Thomas Porcher (et al.). L’économie pour les 99%. Paris : Stock 2025.
On se souvient qu’entre l’Europe (« l’Europe, l’Europe, l’Europe », disait De Gaulle) et la lutte contre le capitalisme débridé – ne parlons même pas de désir de socialisme – le président Mitterrand avait choisi l’Europe. Il y a au moins dix ans de cela, l’Europe a, elle aussi, choisi, en principe usque ad finem tempus : « Il ne peut y avoir de choix démocratique contre les traités européens », asséna Jean-Claude Juncker, ancien président de la Commission européenne, dans la foulée l’accession au pouvoir du parti Grec Syriza. Juncker avait ainsi précisé sa pensée : « On ne peut pas sortir de l’euro sans sortir de l’Union européenne. À l’inverse, pour revenir, il faudrait que les 28 parlements nationaux soient d’accord, avec traité d’adhésion et ratifications idoines. C’est une pure spéculation. Le débat sur la sortie de la Grèce de la monnaie commune est un faux débat. »
Un grand merci à l’économiste Thomas Porcher pour son dernier livre (une BD avec beaucoup de dessins mais aussi beaucoup de texte) consacré au rôle de ces 22 000 fonctionnaires et 10 000 contractuels (ce qui, en soi, n’est pas exorbitant : un euro par jour et par citoyen) qui gèrent nos vies, parfois selon les directives des politiques que nous avons élus, de plus en plus souvent selon leur propre initiative. La fonction publique européenne ne coûte pas cher. Pensons à Bercy qui compte 130 000 agents. 6,4% du budget seulement (9,7 milliards d’euros en 2022) est consacré aux dépenses administratives, dont à peu près la moitié aux rémunérations des fonctionnaires et agents des institutions, qui payent même des impôts ! La réforme de 2004 a débouché sur une baisse des salaires pour tout nouveau fonctionnaire, comprise entre 20 à 30%. Les économies dégagées par cette réforme entre 2004 et 2020 sont estimées à 8 milliards d’euros.
Le problème est que l’UE est pilotée, gérée comme si elle était une religion. D’une manière générale, le libéralisme fait l’objet de véritables mantras : « There is no alternative » – il n’y a pas d’autre choix – Margaret Thatcher ; « Je préfèrerais être impopulaire que manquer à mon devoir » (François Mitterrand en 1983) ; « Le libéralisme ne sera pas un choix mais une nécessité » (Jacques Chirac en 1984) ; « La politique est désormais l’art d’accommoder les restes, sous-entendu les rares marges d’autonomie qui subsistent » (François Hollande, 1985) ; « Il n’y a pas d’alternative à l’allongement de la retraite » (Nicolas Sarkozy, 2008) ; « S’il y avait un autre chemin, je l’aurais pris » (David Cameron, 2013) ; « L’autre politique est un mirage » (Emmanuel Macron, 2014). Toutes ces prises de position pouvant être couronnées par ce credo hollandien de 2014 : « C’est l’offre qui crée la demande ». Dans son ouvrage de 2002 Les nouveaux maîtres du monde, l’altermondialiste suisse Jean Ziegler estimait – en forçant peut-être un peu le trait – que la mantra thatchérienne pouvait être perçue comme un pouvoir totalitaire plus efficace que le bolchevisme et le nazisme qui aurait émergé du « mercantilisme mis en place par les entreprises s’appuyant sur l’État. »
Cette propagande incessante, même si douce, a fonctionné. Pour la majorité du demi-milliard d’individus peuplant l’UE, le libéralisme est devenu évident, inscrit dans nos gênes, et à peine est-il besoin d’en parler. Il existe tout de même une résistance à cette inexorabilité. Ainsi, lors de la campagne pour l’élection présidentielle de 2017, le boy de Rothschild était soutenu par une quarantaine d’économistes. Mélenchon, par une centaine. Et l’on n’insistera jamais assez sur les relations incestueuses entre les grands dirigeants de l’Europe et les grandes banques. José Manuel Barroso, l’ancien président de la Commission européenne, a été recruté par Goldman Sachs après avoir géré la crise contre le peuple grec. Avant lui, le président français Georges Pompidou avait été fondé de pouvoir chez Rothschild. Quant au boy, il a gagné, dans cette même banque, 3 millions d’euros en quatre ans, ce qu’un fonctionnaire de Bercy gagne dans toute sa carrière.
