Lucie Castets. Où sont passés nos milliards ? Paris : Le Seuil, 2025
Les pauvres, les précaires sont, eux aussi, victimes de la férocité du boy de Rothschild, comme quand il décide de réformer le RSA, en conditionnant son versement à des heures d’activité.
Pour calmer le mécontentement, en janvier 2019, le boy propose un “ Grand débat national ”, en plein mouvement des Gilets jaunes. La question des services publics est alors « centrale ». Mais la seule question posée est : « Faut-il supprimer certains services publics qui seraient dépassés ou trop chers ? » Le boy s’est bien gardé de poser la question : « Lesquels des services publics vous paraît-il urgent d’améliorer ? » Il aurait pu également demander s’il fallait indéfiniment augmenter les restes à charges pour les malades, surtout pour les soins dentaires (c’est chez les pauvres et les personnes âgées que l’on renonce le plus à se faire soigner). Un Français sur trois vit dans un désert médical, là où, comme par hasard, l’espérance de vie est plus courte que dans la population en général.
La ruralité souffre. Entre 1980 et 2015, « le nombre de communes bénéficiant d’une école primaire a reculé de 23%, d’une maternité de 47% et d’une gendarmerie de 12%. » Cette involution est identique en périphérie des grandes villes où, on ne s'en étonnera pas, le vote RN ne fait que progresser.
Mais les riches peuvent dormir tranquille. Si la lutte contre la petite délinquance et l’immigration irrégulière mobilisent plusieurs dizaines de milliers de gendarmes et policiers, la criminalité financière, qui représente des dizaines de milliards d’euros de pertes pour l’État, ne disposent que de quelques centaines d’agents spécialisés. Laquelle de ces deux délinquances retient l’attention des chaînes d’info ? Bonne question…
L’autrice revient sur une question qui va nous concerner pendant des dizaines d’années : l’eau, ce précieux liquide largement entre les mains d’intérêts privés. Il est impératif de « créer un service public national qui mette en œuvre une forte péréquation financière entre les territoires [je déteste le mot “ territoire ”] et une régulation des prix et du marché contraignante qui permettrait d’assurer une gouvernance [je déteste le mot “ gouvernance ”] plus cohérente face aux défis croissants liés à la pollution au stress hydrique et aux infrastructures vieillissantes. Actuellement la gestion de l'eau en France repose d'une part sur une logique de gestion locale qui ne garantit aucun équilibre entre des territoires inégalement dotés. Elle repose d'autre part sur un modèle mixte de gestion associant des délégations de service public confiées à de grands opérateurs privés comme Veolia ou Suez et des régies publiques locales. Cette fragmentation entre territoires et entre modes de gestion entraîne des inégalités majeures d'accès et de tarification entre les territoires. »
Le numérique fera également l'objet de débats cruciaux. Lucie Castets a quelques fortes idées : « Les évolutions dans le domaine du numérique la place que ces technologies en réseau prennent dans notre quotidien et les risques inhérents à la gestion des données en matière de protection de souveraineté et d'accessibilité justifient de développer un service public dans ce secteur encadré par les valeurs démocratiques et guidées par la nécessité d'une réponse désintéressée à des besoins collectifs. Il serait particulièrement utile de développer un outil public d'hébergement de données pour rapatrier celles dont le stockage est aujourd'hui assuré par des entreprises privées, pour certaines à l'étranger, plateforme française créée par l'État et centralisant les données de santé hébergées par Microsoft et donc soumise au droit américain.
Par ailleurs, le privé ne résoudra pas le problème de la transition écologique : « Il convient de doter la puissance publique d'outils permettant de se projeter dans le long terme au-delà de la vision souvent court-termiste des marchés et du cycle électoral. Un horizon temporel étendu est en effet indispensable pour mettre en œuvre une politique efficace en faveur de l'innovation et de la recherche et pour promouvoir la localisation d'activités porteuses d'emploi compatibles avec les exigences de la transition écologique dans tous les secteurs, enfin pour former du personnel qualifié. » Le drame est que la transition écologique est spontanément inégalitaire : pour l'autrice, « il est nécessaire de mettre en place des mécanismes redistributifs robustes et une pensée stratégique de la répartition de l'effort à prévoir. Les plus pauvres sont doublement pénalisés : d'une part ils sont particulièrement exposés au coût de la transition écologique car ils consacrent une part disproportionnée de leurs revenus aux dépenses énergétiques. Pour des ménages de taille identique, ces dépenses représentent 3% du revenu pour les ménages les plus aisés contre 20% pour les ménages les moins aisés. Or les ménages situés parmi les 10% les plus riches émettent 40 tonnes d'équivalent CO2 par ménage et par an contre 15 tonnes pour les 10% les plus pauvres soit une empreinte carbone presque 3 fois supérieure. »
Un bouleversement la politique patrimoniale est également à prévoir. : « Au début de l'année 2021, 50% des ménages les plus riches détenait 92% de l'ensemble du patrimoine ; les 5% les plus riches en détenaient 1/3 et le 1% le plus riche en détenait 15% à lui tout seul. Par ailleurs l'héritage constitue désormais 60% du patrimoine total contre 35% dans les années 70. L'héritage moyen de 0,1% des plus gros héritiers représente enfin 180 fois l'héritage médian. Autrement dit, le patrimoine est de plus en plus concentré et la richesse de plus en plus due au hasard de la naissance. » Il a été calculé que « l'introduction votée à l'Assemblée nationale en février 2025 d'un impôt minimal sur le revenu des 1800 foyers les plus riches (possédant plus de 10 millions d'euros de patrimoine) égal à 2% de la valeur de leur patrimoine permettrait de rapporter à l'état entre 15 et 25 milliards d'euros de recettes fiscales annuelles supplémentaires. De quoi financer l'équivalent de pans entiers de l'action publique comme le budget du ministère de la Justice, qui est de 10 milliards d'euros environ, ou encore celui de l'enseignement supérieur qui est de 18,5 milliards.
Bref, il y a du pain sur la planche…