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14 février 2024 3 14 /02 /février /2024 06:01

Père de trois filles et grand-père de deux filles, je suis très attentif à tous les faits de viol, d’où qu’ils viennent.

 

Ce n’est pas la première fois que Judith Godrèche s’exprime sur des violences sexuelles qu’elle a pu subir. Lorsque l’affaire Weinstein a éclaté en 2017, elle a déclaré, tout comme 92 autres femmes, avoir été agressée par ce producteur lors du festival de Cannes de 1996. 21 ans après les faits, donc. Weinstein l’avait invitée dans une chambre d’hôtel – une pratique assez banale dans ce milieu, semble-t-il (sinon qu’allait-elle faire dans cette galère ?) – pour discuter de la sortie internationale du film Ridicule, dans lequel elle jouait un rôle important. Il lui avait demandé un massage. Elle avait refusé. Il lui avait tiré ses vêtements. Elle s’était sortie de ce mauvais pas de justesse. Elle n’avait pas dénoncé cette agression, sur le conseil d’une collaboratrice de Weinstein, afin de ne pas nuire à la carrière du film. Elle avait ensuite entretenu des rapports – dit-on cordiaux – avec son agresseur.

 

En 2023, Judith Godrèche se confie au magazine Elle sur sa relation avec le réalisateur Benoît Jacquot. Voir ici  et ici.

 

Godrèche a tourné quatre films avec Jacquot, de 1988 à 1993, dont trois alors qu’elle était mineure, c’est-à-dire avec l’assentiment écrit de ses parents. En 2010, elle évoque dans Libération sa relation avec Jacquot. Elle met les pieds dans le plat en 2023 dans Le Parisien, déclarant avoir été vulnérable à 14 ans face à un homme de 40 ans, capable de la faire exister et de lancer sa carrière : « On peut se faire prendre dans les filets d’une personne plus puissante, et l’art est un teremplin extrêmement favorable à ça. En tant qu’actrice, on a besoin d’être aimée, regardée. C’est comme si, en vous choisissant, le réalisateur vous donnait vie ». Godrèche déclare qu'elle voulait être son amie, qu'elle ne voulait pas de son corps, qu'il l'aurait fouettée avec une ceinture. Elle compare son expérience avec celle que Vanessa Springora (sous l’emprise, à 14 ans de Gabriel Matzneff) a décrite dans son roman Le Consentement. Elle dit ne pas avoir pu terminer la lecture de ce livre tellement il racontait sa propre histoire. Et elle dénonce le manque de soutien du milieu du cinéma qui voit en elle une charmante Lolita.

 

Mais le plus grave est que rien n’est venu du côté des parents, pourtant théoriquement armés pour faire face à une telle situation : la mère de Judith est psychomotricienne et son père psychanalyste. Mais les cordonniers sont les plus mal chaussés, n’est-ce pas ? Surtout quand on a décidé, comme le père, de laisser une liberté totale à son enfant et que, comme la mère, on a quitté le foyer familial depuis des années.

 

Quelque chose de très classique va alors se passer entre l’homme d’âge mûr et la baby doll : le renversement de la culpabilité. Jacquot dit qu’elle l’a cherché et séduit. Qu’il était sous son emprise. Qu’elle avait un cinéaste sous la main.

 

Dans un documentaire de 2011 réalisé par Gérard Miller, Benoît Jacquot évoque ses relations avec des jeunes comédiennes : « Oui c'était une transgression, ne serait-ce qu’au regard de la loi. On n'a pas le droit en principe, je crois. Une fille comme cette Judith qui avait en effet 15 ans et moi 40, en principe je n'avais pas le droit, mais ça elle n'en avait rien à foutre. Cela l'excitait beaucoup, je dirais. »

 

Godrèche est parvenue, ces dernières années, à regarder vers l’avenir. D’abord en tant que mère : « Si un homme de 40 ans approche ma fille, je le tue, assène-t-elle. C’est parce que j’ai été une fille adolescente que je parviens à réaliser ce qui m’est arrivé, à me dire que j’ai navigué seule dans un monde sans règles ni lois. » Et aussi en tant qu’actrice et réalisatrice : dans la série de 2023 Icon of French Cinema, diffusée sur Arte en décembre 2023, elle fait le point avec lucidité sur son proche passé : « J’étais une jeune fille très solitaire, très idéaliste. Je vivais à travers les livres, ma mère est partie de la maison quand j’avais 9 ans, j’ai été élevée par un homme seul, j’étais vulnérable malgré une certaine maturité ».

L’affaire Judith Godrèche/Benoît Jacquot : sommes-nous dans une zone grise ou pas ?

PS QUI N'A RIEN À VOIR :

 

ILN'Y A PAS QUE DU BON CHOCOLAT EN SUISSE : IL Y A AUSSI DES RACISTES. Observez que l'inscription est écrite aussi en hébreu, comme si les Juifs de Suisse connaissaient systématiquement cette langue. On peut parler de racisme au carré.

L’affaire Judith Godrèche/Benoît Jacquot : sommes-nous dans une zone grise ou pas ?
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13 février 2024 2 13 /02 /février /2024 06:01

Elle est l’œuvre de Julien Clément, officier et résistant français, par ailleurs chef de musique, mort en 1945.

 

Mais d’abord, ne zappez pas, souvenons-nous que l’acrostiche fut un genre très prisé de nos plus grands auteurs. Voir cet échange entre Musset et George Sand (celle-ci ne se serait certainement pas permis de telles frivolités avec Chopin) :

 

Quand je mets à vos pieds un éternel hommage

Voulez-vous qu'un instant je change de visage ?

Vous avez capturé les sentiments d'un cœur

Que pour vous adorer forma le Créateur.

Je vous chéris, amour, et ma plume en délire

Couche sur le papier ce que je n'ose dire.

Avec soin, de mes vers lisez les premiers mots

Vous saurez quel remède apporter à mes maux.

 

George Sand répondit :


Cette insigne faveur que votre cœur réclame

Nuit à ma renommée et répugne à mon âme.

 

Julien Clément s’est donc autorisé, en 1941, à insulter habilement Hitler, avec l’autorisation du gouvernement de Vichy qui n'y avait vu que du feu. Il fut incarcéré à la prison de Montluc en 1943. Tout de même…

 

 

A NOTRE CHEF, LE MARECHAL PETAIN

Maréchal ! Que ton nom soit gravé dans l’histoire
Et que dans tous les temps on l’entoure de gloire.
Rends à tous ces Français que tu voulus sauver
Du désastre complet qui pouvait arriver
Et l’amour du Devoir et la noble espérance
Pour que bientôt, par eux, revive notre France.
O ! Qu’une légion saine et forte à la fois
Unanime à répondre à l’appel de ta voix 
Ranime dans nos rangs cet esprit d’autrefois.
Honneur ! Patrie ! Ces mots étaient notre devise,
Ils le seront toujours, mais sans qu’on les divise
Travail ! Famille ! aussi doivent y figurer
Liant au fier passé notre droit d’espérer 
Et nous verrons, demain, la Nation nouvelle
Relever de ses maux notre France immortelle.

 

Une ode au maréchal Pétain
Une ode au maréchal Pétain

 

PS QUI N'A RIEN Á VOIR. Des nouvelles de “ Tsahal ” l'armée la plus “ morale ” du monde.

 

Ceci est le corps d'une femme mutilée dans une explosion et qui est restée accrochée par ses vêtements.

 

Les corps d'environ 100 civils palestiniens, dont des femmes et des enfants ont été retrouvés après le retrait de l'armée israélienne de Tel al-Hawa sur la côte méditerranéenne, dont la plupart ont été exécutés par balle, à bout portant.

 

Une ode au maréchal Pétain

 

 

J'ai mis ceci sur Facebook, avec un titre neutre (Des nouvelles de l'armée la plus “ morale ” du monde). Dans la minute, mon post a été semi-censuré, rétrogradé dans le fil de lecture.

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7 février 2024 3 07 /02 /février /2024 06:01
Un billet publié en 2015 et qui, comme moi, n'a pas pris une ride (hum…).
Je vais vous parler d’une région chère à mon cœur : le Yorkshire (en plus, ça rime !). La première fois que j’ai mis les pieds en Angleterre (en 1962), c’était dans un petit village près de Leeds. Mes plus vieux amis habitent un autre petit village près de York. En écrivant ces lignes, je pense au Wensleydale, et j’en salive. Ce que les habitants du Yorkshire ne savent pas tous, c’est que les premiers habitants de ce grand comté furent les Brigantes et les Parisii, des Celtes originaires de la région parisienne et des Alpes. Puis vinrent les Romains (qui firent long feu) et les Vikings (York vient du danois Jórvík). Raison pour laquelle les Yorkshiremen et Yorkshirewomen ont une bonne taille et sont de complexion d’un blanc presque laiteux.
Allez vous promener dans le bon air cinglant des Moors et dans la douceur des Dales, vous n’en reviendrez pas. Longez les murs de pierres à perte de vue. Allez vous geler sur les plages de Whitby et de Scarborough (la ville de Charles Laughton où est enterrée Anne Brontë), plus toniques encore que celle de Bray-Dunes. Une fois dans votre vie, poussez jusqu’au petit village de Haworth, celui de la famille Brontë, à quelques encablures de Leeds, où le vent des Hauts de Hurlevent souffle directement depuis l’Oural et vient se fracasser sur la maison sinistre qui surplombe le cimetière du village où furent rédigés les chefs-d'œuvre que l'on sait.
Ce grand comté de 12 000 km2 est une terre de contrastes. Quels rapport entre Bradford, ville désormais largement pakistanaise, Harrogate, ville de termes et petit bijou conservateur, Leeds et sa place financière, Sheffield et ses aciéries, Huddersfield qui symbolise à elle seule le déclin de l’industrie lainière et où naquit le Premier ministre travailliste Harold Wilson ainsi que James Mason, Doncaster où naquit la subtile Diana Rigg et où, autrefois, le charbon poussait mieux que les mauvaises herbes, York, cette merveille historique, la ville du conspirateur Guy Fawkes, du chocolatier Rowntree, de la merveilleuse actrice Judi Dench et du grand écrivain W.-H. Auden. Aucun. Et je ne vous parle pas de la petite ville de Tadcaster, célèbre pour ses brasseries et son lycée que j’ai trop brièvement fréquenté et où j’ai connu Ed Bicknell, le batteur et futur producteur de Dire Straits.
Pourquoi ces divagations personnelles ? Parce que j’ai appris récemment que le comté du Yorkshire – cinq millions d’habitants – avait créé plus d’emplois que la France entre 2010 et 2013 : 76 000 contre 66 000. Est-ce que cette hirondelle yorkshirienne fera le printemps britannique, je n’en sais rien. Le fait est que l’emploi est reparti outre-Manche, avec la création, l’année dernière, de 143 000 postes, tandis que le chômage baissait de 0,3% (le pays compte actuellement 5,3% de chômeurs). Pour encourageante qu’elle puisse être, la situation n’est pas totalement rose puisque les travailleurs britanniques gagnent aujourd’hui 1 600 livres de moins par an qu’en 2010 tandis que le nombre de ceux ne touchant qu’un salaire minimum vital a augmenté de 44%.
Le Yorkshire et moi
Le Yorkshire et moi
Le Yorkshire et moi
Le Yorkshire et moi
Le Yorkshire et moi
Le Yorkshire et moi
Le Yorkshire et moi
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3 février 2024 6 03 /02 /février /2024 06:01

