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13 août 2023 7 13 /08 /août /2023 05:01

Christian Authier. Poste restante. Paris, Flammarion, 2023.

 

Ceci me fut raconté il y a une quarantaine d'années. Une femme algérienne, semi-illettrée, écrit à son fils apprenti boulanger à Paris. Elle ne connaît pas son adresse. Sur l'enveloppe, elle rédige : " a mon fisse, ifilaficelle a paris". Pour les postiers, c'est le défi, pardon le challenge, de leur vie. Après deux mois d'enquête, ils retrouvent le fils et lui remettent la lettre.

 

Oui, mais ça, c'était la Poste d'avant. Le seul service, la seule administration qui, rappelons-lé, se finançait intégralement.

 

C'est un formidable livre que le romancier et essayiste Christian Authier vient de nous offrir. Fils de postiers, postier intérimaire lui-même à une époque et aujourd'hui âgé de 54 ans, il a connu de l'intérieur cette administration, ce ministère, ce service public que le monde entier, comme Jean Gabin dans Le Cave se rebiffe, nous envia : "Nous allons donc confier notre petit trésor aux seuls gens qui n'égarent jamais rien, [...] j'ai nommé les PTT."

 

Un "enfant de La Poste" comme Authier a eu du mal à s'habituer à la vente de DVD de Walt Disney dans les bureaux de poste, à l'invasion des automates, au ralentissement du courrier qui oblige à payer plus cher un service identique à celui qui était moins cher, aux guichets réservés aux entreprises quand le nombre d'employés n'a cessé de diminuer, aux slogans imbéciles du style "Bouger avec la Poste".

 

Dans nos contrées, la poste fut mise en place, sous l'appellation de cursus publicus, par l'Empire romain. Réservé aux correspondances officielles, il disparut avec la chute de l'Empire d'Occident. Il fallut attendre Louis XI pour assister à la création d'un Service des chevaucheurs du roi afin de transmettre ses messages, et Henri III pour que les riches puissent correspondre entre eux. Les relais des poste furent installés toutes les sept lieues (28 kilomètres), d'où l'expression des "bottes de sept lieues" de Charles Perrault. Les services postaux se développent avec la Révolution (1 400 relais, 16 000 chevaux), avant qu'en 1830 une loi prévoie que "5 000 facteurs devront recueillir et distribuer dans toutes les communes rurales du royaume, les correspondances administratives et particulières." En 1845, un wagon-poste est mis en service entre Paris et Rouen, tandis qu'en 1849 est émis le premier timbre-poste à l'effigie de Cérès (le premier timbre anglais, à l'effigie de la reine Victoria, datait de 1840 et valait un penny ; le premier timbre allemand, plus exactement bavarois, datait de 1849). Les tournées quotidiennes du facteur ont débuté en 1863. En 1879, les administrations séparées des postes et du télégraphe fusionnent, les Postes, Télégraphes et Téléphones (PTT) devenant un ministère de plein exercice. L'après Première Guerre mondiale voit la naissance de l'aéropostale, où s'illustrèrent les figures mythiques de Mermoz et Saint-Exupéry). 1969 distingue le "courrier rapide" du "courrier lent", une "réforme" nullement acceptée par les Français, les PTT devant faire appel à des communicants aussi prestigieux que Fernandel, Aznavour ou Michel Jazy pour faire passer la pilule.

 

Le grand tournant a lieu en 1988 : les P&T donnent naissance à La Poste et à France Tlélécom. Ces administrations ont alors le statut d'établissement public, industriel et commercial. En 2004, France Télécom devient une société anonyme à capitaux privés et La Poste une société anonyme à capitaux publics en 2010.

