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20 octobre 2023 5 20 /10 /octobre /2023 05:01

Autre joli pléonasme : « des étapes successives ». Les étapes ne peuvent donc pas s’empiler et sont forcément successives. Des jalons bien délimités : « Elle serait demeurée indéfiniment à cette étape de la tendresse, elle, mais il voulait aller plus loin, lui. » (Maupassant).

 

L’adjectif « évident » est de plus en plus atténué et passe partout. Dans évident, il y a « voir », donc ce qui est évident est manifeste, en particulier à la vue. Au sens propre comme au sens figuré : un signe évident de bonne volonté. Mais l’adjectif est désormais fortement utilisé dans des formulations négatives : ce n’est pas évident, qui peut signifier … ce n’est pas évident (on ne voit pas bien), mais plus souvent : ce n’est pas simple. Trouver un job aujourd’hui, c’est pas évident.

 

Il y a une tendance lourde, dans les grands médias, à utiliser « excessivement » à la place d’« extrêmement ». Dans excessivement, il y a excès. Le mot est donc péjoratif. Extrêmement signifie d’une manière extrême, au, plus haut point. Un enfant extrêmement bien élevé, d’accord. Excessivement bien élevé, c’est louche.

 

On ne va pas se gêner : on va dézinguer dans la joie et la bonne humeur la désinence féminine en “ eure ”. Je reprends des extraits d’un article publié dans mon blog en décembre 2022.

 

Le politiquement correct est toujours grotesque et, au bout du compte, de droite. On parle désormais de professeure, de recteure, de docteure. Notons qu’il s’agit de personnes jouissant d’un statut social élevé, appartenant généralement à la bourgeoisie. Dans les restaurants, les serveuses ne sont pas devenues des serveures, tandis que, dans les usines, les fraiseuses sont toujours des fraiseuses. Mais une récente ministre des Universités indiquait dans sa biographie officielle qu’elle était auditeure au Conseil d’État. Les personnes ordinaires, du sexe féminin, qui écoutent la radio, quant à elles, demeurent des auditrices. En bonne logique politiquement correcte, Petragalla devrait être une grande danseure, Jeanne Moreau une acteure de légende, Mariele Goitschelle une ancienne skieure brillante, et telle star du porno une suceure époustouflante.

 

L’aristocratie et la bourgeoisie sont responsables de ces illogismes. Les femmes de pouvoir veulent le beurre et l’argent du beurre, la marque de la féminité et les attributs (dans tous les sens du terme) de la masculinité, comme la garde des Sceaux qui a autorité sur les gardiennes de prison.

 

Depuis plusieurs dizaines d’années, le Quai d’Orsay nomme des ambassadrices. Faudra-t-il donc désormais distinguer les ambassadeures (les diplomates) des ambassadrices (les femmes des diplomates ou les représentantes du bon goût français à l’étranger) ? Mais aux États-Unis on parlera des sénatrices. Quant à Martine Monteil, “ directeur central de la police judiciaire ”, elle a choisi, comme la ministre de la Justice Alliot-Marie (la garde des Sceaux qui a autorité sur les gardiennes de prison), la marque du masculin : « Directrice, c’est pour la maternelle, pas pour la police », a-t-elle justifié. Dans le même ordre d’idée, on a décidé que juge, maire ou ministre seraient indifféremment du genre masculin ou féminin. Ainsi que prix (la Prix Nobel de la paix birmane !) On connaît pourtant la douceur du lait d’ânesse (et non d’âne) et, depuis le XIIe siècle, les gaillarderies des bougresses. Lorsque j’étais enfant dans les années cinquante et soixante, les femmes médecins qui exerçaient dans les lycées étaient des doctoresses, les femmes de pasteur étaient des pastoresses, tandis que les rares élues municipales étaient des mairesses.

Le français, langue des gourances (IV)
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19 octobre 2023 4 19 /10 /octobre /2023 05:01

« Ah, j’ai une question à vous demander ». Non, bien sûr : on pose une question.

 

On utilise souvent dentition pour denture (moi le premier). La denture est l’ensemble des dents. Qui peuvent être fausse : une denture artificielle. Mauriac trouvait que Kennedy avait une « denture de carnassier ». La dentition est la formation des dents, leur mise en place.

 

Se départir : ce n’est pas demain la veille qu’on en aura fini avec lui. Ce verbe est du troisième groupe et se conjugue comme partir. Donc : je me dépars, nous nous départons. Transitif, il signifie distribuer ou attribuer en partage. Pronominal, il signifie renoncer à : sans se départir de son accent.

 

Se dépêcher en hâte fait partie de nos pléonasme préférés. Le verbe dépêcher implique nécessairement la vitesse, y compris jusque dans l’autre monde : « Il eût préféré dépêcher son rival lui-même, sans la supériorité de Sigognac à l’escrime » (Téophile Gautier).

 

Autre pléonasme des plus banals : la dépouille mortelle (pour un humain). La dépouille est le corps d’un être humain mort ou presque mort : « Si je pouvais laisser ma dépouille à la terre » (Lamartine). Sans parler des fausses perruques, des faux prétextes, des mirages trompeurs, des goulets d'étranglement, des nœuds à l'heure, du gîte et du couvert (couvert = abri, toiture), des monopoles exclusifs, de la panacée universelle, de l'orthographe correcte (orthos = correct), de prévoir à l'avance.

 

La concierge est dans l’escalier et revient « de suite ». Il faut dire « tout de suite ». On utilisera « de suite » dans le cas d’une suite sans interruption : il a plu dix jours de suite.

 

Nous avons des élections législatives (plusieurs centaines à la fois) mais une élection présidentielle donc pas de « Il se présentera aux prochaines élections présidentielles ».

 

En voiture, en train, mais à bicyclette, ou à cheval. On dit « à » lorsque le moyen de locomotion n’a pas de partie intérieure, donc lorsqu’on a le nez au vent. On dit « en » lorsqu’on entre dans un volume.

 

Avoir envie, mais « à l’envi ». Á l’envi (qui vient du latin invitare) implique une idée de rivalité, d’émulation. Envie vient d’invidia : la jalousie. Nous sommes dans le désir. Dans les bonnes familles, lorsqu'un enfant (ou un met un grand) dit « j’ai envie », il s’agit d’une envie pressante d’uriner ou de déféquer.

 

« Il est docteur ès lettres ». Correct. Car ès est une contraction de « en les » Comme ès précède toujours un nom au pluriel, on ne peut écrire docteur ès philosophie, ès médecine. On écrira par ailleurs « le policier a agi ès qualités », c’est-à-dire selon les qualités que l’on attribue à un policier.

 

Une erreur commise très fréquemment par ceux qui ont accès aux médias audiovisuels : « un espèce d’idiot ». Non, bien sûr. Espèce est du féminin et elle n’est pas transgenre. L’erreur vient probablement du fait qu’espèce sert souvent à renforcer une injure. Citons Gide dans son Journal : « Il me raconte avec enthousiasme le courage de B. qui, dans le métro, lorsqu’il voit un curé, a soin de se mettre contre lui, puis après quelques instants, à voix très haute : « Est-ce que vous avez bientôt fini de me tripoter comme ça ? espèce de vieux salaud ! vieux cochon ! … et dire qu’on confie des enfants à des êtres pareils … »

Le français, langue des gourances (III)

PS qui n'a rien à voir :