Il se trouve que cet acteur anglais fut un ami de ma belle-famille. Il parlait un français remarquable (il faut toujours insister quand un Grand-Breton parle bien français, c’est tellement rare), ce qui n’empêchait pas Nathalie et sa sœur, quand elles étaient enfants, de le pousser dans ses retranchements idiomatiques : « on ne dit pas “ beau-frère ” mais “ beauf ”. »

 

Né en 1921 à Londres, Gerald Theron Campion restera comme le créateur du personnage de Billy Bunter dans l’adaptation pour la télévision de Billy Bunter of Greyfriars Schools de Frank Richards (1952-1961). Cette série très populaire de la BBC fut programmée de 1952 à 1961. Bunter jouait le rôle d’un adolescent, qu’il tint jusqu’au dernier épisode alors qu’il avait 40 ans !

 

Son père, Cyril (1894-1961), avait lui-même été auteur dramatique et scénariste. Sa mère, Blanche Louise Tunstall (1890-1933), était une des cousines germaines de Charlie Chaplin. Campion entra à l’âge de 15 ans à la célèbre Royal Academy of Dramatic Art (RADA) et il intervient rapidement dans des productions télévisuelles et radiophoniques.

 

Sa carrière déclinant, il se reconvertit dans la gestion de clubs et de restaurants à Soho, avec une clientèle principalement constituée de gens du théâtre et du cinéma. Il se maria deux fois et eut trois enfants. Il vécut longtemps dans le Kent avant d’émigrer avec sa seconde épouse dans le sud-ouest de la France. Il mourut à Agen en 2002 à l’âge de 81 ans.

 

PS : un homme qui porte un tel pince-nez ne peut pas être totalement mauvais.

 

 

Connaissez-vous Gerald Campion ?

PS : Connaissez-vous Gorée ?

Pendant la Deuxième Guerre mondiale, les hasards et les vicissitudes des combats ont fait que mon oncle, le docteur Pierre Cariou, officier de marine, s'est retrouvé dans l'île de Gorée, en face de Dakar. Comme il avait du temps libre et du talent, il dessina les armes de Gorée. Il les a ainsi décrites :
« Un phénix environné de flammes sur soleil d'or qui rayonne, dominant un tertre de gueules aux créneaux et à l'argémone d'or avec, à la base, deux requins aussi d'or, constitue le motif de cet insigne. Et ce motif trône, dans les armes de l'île, sur un écu d'azur couronné, flanqué à dextre et à sénestre d'un fin liseré de gueules. »
Á une époque de ma vie, il m'a été donné de me rendre régulièrement à Gorée. Pas que pour me restaurer dans L'hostellerie de Boufflers, mais tout de même. Quand je me présentais en disant que j'étais le neveu du docteur Cariou, on me payait l'apéro.
Cela dit, l'œuvre de mon oncle est magnifique. Mais comme il était à la fois très savant et très facétieux, il n'a pu s'empêcher d'attribuer à Gorée pour devise : “REVIGORÉ TOUJOURS”.
Connaissez-vous Gerald Campion ?
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2 février 2024 5 02 /02 /février /2024 06:01

Texte écrit en 2006 et publié en 2013 par les Cahiers du Forell (Poitiers)

 

Au-delà du calembour : du vent55 ?

On se permettra d'établir une passerelle entre les faiseurs de calembours et le pétomane de la Belle Époque. On peut en effet considérer que la pétomanie, c'est le calembour poussé à son paroxysme, le contrepet étant une forme qui s'arrêterait à mi-chemin. Il y a d'une part mise en question du goût (bon ou mauvais), de la culture, des institutions, mais nous sommes également en présence d'une mise à nu de l'apparente évidence du langage. Les plus grands auteurs ont parfois succombé aux vertiges de la scatologie calembourdière, tel Corneille qui, dans un de ses poèmes, parle d'« incaguer les beautés56 » et dont chaque élève de seconde, de mon temps, connaissait le célèbre acrostiche SALECUL d'Horace57. Lorsque Coluche se moquait des slogans des manifestations gauchistes des années soixante-dix et qu'il transformait : « À bas la répression, les manifestations policières ! », en « À bas les boutons pressions, vive les fermetures éclair ! », il y avait mise en question des institutions, des comportements sociaux à travers le langage. Mais ces cris se perdaient dans des éclats de rire ou dans l'azur !

 

La parole du calembour fait éclater la frontière entre décrire et dire. Aussitôt, et par le miracle de l'approximation, les sens évidents et premiers sont détournés car ils sont dans le même mouvement éclairés et dévoyés. Le dérèglement peut déboucher sur une déréglementation en ce que la parole n'est plus réglée, mais aussi dans la mesure où elle est à la fois la cause et la conséquence d'un rapport au langage sans règles, sans foi, sans lois. Nous sommes aujourd'hui dans une ère de médiatisation obligatoire, à une époque où il faut penser, parler et réagir le plus rapido possible. Il n'y a plus de discours public sans urgence histrionique à la Antoine de Caunes, sans mépris pour l'approfondissement, sans rélégation aux oubliettes de l'histoire du substrat culturel, sans appel – entre autres par le calembour – aux tendances simplificatrices et démagogiques d'un homo civicus et economicus complètement emprisonné dans la langue des moyens de communication de masse. Insulte raciste, expression à cru de la violence de l'inconscient, le « Durafour crématoire » était aussi un crime contre la pensée lorsque c'est l'Autre anti-sémite qui parlait, non pas contre le locuteur, mais en lui58. À gauche, un journal comme Libération, qui ne s'est jamais tout à fait remis d'une certaine décontraction post-soixante-huitarde, hésite entre la désinvolture de ses calembours de première page et la respectabilité auto-légitimante d'un regard approfondi sur les choses. De Le Pen à July, l'utilisation médiatico-politique du calembour marquant la volonté d'inclure tout dans tout, et vice-versa, est la preuve que tout se vaut et qu'un bon mot qui passe la rampe vaut mieux qu'une réflexion qui prend son temps, Lacan (tonade59 ?) est assurément en partie responsable de la légitimation de l'utilisation intempestive des calembours et, partant, de l'à-peu-près, d'une dérégulation quasi organisée de la syntaxe et de l'orthographe dans les média en général et dans la publicité en particulier. Les décideurs, les accapareurs (spécialistes de la purge : cinq cacas par heure) de paroles nous le disent : la vie ne vaut d'être vécue qu'au niveau de la blague. Mais alors, la France est « gagnée par l'insignifiance60 ».

 

Dans une lettre à son professeur Georges Izambard, Rimbaud prévenait : « C'est faux de dire : Je pense. On devrait dire : On me pense. Pardon du jeu de mots61. » On passera pour cette fois sur la première partie de la proposition, sur l'aliénation par décentrement du sujet. Par son allusion au jeu de mots, Rimbaud signifiait non seulement que tout passe par le langage, mais que tout est dans le langage. Les mots ne nous appartiennent pas, parce que nous leur appartenons. On se demandera alors si le « dérèglement » qu'évoquait le poète n'est pas cet instant profondément mystérieux où le dit peut disjoncter du pensé, parce que l'énonciateur ne souhaite plus que la pensée puisse être identifiée à son moi.

NOTES

56 In Poésies diverses, cité par François Vergnaud in Hyppolyte Wouters (et al.), Molière ou l'auteur imaginaire, Bruxelles, Éditions Complexes, 1990.

57 Cet acrostiche (qui n'est pas le seul dans son genre) se situe dans la scène 3 de l'Acte II : « S'attacher au combat (sic) contre un autre soi-même/ Attaquer un parti qui prend pour défenseur/ Le frère d'une femme et l'amant d'une sœur,/ Et rompant tous ces nœuds (sic), s'armer pour la patrie/ Contre un sang qu'on voudroit racheter de sa vie,/ Une telle vertu n'appartenoit qu'à nous ;/ L'éclat de son grand nom lui fait peu de jaloux. »

58 Voir Gérard Miller, « L'infamie-réflexe », Libération, 5 septembre 1988.

59 Bertrand Poirot-Delpech, Le Monde, 25/9/91.

60 A. J. Greimas, Le Monde, 22/10/91.

61 13 mai 1871.

 

FIN

 

Les frontières royales des calembours bons (III)

PS 1 : Ce matin je suis abordé par un homme jeune qui prend en photo les tours de Lyon.

