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12 août 2012 7 12 /08 /août /2012 05:54

http://1.bp.blogspot.com/-M84OM5EWvZs/TZy_rc0tM-I/AAAAAAAAANU/fCgQN1TfwqU/s1600/Olympia-Leni-Riefenstahl.jpg
À de nombreuses reprises, les commentateurs de radio et de télévision ont utilisé, pour parler des plus grands champions olympiques tel Usain Bolt, l’expression « les dieux du stade ». Or cette expression, dans son acception moderne, date de 1938. Il s’agissait du titre français du long documentaire de Leni Riefenstahl sur les Jeux Olympiques de Berlin, Olympia, sorti en 1938. L’égérie d’Hitler et de Goebbels elle-même n’avait pas osé, ou simplement pensé à utiliser cette expression.

 

Je profite de ces dérapages de nos commentateurs pour revenir sur une thématique à mes yeux incontournable : même s’il ne relève pas que de cela, le sport – en particulier le sport de compétition – a quelque chose à voir avec le totalitarisme.

 

Avant de tourner Olympia à la demande des plus hautes autorités nazies, Riefenstahl avait réalisé, en 1934, Triumph des Willens, repris littéralement en français par Le Triomphe de la volonté.

 

Ce film, qui décrit notamment le congrès de Nuremberg du parti nazi de 1934, fut tout de suite qualifié de « chef d’œuvre de haine et d’orgueil démoniaque ». Par le langage cinématographique, il s’agissait de glorifier et de mythifier Hitler, le nazisme et l’adhésion des masses à cette idéologie. La séance d’ouverture, entre autres, faisait d’Hitler un dieu descendu du Walhalla.

 

Dans Olympia, Riefenstahl s’attacha à valoriser les corps de ces nouveaux « dieux », ce qui, naturellement, contribua à cacher la vraie nature du régime. Par un tour de passe-passe esthétique, le nazisme devenait le symbole du beau et du bien.

 

Je voudrais reprendre ici quelques réflexions tirées du livre de Frédéric Baillette, professeur d’EPS, Sport et virilisme (1994), ainsi que des nombreux ouvrages de Jean-Marie Brohm, par exemple Sociologie politique du sport, La tyrannie sportive. Théorie critique d’un opium du peuple, Les meutes sportives : critique de la domination, Pierre de Coubertin, le seigneur des anneaux : aux fondements de l'olympisme.

 

Tel que nous le vivons aujourd’hui, le sport nous vient de la Grande-Bretagne du XVIIIe siècle, puis de l’Europe du XIXe siècle. Le sport « moderne » est un surgeon du capitalisme en ce qu’il dépend de son mode de production et parce qu’il est intégré à l’appareil d’État bourgeois. Aujourd’hui, les mots « compétition », « performance », « record » appartiennent autant à la sphère sportive qu’au discours de l’économie capitaliste. La logique de la compétition sportive est la même sous tous les cieux, à toutes les époques. D’où l’apparition d’armoires normandes moustachues dans les piscines de l’ex- Allemagne de l’Est. D’où, également, le dépistage, en France comme ailleurs, de champions en herbe, leur "débourrage" précoce (débourrer un cheval se dit en anglais to break in a horse, c’est-à-dire le briser).

 

Les valeurs du sport sont souvent les mêmes que celles que l’idéologie capitaliste nous présente comme allant de soi : le fighting spirit, la lutte pour la vie, la "sélection naturelle", l’élimination des maillons faibles, le rendement.

 

On a pu s’étonner que l’entreprise Dow Chemicals, qui joua au Vietnam un rôle de mort identique à celui d’IG Farben sous le nazisme, ait pu être un commanditaire officiel des jeux de Londres. Une des fonctions du sport de compétition est de servir de paravent aux régimes politiques qui bafouent les droits de l’homme. Je n’insisterai pas sur les JO nazis de Berlin en 1936 et je mentionnerai deux exemples plus récents : celui des Jeux Olympiques de Mexico (les premiers organisés dans un pays en voie de développement) et celui de la coupe du monde de football de 1978. Avant le geste magnifique (link) des deux athlètes noirs étatsuniens sur le podium du 200 mètres, cette fulgurance tellement bien narrée par Pierre-Louis Basse dans son 19 secondes et 83 centièmes, geste qui leur coûta la radiation à vie des JO, la police et l’armée mexicaine avaient tué plusieurs centaines de manifestants sur la place des Trois Cultures dix jours avant la cérémonie d’ouverture. Un ancien agent secret de la CIA, Philippe Agee, accusa a posteriori l’Agence d'être impliquée dans ce massacre, ce qui l'aurait poussé à démissionner. On affirma également que la CIA avait voulu créer des problèmes au gouvernement mexicain à cause de sa politique extérieure favorable à Cuba. L’étatsunien Avery Brundage, président du CIO, alors âgé de 81 ans, ne remit pas en cause le déroulement des jeux : « Les jeux de la XIXe Olympiade, cet amical rassemblement de la jeunesse du monde, dans une compétition fraternelle, se poursuivront comme prévu… s'il y a des manifestations sur les sites olympiques, les compétitions seront annulées ». En 1978, l’Argentine est sous le joug de la dictature fasciste du général Videla. La victoire dans la Coupe du monde permettra à Videla de se vanter d’avoir « vaincu l’ennemi intérieur ». La victoire ne sera pas obtenue sans mal. Pour accéder à la finale, les Argentins devaient avoir une meilleure moyenne de buts que les Brésiliens. Il leur fallait vaincre l'équipe du Pérou (autre dictature militaire à l’époque) par 4 buts à 0. Les Argentins payèrent : ils fournirent au pays 14000 tonnes de blé, un prêt financier et libérèrent quelques prisonniers politiques. Le Pérou fut écrasé 6-0 et l’Argentine vainquit les Pays-Bas en finale.

