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21 juin 2023 3 21 /06 /juin /2023 15:13

L’écriture inclusive est une manifestation violente et agressive de la lutte des classes. Elle provient d’une partie de la bourgeoisie éduquée, influencée par l’idéologie prétendument progressiste étasunienne, qui se reconnaît dans les chercheures (sic) de haut niveau mais pas dans les fraiseuses, les shampooineuses et autres boxeuses.

 

Avant d’expliquer pourquoi cette écriture raye d’un trait de plume des siècles de culture, d’histoire et de vie de notre langue, je propose de pousser la logique de ses adeptes jusqu’à l’absurde : « Hier, je suis allé au zoo ; j’ai vu des lion-n-es, une tigre [tigresse est impossible à cause de  ”bougresse ”], une âne [pas d’ânesse pour la même raison], un girafe [renversons la problématique), un ours et une ours avec ses ourson-n-es, une chameau [grosse difficulté car si “ chameau ” est insultant, “ chamelle ” fait penser à “ femelle ”] et une éléphanteau. »

 

La malédiction tombe sur nos chères têtes blondes dès l’école primaire quand elles doivent intégrer qu’il y a deux genres grammaticaux qui ne coïncident pas forcément avec la distinction mâle-femelle. Les sentinelles sont généralement des hommes tandis que les laiderons sont plutôt des femmes. Si je dis « les Anglais aiment l’Italie », j’inclus des femmes. Mais si je dis que « les Anglaises aiment l’Italie », aucun homme n’est concerné. Neuf fois sur dix, c’est le féminin qui est exclu.

 

Le français n’est pas la seule langue où l’adjectif s’accorde au masculin lorsqu’il précède ou suit un substantif au masculin et un autre au féminin (« Monsieur et madame Trouchmuque sont des instituteurs passionnants »). L’espagnol et l’italien font de même : « un coche y una bicicleta caros », « una casa e un ponte moderni ». Pour les Allemands, quand les gouttent tombent, es regnet, le es étant la marque du neutre. Le drame c’est que le genre est arbitraire. Surtout chez les animaux. Taupe et hirondelle sont des mâles autant que des femelles. Un rat de bibliothèque est plutôt un homme, mais pas forcément. On peut s’en sortir en disant « les profs » et non « les enseignants », « les scientifiques » et non « les chercheurs », « la classe patronale » et non « les patrons ».

 

Et puis, il y a les expressions toutes faites, produits de l’histoire d’une langue qui s’est un peu fossilisée et où le féminin n’est pas à la fête : « le panier de la ménagère », « des ouvrages de dame », « les hommes politiques », « les hommes de lettres », « les hommes d’affaires », « en bon père vie famille », « les droits de l’homme ». Et puis – soyons vulgaires – « cette fille a l’air très con ».

 

Le pronom « il » (« il pleut ») nous vient d'un mot latin qui se décline aussi bien au masculin (ille), au féminin (illa) et au neutre (illud) et qui était un pronom démonstratif : ce, cela. De même, « on parle », c’est du neutre. Étymologiquement le pronom “ on ” vient du mot latin homo, « homme », mais pas l’homme opposé à la femme, l’humain, celui qui vit sur terre, puis sous terre (“ humus ”).

 

Les bobos inclusifs peuvent avoir raison dans l’absolu, ils ne rallient que 10% de la population, en France, en Belgique ou en Suisse. 90% trouvent grotesque des inventions comme inspecteur-rice-s ou programmeur-euse-s. Et ne parlons pas de proclamation du genre « Ni dieu-eesse, ni maître-esse ». Et puis la majorité observe que la langue souffre sous les coups de boutoir de ces incluseur-ices. Dans « fermier-e », l’accent grave a disparu. Comme dans « préfet-e ». Mais cela est de la vieille histoire, n’est-ielle pas ? Sur un tract électoral, on a pu lire : « George Machin, 15ème candidat-e, Monique Truc, 14ème candidat-e », alors que Georges ne pouvait être qu’un candidat et Monique une candidate. Les bobos qui ont créé le terme « Amiénoi-s-e » ont oublié en cours de route que le masculin « Amiénois » possédait un « s » avant même qu’il aient été dans le désire de leurs géniteur-ices. Je suggère ce conseil frappé au coin du bon sens : n’écrivez rien qui ne puisse se dire. On attend en effet, désespérément le premier discours d’une orateure qui aurait écrit son texte en écriture inclusive (« Cher-es adolescent-e-s amiénoi-s-es…).

Cela dit, il faut naturellement poursuivre et amplifier la politique de féminisation de la langue. Dire « Madame l’Ambassadrice » et non « Madame l’Ambassadeur », « une députée », « la femme policière ». Il faut bannir « Mademoiselle » comme on a jeté aux oubliettes « damoiseau ».