Je l'informe sur ce que contiennent ces tours. Il me dit qu'il est argentin, architecte, et que dans son pays il n'y a que des tours modernes. “ Nous n'avons pas d'Histoire ”, déplore-t-il.
Pour nous, Gaulois, pour qui 2 000 ans d'histoire sont tenus pour acquis, il est très difficile de concevoir ce qu'est une “ histoire ” de 150 ou 200 ans. Un substrat tellement fragile et aléatoire comparé à notre bloc de granite.
J'accompagne ce touriste argentin pendant 2 ou 300 mètres et nous tombons sur ce camion.
— Voilà pour illustrer notre conversation, dis-je. Une entreprise déménagement veille de 174 ans !
En 1830, les Argentins n'étaient indépendants que depuis vingt ans et le pays était harcelé par des puissances multiples et variés qui ne voulaient même pas qu'il existe.
Les frontières royales des calembours bons (III)

PS 2 : La mort de Michel Jazy, à 87 ans, ça me fait quelque chose.

Gloire du demi-fond français dans les années 60. Détenteur de nombreux records du monde. Son éternel rival français n'était autre que Michel Bernard, le chti d'Anzin. Ils surent, en une occasion, unir leurs efforts pour établir, avec deux autres coureurs, le record du monde du 4X1500 mètres (qui ne doit plus exister aujourd'hui).

Á l'époque, les meilleurs coureurs de demi-fond français étaient Jazy, Jean Wadoux, Gérard Vervoort et Claude Nicolas et Michel Bernard. Quatre gars du Nord sur cinq. Des durs à cuire…

La foulée de Jazy était extraordinaire : il donnait l'impression de ne pas toucher le sol.

Michel Bernard fut longtemps le maire de gauche de sa ville, Anzin. Jazy, de droite, gaulliste, était choyé par les pouvoirs politique et sportif. Ce qui n'enlève rien à son immense talent.

J'en profite pour rappeler qu'à deux ou trois reprises je me suis entraîné avec Michel Bernard, lui sur ses jambes et moi à vélo.

Les frontières royales des calembours bons (III)
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1 février 2024 4 01 /02 /février /2024 06:01

Texte écrit en 2006 et publié en 2013 par les Cahiers du Forell (Poitiers)

 

La littérature n'est pas avare de calembours auctoriels volontaires mis dans la bouche de personnages qui n'en peuvent mais. On pense par exemple à la Slipslop de Fielding, la bien nommée dame de compagnie de la bien nommée Lady Booby qui s'égare dès qu'elle veut utiliser un mot un peu recherché : le calembour est la matérialisation, au niveau du discours, des homonymies phonologiques de la langue, la similitude de sons recouvrant une différence de sens. Bergson avait bien vu le parti tiré de cette similitude : 

 

« Dans le calembour, c'est bien la même phrase qui paraît présenter deux sens indépendants, mais ce n'est qu'une apparence, et il y a en réalité deux phrases différentes, composées de mots différents, qu'on affecte de confondre entre elles, en profitant de ce qu'elles donnent le même son à l'oreille33. »

 

L'art du calembour présente un détournement de la fonction linguistique :  on ne parle plus pour s'exprimer, mais on s'exprime pour parler, on ne quête pas une forme pour une énonciation, on s'énonce en vue d'une forme, comme l'atteste d'une manière tragi-comique le héros de A lost Grave de Bernard Malamud, qui a perdu la tombe de sa femme et qui se demande au nom d'Eros et de Thanatos : How can you cover a woman who isn't where she is supposed to be ?

 

Les calembours (involontaires) de la Slipslop de Fielding dans Joseph Andrews nous renseignent sur son milieu social, mais on peut aussi considérer que Slipslop n'existe telle qu'elle est est que comme une forme au service de l'amusement du lecteur.

 

« If I had known you would have punished the poor Lad so severely, you should never have heard aparticle of that matter. [...] You must soon open the Coach-Door yourself, or get a Sett of Mophrodites to wait upon you34. »

 

Ces dérapages, ces à-peu-près, sont la marque des auteurs qui veulent établir une connivence culturelle avec leurs lecteurs pour marquer une distance adéquate avec leurs personnages mal dégrossis.

Glissements, détournements et sens multiples

Il est des dérapages volontaires comme celui de ce diplomate d'un pays peu démocratique à qui Madame Roosevelt avait demandé When did you last have an election ? et qui avait répondu, pas vraiment gêné : Before bleakfast35. Ou encore celui de Lady Asquith répondant à Jean Harlow lui demandant si dans « Margot » le « t » était sonore pour lui préciser : Yes, as in « Harlot » (catin). Ensuite, il est des dérapages brumeux (mais ô combien révélateurs) qui expriment la séparation de l'individu avec lui-même, comme quand le Capitaine Haddock calembourre lorsqu'il est « parti », en plein estrangement36 éthylique. Et puis, il est des dérapages involontaires, comme celui de ce chef d'État d'Afrique anglophone remerciant la Reine d'Angleterre à la fin d'une réception pour son accueil chaleureux et l'invitant en Afrique avec ces mots : We shall retaliate37. Nous sommes alors chez Freud et, par exemple chez son homme aux rats. Les rats Ratten) ont un rapport avec les traites (Raten), avec le joueur invétéré qu'était le père du patient (Spielratte), et avec le peu d'empressement du fils à se marier (Heiraten).

 

Le calembour est une structure qui se meut autour d'un axe, dans la mesure où le sens second tourne autour du sens premier, l'englobe et le recouvre. Nous sommes dans la fonction poétique du langage : il y a en effet projection de l'axe de sélection vers l'axe de combinaison (Jacobson), de sorte que la similarité devient le processus constitutif de la séquence verbale. Le célèbre roman de John Braine Room at the Top offrait ainsi en deux mots un double système de rotation se fondant en un seul (une chambre dans un quartier de la ville s'appelant The Top et « Une place au soleil »). Shakespeare permet, dans les domaines scatologique et sexuel en particulier, des applications à n'en plus finir. Citons le potato-fingerde Troilus et Cressida : How the devil luxury, with his fat rump and potato-finger, tickles these together ! Fry, Lechery, fry !, (où le potato-finger, cousin du littlefinger38),signifie le pénis, et these renvoie aux amoureux (Cresside et Diomède), le très subtil Holland de Henry IV : The rest of thy low-countries have made a shift to eat up thy Holland, où Holland signifie « anus » (Hole Land), avec un calembour second sur countries39, ou encore l'extrême grivoiserie dont Hamlet use à l'encontre d'Ophélie dans la scène du théâtre :

 

Oph. You are keen, my lord, you are keen.

Ham. It would take you a groaning to take off my edge (il ne vous en coûterait qu'un cri pour que ma pointe fût émoussée)40.

 

On a d'ailleurs pu lire dans la grossièreté des calembours du Prince danois un instinct de meurtre41. Ce qui n'a pas empêché certains de considérer que le goût du calembour chez Shakespeare dénotait une sexualité ambiguë42. Il faut dire que chez les Anglo-Saxons d'aujourd'hui, le pun est tenu pour une forme d'humour d'autant plus médiocre qu'ils y subodorent avec crainte de l'obscénité. D'une manière générale, cela dit, le jeu de mots obscène fait peur parce qu'il met à mal le caractère sacré des mots tabous, et ce sous le couvert d'une innocence à peine feinte. Lorsqu'on écoute une histoire salace, on attend la chute et son ou ses four letter words. Mais un jeu de mots obscènes (« Quel bel appât que la pie n'happa pas ») n'utilise pas franchement des mots obscènes. La prononciation ne bouge pas et c'est à la personne encodée qu'il revient de relier le sens tabou à la proposition innocente.

 

Un jeu de mots, simple, double ou triple (qu'on pense au très efficace slogan publicitaire Dubo, Dubon, Dubonnet) n'opère que si des sons débouchent sur des sens multiples à la condition que le récepteur soit attentif à la fois à l'euphonie et à la sémie. Il appréciera les calembours segmentés (les plus faciles à produire) : « l'abri côtier », « un vieillard mateur » ou en forme de suite : « La mère rit de son arrondissement » (Alphonse Allais), Incest is relatively boring (to bore a relative = défoncer un parent). Il n'y a calembour que parce que les mots, avant de représenter les objets et les pensées, sont eux-mêmes des objets. C'est ce qu'aimait Flaubert dans le jeu de mots qui lui permettrait de s'arracher, selon Sartre, aux phrases toutes faites, aux lieux communs : « Je ne puis expliquer, dit Sartre, que par une obscure prescience, l'acharnement lourd et laborieux avec lequel, depuis l'enfance, il s'exerce aux calembours. » Ce qui plaisait à Flaubert dans nos vieilles langues usées, selon Sartre, « c'est qu'il y est encore possible de lire avec les yeux un certain message et, croyant le délivrer, d'en transmettre un autre oralement ». Le calembour, ajoutait Sartre, « nous fait découvrir le langage comme paradoxe (une absurdité pour nous mais un libre rapport de soi-à-soi) et c'est précisément sur ce paradoxe que Flaubert pressent qu'il faut fonder l'Art d'écrire43 ». Et ajouterions-nous, faire éclater toutes les frontières de la rhétorique, les plus mauvais jeux de mots étant les meilleurs (les Espagnols les plus pingres sont les Navarrois puisqu'ils vivent en Navarre, avait découvert Flaubert enfant) et permettant d'arriver – pour reprendre l'analyse d'un Flaubert qui ne connaissait pas Buster Keaton – au « comique extrême, le comique qui ne fait pas rire44 ». Comme quand Flaubert parle de « démocrasserie », que Julian Barnes adaptera fort joliment en democrappiness45.