 

C'est peu dire que La Poste s'est déshumanisée : moins de personnel, moins de bureaux, moins de guichets, davantage d'automates, comme à la poste du Capitole à Toulouse, entièrement automatisée. Et puis les vrais postiers, dans les bureaux, ont été remplacés par des agents d'accueil et des agents de sécurité. Cette déshumanisation, en particulier dans les campagnes, a favorisé la montée de l'extrême droite qui a joué sur le sentiment d'abandon de populations qui ont assisté à la fermeture d'écoles, de dispensaires et autres petits commerces.

 

Le facteur ne sonne plus deux fois, il ne sonne plus du tout, même pour des colis recommandés ou des colis trop épais pour entrer dans la boîte aux lettres. Le facteur ne sonne plus parce qu'il a tendance à se faire rare : 100 000 en 2007, 65 000 en 2022. Le travail des facteurs est réévalué, réorganisé tous les deux ans. La Poste bouge en supprimant des tournées. Kafka revu par les Monty Pythons, écrit l'auteur. C'est le logiciel Géoroute qui guide la main de gestionnaires en modélisant les itinéraires et les cadences à la seconde près. Un logiciel à qui il prend parfois la fantaisie de faire traverser des murs d'immeubles aux facteurs, ce que, jusqu'à présent, la Justice a condamné. Nos facteurs passe-muraille, peut-être, mais fliqués sûrement. Depuis 2012, ils sont équipés de Smartphones et d'applications idoines qui les rendent géolocalisables à tout moment.

Note de lecture 212 (I)

Lors d'une campagne pour l'élection à la mairie de Paris, la droite avait pour opposant socialiste l'immense Paul Quilès (et son slogan particulièrement débile "Quilès tendresse"). Immense menteur, surtout, lui qui, dans une tribune du Monde, avait juré : "La Poste ne doit pas être privatisée". Or c'est ce même tendre, ministre des Postes, des Télécommunications et de l'Espace du gouvernement Rocard qui fut le principal responsable de la privatisation sournoise de La Poste.

 

La Poste devient progressivement un monstre à deux têtes : chargé de quatre missions de service public (accessibilité bancaire, contribution à l'aménagement du territoire, service postal universel, transport et distribution de la presse) et, en même temps (sic), engagement total dans la sphère marchande, dans la conquête de parts de marché et développement à l'international. Entreprise à la fois publique et privée, La Poste est abondée par des capitaux publics mais elle n'embauche plus de fonctionnaires, la majorité de ses salariés étant de droit privé. L'entreprise n'est dès lors pas chiche de discours hors-sol, clos, purement publicitaires, auto-justifiants : "Nous contribuons au développement et à la cohésion des territoires [quand j'entends le mot "territoire" en lieu et place de département, région, pays, nation, je sors mon révolver]. Nous favorisons l'inclusion sociale et le vivre ensemble. [...]  Nous oeuvrons pour un numérique éthique, inclusif et frugal [?], prenant en compte l'inclusion, le respect du libre arbitre et du consentement éclairé." Comme n'aurait peut-être pas dit en 2009 l'ancien PDG Didier Lombard qui avait évoqué la "mode" des suicides dans son entreprise.

 

Mais il y a la dure réalité des vilains exploités qui se rebellent. En décembre 2019, lé tribunal correctionnel de Paris sanctionne un harcèlement moral institutionnel et collectif ayant eu pour cible plusieurs dizaines de milliers de personnes.

 

Pour faire passer, croit-on, les horreurs, La Poste use et abuse du globish, c'est-à-dire de la langue de l'impérialisme, du capitalisme libéral. Le plan de mobilité des cadres est baptisé "Time to Move" (en bon français : "on se bouge"), le plan de 22 000 suppressions d'emplois se nomme "Next" (en bon français : "on dégage").

 

A suivre

 

 

PS (qui n'a rien à voir) : qui est cette vaillante centenaire naturalisée française ?

Note de lecture 212 (I)
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commentaires

A
Rest in peace, Olivia de Havilland, who died peacefully in her home in Paris at the age of 104. De Havilland was still cycling in her 100s!<br /> Moralité : on trouve tout sur Google
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