Est-ce parce qu'elle a été formée dans des établissements religieux chics que la chanteuse Juliette Armanet a récemment fait preuve d'une telle intolérance, aux limites de l'hystérie, à l'encontre de Michel Sardou, sa chanson "Les Lacs du Connemara" en particulier ?
Michel Sardou est un très bon chanteur populaire, un peu plus qu'Armanet et depuis beaucoup plus longtemps. Globalement, il n'est pas ma tasse de thé en tant qu'artiste et en tant que citoyen. Je ne l'ai jamais rencontré et n'ai assisté à aucun de ses spectacles. Mais il se trouve qu'en 1974 nous avions un ami commun qui s'était soudainement trouvé dans une dèche l'ayant complètement déstabilisé. Sardou, qui avait 27 ans à l'époque, l'apprit et lui permit de payer toutes ses factures et au-delà. Il lui offrit même de le loger pour un temps dans un appartement qu'il possédait à Paris. J'avais apprécié.
La chanson de Sardou date du tout début des années 1980, avant la naissance d'Armanet qui a quelques difficultés à contextualiser. En 1981, le conflit irlandais est loin d'être terminé, et il ne l'est d'ailleurs toujours pas totalement aujourd'hui. Il n'est qu'à voir les murs qui continuent d'être construits dans les rues de villes principales et les défilés d'orangistes qui défient les populations catholiques.
Sardou et son co-auteur Delanoë, de droite comme lui, proposèrent alors ce texte :
Réaction, 40 ans plus tard, d'Armanet : "Ce texte me dégoûte, la musique est immonde, sectaire, c'est de droite, rien ne va."
L'ancienne journaliste d'Arte et de France Culture, des lieux où l'on cultive généralement la nuance, la chanteuse d'une des écuries Bolloré (Universal) n'y est pas allée de main morte.
Ayant séjourné à quelques reprises en Irlande, je peux dire que la musique, loin d'être "immonde" est ... "irlandaise". Le texte n'est pas sectaire, n'est pas de droite. Il se déploie avec élégance et efficacité. Il y a dans ces lignes toutes les tensions, les frustrations, les excès qui meurtrissent ce pays depuis des siècles, et particulièrement depuis 1919 et la Guerre d'Indépendance. Et puis, il ne faut assurément pas oublier que si nous sommes en présence d'une guerre de classes, pour simplifier : protestants = riches, catholiques = pauvres, nous sommes aussi dans une guerre de religion. Un Irlandais se définit en priorité par son protestantisme ou sa catholicité. J'ai connu deux ou trois athées ou agnostiques qui se disaient athées catholiques ou agnostiques protestants parce qu'ils étaient originaires de familles catholiques ou protestantes.
Je ne dirai pas que toute l'Irlande est dans cette chanson, mais enfin : on y trouve des lacs, des landes, des noms de ville et des patronymes bien de chez eux, des références historiques, les guerres de religion et d'indépendance, les deux Irlande.
Il est effectivement à souhaiter que les Irlandais fassent "la paix autour de la Croix". Le Connemara, c'est 30 000 personnes qui vivent chichement de l'élevage du mouton, n'en déplaise aux étudiants de HEC, de droite, dont c'est la chanson préférée quand ils sont en fêtes de fin d'année et en beuveries.