 

Cela dit, le jeu sur les mots doit être accouplé à un jeu sur la représentation, les jeux de mots les plus productifs étant engendrés par les mariages les plus harmonieux, toutes les grenouilles de bénitier n'étant pas des batraciens ! Lorsque dans le jardin du Paradis perdu de Milton, Eve se retrouve, aux yeux d'Adam, deflowered, elle est violée, mais aussi, au sens propre du terme, privée de fleurs. On trouvera un autre exemple moins dramatique de fleur et de femme-fleur dansHenri IV de Shakespeare. Catherine y est pour le roi un substitut à l'assaut réfréné contre les villes françaises. Si Harfleur est une city girdled with maiden walls (V, ii, 322) et devient la flower de luce (V, ii, 210), Catherine est une city turned into a maid,une vierge dans le circle de laquelle il n'hésiterait pas à conjure up the spirit of love (V, ii). La conquête des villes sera consommée comme le mariage : so the maid that stood in the way for my wish shall show me the way to my will (V, ii, 327-8). Les poètes captent ici des analogies, résolvent en un mot le conflit entre le banal et le tragique, quand d'autres, plus souvent, résoudront le conflit entre le banal et le comique, comme Coluche relevant ce qu'avait de scabreux, à eux tout seuls, des mots comme « concupiscent » ou « converge ». On comprend alors que le calembour soit sociologiquement plus intéressant et plus signifiant que le non-sens (nonsense)Un nonsense pulvérise un mot existant pour lui faire perdre son sens, ou bien prétend donner un sens à des sons ou des mots qui n'en ont aucun. Vers 1960 une chanson de variétés française avait pour titre et refrain « Abuglubu-abugluba ». L'ancien Congo belge accédant dans le sang à l'indépendance, un chansonnier transforma ce non-sens onomatopéïque en « Kasavubu et Lumumba ». À lui seul, cet exemple comico-dramatique tendait à prouver qu'un calembour n'est pas un acte gratuit mais, à proprement parler, un mélange des genres, la preuve que notre vie est duale, qu'entre la raison et la déraison il n'y a pas de frontière, que notre conscience claire fonctionne parfois comme un rêve éveillé.

 

Shakespeare branlait-il son dard ? Certains noms – communs ou propres – sont plus signifiants que d'autres. Valéry l'avait remarqué à propos de La Fontaine : « Peut-être ce nom même de La Fontaine a-t-il, dès notre enfance, attaché pour toujours à la figure imaginaire d'un poète je ne sais quel sens ambigu de fraîcheur et de profondeur [...]. De grands dieux naquirent d'un calembour46 [...] ». Il n'est pas certain que les possesseurs d'un nom aiment qu'on joue avec leur patronyme. Un Gensane ne goûte pas forcément la gentiane, surtout celle qu'on produit en Corée à Fou-San. Il n'en reste pas moins que s'il y a calembour à partir des noms, c'est que d'abord, comme le dit l'expression, on se fait un nom : il est fort probable que le patronyme de la famille royale des Stuart vienne de Sty Ward (porcher), il est sûr que le peintre Hogarth s'appelait à l'origine Hoggart (hog = verrat). Quant au premier président de la République de Côte d'Ivoire, il s'appela « Houphouet » (détritus) pour des raisons métaphysiques et « Boigny » (bélier) pour des raisons sociétales. Le calembour jailli d'un patronyme crée donc un univers fini, rétréci, où l'arbitrarité du signe a vécu. Si je joue avec le nom « Giscard », celui du « oui mais » à De Gaulle que Le Canard Enchaîné avait rebaptisé « Giscariote », est-ce que je cherche un vocable impérissable parce que je veux faire passer un jugement politique, ou est-ce que je veux cacher une pensée politique peut-être un peu nébuleuse ou approximative derrière un bon mot ? Guy Béart et Pétrarque ont ainsi tourné bien longtemps autour de « Laura », que le chanteur n'a jamais eue (« Laura, l'aura pas ») et que le poète n'a jamais nommée, sauf dans le titre, et, dans le texte, en jouant sur quantités de pseudo-anagrammes parce que dans l'amour courtois adultère on ne dit pas les choses telles qu'elles sont, mais telles qu'on les soupire.

 

Lorsque Hamlet découvre que la personne qu'on enterre selon des rites tronqués n'est autre qu'Ophélie et qu'il s'exclamethe fair Ophelia47 trouve-t-il belle ou pure celle à qui il conseillait précédemment de s'enfermer dans un couvent-bordel ? Bien des personnages de la tragédie shakespearienne ont des personnalités clivées dans un monde où les frontières de la morale, de la politique sont mouvantes. Le jeu de mots renforce de manière illogique le processus logique de la pensée. « Tout homme est mot-valise, qui doit pour prendre sens et, ce faisant, en reconnaître le non-sens, commencer par disjoindre ses constituants48 ». Le nunnery (couvent) de Hamlet, oxymore à lui tout seul, relie des images normalement sans rapport et il les fond en une métaphore apparemment incohérente. La langue de l'énonciateur s'en trouve enrichie, voire poétisée, même si la conscience n'est pas forcément très claire49. Et lorsqu'il n'y a plus glissement progressif des sens mais franc dérapage, cela peut mener à la cacophonie, comme lorsque Lacan parle (alors que Bobby Lapointe l'eût chanté) « de ce qui perdure de perte pure à ce qui ne parie que du père au pire ».

Arbitrarité et absurde

On connaît la version de Raymond Queneau de La cigale et la fourmi selon la méthode S + 7 : La cimaise et la fraction :

 

La cimaise ayant chaponné tout l'éternueur

Se tuba for dépurative quand la bisaxée fut verdie :

Par un sexué pétrographique morio de mouffette ou de verrat etc…

 

La technique peut être rapprochée de celle de la chanson que chante, dans un Espéranto bien à lui, Charlie Chaplin dansLes Temps modernes. Nous ne sommes pas à proprement parler dans le calembour, mais dans une exploitation par l'absurde des révélations des potentialités de la langue, en direction du chaos quand cette langue est sur le point de se dissoudre. Cette circonvolution fait éclater l'arbitrarité du signe puisque, de même que « les fesses reculent » n'est pas plus illogique que « l'effet se recule », ou « les faits (“les fées” ?) se reculent », quelque chose de génétique en nous pourrait nous faire prendre une cimaise pour une cigale. Il est de toute façon à entendre dans cet exemple que dans un bon (et même dans un mauvais) calembour, l'impression de ressemblance et l'impression de différence se confondent, un peu comme le doux-amer ou comme la neige glacée qui brûle la main. Comme chez Groucho50 Marx, dans le calembour le réel raisonnable devient un irréel de la folie.

 

L'horizon d'attente du jeu de mots est égale à l'infini ou à zéro, selon que l'on se satisfait du jeu par lui-même ou que l'on recherche un détournement des mots et du sens franchement spirituel. Pour atteindre l'authenticité, a dit Sartre, il faut que quelque chose craque. Ainsi, pour retrouver l'authenticité de phrases toutes faites, solidifiées par un trop long et massif usage, peut-on prendre un cliché à sa source et, par une légère fêlure, lui redonner son sens par une resémantisation biaisée : on pense aux verres cassés dans les cantines qu'accompagnait un « Duralex, c'est de l'ex », ou à In His Own Writeet au Spaniard in the Works de John Lennon51.

 

Le calembour est matière à réflexions très sérieuses puisqu'il questionne les formes et le rôle du langage. Lorsque Coluche avance que « les hommes politiques trahissent des émotions » ou que Monsieur Lecanuet fut « premier dans un concours de circonstances », le jeu de mots est chargé de subversion, puisque le discours est brisé en étant pris pour ce qu'il est. Selon Pierre Guiraud, « une des formes cocasses du calembour consiste à bloquer le sens figuré en prenant l'expression au pied de la lettre (elle prend une éponge et s'efface52) ». « Le ludant » ajoute Guiraud, est le texte tel qu'il est donné (celui qui joue) et le « ludé » le texte latent (sur lequel on joue). [...] Dans la mesure ou le « ludant » est un terme inattendu et le « ludé » attendu, l'effet de surprise sera d'autant plus grand que le premier est plus normal et le second plus insolite ; par exemple, recevoir quelqu'un avec des daims est assez surprenant. [...] Définir l'amour comme une, forme alitée à remplir ou une formalité à remplir (ludant et ludé sont ici parallèles et interchangeables), c'est proférer une banalité sous le couvert d'une obscénité ou, l'obscénité dûment exprimée, feindre un malentendu53.

 

Un bon calembour fait rire puis réfléchir. Le drôle devient profond, l'insolite devient normal. Country Matters dansHamlet révèle la maîtrise de l'auteur, une grande connaissance de son public, sa conscience de l'existence du sur-texte.Lorsque Hamlet crie à Ophélie : Get thee to a nunnery, il y a certes calembour, mais le personnage et son auteur ont cessé de jouer, ont retrouvé la dénotation qui est, comme le disait Barthes, « la dernière des connotations54 », pour signifier d'une manière différente et non arbitraire ce qu'ils avaient à dire. Lorsqu'en revanche je dis qu'un Monsieur Lenfant est orphelin, je reste à la surface du langage, même si j'ai atteint l'objectif d'espièglerie que je m'étais fixé. Je me maintiens au niveau du sous-texte dans la mesure où je n'ai pas élargi le champ de communication et où la littérarité de mon discours est quasi nulle. Si je transforme gratuitement « Giscard » en Giscariote, mon propos signifie par lui-même, mais je ne joue que sur le langage, dont je malmène la chaîne syntagmatique. Mais si je qualifie le ministre des Finances des années soixante de Giscariote parce qu'il a appelé à s'abstenir lors d'un référendum perdu par De Gaulle, j'inscris le jeu de mots, qui n'a rien perdu de sa force, dans le champ politique et culturel. Je fais donc coup double, puisque je fais rire aux dépens de la victime en dénotant et connotant la traîtrise du « cactus ».

 

NOTES

 

33 Le rire, Paris, PUF, 1975, p. 92 (première publication : 1900). En revanche, dans le contrepet, l'art de décaler les sons et peut-être aussi, ajouterions-nous, d'inoculer les encens, la langue fourche dans les deux sens du terme.

34 Joseph Andrews, Londres, OUP, 1966, p. 37. En italique dans le texte.

35 In John S. Crosbie, Crosbie's Dictionary of Puns, New York, Harmony, 1977

36 Stendhal aurait parlé d’« 'étranglement » éthylique, vocable tombé en désuétude mais qui aurait permis un autre jeu de mots.

