’obsession de maximaliser la valeur de l’actionnaire en faisant des travailleurs un facteur de production parmi d’autres. Pour Tchuruk, « la valeur ajoutée manufacturière tend à décroître quand la valeur immatérielle s’accroît sans cesse. » L’action Alcatel tomba en quelques mois de 100 euros à 30. Mais Tchuruk insista : d’un plan social à l’autre, d’un mouvement social à l’autre, Télécoms s’achemine désormais vers un groupe sans usines et sans salariés. En 2003, les effectifs avaient été réduits des deux tiers, et les sites des trois quarts, à 30 usines.

 

Dans le même temps, l’argent public touché pour surmonter la crise de 2008 a servi à délocaliser les usines pour faire plus de bénéfices. Mais on a beau dire, on a beau faire : la course à l’échalotte entamée contre le reste du monde est perdue d’avance. Les voitures chinoises seront toujours moins chères que les voitures “ françaises ”.

 

Le discours dominant s’est enrichi d’une nouvelle thématique pour demain : la transition thermique. Elle serait le grand défi d’aujourd’hui et de demain. Á condition qu’il ne s’agisse pas de poudre aux yeux. En France, en 2021, 2,8 milliards d’euros ont été dépensés pour 700 000 améliorations. Mais seules 2 500 “ passoires ” thermiques ont été vraiment traitées sur les 4,8 millions identifiées. Raison pour laquelle de petits propriétaires ne peuvent pas louer un studio qu’ils possèdent en plus de leur résidence principale par faute de rénovation thermique.

 

La mondialisation, d’abord arme des pays riches contre les pays pauvres, est devenue l’arme des multinationales contre les citoyens.

 

Note de lecture 183

PS qui n'a rien à voir : 

Saint-Pierre-et-Miquelon, jusque là préservée… Guérira-t-il, dans ces contrées froides et lointaines, de la branlée que lui a infligée Retailleau ?

Note de lecture 183
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commentaires

A
À propos des impôts on aura beau faire, on aura beau dire on changera difficilement l’ appréciation commune et généraliste selon laquelle comme ils disent «  on paye trop d’impôts ».<br /> En même temps on se souvient, puisqu’on l’a tous vue, de la caricature qui date de la révolution française sur les trois-ordres : le Tiers-État portant sur son dos le clergé et la noblesse. Qu’a-t-on changé depuis à cette répartition ? Ce serait moins grave si le bon peuple était en majorité moins perméable au discours dominant du trop d’impôts et plus conscient des conséquences de l’inégalité de sa répartition.<br /> Bien sûr l’ UE est une construction au service d’intérêts financiers particuliers mais cet objectif originel est selon moi secondaire au regard d’un but beaucoup plus structurant qui est le dessaisissement du pouvoir des peuples au profit d’un pouvoir technocratique. Il s’agit en fait par degré d’augmenter la distance entre les peuples et le pouvoir décisionnaire pour in fine rendre ce dernier totalement indépendant. L’épisode des vaccins COVID est le parfait exemple car outre les sommes engagées ( 34 Mds si je me souviens bien ) on a pu constater qu’une seule personne non élue - Ursula von der Leyen - a négocié le nombre de vaccins ( 10 doses par personne, ce qui était de toute évidence excessif ) et décidé du montant du marché. Pire encore les députés élus n’ont pas été ni consultés ni autorisés à se renseigner sur son contenu.<br /> On constate donc que pour ces gens-là, de Macron à Ursula von der Leyen et d’autres du même acabit, le peuple est un problème et qu’il faut le contourner. <br /> L’UE est antidémocratique et a bénéficié et bénéficie encore du projet irréaliste d’un monde sans frontière et dans lequel il n’y aurait qu’un seule peuple et pourquoi pas une seule langue. C’est idiot car si les nations sont le résultat du hasard et de la nécessité, elles ont développé au cours de siècles une culture propre qui fait finalement par leur diversité la richesse de l’humanité. Cependant la Machine est aujourd’hui bien installée jusqu’au moindre rouage et puis elle est comme un bateau qui ne s'arrête pas net quand on coupe le moteur ou que l'on affale les voiles car celui-ci continue à avancer, porté par son inertie. C'est ce qu'on appelle l'erre. Cette vitesse résiduelle pousse le bateau Europe encore plus loin dans sa logique.<br /> Moralité : il faudrait défaire l’ UE et revenir à un monde plus raisonnable fait d’accords et de respect mutuels entre nations. Malheureusement l’ UE est comme la pâte dentifrice : impossible de la remettre dans le tube une fois sortie.<br /> PS : Vauquiez, il est con quand même, malgré son cursus universitaire. L’autre jour il reprend l’ antienne : si on a des droits on a des devoirs. Il faut espérer qu’il le fait par démagogie. Sinon il suffit de se poser la question : pourquoi y’a t’il une charte des droits de l’homme et non une charte des devoirs de l’homme ? Alors au cas où il aurait sauté une étape on pourrait lui expliquer que l’énoncé des devoirs n’est pas nécessaire car les droits individuels d’un individu sont par essence limités par les droits d’un autre ou des autres individus. Par ailleurs on comprend très bien que les devoirs en question seront forcément établis par une autorité et par conséquent potentiellement différents selon celle-ci, c’est-à-dire soumis à l’arbitraire.
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