Sociologue, Arnaud Saint-Martin est député LFI de Seine-et-Marne. Il a publié en avril 2025 Les Astrocapitalistes. Conquérir, coloniser, exploiter (Payot).
Texte repris du Nouvel Obs.
C’est une rumeur épouvantable qui se propage depuis de nombreuses années dans les universités : bientôt les frais d’inscription vont augmenter. Tout bon observateur aura relevé plusieurs indices. Premièrement, tout a été mis en place pour satisfaire les gouvernants néolibéraux friands de marchandisation du savoir ces dernières années : sélection à l’université par Parcourssup, puis Mon Master ; augmentation des frais d'inscription pour les étudiants étrangers, souvent les premiers à expérimenter les mesures les plus autoritaires du gouvernement ; et, en parallèle, le dépérissement de l’enseignement supérieur tout entier, jusqu’au dernier budget qui entérine une baisse inédite de 1,5 milliard d’euros de crédits en prenant en compte l’inflation. Deuxièmement, les universités publiques sont en crise : trois quarts d’entre elles ont voté un budget en déficit, du fait des mesures gouvernementales non compensées et des restrictions budgétaires imposées. Le nombre de vacataires, précaires de l’enseignement supérieur et la recherche (ESR), explose dans des universités ne pouvant plus embaucher ni titulariser. Troisièmement, sur les ruines de l’université publique prospère l’enseignement supérieur privé, gavé de subventions à l’apprentissage. Ce qu’Emmanuel Macron a offert gracieusement aux entreprises et au privé pour faire des étudiants une main-d’œuvre bon marché et qui rapporte. Les étudiants sont ainsi transformés en chair à canon obsolescente et pas chère du capital, qui n’en demandait pas tant.
Si ces attaques dirigées contre l’université publique mettent à tout le moins la puce à l’oreille quant à l’augmentation des frais d’inscription, c’est assurément l’explosion du lucratif qui confirme définitivement le sombre avenir qui se profile pour la jeunesse. En effet, l’enseignement supérieur privé à but lucratif est un marché florissant, un écran de fumée derrière le chaos organisé, qui fait bondir le coût du savoir. Certaines formations proposent des frais d’inscription à 10 000 euros l’année tout en trompant volontairement les étudiants sur la validité du diplôme qu’elles confèrent.
D’une rumeur au projet
La rumeur prend corps dans un rapport de l'IGERS (Inspection Générale de l’Education, du Sport et de la Recherche) sorti il y a quelques semaines. Il préconise d’augmenter les frais d’inscription pour les établissements publics à 2 850 euros par an en licence et 3 879 euros en master. Les mêmes tarifs que ceux pratiqués pour les étudiants étrangers et imposés de force, il y a quelques années, malgré une forte mobilisation dans les universités. Le plan « Bienvenue en France » (sic) était peut-être finalement bien nommé, puisque les étudiants extracommunautaires auront été les premiers à expérimenter ce qui attend l’ensemble de leurs camarades.
France Universités aborde le sujet de façon franche et directe désormais. Jusqu’alors inavouable, honteux, le projet est bel et bien dans les tuyaux. Tel un champignon sur du bois mort, l’augmentation des frais d’inscription prolifère sur le dos d’un service public déjà en décomposition. Les étudiants auraient donc deux choix : payer pour entrer dans une université publique en ruine et surchargée, méprisée par les gouvernements dont les membres n’y ont pas fait leurs classes, ou payer (encore) pour entrer dans le privé, allègrement financé par un Etat complice de ce démantèlement. Certains feront le choix du privé lucratif, sans toujours avoir tous les codes ni toutes les informations, tant la frontière avec le privé non lucratif est fine et tend à l’être davantage par les fausses tentatives de « régulation » du ministre démissionnaire Philippe Baptiste.
Les établissements privés peuvent se gargariser de l’augmentation à venir des frais d’inscription. Pour s’assurer de leur bonne santé, le gouvernement continue à assécher l’université publique, ce qui lui permettra plus tard de justifier l’augmentation des frais d’inscription. On organise la chute pour mieux faire passer le prix du parachute (doré). Le gouvernement tentera sûrement de faire passer son projet de loi prétendant réguler le lucratif, usant de mesurettes qui donnent bonne conscience à peu de frais. Il tente déjà de rallier à lui la partie de l’Hémicycle qui ne voit pas de problème à ce que des actionnaires gagnent de l’argent sur le dos des étudiants, vendent le savoir et les compétences pour leur seul profit. Tant qu’ils respectent la loi après tout.
