Dès lors, la popularité de Dylan est immense. Par lucidité, par crainte ( ?), il soupçonne la récupération, à gauche comme à droite. Il choisit alors d’être seul dans la foule, libre par rapport à l’engagement soudain – et on le sait désormais, qui ne durera pas – de toute une jeunesse, poète contre le militantisme politique.
En 1964, Dylan propose à son public The Times They Are a-Changing et Another Side of Bob Dylan, dans la continuation logique de Freewheeling. La voix est plus assurée, les mélodies plus recherchées mais le style n’a pas vraiment évolué : un troubadour solitaire exprime le monde tel qu’il le ressent. La chanson “ The Times They Are a-Changing ” est immédiatement politique. Vingt ans après sa création, Dylan dira qu’elle était engagée, et aussi influencée par les ballades écossaises ou irlandaises (« Come All Ye Bold Highway Men, Come All Ye Tender Hearted Maidens »). « J’ai voulu écrire une chanson forte », expliquera-t-il, avec des strophes courtes s’empilant les unes sur les autres de manière hypnotique :
Come senators congressmen
Please heed the call
Don’t stand in the doorway
Don’t block up the hall
Come mothers and fathers
Throughout the land
And don’t criticize
What you can’t understand
Your sons and your daughters
Are beyond your command
The line it is drawn
The curse it is cast
The slow one now
Will later be fast
As the present now
Will later be past
The order is rapidly changing
And the first one now
Will later be last
For the times they are a-changing
Approchez sénateurs députés
Faites attention on vous appelle
Ne restez pas dans la porte
Ne bloquez pas le passage
Approchez mères et pères
Dans tout le pays
Et ne critiquez pas
Ce que vous ne pouvez comprendre
Vos fils et vos filles vous ont échappé
La ligne est tracée
Le sort est jeté
Qui est lent aujourd’hui
Ira vite demain
Tout comme le présent
Sera bientôt le passé
L’ordre des choses change rapidement
Et le premier aujourd’hui
Sera le dernier demain
Car les temps sont en train de changer
Avec Another Side, le ton n’est plus tout à faite le même. Fini la protest song. Le disque ne contient aucune chanson politique mais des expériences vécues ou rêvées, aux limites du surréalisme. La chanson “ My Back Pages ” rejette tout idéal politique et exprime la désillusion de Dylan par rapport à la folk song contestataire. Avant, dit-il, il était « bien plus vieux ». Aujourd’hui, il se sent « plus jeune ». Dans ces deux disques, des chansons d’amour sourdent l’affliction et le désarroi sentimental d’un homme dont il est facile d’imaginer qu’il éprouve quelques difficultés dans sa relation aux femmes :
You say you’re looking for someone
Who’s never weak but always strong
To protect you and defend you
Someone to open each and every door
Who’ll pick you up each time you fall
A lover for your life and nothing more
But it ain’t me babe
No no no it ain’t me babe
Tu dis que tu cherches quelqu’un
Qui ne serait jamais faible mais toujours fort
Pour te protéger et te défendre
Quelqu’un qui t’ouvrirait toutes les portes
Qui te ramasserait chaque fois que tu tomberait
Un amant pour la vie et rien d’autre
Mais ce n’est pas moi ma chérie
Non non non ce n’est pas moi
Adieu la tendresse adolescente des chansons d’amour des deux premiers disques. Place aux débats adultes.