Hier, dans ma résidence, un homme s'est suicidé. En se défenestrant. Je ne sais de qui il s'agissait et si je le connaissais tout simplement de vue.
Dans la matinée, j'ai croisé des policiers sur le parvis de la résidence. Comme ils ne s'activaient pas spécialement, je ne leur ai pas demandé la raison de leur présence. De toute façon, rien ne les obligeait à me répondre.
Je suis descendu au sous-sol pour prendre ma voiture. Une policière cherchait à prendre en photo un véhicule. J'ai pensé qu'il s'agissait d'une voiture qui avait été volée puis retrouvée.
C'est plus tard dans la matinée que j'ai su ce qu'il s'était passé en lisant la page Facebook de notre immeuble.
Ces deux dernières années, au moins six personnes se sont suicidées par défenestration à Lyon, dont une adolescente victime de harcèlement. Sans parler d'un résident défenestré chez lui par deux individus qui ont pris la fuite.
Chez nous, une voisine nous a fait la proposition suivante :
“ Bonsoir, seriez-vous d’accord pour poser une bougie dans le hall du 304? Dehors elle s’est éteinte à cause du vent et de la pluie, je sais que nous accueillons chacun de façon très personnelle le drame de ce matin et pour ma part ce simple geste m’as apaisé le cœur.
Courage à tous et puisse son âme être en paix. ”
Mourir sous le manteau,
Tellement anonyme,
Tellement incognito,
Que meurt un synonyme (Jacques Brel).
Le français, langue des gourances (III)
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18 octobre 2023 3 18 /10 /octobre /2023 05:01

Amener ou apporter : un classique qui nous poursuit jusqu’à la mort. On sait bien qu’il ne faut pas utiliser l’un à la place de l’autre. Mais c’est irrésistible. Peut-être est-on biaisé depuis la Renaissance avec l’expression « amène ta fraise », ce col ou cette collerette formés de plis, le mot fraise étant la fraise de veau qui entoure les intestins . Amène, ou ramène, ta fraise s’adresse à la fois à l’individu qui la porte et au vêtement lui-même (j'ai fait mourir de rire un ami anglais en lui expliquant l'origine historique de l'expression car il avait pensé spontanément à bring back your strawberry). Si j’apporte le courrier, je le porte dans mes mains. Si j’amène quelqu’un à la gare, je le mène, quasiment par la main. D’où le mandat d’amener, et non d’apporter.

 

Parler anglais en français est pour moi un sommet de l’aliénation. Les exemples sont innombrables. Il y a évidemment « sophistiqué » qui vient de sophisticated. Le mot anglais signifie complexe, perfectionné. Le français implique une idée d’artificiel, de recherché. Mais dans les médias grand public – pardon : mainstream – le mot est systématiquement utilisé dans son sens anglais. Cocteau fut peut-être le premier à dénoncer ce glissement : « Au théâtre, le public m'effraie ; il tousse. Il bavarde, il juge, il sophistique selon le terme américain à la mode » (Foyer artistes). Á noter que sophistiquer a eu autrefois le sens de falsifier (par exemple un produit) : Au lieu de quinquina véritable, on trouve dans le commerce une écorce moins chère, sous le nom de kinanova, qui sert quelquefois à sophistiquer le véritable quinquina gris (Kapeler, Caventou, Manuel pharm. et drog.).

 

Une petite halte avec quelques mots qu’on a tendance à mal prononcer, et je ne parle pas des liaisons maltapropos. On ne dit pas des meursses mais des meur (pour mœurs, le s étant muet). On ne dit pas abassssourdi mais abazourdi (abasourdi). On ne dit pas eksécrable mais egzécrable (exécrable, comme dans egzercice). De même, en ce moment, on nous rebat (et non rabat) les oreilles avec “ Izraël ” (prononciation anglaise) et non Israël. S, entre une voyelle et une consonne, se prononce s, comme dans Arsène. On ne dit pas un eudème mais un édème (œdème comme dans fœtus). On mange du Reblochon et non du Roblochon. Même dans un restaurant Plassse de la Liberté (et non plazde).

 

« Nominer » m’énerve particulièrement. C’est du pur anglais médiatique en français (to nominate). Nous disposons, pauvres Français démunis et incultes, de nommer, promouvoir, couronner, et même élever à la dignité (grand officier de la Légion d’honneur). Autre anglais en français : générer (to generate). Dans notre pays, on ne génère pas, on engendre.

 

Dans un autre ordre d’idées, nous confondons assassin (qui tue volontairement) et meurtrier (qui tue sans intention de donner la mort). Les tribunaux, quant à eux, ne confondent pas.

 

S’avérer faux est illogique puis que quelque chose d’avéré est vrai. Donc, dans la phrase « les prévisions se sont avérées vraies », vraies est superflu.

 

Ne pas dire « j’ai eu à faire » à mon propriétaire mais « j’ai eu affaire ». En revanche « j’ai eu à faire la vaisselle » est parfait.

 

Ne pas dire « cette mesure bénéficiera aux assurés sociaux » mais « profitera aux associés sociaux ».

 

Orwell conseillait d’éviter le plus possible les adjectifs car on a tendance à produire un style pléthorique comme dans : une brusque volte-face, une chaude alerte, un démenti formel, un trafic honteux, un mystère insondable, un destin fatal.

 

Attention avec les universités zuniennes. Elles portent souvent le nom de leur fondateur. De même qu’on ne saurait dire en français « l’université de Montaigne », on ne peut dire en français « l’université de Harvard », ou « l’université de Yale », Harvard et Yale étant les noms de généreux fondateurs et donateurs.

 

Nous avons décidé « de concert » de prendre cette route (après nous être concerté) mais nous avons marché « de conserve » (ensemble, à la même vitesse).

 

La confusion conjoncture-conjecture est heureusement de plus en plus rare. Une conjecture est une hypothèse, une conjoncture est un concours de circonstances, comme quand on se marie avec un conjoint (ouaf !).

 

Faire connaissance de son voisin est toléré mais pas formidable. On fait la connaissance de son voisin ou on fait connaissance avec son voisin.

 

Lorsque convenir signifie se mettre d’accord, il faut dire « nous étions convenus » de prendre une autre route (et non « avions »).

 

Ah, les coupes sombres qui sont claires. Coupe sombre signifie que la forêt reste sombre car on a abattu très peu d’arbres. Mais si la coupe est claire, c’est que la forêt est désormais claire. Quant à savoir quand le glissement a eu lieu, on se perd en conjonctures (euh…).

 

Autre glissement depuis l’anglais : « débuter un match de football ». Or débuter est un verbe intransitif. Donc utiliser « commencer ».

 

Le film de Claude Chabrol La Décade prodigieuse (1971), raté selon ses dires, n’a pas peu contribué à nous faire prendre les vessies de la décade (dix jours) pour les lanternes de la décennie (dix ans).

Le français, langue des gourances (II)
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17 octobre 2023 2 17 /10 /octobre /2023 05:01

Quand je me rendais en Grande-Bretagne vers 1970, j’y allais en 2 CV. En roulant à 90 kms heure sur les routes à quatre voies (gratuites), je doublais en gros quatre voitures et camions sur cinq. De temps en temps, une Jaguar “ E Type ” me filait sous le nez. J’eus l’honneur d’être dépassé un jour par George Harrison ! Tout cela était culturel : à de rares exceptions près, les Britanniques étaient prudents et placides au volant. Et il y avait moins d’accidents outre-Manche qu’en France alors que la circulation y était nettement plus dense. Et puis tout changea. Il y eut des radars et des caméras partout. La Grande-Bretagne devint – en caricaturant à peine – le monde qu’avait prévu George Orwell : pas un Big Brother mais des milliers de Little Brothers. Au point que dans les séries policières, lorsque des flics arrivaient sur des scènes de crime en pleine cambrousse, ils s’étonnaient qu’il n’y eût point une “ CCTV ” tous les dix mètres ou dans chaque arbre.

 

Mais comme je sens que les deux plus fidèle lecteurs de mon blog sont énervés par mes développements récurrents sur les radars – qui ne sont après tout que l’une des 1001 manières de fliquer et d’asservir des dizaines de millions d’individus – je vais aujourd’hui passer à tout autre chose.

 

Une impression, comme ça, que je ne peux étayer avec rigueur et certitude : il me semble que les Français éduqués font davantage d’erreurs en français que les Anglais éduqués en anglais, les Allemands en Allemand, les Italiens en italien etc.