Abattre l’université
Depuis plus d’une vingtaine d’années, le processus de destruction de l’ESR est engagé. LRU, ANR, Hcéres, etc. Autant de sigles honnis d’un gouvernement des sciences asservi à des principes hétéronomes, d’une mise au pas du savoir au profit de l’« économie de la connaissance » et du capitalisme académique. La continuité est aussi frappante que troublante : de Valérie Pécresse à Geneviève Fioraso jusqu’à Frédérique Vidal, et aujourd’hui Philippe Baptiste, les mêmes élites bureaucratiques s’échinent à faire passer une douloureuse pilule. L’inversion normative et le crétinisme start-upiste sont érigés en règles d’action. Le contrôle politique et administratif devient « l’autonomie », « l’innovation de rupture » est l’alpha et l’oméga d’une course aux profits par la science, l’érudition et le savoir sont des gros mots à bannir du vocabulaire des boutiquiers qui font l’économie de la connaissance. Toujours au pouvoir, quoique dans une ambiance de fin de règne crépusculaire, les macronistes méprisent l’université et la recherche. Cela ne rapporte pas, c’est long, ça demande une forme d’ascèse, d’éthique, d’intégrité : autant de dispositions d’esprit et de corps forcément malséantes pour les arrivistes de la « start-up nation ». Le bilan des ministres de l’ESR depuis 2017 est absolument désastreux, et c’est pour les macronistes signe de performance puisqu’ils insistent encore dans cette voie. « L’université, cette grande école de la classe moyenne », lit-on dans un fascicule de Renaissance diffusé certes dans l’indifférence quasi générale. Mais, au moins, c’est assumé : au bon peuple les diplômes démonétisés par leur faute, la jouissance contrariée d’un service public chichement doté ; aux élites le bénéfice des formations de prestige et label rouge.
[…] Les étudiants déjà précaires, qui payent de plus en plus chaque année pour un service publicde moins en moins à la hauteur (c'est la stratégie : construire l'évitement), vont bientôt devoir débourser l'équivalent de deux mois de salaire au smicard pour pouvoir entrer à la fac. 50% des étudiants sont obligés de travailler pour financer leurs études […].
[BG : Je passe sur les étudiants qui ont faim et ceux qui quittent l'université à cause de leur santé mentale].
Enrichir les actionnaires
Certaines formations privées enlacent la stratégie de marché en étant moins onéreuses que ce qui est proposé pour le public. Un investissement sur le long terme. Ce que le gouvernement cherche à faire est très simple, et très peu « disruptif ». Il applique les mêmes recettes que sur tous les autres services publics : il développe une offre privée conséquente, il rend inaccessible l’offre publique par manque de places et en augmentant les tarifs, les usagers se détournent dès lors vers le privé, plus simple, plus accessible, soi-disant plus attractif et « bancable », le public se vide de ses usagers, puis il supprime le service public, rendu obsolète et trop coûteux. Le privé se développera, et l’offre lucrative perdurera avec profits. Finalement, un grand gagnant : les actionnaires, toujours plus riches. Tant pis pour les autres, vous avez entendu Emmanuel Macron : tout le monde doit faire des efforts, surtout les pauvres. Nos universités rejoindront La Poste, la SNCF et tant d’autres services publics dans le cimetière de la République sociale sacrifiée, de l’égalité pour toutes et tous privatisée, et du master de droit public inachevé de M. Lecornu.
On se permettra donc de rire jaune devant les maigres tentatives de régulation de l’enseignement supérieur privé lucratif des socialistes (la proposition de loi d’Emmanuel Grégoire, négociée avec le gouvernement macroniste, est aussi faible que timide) ou des néolibéraux de Renaissance et du parti Les Républicains face à l’ampleur de la crise de l’université qui n’en finit plus de s’aggraver. Aucune mesure inspirée d’une sacro-sainte main invisible de régulation des profits (qui ne les interdit en aucun cas), faits contre des étudiants qui s’endettent lourdement pour se former, ne sera percutante sans exiger la suppression de l’ESR privé lucratif et sans exiger la mise en œuvre de la gratuité de l’université et de son caractère public. L’investissement dans l’université et la recherche publiques n’est pas un luxe. C’est une nécessité pratique, un besoin élémentaire non négociable. Qui impose de flécher dès maintenant des budgets conséquents.
La rumeur disait finalement vrai : les néolibéraux autoritaires qui nous gouvernent sèment la terreur, le chaos et le désordre ; ils détruisent l’université publique, pierre par pierre, mur par mur ; ils précarisent toute une classe d’âge. Pour une université publique et gratuite, émancipatrice et respectée, il faudra faire bloc et sauver vraiment l’université et la recherche.
/image%2F0549186%2F20251003%2Fob_d84c56_capture-d-ecran-2025-10-03-a-17-27.png)