37 Ce qui fait évidemment penser à la blague bien connue : au dînerof ficiel donné à l'ambassade d'Allemagne, le Général Amin Dada a mangé un hamburger, deux Frankfurters et un jeune homme de Heidelberg.

38 Ce fingera fait l'objet d'innombrables plaisanteries de collégiens, comme dans la chanson des Beatles Penny Lane : a fish and finger pie.

39 Eric Partridge, Shakespeare's Bawdy, Londres, Routledge and Kegan Paul 1968, édition augmentée, p. 121 et 165.

40 Hamlet, III, ii, 259-260.

41 Margaret Ferguson, « Hamlet : letters and spirits», in Shakespeare and the Question of Theory, ed. Patricia Parker et Geoffrey Hartman, Londres, 1985, p. 292.

42 « Many of us wish the Bard has been more manly in his literary habits» (William Empson, Seven Types of Ambiguity, Londres, Harmondsworth, 1973, p. 110).

43 L'idiot de la famille, Paris, Gallimard, 1971, tome 3, p. 1973-5. Pour des raisons médiocres, Sartre a fait l'objet d'innombrables piques de la part des faiseurs de calembours : ainsi, pendant la deuxième guerre mondiale, la presse collaborationniste titra « L'épate des mouches », lorsqu'il fit jouer sa fameuse pièce parce qu'elle retenait qu'il voulait choquer les bourgeois (in Témoins de Sartre, Volume 2, Les Temps Modernes, n° 531-3), tandis que le Sartre très diminué de la fin des années soixante-dix dut supporter des plaisanteries du style « de Beauvoir en bavoir ».

44 Gustave Flaubert, Correspondance, Paris, Conard (sic), 1926, tome 2, p. 407. Autre sic : le nom du procureur ayant requis contre Madame Bovary : Ernest Pinard.

45 Flaubert's Parrot, Londres, Jonathan Cape, 1984. Happiness = bonheur ; crap = saloperie.

46 Variétés I, Paris, Gallimard, 1924, p. 53.

47 V, I, 265.

48  Jean Paris, « L'agonie du signe », Change, 11, 1972, p. 167.

49 Nous suivons ici l'analyse de Kenneth Muir, "The Uncomic Pun", Cambridge Journal, 3, 1950, p. 473 à 485.

50 « Groucho » est un calembour mot-valise constitué par grouchy (ronchon) et « gaucho ».

51 Publiés en 1964 et 1965, réunis en 1967 par Signet Book (New York). Traduit en français par Chrisliane Rochefort sous le titre En flagrant délire. Ces deux petits chefs-d'œuvre sont une mine de calembours. Lennon procède soit par approximation (Trade Onions, Lastly but not priest), substitutions (Harrassed Wilsod), additions (Labouring Partly), fausses étymologies où il fait dire à des noms propres ce que peut-être ils ne faisaient que suggérer (Harrassed Mc Million, Priceless Margarine) ou encore par création de pseudo-langues étrangères à partir de jeux de mots sur des noms propres (Prevalent Ze Gaute). Le but final étant de dénoncer le discours de l'idéologie dominante en faisant éclater la langue (Jésus El Pifco was a foreigner and he knew it. He had immigrateful from his little white slum in Barcelover a good thirsty year ago [...]).

52 Les jeux de mots, éd. cit, p. 11.

53 Ibid,p. 105-7.

54 S/Z, Paris, Le Seuil, 1970, p. 16.

55 Rappelons que le mot « zéro » vient d'un mot arabe signifiant « le vent ».

Les frontières royales des calembours bons (II)
PS : À Séville, une affiche de Jésus-Christ pour la Semaine sainte suscite des relents homophobes.
En bon athée, j'ai assisté aux fêtes de la Semaine sainte à Séville au milieu des années soixante. Une telle représentation du Christ aurait relevé de l'impensé !
Les frontières royales des calembours bons (II)
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31 janvier 2024 3 31 /01 /janvier /2024 06:01

Texte écrit en 2006 et publié en 2013 par les Cahiers du Forell (Poitiers)

 

Au commencement était le phonème. Dans sa Modeste défense du calembour, Jonathan Swift se demandait si le mot Pun ne venait pas d'un mot grec signifiant soit fond soit glaive1 suggérant que jouer sur les mots, c'est aller au plus profond du sens, mais que c'est aussi fendre le sens avec la rapidité de l'éclair.

 

Le calembour est une brièveté, un coin enfoncé entre l'essentiel et l'accidentel, entre des relations normalement signifiantes et la coïncidence, quand toutes les particules de la langue se recouvrent exactement. Il est à la base de toute la création langagière (orale ou écrite) dans la mesure où la littérature est peut-être avant tout un jeu consistant à marquer des relations de sens, des relations au sens.

 

Le calembour est le little bang de la Genèse de la parole. Tous les récits, toutes les allégories sont issues d'un mot qui a éclaté grâce à l'énergie d'un pun. Le mal (malum) a donné la pomme (malum), le mot s'est – par dérision, transformé en chose ou en nom de chose. L'arbitrarité du signe n'étant plus à démontrer, le calembour serait la preuve que la langue, comme le bois, travaille d'elle-même. Un dentiste cher au Beatle John Lennon décrivait ainsi l'intérieur de la bouche : « Everybody knows there are four decisives, two canyons, and ten grundies, which make thirsty two in all2. » Le calembour est bien un bref accident où le mot originel fait place à un assemblage de phonèmes dérivés quand une organisation spontanée de syllabes produit du sens, et bien sûr quand notre mémoire, notre culture nous permettent de reconnaître des multiplicités.

 

Cela dit, nous vivons une époque « moderne ». Lorsqu'on institutionnalise les vrais-faux passeports, lorsque le « Bébête-Show » sert de culture politique et que les hommes politiques eux-mêmes s'y réfèrent et se mirent parfois en lui, lorsque le sondé a remplacé l'électeur, on peut se demander si on n'a pas atteint (provisoirement, peut-être), un certain aboutissement de la pensée, quand la signification a disparu parce qu'on a perdu de vue la relation logique entre le signifiant et le signifié. Quand l'ECU est une monnaie, quand la Vénus de Milo retrouve ses bras non pour que nous ayons envie de l'original, mais pour que nous n'ayons plus besoin de l'original3, quand on attend des supermarchés qu'ils se substituent aux pouvoirs publics parce que les banlieues sont devenus des « ghettos4 », quand les sectes ont remplacé les églises, quand les ambitions personnelles ont démodé les partis politiques, on peut se demander si l'humanité va encore être capable de produire des signes authentiques. Lorsqu'on ne parvient plus à rattacher les mots aux choses parce que notre rapport aux signifiants est brumeux, on abandonne le monde de la création pour se satisfaire de celui de la répétition parodique, du pastiche tautologique, du jeu à l'état pur, quand le ludique ne renvoie qu'à sa propre performance, se dénote sans connoter le réel. C'est ainsi, nous semble-t-il, qu'on peut expliquer, ces dernières années, l'essor considérable de tout ce qui relève de l'imitation et du jeu sur les énoncés de la société. Il n'est pratiquement plus rien qui ne renvoie à autre chose. Quand le « tout vrai » doit s'identifier au « tout faux5 », la médiatisation s'opère très souvent par le biais de calembours.

 

Dans les années soixante-dix et quatre-vingt, le calembour est devenu l'un des témoignages de la perte de cohérence de notre discours social, Lacan ayant été un témoin notoire de notre inaptitude à l'appréhension du réel, parce que, comme le pensait Victor Hugo, lorsqu'on a recours au calembour, notre esprit vole dans les deux sens du terme (« Le calembour est la fiente de l'esprit qui vole »).

 

Les universitaires ont toujours entretenu vis-à-vis du calembour une relation vivement critique et légèrement fascinée. Lanson y voyait « la plus basse forme du sentiment des sonorités verbales » ; voilà pourquoi, concédait-il, « il lui arrive de rapprocher les grands artistes et les grands imbéciles6 ». Bergson condamnait un « laisser-aller du langage » oubliant « un instant sa destination véritable et qui prétendrait maintenant régler les choses sur lui, au lieu de régler sur elles7 ». Tout aussi sévère, Lévi-Strauss pensait que le calembour « prend la place de la réflexion » et comme l'enseignement philosophique reçu par lui au début de ce siècle, il « exerce l'intelligence en même temps qu'il dessèche l'esprit8 ».

 

Infantilisme, humanisme ou « chute de l'homme » ?

Jouer avec les mots c'est, d'une certaine manière, retourner en enfance ou, plus exactement, y rester. Calembourrer n'a rien de pervers, ne relève pas d'un comportement marginal. Il s'agit d'une réflexion, d'une pratique plus ou moins consciente du fonctionnement de la langue, quand le locuteur tire profit des zones résiduelles du comportement langagier que les grammaires, les théories linguistiques ne prennent pas en compte9.

 

Le calembourisme est-il un humanisme ? On peut en effet se poser la question si on se souvient que la vogue du calembour, du contrepet, des jeux de mots en général s'est développée en France comme en Angleterre à l'époque de la Renaissance. « Le calembour est incompatible avec l'assassinat », dit l'un des personnages de La Chartreuse de Parme. Jean-Paul Grousset, un des piliers du Canard Enchaîné, voit dans le faiseur de calembours un homme qui aime son prochain, un homme qui rapproche les hommes et qui abolit, en même temps qu'il les dessine, les frontières des possibles du langage10.