 

Certes, le français est une langue difficile : beaucoup d’exceptions malgré des règles complexes, du subjonctif à tous les étages, des masculins et féminins distribués d’une manière pas spécialement logique, et bien d'autres pièges et bizarreries. Une seule pour nous lancer : on dit « je vais au Havre » mais « j’habite à La Courneuve ». Une contraction pour le masculin, pas pour le féminin. J’ai rencontré deux ou trois personnes dans ma vie, dont un prof en lycée, me disant : « je vais à Le Blanc » (dans l'Indre). Cette production n’était fautive que parce que l’usage en avait décidé ainsi.

 

Des gens au moins titulaires d’une licence qui utilisent « acceptation » à la place d’« acception », on en trouve à tous les coins de rue. Acception vient du latin acceptio qui signifie je prends.

 

Les conditions météorologiques sont plus dramatiques que prévu. Et non prévues. Prévu est invariable car les conditions sont plus dramatiques qu’il n’était prévu.

 

Par contamination de l’anglais, on rencontre de plus en plus fréquemment « l’actuel ministre des Finances » à la place de « le ministre des Finances actuel ». Ce n’est pas vraiment une faute mais un anglicisme. Là où cela devient gênant, c’est quand le sens est lui-même contaminé, actuel étant utilisé dans son sens anglais. Or actual ne signifie pas actuel mais véritable.

 

« Il a été agonisé d’injures », au lieu de « il a été agoni ». Agoniser signifie qu’on est presque mort. L’imparfait donne j’agonisais. Agonir signifie insulter. Á l’imparfait : j’agonissais.

 

Une contamination extrêmement courante de l’anglais concerne le mot « alternative ». En français, une alternative est un choix entre deux possibilités : j’avais pour alternative, soit de prendre le train, soit de prendre ma voiture. Il n’y a dans ce cas qu’une seule alternative, et non pas deux. En anglais, alternative, c’est une solution, une possibilité autre, différente. Être dans une alternative se dira to choose between two alternatives.

 

Le français, langue des gourances (I)
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10 octobre 2023 2 10 /10 /octobre /2023 05:01

Quelle vie que celle de Sylvia Plath, morte, suicidée, à l’âge de 31 ans ! Par quelque bout que l’on prenne l’existence de cette personne extraordinaire, on peut dire qu’elle eût connu un destin beaucoup moins tragique si elle avait été un homme.

 

Il y a longtemps que je voulais reprendre ce poème dans mon blog. Peut-être parce que j’ai passé plusieurs vacances à Berck dans les années cinquante. Mes parents louaient un entresol de deux pièces sans fenêtre où nous nous entassions à cinq, très heureux tout de même. Et puis aussi parce que ma famille a compté un “ malade de Berck ”, un jeune garçon victime d’une maladie auto-immune dont il mit des années à se débarrasser. Pourquoi Berck ? Parce que son front de mer est l’un des endroits les plus iodés au monde.

 

En 1956, à l’âge de 24 ans, Sylvia Plath obtient une bourse Fulbright pour étudier en Angleterre, à Cambridge. Elle rencontre Ted Hughes, jeune et brillant poète anglais. Coup de foudre réciproque. Ils se marient quelques mois plus tard et deviennent le couple le plus séduisant de la poésie outre-Manche. Sans surprise, la gestion du foyer, la marmite à faire bouillir, la dactylographie de ses textes et ceux de son mari occupent Sylvia presque à plein temps.

 

De 1957 à 1959, le couple va vivre deux ans aux États-Unis, où Sylvia travaille d’abord dans un hôpital psychiatrique, puis comme personnel non titulaire dans une université. Le couple retourne à Londres fin 1959. Leur fille Frieda naît en 1960 (Nicolas naîtra en 1962). Le couple s’établit dans le Devon. De là, il séjourne fréquemment à Berck. Sylvia et Ted se séparent en 1962. Pour certains biographes, la rupture aurait été la conséquence d’une liaison de Ted avec la femme d’un de ses amis ; pour d’autres, Sylvia aurait quitté le foyer car elle était battue par Hughes, ces mauvais traitements ayant provoqué une fausse couche en 1961.

 

En 1962, Sylvia retourne vivre à Londres avec ses enfants. Elle loue une maison autrefois occupée par le poète Yeats. Elle y est très productive. Mais la dépression, qui ne l’a jamais vraiment quittée, revient. Le 11 février 1963, elle met la tête dans le four de la gazinière non sans avoir préparé le petit déjeuner de ses enfants à l’étage supérieur. Elle avait fait une première tentative de suicide à l’âge de 18 ans. Á noter que la deuxième épouse de Hughes, Assia Wevill, se suicida avec leur fille Shura, âgée de quatre ans, le 23 mars 1969. Elle aussi ouvrit le gaz.

 

Le dernier poème de Sylvia sera “ Edge ” (Le Bord) une manière de testament :

“ Ses nus pieds semblent vouloir dire :/Nous sommes arrivés si loin, tout est fini. /Chaque enfant mort est enroulé, un serpent blanc,/Près de chacun une cruche de lait maintenant vide./[…] La lune n'a pas à s'en désoler,/fixant le tout de sa cagoule d'os./Elle a tant l'habitude de cela./Sa noirceur crépite et traîne. ”

Sylvia Plath repose au cimetière de Heptonstall, dans le Yorkshire (étudiant, je m’y suis recueilli peu de temps après son enterrement).


Sa mort fut un drame pour ses enfants, mais aussi pour sa mère et Ted Hughes. Son fils, biologiste reconnu, se pendit chez lui en Alaska le 16 mars 2009 à l’âge de 47 ans après des années de dépression. Sa fille Frieda – qui s’est crue adoptée jusqu’à l’âge de 14 ans et qui ne s’autorisera à lire les œuvres de ses parents que vers 35 ans – est peintre et autrice pour enfants. Elle réside en Australie. Elle refuse systématiquement de collaborer avec des biographes ou cinéastes souhaitant fictionnaliser la vie de ses parents. Elle a intenté une action en justice contre la dernière épouse de son père afin d’obtenir le contrôle de son héritage littéraire.

 

 

Il existe plusieurs traductions en français de ce poème. J’ai choisi celle qui suit car elle m’a semblé la plus “ plathienne ”, même si elle n’est peut-être pas la plus fidèle.

 

This is the sea, then, this great abeyance.
How the sun's poultice draws on my inflammation.

 

Electrifyingly-colored sherbets, scooped from the freeze
By pale girls, travel the air in scorched hands.

 

Why is it so quiet, what are they hiding?
I have two legs, and I move smilingly.

 

A sandy damper kills the vibrations;
It stretches for miles, the shrunk voices

 

Waving and crutchless, half their old size.
The lines of the eye, scalded by these bald surfaces,

 

Boomerang like anchored elastics, hurting the owner.
Is it any wonder he puts on dark glasses ?

 

Is it any wonder he affects a black cassock?
Here he comes now, among the mackerel gatherers

 

Who wall up their backs against him.
They are handling the black and green lozenges like the parts of a body.

 

The sea, that crystallized these,
Creeps away, many-snaked, with a long hiss of distress.

 

This black boot has no mercy for anybody.
Why should it, it is the hearse of a dad foot,

 

The high, dead, toeless foot of this priest
Who plumbs the well of his book,

 

The bent print bulging before him like scenery.
Obscene bikinis hid in the dunes,

 

Breasts and hips a confectioner's sugar
Of little crystals, titillating the light,

 

While a green pool opens its eye,
Sick with what it has swallowed----

 

Limbs, images, shrieks. Behind the concrete bunkers
Two lovers unstick themselves.

 

O white sea-crockery,
What cupped sighs, what salt in the throat...

 

And the onlooker, trembling,
Drawn like a long material

 

Through a still virulence,
And a weed, hairy as privates.

