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15 septembre 2023 5 15 /09 /septembre /2023 05:01

 

Je n’oublierai jamais lorsqu’allumant la radio le 11 septembre 1973, il y a donc exactement 50 ans, j’apprenais le coup d’État au Chili et la mort de Salvador Allende. Ce fut un événement fondateur.

D’abord, celui des abominables années de plomb, organisées par les États-Unis avec le soutien des bourgeoisies locales compradores. Où se déchaîna dans tout le sous-continent américain une violence atroce, celle du fameux « plan Condor » téléguidé par la CIA, à base d’arrestations, de torture, de disparitions de meurtres de masse, d’escadrons de la mort, de vol d’enfants. Président dans ces années de l’O.N.G. France-Amérique latine, mobilisé pour tenter d’organiser la solidarité j’eus à connaître de cette horreur absolue.

Il fallut ensuite apprendre la défaite. Constater qu’un gouvernement démocratiquement élu, soucieux de la défense des intérêts de son peuple était fatalement confronté à une forme de guerre d’abord économique puis politique et enfin militaire. Guerre que lui menait l’impérialisme, à laquelle il n’avait finalement jamais eu les moyens de résister. Et que cette défaite serait nécessairement noyée dans le sang. Ce fut le point de départ réel et symbolique de la fin du mouvement de décolonisation et de libération nationale enclenché par la défaite du nazisme à Berlin en 1945. Les « 30 glorieuses » étaient terminées, la défaite subie par les États-Unis au Vietnam consommée, le temps était pour l’impérialisme à la reconquête.

Enfin, ce fut aussi le début du chemin pour la mutation économique et politique du Capital en crise empruntant pour se sauver la voie du néolibéralisme. Un étonnant article du philosophe espagnol Carlos Blanco commence par ces mots : « le néolibéralisme a commencé le 11 septembre ». Et il poursuit : « Dans une démocratie consolidée, dans l’une des républiques hispaniques les plus avancées sur le plan éducatif et social, dirigée par un gouvernement désireux d’exercer sa souveraineté sur les ressources du pays et au profit de son peuple, c’est-à-dire la démocratie chilienne, les néolibéraux de Chicago ont décidé d’entreprendre une expérience. » C’est factuellement vrai, puisque l’on sait que la CIA avait demandé au groupe de Chicago un travail sur les mesures à prendre pour le Chili, travail qui avait abouti à la rédaction d’un document de 300 pages. Mais c’est surtout lumineux historiquement, quand on se rappelle l’arrivée au pouvoir à la fin des années 70 des deux fouriers de ce système dans le monde anglo-saxon, à savoir Margaret Thatcher et Ronald Reagan. Pour Blanco, « le néolibéralisme n’est pas exactement une phase ou un ornement idéologique du capitalisme. En réalité, le néolibéralisme est la méthode de « gouvernance » de l’empire américain, avec l’aide des vestiges mourants de l’empire britannique (non moins dangereux) pour préserver ses taux de profit et ses activités d’extraction prédatrices »

On connaît la suite, la dislocation de l’Union soviétique, le ralliement définitif de la social-démocratie au Capital, les chaos guerriers provoqués aux quatre coins du monde, la volonté d’asservir la Russie, de dominer la Chine, depuis 30 ans l’hégémon était à l’initiative stratégique.

C’est terminé. Le monde a décidé de ne plus accepter cette domination. L’Asie a pris congé, l’Amérique latine veut emprunter le même chemin, l’Afrique entreprend de se débarrasser du joug néo-colonial, et la Russie quant à elle a pris en charge l’étincelle qui a mis le feu à la plaine. Lénine disait : « il est des décennies où il ne se passe rien et il y a des semaines qui sont des décennies ». L’Histoire vient de s’accélérer et le monde se recompose autour de l’impératif de souveraineté. L’hégémon est passé du mauvais côté de l’Histoire.

Tous les 11 septembre, j’ai une pensée pour ceux avec qui j’ai partagé le combat pour l’Amérique latine. Je me souviens de tous ces combattants, morts ou perdus de vue, mes camarades. Je me souviens de tous ces enterrements, où il fallut ensevelir des amis ou des espoirs. Ce n’est jamais une journée très gaie.

Eh bien cette année, j’ai envie de leur dire que Carlos Blanco a raison. Le néolibéralisme que vous avez affronté si durement, a commencé le 11 septembre 1973. 

Mais il a probablement pris fin le 24 février 2022.

 

Régis de Castelnaud

 

PS (BG) : J'ajouterai un seul souvenir pour cette fois-ci. Dans les jours qui ont précédé la prise du pouvoir très violente par les militaires fascistes et la mort d'Allende, j'ai discuté avec plusieurs francs-maçons français qui m'ont tous dit : “ Allende et Pinochet sont Frères, ça va s'arranger ”. Comment ont-ils pu s'illusionner de la sorte ?

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commentaires

A
"Le présent est fait de lutte; l'avenir nous appartient." (Che Guevara) Mais quand on regarde l'Histoire : quel présent et quel avenir ? " Tout s'en va, tout revient... "
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A
Lorsque l'Histoire passe même si une partie ou même si la totalité des causes de cette Histoire et de ses conséquences sont annulées par des choix nouveaux elle laisse cependant des traces indélébiles.<br /> Tout ça pour dire que les idées de Pinochet continuent à vivre non seulement dans certains esprits mais plus encore structurent la vie politique, économique et sociale du pays. <br /> Ainsi on se souvient qu'en septembre 2022 Le projet de nouvelle constitution est rejeté par une large majorité de près de 62 % des suffrages exprimés. Cet échec amène à de nouvelles élections et la mise en place d'une nouvelle assemblée constituante chargée de rédiger une nouvelle constitution, qui est soumise à un nouveau référendum le 26 novembre 2023.<br /> En cela les Pinochet, Tchatcher ou Macron ne perdent jamais totalement car il est impossible de revenir au point zéro du début de leur gouvernement. <br /> On pourrait citer de nombreux exemples de cette logique et d'ailleurs c'est ainsi qu'au total leur vision du monde avance car malgré les gains que peuvent arracher les forces de progrès nous n'assistons jamais à un renversement définitif du rapport de force. <br /> Il est un roman policier qui décrit très bien comment ces forces réactionnaires et violentes continuent à irriguer la société même après avoir été chassées du gouvernement. https://www.babelio.com/livres/Ferey-Mapuche/368231. L’histoire se passe en Argentine après la chute des colonels. On a pu le constater également en Allemagne après la guerre car si le sommet tombe, la deuxième ou troisième ligne se recycle après un purgatoire bien clément.<br /> Si nous assistons depuis le 24 février 2022 début de la guerre en Ukraine à un renversement par degré des rapports de force internationaux je ne crois pas qu'il marque la fin du libéralisme. Il me semble au contraire que nous assistons à la mise en place d'une autre forme de libéralisme.<br /> Le libéralisme a pour lui un avantage qui ne tient pas, contrairement à ce qu'on veut nous faire croire, à ses enseignements théoriques et universitaires mais à une vision populaire des échanges, des rapports sociaux et de la nature humaine qui au final conditionne le vote majoritaire.<br /> Est-ce à dire qu' il n'y aurait rien à faire et que sur le long terme la bataille est perdue ? Bien évidemment non puisque, ne serait-ce que pour reprendre l'exemple du Chili, la torture y a été supprimée ainsi que les assassinats politiques pilotés par le gouvernement. Ce serait, aussi, injuste par rapport à ceux qui se battent continuellement. Seulement dans cette bataille il faut avoir à l’esprit l'exemple de Sisyphe et son rocher.
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