 

Mais la lecture du Canard Enchaîné,ne serait-ce que parce que cet hebdomadaire se proclame satirique, installe le lecteur dans un club fermé avec ses innombrables connivences, une sorte de société secrète à visage découvert, où il n'est même plus nécessaire de se comprendre à demi-mot pour savoir qu'on fait partie du même monde. Jean-Paul Grousset et ses confrères jettent des pavés dans la mare, ce qui prouve au moins que pour eux il existe une mare commune. La satire est un genre conservateur en ce sens qu'elle veut à tout prix préserver le modèle en regardant par derrière lui. Lorsque durant les « événements » de mai 1968, le Canard titre : « Comment va le monde ? – Cahin-chaos », on sent bien que tout finira par s'arranger, ce qui n'empêche pas De Gaulle, ce qui avait peut-être échappé à l'auteur du calembour, d'être menacé par Caïn-Pompidou11. Baudelaire, grand usager du calembour, estimait quant à lui que l'humour était une réponse à la Chute de l'Homme et que le jeu de mots (de maux ?) traduisait la nécessité pour le créateur du dédoublement : « L'artiste n'est artiste qu'à la condition d'être double et de n'ignorer aucun phénomène de sa double nature12 ». Nécessité ou hasard dans la mesure où on peut se demander si le calembour n'est pas dans un premier temps une connivence avec soi-même, mais qui permettrait l'intrusion d'un autre mal connu et pas forcément attendu. On trouvera sans peine cet autre, démultiplié pratiquement à l'infini, dans l'imagerie produite par le christianisme depuis 2 000 ans. « Tu es Pierre, et sur cette pierre… », avait dit le Christ, prêcheur au discours moins tragique qu'on ne le croit parfois. Le calembour religieux n'a-t-il pas été exprimé par toutes ces curiosaet obscena qui, tels des points noirs ou des mouches, grêlent les murs pies de quantités d'édifices religieux. Du fond de l'oralité paysanne, nous sont parvenues ces affirmations doubles, oxymoriques, où le profane se fond dans le religieux, où le rire ne veut en rien céder à la terreur, en cette époque où, contrairement à ce que ferait Lacan, on savait ne pas dérouler un calembour. Dans la collégiale Saint-Martin de Champeaux, une stalle du XVIe siècle montre un homme urinant sur un van. La culture populaire médiévale aimait les calembours, échanger sons, sens, images, s'extraire du réel – comme l'a si bien fait Jeronimus Bosch13, pour mieux le réintroduire. Alors, « Petite pluie abat grand van14 ».

 

Société et langage

 

Le calembour est l'une des astuces les mieux partagées du monde. Pierre Guiraud mentionne « des formes souvent assez fines du calembour qui ont laissé des traces dans la langue de l'argotier », et il cite le concierge surnommé cloporte15. Le calembour peut servir à créer des mots de passe pour les minorités, comme Señoreater pour un homosexuel mexicain16 ou cette French letter de mauvaise qualité qui devient Welsh parce qu'il y a a leek in it17.

 

Lorsque je dis que « Dieu est un mythe errant », je joue sur un jeu de mots préexistant, je tords une pensée elle-même tordue. Je débusque une stratégie langagière qui n'est pas neutre, et je finis par maîtriser une réalité qui m'avait échappé en affaiblissant la charge paradigmatique des vocables « Dieu », « mythe » et « Mitterrand ». Mais cette réussite n'a été possible que parce que je ne me suis pas écarté de la logique du sémantisme de la proposition rhétorique initiale. Dieu m'a ramené à Dieu. Le mythe au mythe. Le discours au discours. Mais, heureusement, le jeu sur les mots n'est possible que parce que dans l'univers, il y a davantage d'objets que de mots, et surtout que de sons, et parce qu'un mot n'est pas défini par sa seule forme, mais surtout par sa fonction. Sinon, Séphéro, le fameux soldat de La Marseillaise, ne serait jamais sorti de son calembourbier, ni non plus Pansa qui avait le sang chaud ! Qui plus est, le passage d'une langue à une autre ne suscite-t-il pas une forme d'hypnose comparable à celle d'Océania dans 1984, le lecteur recevant de la communauté qui l'intègre un « système de langage » avec un « mode d'emploi », mais aussi un « mode de contre-emploi », qui permet en môme temps d'affirmer la maîtrise du mode d'emploi18 ? Et c'est quand on ne connaît pas ces modes d'emploi et de contre-emploi qu'on peut produire, sans le savoir, les calembours les plus savoureux. On se souvient par exemple de cette histoire de Fernand Raynaud reprise par Gérard Genette et qui met en scène deux Allemands à Londres voulant se faire passer pour des Anglais et demandant dans un pub : Two Martinis, Please et répondant Nein, zwei à la question dry19 ?

 

Chez les scientifiques, le jeu de mots est condamné pour son ambiguïté, voire sa morbidité. C'est bien parce qu'il était – bon gré, mal gré – un marginal de l'institution20 que Roland Barthes a pu, en parlant de lui à la troisième personne, analyser sa jouissance amphibologique, lorsqu'il pensait, par exemple, à la polysémie du mot intelligence :

 

« R.B. garde au mot ses deux sens, comme si l'un deux clignait de l'œil à l'autre et que le sens du mot fût dans ce clin d'œil [...]. C'est pourquoi ces mots sont dits [...] "précieusement ambigus", [...] parce que grâce à une sorte de chance, de bonne disposition, non de la langue mais du discours, je puis actualiser leur amphibologie21 [...].

 

L'amphibologie serait-elle anarchiste, mais sur un mode défensif ? L'instigateur d'un quiproquo est toujours sur ses gardes, ne sachant jamais vraiment si sa stratégie discursive sera mal comprise ou trop bien comprise. Lorsque la pensée ou la langue fourchent, c'est-à-dire se dédoublent, s'agit-il d'une bourde ou d'un crime avec préméditation ? Les deux selon Victor Shklovski qui donne comme exemples de défamiliarisation (ostranenie), les calembours, les euphémismes concernant les sujets érotiques une fois que la création est pensée par l'énonciateur comme une recherche sur les potentialités cachées de l'objet22.

 

Le calembour n'est pas un acte gratuit, qu'il témoigne de la crainte de l'autre, comme dénotait, au début de la guerre du Golfe Persique, cette constatation du petit garçon d'un marine : Sadly Insane took my daddy away23, ou l'antanaclase historique des Parisiens protestant contre les barrières d'octroi en 1789 : « le mumurant Paris rend Paris murmurant », ou enfin ce slogan mot-valise des Luddites : Long live the Levolution mariant les Levellers aux révolutionnaires français24. Si, comme l'a dit Raymond Queneau, « il y a peu de fautes stériles25 », c'est que la langue a deux faces et que, dans le même mouvement, elle regarde ce qu'elle met en forme et réfléchit sur elle-même en se réfléchissant. Consciemment ou non, l'énonciateur se plait à pécher contre la langue parce qu'il entrevoit un enrichissement. Amphibologiquement parlant, Barthes est un rêveur dont les fulgurances scientifiques passent volontairement par les détours de la poésie. Ce qui lui permet d'être plus sensible que d'autres au tremblement de la langue, à sa nature instable, au fait que l'on n'est jamais vraiment sûr, non seulement d'être compris, mais même d'exprimer ce que l'on veut réellement dire.

 

Calembour et création

Le calembour, ainsi que le mot-valise, sont la preuve que les mots sont rarement porteurs d'un seul sens. Une langue d'où ils seraient absents serait une langue où à chaque signifiant correspondrait un signifié, c'est-à-dire une non-langue. Alors que l'anagramme joue plutôt au niveau de la vision des mots, le calembour, comme la rime, lie des mots qu'associe la sonorité et non le sens : Why don't you starve in the desert ? Because all the sand which is there (all the sandwiches there).

 

Le calembour traduit la jouissance du locuteur qui sent les potentialités infinies d'une langue qu'il domine à mesure qu'il la malmène. Autrement dit, le désordre qu'occasionne le calembour est la preuve de l'ordre du génie de la langue. Il y a création verbale parce que le calembour transcende de nombreux genres discursifs. Lorsque Booz est vêtu de « probité candide et de lin blanc », lorsque Prévert évoque L'Emasculée Conception, lorsque Boris Vian joue de son quadruple instrument, la trompinette26, de nombreuses frontières entre genres littéraires ou rhétoriques sont anéanties. Quand, évoquant la mauvaise gestion de la compagnie Air Afrique, le Président Sénégalais Abdou Diouf affirmait en 1988, en connaissant, du moins l'espérons-nous, les vertus dévastatrices de l'ironie, qu'Air Afrique « battait de l'aile », il faisait se téléscoper différentes strates de la philosophie et de l'étymologie française, il comprimait la polysémie, ce que seul un chef d'État, même démocratiquement élu, pouvait se permettre.

 

Borges disait que les mots étaient en eux-mêmes métaphoriques ; il aurait pu ajouter, après Saussure qui estimait que les mots fouet et glas pouvaient frapper du fait même de leur sonorité27, qu'ils pouvaient être à eux seuls des calembours. Pierre Guiraud évoque l'homonymie en sanskrit de gavos(nuage) et gavos (vache) d'où serait née (ou « frère » ?) la légende du bouvier Cacus, gardien des vaches du ciel28. Il faut dire que l'étymologie peut nous aider à accéder à une étonnante connaissance de nous-mêmes, de notre culture, via le délire, la sortie du sillon. On pense aux travaux de Pierre Brisset pour qui l'étymologie donnait la clé, non seulement des mots, mais aussi du monde29. Ainsi, le gâteau matutinal préféré des Français s'appelle croissant, bien sûr parce qu'il en a la forme, mais aussi parce qu'il fut inventé pour commémorer une victoire autrichienne sur les Turcs. Brisset poussait loin son délire lorsqu'il exprimait que des idées exprimées par des sons identiques avaient la môme origine. Il donnait les exemples suivants :

 

Les dents, la bouche 

Les dents la bouchent 

L'aidant la bouche 

L'aide en la bouche 

Laides en la bouche 

Laid en la bouche

 

De la création (au deux sens du terme) aux racines, il n'y a qu'un pas. L'auteur des Mythologies rappelait qu'aimablesignifie que l'on peut aimer. Comme l'étymologie, le calembour serait ce qui nous permet de retrouver nos origines, lasurimpression dont parle Barthes30 (comme lorsqu'on se souvient que tennis est une déformation du verbe tenir à la deuxième personne du pluriel de l'impératif) nous faisant remonter le temps en nous transformant en palimpsestes vivants qui peuvent, s'ils le souhaitent, jouer avec tout énoncé littéraire malgré ou contre son auteur. Robert Silhol a ainsi magistralement expliqué comment on pouvait jouer avec l'inconscient d'Apollinaire en jouant aux quilles avec les onze mots du refrain du « Pont Mirabeau31 » :

 

Vienne la nuit sonne l'heure

Les jours s'en vont je demeure

 

Mais si on s'en tient à une simple approche grammaticale, quoique ludique, des six premiers mots (« Vienne la nuit sonne l'heure »), on ne perd pas non plus son temps. Outre le fait que « Vienne » n'est peut-être rien d'autre que le chef-lieu d'arrondissement de l'Isère ou un département qui compte des chercheurs hors pair, on peut voir dans ce verbe (soyons réaliste) le véhicule des souhaits ou des regrets de l'auteur, on peut accorder à « la nuit » une valeur anaphorique ou une valeur généralisante, on peut conjuguer « sonne » au subjonctif, à l'indicatif ou à l'impératif, et on peut également donner à « l'heure » une valeur anaphorique ou généralisante. Ce faisant, on aura, sans effort, écrit Cent mille milliards de poèmes.