 

On the balconies of the hotel, things are glittering.
Things, things----

 

Tubular steel wheelchairs, aluminum crutches.
Such salt-sweetness. Why should I walk

 

Beyond the breakwater, spotty with barnacles?
I am not a nurse, white and attendant,

 

I am not a smile.
These children are after something, with hooks and cries,

 

And my heart too small to bandage their terrible faults.
This is the side of a man: his red ribs,

 

The nerves bursting like trees, and this is the surgeon:
One mirrory eye----

 

A facet of knowledge.
On a striped mattress in one room

 

An old man is vanishing.
There is no help in his weeping wife.

 

Where are the eye-stones, yellow and valuable,
And the tongue, sapphire of ash.

 

A wedding-cake face in a paper frill.
How superior he is now.

 

It is like possessing a saint.
The nurses in their wing-caps are no longer so beautiful ;

 

They are browning, like touched gardenias.
The bed is rolled from the wall.

 

This is what it is to be complete. It is horrible.
Is he wearing pajamas or an evening suit

 

Under the glued sheet from which his powdery beak
Rises so whitely unbuffeted ?

 

They propped his jaw with a book until it stiffened
And folded his hands, that were shaking: goodbye, goodbye.

 

Now the washed sheets fly in the sun,
The pillow cases are sweetening.

 

It is a blessing, it is a blessing:
The long coffin of soap-colored oak,

 

The curious bearers and the raw date
Engraving itself in silver with marvelous calm.

 

The gray sky lowers, the hills like a green sea
Run fold upon fold far off, concealing their hollows,

 

The hollows in which rock the thoughts of the wife----
Blunt, practical boats

 

Full of dresses and hats and china and married daughters.
In the parlor of the stone house

 

One curtain is flickering from the open window,
Flickering and pouring, a pitiful candle.

 

This is the tongue of the dead man: remember, remember.
How far he is now, his actions

 

Around him like livingroom furniture, like a décor.
As the pallors gather----

 

The pallors of hands and neighborly faces,
The elate pallors of flying iris.

 

They are flying off into nothing: remember us.
The empty benches of memory look over stones,

 

Marble facades with blue veins, and jelly-glassfuls of daffodils.
It is so beautiful up here: it is a stopping place.

 

The natural fatness of these lime leaves !----
Pollarded green balls, the trees march to church.

 

The voice of the priest, in thin air,
Meets the corpse at the gate,

 

Addressing it, while the hills roll the notes of the dead bell;
A glittler of wheat and crude earth.

 

What is the name of that color?----
Old blood of caked walls the sun heals,

 

Old blood of limb stumps, burnt hearts.
The widow with her black pocketbook and three daughters,

 

Necessary among the flowers,
Enfolds her lace like fine linen,

 

Not to be spread again.
While a sky, wormy with put-by smiles,

 

Passes cloud after cloud.
And the bride flowers expend a fershness,

 

And the soul is a bride
In a still place, and the groom is red and forgetful, he is featureless.

 

Behind the glass of this car
The world purrs, shut-off and gentle.

 

And I am dark-suited and still, a member of the party,
Gliding up in low gear behind the cart.

 

And the priest is a vessel,
A tarred fabric, sorry and dull,

 

Following the coffin on its flowery cart like a beautiful woman,
A crest of breasts, eyelids and lips

 

Storming the hilltop.
Then, from the barred yard, the children

 

Smell the melt of shoe-blacking,
Their faces turning, wordless and slow,

 

Their eyes opening
On a wonderful thing----

 

Six round black hats in the grass and a lozenge of wood,
And a naked mouth, red and awkward.

 

For a minute the sky pours into the hole like plasma.
There is no hope, it is given up.

 

 

C’est donc cela, la mer, cette immensité hors d’usage.

Le cataplasme du soleil ne peut rien contre ma brûlure.

 

Dans l’air fusent les couleurs électriques de sorbets

Puisés dans la glace par les mains gercées de filles blêmes.

 

Pourquoi est-ce si calme, que veut-on nous cacher ?

J’ai mes deux jambes et le sourire pour avancer.

 

Une épaisse couche de sable étouffe les vibrations ;

Elle s’étend sur des kilomètres et des kilomètres,

 

Et les voix flottent, immatérielles, diminuées de moitié.

Le regard vient heurter contre ces surfaces lisses

 

Qui renvoient comme un boomerang leur vision blesser l’œil.

Faut-il s’en étonner si lui porte des lunettes noires ?

 

Faut-il s’en étonner s’il a opté pour une soutane ?

Ceux qui s’occupent de rassembler leur butin de sardines

 

Lui présentent la muraille de leur dos. 

Ils manipulent les losanges vert et noir comme les morceaux d’un corps.

 

La mer aux serpents nombreux qui avait créé ces cristaux

Se retire en rampant et siffle longuement sa détresse.

 

Cette botte noire n’a aucune pitié pour personne,

C’est le corbillard d’un pied mort,

 

Le noble pied mort et amputé de ce prêtre

Qui sonde maintenant le puits de son livre,

 

Le paysage en relief des caractères imprimés.

Des bikinis obscènes se cachent dans les dunes,

 

Des seins, des fesses : une confiserie

Dont les cristaux de sucre titillent la lumière.

 

Alors qu’une eau verte ouvre un œil

Malade de tout ce qu’il a englouti –

 

Des bras, des jambes, des images, des cris. Derrière les bunkers de béton

Deux amants se décollent de leur étreinte.

 

Oh faïence blanche de la mer,

Que de soupirs ravalés, que de sel au fond de la gorge…

 

Et celui qui regarde, tremblant,

Tendu comme une longue étoffe

 

Entre une virulence immobile

Et une herbe touffue comme une toison pubienne.

 

Aux balcons de l’hôtel les choses brillent.

Les choses, les choses – 

 

Des fauteuils roulants aux tubes d’acier, des béquilles en aluminium.

Et la grande douceur du sel. Pourquoi devrais-je marcher

 

Plus loin que le brise-lames jonché de coquillages ?

Je ne suis pas une infirmière serviable en blouse blanche,

 

Je ne suis pas un sourire.

Ces enfants cherchent quelque chose, ils lancent des cris, des hameçons,

 

Mais mon cœur est trop petit pour panser leur terrible faute.

Voici le flanc d’un homme : les côtes rouges.

 

Les nerfs qui jaillissent comme des arbres, et voici le chirurgien :

Son œil est un miroir –

 

Une facette de savoir.

Dans une des chambres, sur un matelas rayé,

 

Un vieil homme est en train de s’éteindre.

Sa femme qui pleure ne peut plus rien pour lui.

 

Où sont les pierres des yeux, jaunes et précieuses,

Et la langue, saphir de cendre.

 

Sa tête sur la dentelle semble un gâteau de noces.

C’est un être bien supérieur maintenant.

 

On se croirait devenu propriétaire d’un saint.

Les infirmières ne sont plus si belles sous leurs coiffes ailées ;

 

Leur teint s’est rembruni comme des gardénias qui roussissent.

On a roulé le lit au milieu de la pièce.

 

C’est donc cela être complet. C’est horrible.

Porte-t-il un pyjama ou une tenue de soirée

 

Sous ce drap collé à lui d’où sort son bec paisible,

Poudré de blanc immaculé ?

 

On lui a calé la mâchoire avec un livre, croisé les mains

Qui ne savent plus en serrer d’autres pour dire : au revoir, au revoir.

 

On a lavé les draps, ils volent dans le soleil

Et les taies d’oreiller retrouvent leur douceur.

 

C’est une bénédiction, c’est une bénédiction :

Le long cercueil de chêne clair comme du savon,

 

Les étranges porteurs, la date toute nue

Qui grave dans l’argent ses chiffres sans colère.

 

Le ciel s’est assombri, les collines comme les vagues d’une mer verte

Déroulent au loin leurs plis et dissimulent leurs creux,

 

Les creux où les pensées de l’épouse se bercent –

Barques pratiques et sans histoires,

 

Pleines de robes et de chapeaux, de vaisselle et de filles mariées.

Un rideau vacille à la fenêtre ouverte

 

Au salon de la maison de pierre,

Vacille et dégouline, cierge pitoyable.

