Guillaume Meurice. Dans l'oreille du cyclone. Paris : Le Seuil 2024.
Grâce à Guillaume Meurice, on sait désormais que les policiers français de base sont des métaphysiciens redoutables. Convoqué par la PJ suite à un dérapage verbal, le doux Guillaume se voit demander sans ambages et en entrée en matière : « C’est qui, pour vous, le nazi absolu ? »
Comme le format contrôle de philo – quatre heures, huit pages – ne lui suffisait pas, Guillaume Meurice a pris le temps et la peine d’écrire cet ouvrage de 170 pages, bilan roboratif de sa vie d’homme et d’artiste.
Après avoir lu ce livre et après avoir vu son spectacle à Mirande, dans le Gers, je me suis demandé, pendant un bon moment, pourquoi Meurice faisait l’objet de tant de jalousie et de haine (je donnerai quelques exemples plus bas) de la part de bons Français de tous acabits. Je crois que j’ai trouvé. Au risque d’en surprendre plus d’un – à commencer par lui d’ailleurs, s’il me lit – je dirais que c’est parce qu’il est beaucoup plus intelligent que tous ceux qui le détestent, ou l’admirent. Outre le fait qu’il est un véritable écrivain, il possède un sens des situations, des choses de la vie, réellement extraordinaire, une sorte de translucidité qui lui font comprendre à tout instant les enjeux auxquels il doit faire face. Un nazillon abject ou la directrice de Radio France ne font pas le poids devant lui.
Ce qui a motivé la convocation de Meurice par la police judiciaire n’est rien d’autre que la désormais célèbre blague consacrée à Benyamin Netanyahou qu’il qualifia d’« une sorte de nazi sans prépuce ». Par ce Prépucegate, Meurice a donné du grain à moudre à tous ceux qui craignent les ruptures épistémologiques, qui se repaissent des idées préconçues, de la doxa, de ceux qui ne comprendront jamais que leur pensée n’est qu’une opinion, ce que Bachelard appelait « une croyance de savoir ». Musil disait que les humains sont « une matière qui épouse la forme du dernier monde venu. » Face à la saturation du discours dominant, des ruptures du style « nazi sans prépuce » nous obligent au “ doute méthodique ” de Descartes, nous invitent à problématiser pour dépasser l’“ indiscutable ” des réseau sociaux.
“ Bibi ”, le Premier ministre israélien, comme l’appellent affectueusement ses partisans, n’a pas poursuivi en justice un Meurice désormais harcelé par les charognards de l’insulte : « sale enculé de ta race », « tu mérites une balle dans la nuque », « on va niquer ta mère, sale chien », « je vais faire subir à ta famille les mêmes atrocités les mêmes atrocités que le Hamas à mon peuple », « on va venir te torturer, te kidnapper, te battre à sang puis te découper ». Ce terrorisme étant facilité par une boucle Telegram du nom de Brigade juive qui a fait fuiter le numéro de téléphone personnel de l’artiste.
Sous le marteau de ces insulteurs, il y a l’enclume de Sybil Veil, la PDG de Radio France. Lorsqu’elle convoque Meurice, l’ambiance est courtoise mais tendue. « J’ignore tout des pressions qu’elle reçoit », écrit Meurice. Mais il sait que « le pouvoir se méfie de l’humour. Comme la religion, il a besoin de sacré. Il est une fiction qui nécessite l’adhésion absolue. […] Il faut entretenir un catéchisme qui s’appelle la hiérarchie. L’ordre social tient sur cette unique et fragile fable. »
Du haut de ses certitudes plurimillénaires (il ne peut exister de colonisation israélienne puisque Jésus était juif), le député des Français de l’étranger Meyer Habib apostrophe Meurisse avec délicatesse sur son compte X : « Tu continues à l’ouvrir !! Ferme-là ! petite vermine antisémite !!! » Pour Habib, le service public est truffé d’antisémites et Meurice, « antisémite de salon », est l’héritier de Je Suis Partout.
En fait, Habib, et tous les gens hostiles à Meurice, poursuivent la même stratégie : ses sketches ne seraient pas de l’humour mais de la politique. La caricature et le subjectif lui sont donc interdits. Riss, le directeur de publication de Charlie Hebdo, emboîte le pas. Pour lui, Meurice n’a pas droit à “ l’esprit Charlie ”, ce qu’il n’a d’ailleurs jamais revendiqué, bien au contraire. Riss, ce dessinateur tellement subtil qui, après les attentats islamistes à Bruxelles, avait dessiné le chanteur Stromae entouré d’yeux, de jambes et de bras mutilés en demandant : « Papa où t’es ? » alors que son père avait été démembré au Rouanda en 1994.
Dans le milieu artistique et médiatique, la blague de Meurice clive. Il a le soutien total de Fabrice Lucchini, qu’il ne connait pas personnellement. Mais Hyppolite Girardot et Clara Dupont-Monod – qui se sentiraient « mal à l’aise en sa présence », refusent de participer à son émission. Tout récemment, l’humoriste Guillaume le Schlag, pour marquer son soutien, démissionne en plein direct pendant l’émission. Bruno Gaccio explique, en accord avec Meurice, que « l’humour, la blague, ça pique toujours un peu. C’est pour ça que c’est bon.» Daniel Schneiderman dénonce « l’amalgame abusif entre une blague sur le “ suprémaciste Netanyahou et une attaque contre le peuple juif ”. »
Le 22 avril 2024, le parquet de Nanterre annonce que les plaintes sont classées sans suite, les infractions visées n’étant pas caractérisées. Le parquet s’est peut-être souvenu de l’arrêt fondateur de la Cour européenne des droits de l’Homme de 1976 (cité par Meurice) : « La liberté d’expression vaut non seulement pour les informations ou idées accueillies avec ferveur ou considérées comme inoffensives, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquièrent l’État ou une fraction quelconque de la population. Ainsi le veulent le pluralisme, la tolérance ou l’esprit d’ouverture, sans lesquels il n’y a pas de société démocratique. »
Le 22 mai, la direction des Radio France convoque une commission de discipline pour le 30 mai pour étudier un éventuel licenciement de Guillaume Meurice, sous la forme d’une rupture anticipée pour faute grave. Le 23 mai, Meurice reçoit le soutien des syndicats de Radio France.
PS : il ne peut pas s'empêcher de se démystifier, de se déboulonner, de blaguer, quoi. Nathalie lui fait signer l'ouvrage dont il vient d'être question. Il dédicace : “ Pour Bernard, Nathalie, Raphaëlle ”. Il dit : “ Il y a trop de Français dans cette dédicace. ” Il faut dire que 99,5% des spectateurs gersois qui venaient de l'applaudir étaient tous bien blancs. Alors il ajoute “ Ahmed, Rébecca !, Rigolade, Akbar ! Bisous ”.