 

Dans sa dimension parodique, le calembour doit s'en prendre à une cible pré-existante. Shamela n'aurait jamais existé sans le Pamela de Richardson. Par le burlesque, Fielding s'attaque à un genre admis avant lui comme élevé. Mais bien qu'il produise un discours second, en détournant un genre de ses codes, il reste néanmoins redevable de l'hypotexte. La critique débouche, peut-être en fin de compte, et quoi qu'en aient les créateurs, sur une mise en valeur de la cible décriée. Lorsque le Canard Enchaîné appelait Couve de Murville Mouve de Curville, il nous semble qu'à son corps défendant il lui rendait service. Le but recherché était peut-être de railler un nom à particule ; mais comme le cérémonial de la nomenclature n'avait pas bougé, le calembour était rassis avant d'avoir servi32.

 

(Á suivre)

 

NOTES

1 Prose Works, ed, Herbert Davis, Oxford, 1957, vol. 4, p. 205-6.

2 The Writing Beatle, New York, 1967, p. 24.

3  Voir Umberto Eco, La guerre du faux, Paris, Grasset, 1985, p. 23.

4 L'abus, aujourd'hui, du mot « ghetto » atteste la coupure de l'individu et de la collectivité par rapport à leur culture et à l'histoire.

5 Leek = poireau, Leak = fuite. Umberto Eco, op. cit., p. 12.

6 Gustave Lanson, L'art de la prose, p. 32. Dans Dictionnaire philosophique, Voltaire qualifie le calembour de «la pire espèce du faux bel esprit». Selon Pierre Guiraud, le mot "calembour" viendrait de caller (bavarder) et  bourder (dire des blagues). Voir Les jeux de mots, Paris, P.U.F., "Que Sais-je ?", 1976, p. 121. Pun apparaît dans l'Oxford English Dictionary en 1960. Son origine est inconnue. Le mot vient peut-être de to pound, avec l'idée que les mots sont battus, que le sémantisme est écrasé, ou alors de punto, "pointe", ce trait cher aux pitres.

7 Le Rire, Paris, P.U.F., 1975, p. 92 (première publication : 1900).

8 Tristes Tropiques, Paris, U.G.E., 1955, p. 37.

9 Ce que Jean Jacques Lecercle appelle The remainder in The Violence of Language, Londres, Routledge 1991.

10 Si t'es gai, ris donc ! Paris, Julliard, 1963, p. 21.

11 5 juin 1968.

12 Charles Baudelaire, Curiosités esthétiques, Paris, Garnier, 1962, p. 263.

13 Un des aspects fondamentaux de l'œuvre de Bosch tient dans un considérable travail de retournement. Pour ne prendre qu'un exemple, à la limite mineur, on pourra considérer le démon, personnage direct de son Saint Jean de Patmos. Son sexe est une queue écaillée (on peut naturellement jouer sur le mot "queue" en flamand comme en français). Cet horrible appendice, sexe clos sur lui-même, privé pour toujours de l'étreinte, exprime la condition oxymorique du démon solitaire (sûrement pas démoniaque) et impuissant, et traduit, au niveau du discours, la confusion tragique que le mal introduit dans le langage.

14 Lire à ce sujet Claude Gaignebet, (et al.), Art profane et religion populaire au Moyen Age, Paris, PUF, 1985 (2e chapitre).

15  L'argot, Paris, PUF, 1956, p. 50.

16 Bruce Rodgers, The Queen's Vernacular, San Francisco, Straight Arrows, 1972, p. 29.

17 Leek= poireau. Leak= fuite.

18 Marina Yaguello, Alice au pays du langage, Paris, Le Seuil, 1981, p. 141.

19 Fiction et diction, Paris, Le Seuil, 1991. On peut également jouer sur con et con, chat et chat, rot et rot (« pourrir » en anglais, « rouge » en allemand). On pourra aussi aller chercher en Afrique keur(prononcé « cœur ») qui signifie « maison » en wolof et qui, étrangement, ressemble euphoniquement au ker des Bretons ! Signalons également une approximation troublante : to kowtow, verbe d'origine chinoise, signifiant "courber l'échiné", et akoto signifiant "à genoux" en baoulé, langue du groupe Akan. Enfin, dans le dialecte bavarois, jouer allegro vivace implique pour les musiciens en herbes qu'ils ne doivent pas taper sur leurs instruments comme s'ils leur donnaient des claques (wie Watsche).

20 Voir L.J. Calvet, Roland Barthes, Paris, Flammarion, 1990.

21 Roland Barthes par Roland Barthes, Paris, Le Seuil, 1975, p. 76. On sait que des moqueurs (Michel-Antoine Burnier et Patrick Rambaud in Pastiches, Paris : Balland 2018) parleront d'« angulage de mouches » pour qualifier certains méandres de la démarche barthésienne.

22 « Art as Technique », in ed. L.T. Lemon and M. J. Reis, Russian Formalist Criticism, Lincoln, University of Nebraska Press, 1965.

23 Ce fou triste (Saddam Hussein) m'a pris mon papa.

24 Cité par E.P. Thompson, TheMaking of the English Working Class, Harmondsworth : Penguin, 1968, p. 733.

25 Bâtons, chiffres et lettres, Paris, Gallimard, 1965, p. 69.

26 Dans trompinette, il y a « trompe », « pine », « trompette » et « trombine ».

27 Ferdinand de Saussure, Cours de linguistique générale, Paris, 1967, p.102.

28 Pierre Guiraud, Les jeux de mots, éd. cit., p. 41.

29 Pierre Brisset (1837-1923) est l'auteur de La Grammaire logique, Paris, Tchou, 1970. Bien sûr, la quête étymologique ne rapporte pas toujours les fruits souhaités. L'étymologie naît parfois de faux indices. Umberto Eco rappelle qu'orchis signifiait en Grec testicule ... In Les limites de l'interprétation, Paris, Grasset, 1992, p. 108.

30 Roland Barthes par Roland Barthes, éd. cit., p. 88.

31 Le texte du désir, Petit-Rœulx, Cistre, 1984 (chapitre 4).

32 En revanche, beaucoup plus cruel était le fait d'appeler, dans l'entre-deux-guerres, le père de l'ancien Président de la République Monsieur de Puipeu, lui qui venait de relever le nom de la famille d'Estaing.

 

 

Les frontières royales des calembours bons (I)
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30 janvier 2024 2 30 /01 /janvier /2024 06:01

Alexandra Briez-Paquelet. Mamie Image. La perle du lac. Illustrations : Alexandre Goislard. Nice : Youstory 2023

 

Je n’avais jamais rendu compte d’un livre pour enfants, disons de dix à cent-un ans. Seulement là, l’autrice est ma banquière à la Caisse d’Épargne. J’ai donc décidé joindre l’utile à l’agréable.

 

Une histoire charmante, qui coule de source, où se mêlent harmonieusement la réalité, le rêve, les fantasmes, la magie. Une aventure par-delà les frontières et le temps. Et puis en sottofondo une Italie rassurante.

 

Le style a retenu mon attention. Ce n’est pas à proprement parler celui d’un livre pour enfants mais, par sa précision, ses tournures concrètes, il ne peut que convenir au jeune public : « La nature est verdoyante, le paysage spectaculaire. Des villages de pêcheurs colorés bordent le lac telle la prolongation de ses luxuriants jardins fleuris et parfumés. »

 

De grimoire en mantra, on se laisse emporter par la poulicorne (ne cherchez pas à comprendre).

 

La Caisse d’Épargne est riche en surprises…

Note de lecture 213
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2 janvier 2024 2 02 /01 /janvier /2024 06:01

C’est un très bon ami (ici en compagnie de Nathalie et Rébecca), mais que cela ne m’empêche pas de lui consacrer une note de blog.

Alex Rossi est né à Auch en 1969.

D’origine italienne (rien à voir avec Nathalie Rossi-Gensane, rien qu’à Rome il y a des dizaines de milliers de Rossi), on l’a qualifié du « plus italien des chanteurs français ». Sa famille paternelle est originaire de Campomolino, village de la commune de Gaiarine dans la province de Trévise en Vénétie. Elle a émigré après la Première Guerre mondiale pour travailler pour des propriétaires fonciers locaux.

 

À 16 ans, Alex commence à travailler comme animateur pour Radio 32 en 1985 et disc jokey pour le club La nuit en 1986. Après des études de cinéma à l’université de Montpellier, en 1993, il s'installe à Paris, où il commence à travailler dans le secteur du cinéma et de la télévision, accomplissant les tâches les plus variées et continuant en tant qu'auteur et compositeur autodidacte de ses propres chansons. En 1997, il fait ses débuts dans l'industrie du disque, en signant d'abord un contrat avec Mercury, avec lequel il publie les singles Le cœur du monde en 1998 et Le bazar en 1999 et la collection Tour de chauffe en 1999, puis en 2000 un contrat avec Edel, avec lequel il publie le single A des 1000 nautiques en 2001.