 

Et c’est la langue du mort : souviens-toi, souviens-toi.

Il est si loin maintenant, et ses gestes passés

 

Figés autour de lui comme des meubles, un décor.

Et la pâleur se joint à la pâleur –

 

La pâleur des mains et des visages familiers,

La pâleur déployée des iris fiers,

 

Fleurs envolées vers le néant lointain : souvenez-vous de nous.

Les bancs vides de la mémoire veillent les pierres.

 

Les dalles de marbre aux veines bleues, les bocaux remplis de jonquilles.

C’est tellement beau ici, c’est tellement reposant.

 

Ces feuillages aux rondeurs incroyables des tilleuls! –

Boules vertes en files impeccables, les arbres se rendent à l’église.

 

La voix du prêtre accueille le corps,

Lui parle dans l’air ténu,

 

Et les collines renvoient l’écho des cloches qui se sont tues,

Un éclat lumineux de blé et de terre grasse.

 

Quel est le nom de cette couleur ? –

Couleur du sang séché des vieux murs au soleil,

 

Du sang des vieux moignons, des cœurs carbonisés.

La veuve, avec son portefeuille noir et ses trois filles,

 

La veuve nécessaire au milieu des bouquets,

Enveloppe son visage comme du linge délicat

 

Qu’elle ne dépliera plus.

Un ciel, infesté de sourires réservés pour plus tard,

 

Ecoule tous ses nuages.

Les fleurs des fiançailles épuisent leur fraîcheur,

 

Et l’âme est fiancée, fiancée en ce lieu paisible,

Et le fiancé est rouge et négligent, il n’a pas de visage.

 

Derrière la vitre de la voiture

C’est un monde aimable et inoffensif qui ronronne.

 

Je suis en noir, je ne bouge pas, dans ce cortège

Qui glisse au ralenti derrière le fourgon.

 

Et le prêtre est un vaisseau navré,

Une morne toile de goudron

 

Qui suit le cercueil fleuri comme une jolie femme,

Une armure à ses couleurs, lèvres, seins et paupières

 

A l’assaut de la colline.

Alors, à travers les barreaux de la cour de l’école,

 

Les enfants sentent monter l’odeur du cirage noir,

Et tournent leurs visages, lentement, sans un mot,

 

Et ouvrent grands leurs yeux

Sur une merveille inouïe –

 

Six chapeaux melons noirs dans l’herbe et un losange de bois,

Un losange de bois et une bouche à nu très rouge et monstrueuse.

 

En un instant le ciel se déverse dans le trou comme du plasma.

C’est sans appel, il n’y a plus d’espoir.

 

Traduction : Valérie Rouzeau

 

Le poème lu par l’autrice

Sylvia Plath, “ Berck-Plage ”

 

 Qui est vautré sur le canapé sans même avoir retiré ses chaussures, et qui est inconfortablement assise sur une chaise ordinaire ? 

 

Ci-dessous, photo de David Bailey, “ le ” photographe des swinging sixties qui vécut pendant deux ans avec Catherine Deneuve (soyons people). Qui est assis dans le fauteuil, et qui est parvenue à poser une fesse sur le bras étroit de ce même fauteuil ?

 

Sylvia Plath, “ Berck-Plage ”
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29 septembre 2023 5 29 /09 /septembre /2023 05:01

Je suis tombé sur cette pub apposée à un mur dans une rue près de chez moi. Vous me connaissez bien, désormais : je suis révulsé.

Le All In Country Club

On n’est même plus dans le globish : on est dans le charabia déculturé. On se croit très chic, et c’est l’effet inverse qui se produit : one is a complete clodhopper (moi aussi, je peux parler anglais), le bouseux intégral. D’autant que l’on met en avant la photo d’un grand sportif, mais retiré des voitures.

 

Je suis donc allé sur le site de ce country club, non sans avoir vérifié, chez Wikipedia, qu’un country club est “ un club sportif privé où l'on peut pratiquer des sports tels que le tennis, l'équitation, le golf et le polo et participer à des événements mondains. ” J'ai donc su instantanément qui je fréquenterais si je devenais membre. Ce club de loisirs (mais non : country club) est situé “ au cœur d'OL Vallée ” (sic), à Décines, une commune du Grand Lyon. Une commune populaire. Ce n'est pas tout à fait un hasard s'il s'y trouve la plus grande école privée confessionnelle musulmane de France.

 

Ce club s'inscrit dans la longue histoire du sport lyonnais, avec au départ le Stade des Lumières, devenu Parc Olympique Lyonnais, puis Groupama Stadium par contrat de parrainage (pardon : naming) avec Groupama pour une période de huit ans. Ce stade est la propriété de la société OL Groupe, dont fait partie le club de Football de l'Olympique Lyonnais. Le chiffre d'affaires du groupe était en 2019 de 309 millions d'euros.

 

Le All In Country Club

Si au niveau de l'argent, ça bouillonne, au niveau de l'usage de la langue française, des progrès restent à accomplir. Prenez ce bout de phrase : “ Un complexe sportif premium dédié à la pratique du sport. ” Deux anglicismes : “ premium ” “ dédié ”, mais surtout cette assertion extraordinaire selon laquelle dans un complexe sportif on fait … du sport !

 

Pour finir et pour la route, ce petit mensonge : ce complexe est prétendument situé “ à quelques minutes du centre de Lyon ”. Que nenni ! Une demi-heure à condition que la circulation soit fluide.

 

PS : ce que j'aime avec le sport professionnel, c'est que l'argent, même quand il coule à flots, ne fait rien à l'affaire. Au moment où j'écris ces lignes, l'Olympique Lyonnais, qui vient de perdre 4 à 1 à domicile, se traîne à la dernière place du championnat. Après avoir entraîné avec succès les Girondins de Bordeaux et avoir fait bonne figure avec l'équipe de France, Laurent Blanc a coulé à Lyon et vient d'être mis à pied. L'actionnaire majoritaire de l'OL est un richissime Étasunien, par ailleurs propriétaire du club de Molenbeek en Belgique, de Botafogo au Brésil, et de Crystal Palace en Angleterre.

 

Le All In Country Club

 

PS qui n'a rien à voir : Enfin ! On a la preuve irréfutable que le Terre est plate.

 

Le All In Country Club
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28 septembre 2023 4 28 /09 /septembre /2023 05:01

Elle naquit le 26 ou 27 mai 1877 dans le quartier irlandais de San Francisco. Elle mourut le 14 septembre 1927 à Nice.

 

C'est peu dire qu'elle révolutionna la pratique de la danse en s'inspirant des figures de la Grèce antique. Par sa très grande liberté d'expression, elle jeta les bases de la danse classique moderne et contemporaine. Elle fonda plusieurs écoles de danse aux États-Unis, en Russe et en Europe de l'Ouest.

 

Issue d'un milieu très modeste, elle donne des cours de danse avec sa sœur pour faire bouillir la marmite. Elle a 12 ans.

 

En 1899, elle se rend à Londres puis à Paris où elle acquiert une notoriété foudroyante. Elle fonde une école de danse en 1905. Elle côtoie Rodin, « son ami et son maître » selon son autobiographie intitulé Ma vie publié en 1927.

 

Elle danse pieds nus, vêtue de longues écharpes et de fausses tuniques grecques. Elle qualifie le ballet classique de « laid et contre nature ».

 

En 1922, elle proclame son grand intérêt pour la révolution soviétique. Au cours de sa dernière tournée aux EU en 1922-23, elle agite une écharpe rouge en proclamant :  « Ceci est rouge ! Je le suis aussi ! ». Elle s'installe à Moscou et épouse le poète Sergueï Essénine qui a 18 ans de moins qu'elle et quia également célébré la Révolution d'Octobre. Il est très dépressif, très alcoolisé et est admis dans un hôpital psychiatrique à Paris. En 1925, il retourne à Leningrad et meurt le 28 décembre, suicidé ou assassiné. Avant de mourir, Essénine écrivit un poème avec son propre sang :

 

 

Au revoir, mon ami, au revoir,

Mon tendre ami que je garde en mon cœur.