 

Le sport de haut niveau est très souvent contradictoire avec la notion même de droits de l’homme. Le corps des sportifs est de la chair à sport (link). Quand on regarde un match de basket-ball de NBA, il faut savoir qu’en amont des deux équipes visibles sur le terrain, des centaines de gosses (noirs pour la plupart) ont été exploités avant de voir leur vie brisée. Le basket outre-Atlantique est l’une des meilleures sources de consommation de crack. Les pays africains sont, quant à eux, des fournisseurs de main d’œuvre bon marché dans le football et l’athlétisme.

 

L’espace sportif est de plus en plus fasciste : caméras de surveillance, milices privées, grillages infranchissables, à mesure que nos sociétés sont de plus en plus fliquées. Le sport est présenté comme agrégeant les masses (voir la formule black-blanc-beur qui fit long feu car elle ne renvoyait à aucune réalité sociale authentique), comme une antidote miracle aux malaises des banlieues, aux pulsions négatives. Pendant que les Jamaïcains de Londres et d’ailleurs fêtent leur "dieu" Bolt, ils ne se politisent pas mais sont fiers de leur communauté. Le sport empêche les gens de vivre leur vie. Lors de la Coupe du monde de football de 1994, les députés thaïlandais décidèrent de reporter d’un mois le vote d’une motion de censure contre le gouvernement. En 1985, alors que la Côte d’Ivoire vivait sans électricité depuis trois mois, le stade d’Abidjan s’éclaira miraculeusement pour un match de football contre le Ghana. En 1994, Berlusconi appela sa coalition de droite et d’extrême droite “ Forza Italia ” d’après le cri repris par les tifosi soutenant la Squaddra Azzurra. Ce parti fut créé en trois mois, à la vitesse du lancement d’une nouvelle savonnette.

Dans le stade du Lazio de Rome, les spectateurs traitent les joueurs africains de singes. Des groupes de supporters se baptisent les Ultras. À Turin, on trouve les Granata Korps (sur le modèle d’Afrika Korps) écrits en gothique. Au Milan AC, il y eut le Commando Tigre, puis les Brigate Rossonere(brigades rouges et noires). Dans les années 80, à Barcelone, le club de supporters Les Boixos Nois passèrent du séparatisme de gauche au fascisme hooliganien. Bref, le sport c'est la guerre : "Renaud Lavellinie est un guerrier qui a assommé le concours", même si tous les sports ne sont pas aussi militaires que le pentathlon, inventé par Coubertin selon les critères de qualité exigés du soldat idéal de l'époque (un cavalier tombé derrière deslignes ennemies devant savoir monter un cheval inconnu, courir, tirer, nager et manier l'épée).

Pierre de Coubertin était un homme d’extrême droite. Accessoirement un tricheur : lors des premiers Jeux modernes ("ses" Jeux), il s’attribua la palme lors de l’épreuve de poésie dans laquelle il avait concouru sous un nom d’emprunt. Sa philosophie fut celle du dépassement : «  Voir loin, parler franc, agir ferme. », « Le sport va chercher la peur pour la dominer, la fatigue pour en triompher, la difficulté pour la vaincre ». Sans oublier cette petite horreur : « Les sports ont fait fleurir toutes les qualités qui servent a la guerre : insouciance, belle humeur, accoutumance à l'imprévu, notion exacte de l'effort à faire sans dépenser des forces inutiles ». Coubertin mourut à Genève, après avoir longtemps vécu en Suisse, comme les champions de tennis français. Le marquis Juan Antonio Samaranch présida le CIO pendant 21 ans (l’alternance est lente chez ces grands sportifs) après avoir été banquier, puis ministre des sports de Franco. Son fils est membre de la commission exécutive du CIO depuis cette année.

 

http://www.peplums.info/images/00cour/cour40j.jpg

PS : on remarque à quel point l'affiche de la version française du film de Riefenstahl est débile. Un athlète rigolard, qui ne figure évidemment pas dans le film, s'apprête à prendre une dérouillée dans la "drôle de guerre".

 

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