Mais le logiciel “ néolibéral ” est toujours le seul représenté comme légitime, prévient Thomas Porchet, malgré ses échecs patents. Fondé sur un paradigme qui présuppose l’efficience des marchés, notamment financiers, il prône de réduire les dépenses publiques, de privatiser les services publics, de flexibiliser le marché du travail, de libéraliser le commerce, les services financiers et les marchés de capitaux, d’accroître la concurrence en tout temps et en tout lieu. Même si les plus faibles doivent rendre gorge. Á partir de 2011, la Grèce s’est vu imposer une austérité budgétaire sans commune mesure par les experts de la Commission européenne, la BCE et le FMI, ce qui a amplifié la récession, économique.
Or, la fonction publique, ça marche ! Même si l’on s’en tient uniquement à une logique comptable. Selon l’auteur, en France, pour un euro investi en dépense publique, on récupère 1,40 en PIB. Tandis que le libéralisme n’est d’aucune utilité pour 99% de la population. Depuis le tourant libéral, les revenus ont progressé de moins de 1% par an pour la majorité (ils ont baissé de 0,4% pour les retraités) tandis qu’ils ont plus que doublé pour les plus riches. Rappelons que le virage libéral a été impulsé par trois Français “ de gauche ” : Jacques Delors, Michel Camdessus (ancien gouverneur de la Banque de France, puis directeur du FMI) et Henri Chavranski (conseiller économique et financier auprès de l'OCDE). Incidemment, la TVA (inventé parle haut fonctionnaire français Maurice Lauré et instituée par la loi du 10 avril 1954) est un grand facteur d’inégalités : la part de cet impôt dans les ménages en France est de 3,4% chez les plus aisés et de 8,1% chez les plus pauvres. Elle a rapporté 272 milliards d’euros en 2023.
Comment les maîtres du monde voient-ils notre avenir socio-économique à court terme ? En juin 2001, Serge Tchuruk, PDG d’Alcatel, censé recentrer cet énorme fleuron français sur les télécoms, proclamait : « Alcatel doit devenir une entreprise sans usine ». Les salariés – et le grand public découvrirent alors l’obsession de maximaliser la valeur de l’actionnaire en faisant des travailleurs un facteur de production parmi d’autres. Pour Tchuruk, « la valeur ajoutée manufacturière tend à décroître quand la valeur immatérielle s’accroît sans cesse. » L’action Alcatel tomba en quelques mois de 100 euros à 30. Mais Tchuruk insista : d’un plan social à l’autre, d’un mouvement social à l’autre, Télécoms s’achemine désormais vers un groupe sans usines et sans salariés. En 2003, les effectifs avaient été réduits des deux tiers, et les sites des trois quarts, à 30 usines.
Dans le même temps, l’argent public touché pour surmonter la crise de 2008 a servi à délocaliser les usines pour faire plus de bénéfices. Mais on a beau dire, on a beau faire : la course à l’échalotte entamée contre le reste du monde est perdue d’avance. Les voitures chinoises seront toujours moins chères que les voitures “ françaises ”.
Le discours dominant s’est enrichi d’une nouvelle thématique pour demain : la transition thermique. Elle serait le grand défi d’aujourd’hui et de demain. Á condition qu’il ne s’agisse pas de poudre aux yeux. En France, en 2021, 2,8 milliards d’euros ont été dépensés pour 700 000 améliorations. Mais seules 2 500 “ passoires ” thermiques ont été vraiment traitées sur les 4,8 millions identifiées. Raison pour laquelle de petits propriétaires ne peuvent pas louer un studio qu’ils possèdent en plus de leur résidence principale par faute de rénovation thermique.
La mondialisation, d’abord arme des pays riches contre les pays pauvres, est devenue l’arme des multinationales contre les citoyens.
PS qui n'a rien à voir :
Saint-Pierre-et-Miquelon, jusque là préservée… Guérira-t-il, dans ces contrées froides et lointaines, de la branlée que lui a infligée Retailleau ?