Cette séparation prédestinée

Est promesse d’un revoir prochain.

Au revoir, mon ami, sans geste, sans mot,

Ne sois ni triste, ni en chagrin.

Mourir en cette vie n'est pas nouveau,

Mais vivre, bien sûr n'y est pas plus nouveau.

 

 

Une « ligue du suicide » se constitua en 1928 parmi ses jeunes admirateurs : treize d’entre eux se donneront la mort pour l’imiter !

 

Isadora est ouvertement bisexuelle. Elle professe : « Je crois que l'amour le plus élevé est une pure flamme spirituelle qui ne dépend pas nécessairement du sexe du bien-aimé. » Elle a une liaison avec l'un des dessinateurs de L'Assiette au beurre. Elle a deux enfants hors mariage : Deirdre, née le 24 septembre 1906, avec le décorateur de théâtre Gordon Craig, et Patrick, avec Paris Singer, l'un des 18 enfants d'Isaac Merritt Singer, qui perfectionna la machine à coudre du français Thimonnier.

 

Le 19 avril 1913, Deirdre et Patrick se noient dans la Seine. Les enfants se trouvent dans la voiture avec leur nourrice Annie McKessack. La voiture fait un écart pour éviter une collision. Le moteur cale, le chauffeur sort de la voiture pour faire redémarrer le moteur à la manivelle, mais il a oublié de mettre le frein à main. Dès qu'il fait démarrer la voiture, celle-ci traverse la route, dévale la pente, et les trois passagers meurent noyés dans la Seine.

 

Anéantie, Isadora part pour l'Italie, a une liaison avec un aristocrate italien dont elle tombe enceinte. Le 1er août 1914, elle accouche d'un fils qui ne vit que quelques heures, ainsi qu'elle le raconte dans son autobiographie intitulée Ma vie : « Je crois qu'à ce moment-là, j'atteignis le sommet de la douleur humaine, car avec cette mort il me semblait que mes autres enfants mouraient encore une fois ; c'était comme la répétition de la première agonie, avec quelque chose qui s'y ajoutait encore. »

 

Elle rencontre l'aviateur Roland Garros, qui avait mille talents, sauf celui de joueur de tennis. Elle relate cette rencontre en ces termes : « Tous les matins, à cinq heures, nous étions réveillés par le brutal boum de la Grosse Bertha, prélude à un jour sinistre qui nous apportait de nombreuses nouvelles terribles du Front. La mort, les flots de sang, la boucherie emplissaient ces heures misérables, et, à la nuit, c’étaient les sirènes annonçant les raids aériens. Un merveilleux souvenir de cette époque est ma rencontre avec le fameux As, Garros, dans le salon d’une amie, lorsqu’il se mit au piano pour jouer du Chopin et que je dansai. Il me ramena à pied de Passy à mon hôtel du Quai d’Orsay. Il y eut un raid aérien, que nous regardâmes en spectateurs, et pendant lequel je dansai pour lui sur la place de la Concorde - Lui, assis sur la margelle d’une fontaine, m’applaudissait, ses yeux noirs mélancoliques brillant du feu des fusées qui tombaient et explosaient non loin de nous. Il me dit cette nuit qu’il ne pensait à et ne souhaitait que la mort. Peu après, l’Ange des Héros l’a saisi et l’a transporté ailleurs. »

 

Elle meurt tragiquement le 14 septembre 1927 à Nice. La longue écharpe de soie qu'elle porte est prise dans les rayons de la roue de sa voiture. Elle est tuée sur le coup. Elle est incinérée. Ses cendres sont déposées auprès de celles de ses enfants.

 

Mine de rien : bravo pour le photographe !

 

Souvenons-nous : Isadora Duncan
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26 septembre 2023 2 26 /09 /septembre /2023 05:01

Nous eûmes, nous Français, avec la famille Sanson, une belle brochette de bourreaux, plus exactement d’« exécuteurs des hautes œuvres », responsables de la mort de plusieurs milliers de condamnés. Les Sanson comptèrent parmi eux un bourreau âge de 15 ans, un homosexuel, un joueur invétéré qui alla jusqu’à gager la guillotine pour satisfaire des créanciers et un opposant à la peine de mort. Ils inaugurèrent la célèbre machine du docteur Guillotin, dont ils firent profiter Louis Capet et son épouse, Charlotte Corday, Joseph Lesurques – qui n’avait pas participé à l’attaque du courrier de Lyon – et aussi Lacenaire.

 

Je voudrais évoquer ici les trois principaux bourreaux de l’Allemagne nazie : Johann Reichart, Ernst Reidel et Wilhelm Röttger qui accomplirent 11 881 exécutions sur les 16 500 (chiffre effarants si on s'y arrête trois secondes) décidées par les tribunaux entre 1933 et 1945. Des trois, le champion fut Röttger, responsable de davantage d’exécutions que les deux autres réunis. 

 

Né en 1893, Johann Reichart descendait d'une famille de huit générations de bourreaux bavarois. Après avoir combattu durant la Première Guerre mondiale, il commence son office sous Weimar et le poursuivra sous les nazis en exécutant des criminels de droit commun et des résistants. Il se retire en 1929 car le métier n'est plus rentable du fait du grand nombre de grâces et de condamnations à la perpétuité. Il vend des légumes aux Pays-Bas pendant quatre ans et reprend ses activités de bourreaux après l'accession d'Hitler au pouvoir en janvier 1933. Il aura mis à mort 3 165 personne, dont 2 948 par la guillotine. Après la victoire des Alliés, il continuera un temps d'exercer ses fonctions car le personnel du tribunal de Nuremberg manquait bras. Il mettra donc à mort 156 nazis pour qui il avait travaillé précédemment.

 

D'un point de vue technique, il pratiqua diverses formes d'exécutions :

 

- par décapitation, à la hache ou à la guillotine,

 

- par pendaison haut et court, le condamné gravissant les marches d'un escabeau de bois enlevé par le bourreau une fois la corde bien en place.

 

Il proposa aux autorités la technique britannique – assurant une mort plus rapide – de la pendaison avec chute, technique refusée par le ministère de la Justice.

 

Il prit toujours soin de rendre ses exécutions les plus rapides et les moins douloureuses possibles. Il était très attaché à l'apparat de l'exécution, s'habillant, ainsi que ses assistants d'un haut de forme et d'un nœud papillon noir.

 

Son fils Hans se suicida en 1950, profondément atteint psychologiquement par le statut et la pratique professionnelle de son père.

 

Dans les années soixante, il se déclara opposé à la peine de mort.

 

Tous ses biens furent confisqués lors de la dénazification. Aucune pension de retraite ne lui fut accordée. Il survécut en vendant des lotions capillaires et des parfums et en élevant des chiens.

 

 

Né le 30 novembre 1899, Ernst Reindel – petit-fils du bourreau Friedrich Reinedl – œuvra principalement à la prison Roter Ochse de Halle-sur-Saale et dans celle de Bützow-Dreibergen. Il fut surnommé le bourreau et boucher de Berlin, ayant pendu les hommes du complot du 20 juillet 1944 à des crochets à viande sur l'ordre de Hitler. Responsable d'environ 700 exécutions, il gagnait surtout sa vie comme équarrisseur. L'armée rouge l'arrêta en mai 1945. Il fut fusillé quelques mois plus tard à Brest-Litovsk.

 

 

​​​​​​​Né en 1894, Wilhelm Friedrich Röttger fut responsable de près du tiers des exécutions des condamnés à mort sous le régime nazi. Il s'engagea dans la marine pendant la Première Guerre mondiale. Titulaire d'un CAP de serrurier, il ne trouva pas de travail à son retour et devint assistant funéraire à Hanovre à partir de 1925.

