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2 mars 2012 5 02 /03 /mars /2012 15:35

http://multimedia.fnac.com/multimedia/images_produits/ZoomPE/0/0/0/9782910475000.jpgBon, d’accord, je suis un tout petit peu biaisé : retraité de l’Éducation nationale, fils et petit-fils d’enseignants, époux d’enseignante, cousin d’enseignants, père d'enseignante, mon enfance passa (je fais du Brel sans m’en rendre compte) dans l’admiration, le culte, oserais-je, de Jean Zay. De sorte que ma sympathie ne va pas spontanément vers le DRH de l’Oréal qui sert de ministre de l’Éducation nationale, ce pur produit de la bonne bourgeoisie de province, fils d’amiral, élevé chez les Jésuites, entré en politique après une dizaine d’années passées chez L’Oréal, cette entreprise ô combien raffinée mais où un tropisme d’extrême droite parfume tous les étages. L’Oréal, en effet, n’est pas une entreprise neutre (s’il en est). Fondée au début du XXe siècle par Eugène Schueller, le père de Liliane Bettencourt, elle a, pendant les années très cruciales de la montée du fascisme en Europe, servi de pompe à finance à de nombreux extrémistes de droite. Schueller aida notamment Eugène Deloncle, le fondateur de La Cagoule, avant de fonder, avec celui-ci en 1941, le Mouvement social-révolutionnaire, mouvement fasciste, collaborationniste, proche de Déat et de la Légion des volontaires français contre le bolchevisme. À la Libération, Schueller sera relaxé grâce aux témoignages de Pierre de Bénouville (résistant, ancien Camelot du roi, membre de l’action française et ami du jeune François Mitterrand) et du communiste Jacques Sadoul. En 1945, Schueller mettra le pied de Mitterrand à l’étrier en l’engageant comme directeur d’édition. Dans les couloirs de L’Oréal, l’histoire est donc très présente. La Gueuse n’y est pas aimée.

 

Un récent documentaire de France 3 sur Jean Zay a permis de ranimer le souvenir de cet homme politique qui n’eut pas le loisir de devenir un grand homme d’État. Ni même un martyr : le milicien qui l’avait massacré en 1944 fut jugé en 1953 ; défendu par Me René Floriot, l’un des deux ou trois plus grands avocats de l’époque, il fut condamné au bagne à perpétuité, mais grâce à quelques artifices juridiques fort à propos, il fut libéré après … deux ans de prison.

C’est au ministre de l’Éducation nationale que je voudrais consacrer cette note. Jean Zay n’était pas de la grande Maison. Il fut clerc d’avoué, puis avocat, avant d’être élu, à vingt-huit ans, plus jeune député de France. Nommé à trente-deux ans ministre dans le gouvernement du radical Albert Sarraut, il part du principe qu’il faut à tout prix remédier à l’énorme déperdition engendrée par le système éducatif. “ Méritocrate ” avant l’heure, Zay déplore que des enfants doués mais issus de milieux défavorisés ne puissent exercer les fonctions auxquelles ils peuvent prétendre tandis que des fils de la bourgeoisie trouvent sans peine des sinécures. Dès 1936, Jean Zay jette les bases de ce qui sera l’ENA après guerre.

En 1937, Jean Zay rend public son projet de réforme du système éducatif. Il ne peut le mener totalement à bien, ne serait-ce qu’à cause de l’obstruction du Sénat, très réactionnaire à l’époque. Pour Jean Zay, une politique de gauche passe nécessairement par l’enseignement, ce qu’on appelait à l’époque l’instruction. Et aussi par la culture et les loisirs, donc par les congés payés.

Le projet du jeune ministre vise à unifier l’enseignement primaire en faisant disparaître les classes élémentaires des collèges et lycées et à améliorer la formation des enseignants. Il ne peut atteindre son objectif mais parvient néanmoins à faire passer des réformes non négligeables. Il multiplie les bourses pour les élèves du primaire, rend l’école obligatoire jusqu’à quatorze ans, ramène la date des vacances au 14 juillet (au lieu du 31), ce qui ne plait pas au monde paysan (la moitié de la France de l’époque), il limite les classes à trente-cinq élèves, crée des activités dirigées (TD, TP) pour les élèves de la sixième à la terminale, il invente les classes d’orientation, instaure l’éducation sportive obligatoire, il met en place l’ancêtre des CROUS. Sans parler de la construction de très nombreux établissements et la création de colonies de vacances.

Avec Irène Joliot-Curie, puis Jean Perrin (sous-secrétaires d’État à la recherche scientifique), il jette les bases du CNRS. Il crée la Réunion des Théâtres lyriques nationaux afin de gérer conjointement l’opéra Garnier et l’Opéra-Comique, et le Musée national des arts et traditions populaires. Enfin, il promeut la création du Festival de Cannes pour faire contrepoids à l’ingérence des pouvoirs fasciste et nazi au Festival de Venise (créé en 1932).

 

On comprend, par ce bref rappel, que Vichy traverse, travaille encore aujourd'hui le paysage politique français. Les miliciens n’assassinèrent pas tous les ministres du Front populaire. Certes, Jean Zay était juif (par son père, qui s’était d’ailleurs converti au catholicisme), mais, pour les fascistes français, il était surtout emblématique de cette valeur honnie par eux : l’instruction républicaine.

 

Et pendant ce temps-là (je fais du Bécaud sans m’en apercevoir), notre DRH se contente d’être l’envoyé spécial des Bettencourt au gouvernement.

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commentaires

B
Quand on y pense, ce n'est pas très étonnant que l'extrême droite soit chez elle dans un grand nombre d'entreprises (pas seulement chez L'Oréal !).<br /> <br /> En effet, les "entreprises", surtout les plus grandes d'entre elles (celles qu'on appelle chez les Anglo-Saxons les "corporations transnationales") sont des institutions foncièrement<br /> anti-démocratiques dans leur manière de fonctionner.<br /> <br /> Noam Chomsky dit à ce sujet que ce sont des "tyrannies privées" qui fonctionnent d'une manière "profondément totalitaire". (http://www.chomsky.fr/entretiens/guerre02.html) Bien que le vocabulaire<br /> choisi soit en l'occurrence un peu rude, je vois mal ce que l'on pourrait objecter à cela.
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O
Re bonjour ,<br /> je ne peux que vous conseiller d'aller visionner cette vidéo ou l'on s'aperçoit que chez les dior -l'oreal , meme combat!<br /> oups , j'allais oublier le grand père givenchy....et je viens d'apprendre qu'axa a indemnisé guerlain de plus de 300000 EUROS à cause de ça....trop fort!<br /> http://bellaciao.org/fr/spip.php?article114293#forum433843
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