On observe depuis un bon moment que les damnés de la Terre s’en mêlent et s’emmêlent : L’Humanité soutient l’écriture inclusive. Mais on ne prescrit pas des règles grammaticales par la terreur (pardon : par la bien-pensance et le politiquement correct qui sont toujours de droite). Au lieu de se focaliser avec zèle sur l'écriture inclusive, les rédacteurs de L'Humanité.e feraient mieux de combattre le vocabulaire que nous impose le capitalisme financier. Comme quand on ne dit plus “ capitalisme ” mais “développement”, durable, forcément durable… Sans parler de cette affiche de la ville de Montreuil : « marché paysan-ne, produits fermier-e-es ». Comme le rappelle le linguiste Jean-Claude Milner : « À ceux qui croient qu’en généralisant l’écriture inclusive on aura changé la réalité je pourrais répondre qu’ils retrouvent très exactement ce que Marx dénonçait comme idéologie : image inversée de la réalité. On invente une convention orthographique, pour ne pas regarder la réalité en face. […] Croire qu’en manipulant les signes inscrits sur un support, on change le monde, c’est pire que de l’idéologie, c’est de la pensée magique. »

 

Si l’on y va à fond, il va falloir réécrire toute la littérature française, ou alors nos cher-e-s enfants n’y comprendront plus rien. Par exemple, on aménagera le début de la “ Ballade du Roi des Gueux ” de Jean Richepin :

Venez à moi, claquepatin.e.s, 

Loqueteu.x.ses, joueu.r.ses de musettes

ou “ Je ne suis pas de ce.ux.lles qui robent la louange ” de Joachim Du Bellay :

Je ne suis pas de ce.ux.lles qui robent la louange,

Fraudant indignement les humain.e.s de valeur

 

On a pu remarquer que l’écriture inclusive était en train de créer un nouveau type de langage, à mi-chemin entre le hiéroglyphe et l’alphabet, comme dans l’Égypte ancienne. De même que le cartouche montre à la fois le Pharaon et sa grandeur, sans possibilité de détacher la grandeur du Pharaon de l’écriture de son nom, de même le « x » affiche la neutralité et l’absence de genre sans qu’on puisse exprimer une idée différente. On force le locuteur de la nouvelle langue à croire en l’absence de genre.

Nous sommes bel et bien dans la problématique du visible et du lisible. Il s’agit de réaliser la visibilité des femmes dans la langue. Les Allemands font très mal lorsqu’ils écrasent la jeune fille (“ Mädchen ”) sous le bulldozer d’une règle grammaticale banale. La jeune fille est donc neutre, alors que la mort, n’est-ce pas Schubert ? est du masculin. Mais, très vite, l’écriture inclusive nous vrille les yeux, nous fait pleurer, nous rend aveugles. Comme dans cette annonce gouvernementale (illégale) : « L’Opfra (Office français de protection des réfugiés et apatrides dépendant du ministère de l’Intérieur) s’attaque même aux malheureux qui souhaitent immigrer chez nous : il « recherche ses futures.es agent.es en instruction des demandes d’asile. » Comment lire cela à l’oral ? Pire encore quand l’écriture inclusive charcute les mots comme il lui sied en faisant, par exemple apparaître des lettres isolées : « les étudiant·e·s élu·e·s ; en découpant les radicaux (« les voleu·r·se·s ») . Donc en détruisant le lien entre l’écrit et l’oral.

Des femmes sont violées, des femmes sont mariées de force, des femmes sont excisées. N’ayez crainte, ô victimes du patriarcat : l’écriture inclusive va vous sauver.

Ras le bol, l'écriture inclusive !

 

On peut s’en remettre à ce sage constat de l’Académie française (26 octobre 2017) : « La démultiplication des marques orthographiques et syntaxiques que l’écriture inclusive induit aboutit à une langue désunie, disparate dans son expression, créant une confusion qui confine à l’illisibilité. On voit mal quel est l’objectif poursuivi et comment il pourrait surmonter les obstacles pratiques d’écriture, de lecture – visuelle ou à voix haute – et de prononciation. Cela alourdirait la tâche des pédagogues. Cela compliquerait plus encore celle des lecteurs. »

Je terminerai par cette belle explication du linguiste Franck Neveu : « Les mots n’ont pas de sexe, mais ils ont un genre, qui est conventionnel, et qui en français se répartit entre deux pôles (masculin/féminin). Le genre est une catégorie grammaticale, comme le nombre, l’aspect, par exemple, ou, dans les langues flexionnelles, le cas (c’est-à-dire la fonction). Ces catégories ont un rôle morphosyntaxique. Elles permettent d’établir les relations entre les mots au sein de l’énoncé, les accords par exemple. Elles n’ont aucun effet sur les représentations du monde. Si au restaurant je commande un lapin aux pruneaux je ne demande pas qu’on me serve un lapin mâle. Si j’évoque les sentinelles qui gardent l’entrée d’un bâtiment militaire je ne féminise pas les soldats qui occupent cette fonction. Il n’y a aucune corrélation à établir entre le genre des mots et le sexe de leur référent. La langue est faite de signes. Le signe linguistique est caractérisé par la linéarité et l’arbitraire : la linéarité, parce que deux signes ne peuvent être articulés simultanément ; l’arbitraire, parce qu’il est conventionnel. Le déficit de réflexion grammaticale devient préoccupant dans la société française. L’École devrait tenir son rang sur ce point, et ne rien lâcher, sauf à accepter l’idée que des courants de pensée puissent faire fond sur cette ignorance. Il n’est d’ailleurs pas étonnant que le courant inclusiviste cible régulièrement la discipline linguistique à l’Université, censément porteuse de représentations patriarcales de la langue. L’écriture inclusive n’est pas seulement un problème majeur pour les personnes souffrant de handicap (malvoyance, dyslexie, dyspraxie), mais bien au-delà, pour les enfants en apprentissage. L’écriture inclusive rompt avec les règles de prononciation et de ponctuation, ainsi qu’avec les règles morphologiques que les jeunes élèves sont en train d’acquérir. C’est pourquoi de nombreuses associations de parents d’élèves et une très large partie du corps enseignant se montrent hostiles à son application dans l’enseignement. »

 

 

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