 

​​​​​​​En 1942, il est nommé bourreau du district d'exécution IV à Berlin. Il est entre autre, responsable de la pendaison de 324 personnes en septembre 1943 suite aux nuits sanglantes de Plötzensee. Après le bombardement de la prison par les alliés, le ministère de a Justice ordonne l'exécution immédiate de tous les condamnés à mort pour faire de la place et éviter les évasions. En cinq jours, plus de 250 personnes, dont six par erreur, sont pendues par groupes de huit alors que les bombardements continuent. Faute d'électricité, les exécutions ont lieu à la bougie. Parmi les exécutés de Plötzensee, on comptera les membres de l'Orchestre rouge.

 

​​​​​​​Röttger poursuit un temps son activité à la tête d'une grande entreprise de transport. Il est découvert en 1946 dans un hôpital de Hanovre. Il meurt peu de temps après son arrestation en prison le 13 septembre 1946.

 

 

Les Sanson, petits bras

Parmi les exécutés célèbres de Reichart, une sœur et un frère, héroïques résistants allemands : Hans et Sophie Scholl, exécutés le 22 février 1943, le jour même de leur condamnation, malgré la législation allemande qui imposait un délai de 99 jours avant l'exécution d'un condamné à mort.

 

En 2008, j’écrivis ceci à leur sujet :

 

« Il n’est guère possible de concevoir comment des étudiants allemands, âgés d’à peine vingt ans, ont pu entrer en lutte contre le pouvoir nazi en pleine guerre. Avec l’aide de trois camarades d’études et d’un professeur, Hans (né en 1918) et Sophie Scholl (née en 1921), ont fondé le groupe de la “ Rose Blanche ” et ont réussi, pendant quelques semaines, à inonder de tracts des centaines de leurs connaissances. Dénoncés par le concierge de l’université de Munich, Hans et Sophie furent jugés et guillotinés dans la même journée.

 

Ils étaient issus de la bourgeoisie chrétienne. Leur père – lui-même opposant à Hitler et condamné à de la prison pour ses idées – était conseiller fiscal. Pacifiste durant la Première Guerre mondiale, il avait refusé de servir sous les drapeaux. Hans était étudiant en médecine, Sophie en philosophie. Par idéalisme, ils avaient rejoint, pour une très courte durée, les jeunesses hitlériennes. Lucides face aux atrocités du régime (le deuxième tract décrit par le menu le sort fait aux Juifs, ce que la quasi totalité des Allemands devaient évidemment savoir), face à la nature totalitaire de régime, face à la passivité, au conformisme de la plupart des adultes, ces deux frère et sœur sont brutalement sortis de l’adolescence et ont décidé de s’élever par le verbe (pour ces deux chrétiens, j’imagine qu’« Au commencement était le verbe ») contre l’horreur nazie. En tant que chrétiens, ils veulent combattre ce qu’ils nomment « la machine de guerre athée » nazie. Ils incitent à la résistance passive et dénoncent la culpabilité allemande des crimes commis en Pologne contre les Juifs. Dans leur troisième tract, plus radical que les deux premiers, ils dénoncent la tyrannie et incitent au sabotage sous toutes ses formes.

 

Hans est le plus idéaliste des deux, Sophie est à la fois la plus mystique et la plus ancrée dans le réel. Nous sommes en présence de deux jeunes pétris de littérature, avec une préférence pour les auteurs “ catholiques ” (Pascal, Maritain, Claudel, Bernanos qu’ils lisent dans le texte), pour le canonique saint Augustin, qu’ils lisent en Allemand, pour Goethe, à qui ils préfèrent le tragique de Dostoïevski. Alternant des observations banales sur la vie de tous les jours (mais pour eux, le banal c’est les travaux obligatoires, l’internement de leur père, la vie de soldat pour Hans sur le front russe ou à Paris) et des méditations d’un haut niveau sur le sens, le mystère de la vie, ces deux jeunes nous offrent une image très singulière de l’envers du décor totalitaire. Ayant l’intuition qu’Hitler mène sciemment le peuple allemand à sa perte, ils prennent le risque de mourir pour offrir une parcelle d’honneur à ce peuple.

 

Leur coup d’éclat aura un réel retentissement. Dès mars 1943, Reck-Mallecczewen, un écrivain antinazi qui mourra assassiné à Dachau deux ans plus tard, évoque Hans et Sophie (dans La haine et la honte : journal d’un aristocrate allemand) : « Ils ont été les premiers en Allemagne qui aient eu le courage du sacrifice, ils semblent avoir déclenché un mouvement qui se poursuit après leur mort et s’est répandu ainsi une semence – telle est la valeur de tout martyre – qui lèvera demain. » « Nous avons le privilège d’être des pionniers », écrit Sophie, « mais il nous faut commencer par mourir. » Dans sa préface, le traducteur Pierre-Emmanuel Dauzat analyse la courageuse prescience du frère et de la sœur : « Que des jeunes gens qui n’avaient rien connu d’autres que l’éducation et la propagande nazies aient pu en remontrer à des vétérans de la Grande Guerre, à des hommes de culture et d’honneur, en dit long sur l’inversion des valeurs en ces temps déraisonnables où l’on mettait les morts à table. »

 

Il y a chez Hans et Sophie un désir absolu de s’inscrire dans le continuum de l’humanité tout entière. Soldat en France, Hans apprend immédiatement le français et fait partager sa passion à ses frères et sœurs. Comme si, écrit Dauzat, « apprendre la langue du vaincu était, plus qu’une forme de bienséance, un devoir un apprentissage de la Résistance. » Malgré sa méfiance pour l’auteur de Faust, c’est une devise de Goethe que Hans écrira sur les murs de sa prison de la Gestapo : « Contre vents et marées, savoir se maintenir ». Le sacrifice de ces résistants signifiait aussi sauver, de l'appropriation nazie, Goethe, Beethoven, le patrimoine culturel.

 

Ils sont dans la transcendance. « Au-delà de la flamme vacillante de mon âme juvénile », écrit Hans à sa mère, « je perçois parfois le souffle éternel de quelque chose d’infiniment grand et serein. Dieu. Destin. » Leur existence est voulue, pour reprendre le mot de Claudel, comme « une grande aventure vers la lumière ». Ils ne se perçoivent en aucune manière comme des héros, comme des êtres que l’expérience guerrière sublimerait. Ils se méfient de Jünger et de sa Guerre comme expérience intérieure. Ils songent à Héraclite pour qui la guerre donne la liberté à certains au prix de l’esclavage des autres. Ils sombrent rarement dans le pessimisme, comme quand Sophie voit dans l’humanité « une maladie de peau de la terre ». Mais leur état d’esprit est celui de combattants ardents, vigilants, matures : « L’incertitude dans laquelle nous vivons aujourd’hui », révèle, de manière voilée, Sophie à Fritz, son ami de cœur, « m’oppresse et ne me lâche pas une minute jour et nuit. Quand viendra enfin le temps où nous serons dispensés de l’obligation de concentrer toute notre énergie et notre attention à des choses qui ne valent pas de lever le petit doigt ? Il faut examiner chaque mot sous toutes les coutures avant de le prononcer, pour s’assurer qu’il n’y a pas la moindre ambiguïté. La confiance dans les autres doit céder à la méfiance et à la prudence. C’est fatigant et, parfois, démoralisant. Mais non, je ne me laisserai pas abattre par quoi que ce soit. »

 

Hans nous livre un témoignage, peut-être subjectif, mais en tout cas intéressant, des pays qu’il occupe. « Les Français se conduisent en amateurs ». Le nombre de leurs prisonniers est « vraiment effrayant ». À l’inverse de ses camarades, il se refuse à photographier les horreurs et est « ébahi » de constater à quelle vitesse la vie a repris son cours à Paris. Envoyé sur le front russe, il est impressionné par les partisans, « terriblement actifs ». Dans une ville moyenne, ils ont fait sauter quarante-huit trains en huit jours, détruisant toutes les locomotives.