 Au cours des années suivantes, il commencé à écrire des chansons pour d'autres artistes, dont Axel Bauer, Dick Rivers et David Halliday, en plus de publier à son nom le single et le clip vidéo Viens par ici en 2007, suivi de l'EP My life is a fucking demo et le 45 tours Je te prends, tous deux publiés par le label Bleeding Gold Records en 2010 et 2012 respectivement.

 Le tournant artistique survient en 2012, quand, redécouvrant ses origines italiennes, il commence à publier des singles et des clips vidéo en italien. En 2012, il sort le clip vidéo L'ultima canzone (ma chanson préférée de lui), imprimé en 45 tours l'année suivante par le label Born Bad Records, suivi des clips vidéo Ho provato di tutto en 2013 et Domani è un'altra notte en 2016. Le projet culmine avec la sortie du premier album Domani è un altra notte, publié par le label Kwaidan Records en 2019, dont les singles, le vidéoclips e les EP de remixes pour Tutto va bene quando facciamo l'amore (sa chanson la plus populaire qui tient en une seule phrase, devinez laquelle) et Faccia a faccia, et l'EP pour Vivere senza te sont extraits. En 2020, avec l'actrice et compositrice Calypso Valois, il enregistre une reprise de Solo tu des Matia Bazar, tandis que Tutto va bene quando facciamo l'amore est utilisé comme jingle dans le programme Back2Back sur Rai Radio 2.

 En 2022, il enregistre une reprise de Adesso si, domani no pour la compilation hommage à Christophe De Jour comme de Nuit publiée par le label Deviant Disco et il publie une nouvelle version de Tutto va bene quando facciamo l'amore avec Ken Laszlo. "Tutto va bene..." a été repris dans le film Iris et les hommes et la série télévisée Les papillons noirs. En 2023, il participe à l'album Dance'O'Drome du producteur français Yuksek dans la chanson Fantasia.

 

Alex a encore beaucoup de chansons sous le coude...


 

Discographie :

Album
Singles et EP
  • 1998 - Le cœur du monde (Mercury)

  • 1999 - Tour de chauffe (Mercury)

  • 1999 - Le bazar (Mercury)

  • 2001 - A des 1000 nautiques (Edel)

  • 2007 - Viens par ici

  • 2010 - My life is a fucking demo (Bleeding Gold Records)

  • 2012 - Break

  • 2012 - Je te prends (participation Inès Olympe Mercadal) (Bleeding Gold Records)

  • 2013 - L'ultima canzone (Born Bad Records)

  • 2019 - Vivere senza te (Kwaidan Records)

  • 2019 - Tutto va bene quando facciamo l'amore (participation Jo Wedin) (Kwaidan Records)

  • 2020 - Solo tu (participation Calypso Valois) (Kwaidan Records)

  • 2020 - Italo amore (Lifelike vs Alex Rossi - Italo amore (Musumeci edit)) (Future Disco)

  • 2020 - Faccia a faccia (Remixes) (Kwaidan Records)

  • 2021 - Faccia a faccia (Play Paul Remix) (Kwaidan Records)

  • 2022 - Tutto va bene quando facciamo l'amore (participation Ken Laszlo) (Kwaidan Records)

  • 2023 - Tutto va bene quando facciamo l'amore (Alessio Peck Remix) (Kwaidan Records)

  • 2023 - Tutto va bene quando facciamo l'amore (FakeFunk Remix Remix) (Kwaidan Records)

  • 2023 - Tutto va bene quando facciamo l'amore (Marco Maiole Remix) (Kwaidan Records)

Compilations
  • 2011 - 1'05 (Winter Records Volume 5) (Winter Records) (Alex Rossi - Parlons peu)

  • 2011 - Cult of the hopeless (Bleeding Gold Records) (Alex Rossi - Dans la peau de John Kennedy Toole)

  • 2012 - 11"x14" BGR Poster (Bleeding Gold Records) (Alex Rossi - Je te prends (Indoor Voices remix))

  • 2013 - Sampler Digital - Février 2013 (Magic) (Alex Rossi - L'ultima canzoneRouge roseChair et canon)

  • 2013 - Live tombés pour la France (Alex Rossi - L'ultima canzone)

  • 2015 - Les experts en désespoir (Freaksville Records) (Alex Rossi & Frédéric Lo - La chanson la plus triste de monde)

  • 2016 - Underground French pop: the sound of Freaksville Records 2006-2016 (Freaksville Records) (Alex Rossi & Frédéric Lo - La chanson la plus triste de monde)

  • 2017 - Télévisée (Pschent Music) (Alex Rossi - Al dente)

  • 2019 - La bande-son de l'automne 2019 (Les Inrockuptibles) (Alex Rossi - Vivere senza te (radio edit))

  • 2020 - More or less disco (vol. 5) (Partyfine) (Alex Rossi - Tutto va bene quando facciamo l'amore (Yuksek Dskotk remix))

  • 2020 - Future Disco: Visions of Love (Future Disco) (Lifelike vs Alex Rossi - Italo amore (Musumeci edit))

  • 2022 - Christophe, de Jour comme de Nuit (Deviant Disco) (Alex Rossi - Adesso sì, domani no)

  • 2022 - Tsugi Club (Wagram Music) (Alex Rossi - Faccia a faccia (Italoconnection remix radio)')

 

Site officiel

https://linktr.ee/alexrossi

Alex Rossi
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24 décembre 2023 7 24 /12 /décembre /2023 06:01

En 1964, ces gars n'avaient pas 25 ans et ils nous balançaient ce chef-d'œuvre. J'vous dis pas la reprise médiocre et bidon de notre Johnny national.

 

“ The House of the Rising Sun ” par The Animals est basée sur une chanson folklorique traditionnelle racontant la vie de déchéance d’un habitant de la Nouvelle-Orléans accro au jeu. Il essaie de s’en sortir mais revient à la “ Maison du soleil levant ”, qui est un bordel où il perd son argent, son âme, sa vie. La chanson est clairement un avertissement contre les dangers de l’addiction.

 

La version des Animals déplace le récit du point de vue initial d'une femme entraînée dans une vie de déchéance à celui d'un homme dont le père est un joueur et un ivrogne. Certaines versions s’adressent à un frère, à des enfants, à un père ou une mère. Á noter que cette version fut fortement inspirée par celle de Bob Dylan, enregistrée en 1962, en accompagnement acoustique, avec comme narratrice une jeune femme et non un homme. Après avoir entendu la version des Animals, Dylan décida de se convertir définitivement à l'électrique.

 

 

There is a house in New Orleans 
They call the Rising Sun 
And it's been the ruin of many a poor boy 
And God I know I'm one 

 

My mother was a tailor 
She sewed my new blue jeans 
My father was a gamblin' man 
Down in New Orleans 

Now the only thing a gambler needs 
Is a suitcase and trunk 
And the only time he's satisfied 
Is when he's on a drunk 

Oh mother tell your children 
Not to do what I have done 
Spend your lives in sin and misery 
In the House of the Rising Sun 

Well, I got one foot on the platform 
The other foot on the train 
I'm goin' back to New Orleans 

To wear that ball and chain 

Well, there is a house in New Orleans 
They call the Rising Sun 
And it's been the ruin of many a poor boy 
And God I know I'm one

 

L’auteur de The House of the Rising Sun est inconnu. De nombreux spécialistes pensent que la chanson est basée sur la tradition des “ ballades populaires ” (broadside ballads) et, d’un point de vue moral, elle a une certaine ressemblance avec une ballade du XVIe siècle intitulée “ The Unfortunate Rake ” (le roué malheureux), qui raconte l’histoire d’un jeune homme qui rencontre un de ses amis atteint d’une grave maladie vénérienne, à l’article de la mort et qui lui demande de recouvrir son cadavre de roses et de lavande pour couvrir l’odeur de la putréfaction.

 

Il semble que que l'emplacement de la house ait été déplacé d'Angleterre à la Nouvelle-Orléans par des interprètes blancs du Sud des États-Unis.

Retour sur “ La maison du soleil levant ”

 

La chanson fut rapidement première dans les hit-parades anglais, étasuniens, et dans bien d’autres pays. Sautant à pieds joints sur cet énorme succès, comme il l’avait fait et le referait à maintes reprises, Johnny Halliday demanda à Hugues Auffray et à Vline Buggy (autrice d’innombrables succès, notamment pour Claude François) de lui écrire une version française.

 

Les portes du pénitencier
Bientôt vont se refermer
Et c'est là que je finirai ma vie
Comme d'autres gars l'ont finie

Pour moi, ma mère a donné
Sa robe de mariée
Peux-tu jamais me pardonner
Je t'ai trop fait pleurer

Le soleil n'est pas fait pour nous
C'est la nuit qu'on peut tricher
Toi qui ce soir as tout perdu
Demain, tu peux gagner

Oh, mères, écoutez-moi
Ne laissez jamais vos garçons
Seuls la nuit traîner dans les rues
Ils iront tout droit en prison

Et toi la fille qui m'a aimé
Je t'ai trop fait pleurer
Les larmes de honte que tu as versées
Il faut les oublier

Et les portes du pénitencier
Bientôt vont se fermer
Et c'est là que je finirai ma vie
Comme d'autres gars l'ont finie

 

 

Lorsque j’entendis cette version, j’avais 16 ans. J’étais nourri aux Beatles, aux Rolling Stones et à Dylan (pour la musique en langue anglaise, s'entend) et je me demandai quel était cet objet non-identifié. Tout sonnait faux, à commencer par les quatre premiers vers. Contrairement aux États-Unis qui connaissaient des prisons appelées “ penitentiary ”, la France ne connaissait pas de pénitencier, mais plusieurs catégories d’établissements pénitentiaires : maison d’arrêt, centre de détention, maison centrale. Johnny enregistre cette chanson alors qu’il effectue un service militaire très médiatisé et joyeux. La pochette du disque est d’autant plus absurde, avec un soldat hilare sur un titre menaçant. Dans le clip officiel de 2021, la prestation de Johnny chanteur est exceptionnelle d’émotion mais les images sont une enfilade de clichés à deux dollars.

 

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