 

La veille de leur arrestation que son frère et elle savent très proche, Sophie écrit de l’andantino de La truite de Schubert cette appréciation solaire : « ça me donne envie d’être une truite. On ne peut s’empêcher de se réjouir et de rire, si ému et triste qu’on soit dans son cœur, quand on voit les nuages du printemps et les branches bourgeonnantes se balancer, agitées par le vent, dans la lumière vive du jeune soleil. » La vie à l’état pur.

 

Dans quelques heures, le couperet tombera. « Injustice indicible », pour reprendre les mots d’un célèbre écrivain, ancien policier colonial, repenti après avoir assisté à des exécutions, « qu’il y a à faucher une vie en pleine sève. Un esprit de moins, un univers de moins. »

Les Sanson, petits bras
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21 septembre 2023 4 21 /09 /septembre /2023 05:01

 

Qu’on le veuille ou non – et je sens que cela peut énerver des féministes – l’astre solaire, sans qui nous n’existerions pas, est du genre masculin en français tandis que la lune, astre mort qui ne sert pas à grand-chose à part nous casser les pieds avec les marées, est du féminin.

 

C’est comme ça et ce n’est pas autrement, et tous les wokismes et autres prurits de l’inclusivité n’y pourront jamais rien.

 

Oui, mais en allemand, c’est l’inverse : der Mond, die Sonne, avec des majuscules, bitte schön.

 

La langue anglaise est plus maligne : moon et sun sont du neutre. Tandis qu’un cuirasser, un contre-torpilleur ou un porte-avions sont du féminin ! Il y a une raison à cela. Il y a toujours de bonnes raisons en matière de culture, parfois même pour justifier l’injustifiable ou l'aberrant. Le mot navire vient du latin navis qui était féminin. Les Anglais ont embelli cette étymologie en disant que, comme l’écrasante majorité des marins étaient des hommes et qu’ils devaient passer beaucoup de temps dans leur bateau, celui-ci était devenu un partenaire bienveillant et protecteur, donc une femme. Plus grossièrement, des hommes phalliques pénétrant des femmes rondes.

 

Alors pourquoi le soleil est-il féminin en allemand ? Il y a une raison grammaticale ou morphologique : dans cette langue, les mots se terminant en e ou ie sont le plus souvent féminins (mais pas qu’eux : die Mauer, le mur).

 

Et puis il y a une raison mythologique. Dans la mythologie nordique, le dieu Mundilfari avait deux enfants : Sól, une fille personnifiant le soleil (qui se mariera à Glenr, qui signifie “ ouverture dans les nuages ”) et Máni, un fils personnifiant la lune. Tous deux tirant un char de lumière. Á noter que soleil est féminin en arabe, masculin et féminin en hébreu, neutre en russe, en japonais et en néerlandais, masculin en italien et en roumain. La lune est neutre en japonais et en turc, masculin en arabe, en polonais et en hébreu, féminin en russe, en italien et en espagnol. Ah, l'arbitrarité du signe, le biberon des linguistes...

 

Le soleil a rendez-vous avec la lune
Le soleil a rendez-vous avec la lune

PS qui n'a rien à voir : une petite contrepèterie en l'honneur de la reine :

Le soleil a rendez-vous avec la lune
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17 septembre 2023 7 17 /09 /septembre /2023 05:01

 

J’ai assisté à une cérémonie funéraire en l’honneur d’une collègue décédée début septembre après un combat acharné contre ce que l’on appelle pudiquement « une longue maladie ». Elle était un peu plus jeune que moi.

 

Il s’agissait d’une des figures les plus marquantes de notre milieu professionnel. Les hommages rendus dans la chambre funéraire qui accueillit son cercueil furent, à l’image de la défunte, très émouvants et empreints d’une grande dignité.

 

Hormis ses éminentes qualités de femme, de mère, d’enseignante, de chercheuse, de musicienne et de psychanalyste, les intervenants soulignèrent sa grande ouverture d’esprit et sa disponibilité sans faille pour les jeunes universitaires.

 

Il fut rappelé qu’en tant que théoricienne de la littérature elle avait rejoint et enrichi une mouvance qui était apparu au début des années soixante-dix.

 

Cette cérémonie d’une grande qualité humaine fut malheureusement entachée par l’intervention d’un vieux prof qui nous fit un cours de théorie littéraire durant lequel, pendant un bon quart d’heure, il se mit en avant pour que nous nous pénétrions du fait qu’il avait inventé le fil à couper le beurre.

 

Pour éviter un bâillement qui n’eut guère été apprécié, je me suis demandé ce qu’aurait pensé de ce m’as-tu-entenduisme le grand esprit à l’origine de la mouvance précitée que j’avais eu la chance de connaître un peu il y a plus d’un demi-siècle.

Cérémonie funéraire et mélange des genres

PS : Et puisque nous sommes dans l'Anglistik, restons-y (merci Nadia) avec quelques oxymores.

Cérémonie funéraire et mélange des genres
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    … avant de le diffuser en ligne (par Pauline Demange-Dilasser, de Télérama). Extraits Prévu le dimanche 16 mars sur France 5, le film de Claire Billet “Algérie, sections armes spéciales”, sur le gazage des combattants pendant la guerre d’Algérie, a été...
  • La Suède, pays de très grande violence
    Il y a une trentaine d'années, je discutai avec un ami suédois des problèmes liés à l'immigration en Europe (j'avais consacré une bonne partie d'un ouvrage sur l'Angleterre à ce sujet). Je lui avais demandé quelle était la politique immigratoire du pays....
  • Le témoignage d'une vie brisée (II)
    On m’a inscrite dans la chair l’abandon, la solitude, la violence, les insultes, l’impuissance, avoir mal, l’envie de mourir, la peur de mourir. Formatée pour ne jamais ressentir la protection. Un enfant est maltraité lorsqu’il reconnaît au son que font...
  • Le témoignage d'une vie brisée (I)
    Une de mes proches vient de publier ce témoignage sur Facebook : J’ai écrit ce texte pour témoigner de la charge que l’on peut vivre lorsqu’on est l’enfant de parents malveillants. Le danger quotidien qu’ils représentent pour nous. Je vois des adultes...
  • Le patronat se croit tout permis, mais...
    Au mois de mai 2024, l’entreprise Toray-CFE avait licencié Timothée Esprit, en lien avec une publication de solidarité à la Palestine sur son compte Facebook personnel. Une offensive brutale contre le syndicaliste, secrétaire fédéral de la FNIC-CGT, employé...
  • Revue de Presse 550
    Dans Le Grand Soir, Jérôme Henriques revient sur la maltraitance des animaux pour l'industrie du luxe : En 2010, l’émission "Rundschau" (télévision Suisse alémanique) montrait le traitement cruel des varans malais en Indonésie. Confinés des jours entiers...
  • L'impasse des politiques de l'offre
    Par le Blog Le Bon Usage On est donc fixé. Trump va lancer la guerre commerciale avec l'UE en taxant les importations européennes à 25% . Reste à savoir si cette politique conduira bien les EU dans la direction que cherche à obtenir Trump à savoir une...
  • From Ground Zero : la Palestine au coeur
    Vu tout récemment From Ground Zero (allusion tristement ironique au Ground Zero de New York), ce puissant film à sketches réalisé par 22 cinéastes palestiniens. Pour que son histoire ne fût pas oubliée, ce film était dramatiquement nécessaire à ce peuple...
  • Le Monde Diplomatique, mars 2025
    Qui sont les électeurs du RN, demande Benoît Bréville ? « Un parti capable de gagner huit millions de voix en vingt ans ? Voilà qui interroge. Quelle est sa recette ? Et en quoi consistent ses ingrédients idéologiques ou sociologiques ? Sur ces sujets...
  • Maxime Vivas sur les médias
    Entretien avec Maxime Vivas au sujet de la suspension du financement de l’USAID par la nouvelle équipe présidentielle des Etats-Unis. Maxime revient sur le rôle joué par cette organisation (et d’autres) dans la mécanique médiatique occidentale contre...