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20 novembre 2015 5 20 /11 /novembre /2015 06:38

    

Je publie ci-dessous un court texte de Michel Cornaton, rédigé le 25 août 2015.

 

Je connais Michel Cornaton depuis plus de trente ans. Sociologue, psychologue, Michel a enseigné aux universités d’Abidjan (où nous fûmes collègues et amis) et de Lyon 2. Sa vie durant, il aura été un chercheur inlassable et rigoureux. Il fut le premier – et l’un des rares – à dénoncer et à étudier de manière exhaustive les « camps de regroupements » en Algérie, l’un des grands scandales cachés de la IVe République finissante. Pendant la guerre d’Algérie, les autorités coloniales déracinèrent et concentrèrent de force au moins deux millions de personnes dans des camps faits pour durer.

 

En 1964, Bourdieu publia Le déracinement, une approche sociologique de ce scandale, où il forgea le concept de paysans « dépaysannés ». Mais sa guerre d’Algérie connut une part d’ombre évoquée ici.

 

Créé en 1955 sur le modèle indochinois le 5ème Bureau assimila la guerre d’Algérie à une croisade des temps nouveaux mettant aux prises l’Occident chrétien avec le communisme camouflé sous les couleurs de l’islam. La lutte devait être menée selon trois axes : le soutien moral des troupes, l’action sur les populations musulmanes rurales, la démoralisation des bandes rebelles par des actions chocs. Le 25 décembre 1955 paraît le n°1 de Bled, journal de propagande de l’armée. Peu après la semaine des barricades à Alger, le 5 février 1960, à la surprise générale, le nouveau ministre des armées, Pierre Messmer, avait dissous à tous les échelons le 5ème Bureau d’Action psychologique dès son entrée en fonction. Il le considérait en effet comme un « véritable Etat dans l’armée » et avait fait de sa dissolution une priorité absolue.

 

Cinq décennies plus tard, l’ouverture au public des archives de la guerre d’Algérie réserve d’autres surprises, en particulier la révélation du rôle de Pierre Bourdieu, le futur sociologue, au Comité central d’action psychologique du Gouvernement général à Alger. En déplorant leur « peu d’informations » sur sa période militaire (1955-1957), sans plus d’investigations ses biographes et hagiographes se sont contenté de donner crédit aux quelques lignes de son « auto-analyse » posthume dans laquelle il se présente comme un deuxième classe dépourvu de toute responsabilité jusqu’aux « derniers mois » du service militaire. Or, selon le compte rendu officiel du Comité central d’action psychologique sa présence est mentionnée dès le 18 septembre 1956, non pas à titre de petit « employé aux écritures » mais d’ « assistant de M. Gorlin », le directeur de l’information. La réunion est présidée ce jour par Lucien Paye, le futur ministre de l’Education nationale de Michel Debré. Bourdieu siège à chacune des réunions du Comité, aux côtés du colonel parachutiste Ducourneau, un parent béarnais auquel il doit son détachement auprès du Gouverneur général de l’Algérie, Robert Lacoste. Au fil des mois il va monter en grade au point d’être pleinement intégré au Comité d’action psychologique, dont l’importance grandira au cours de l’année 1957. Pour mieux se rendre compte de l’influence croissante de Bourdieu dans l’Action psychologique il suffit de se référer à la conclusion de la réunion du 13 mars 1957. « M. Bourdieu propose la mise au point, en commun avec le Service psychologique de l’armée, d’une brochure indiquant les méthodes et les techniques de l’information, faisant le point d’un certain nombre de thèmes permanents de propagande se référant à l’œuvre de la France dans ses territoires africains. Ce qui faciliterait l’orientation et les actions locales des autorités et leur permettrait d’adapter à ces vues communes les circonstances quotidiennes. »

 

Pierre Bourdieu propagandiste de l’Armée ? Qui l’eût cru ? En attendant la publication de cette « brochure », précise-t-il dans son Esquisse pour une auto-analyse, il entreprend « d’écrire un petit livre, un Que sais-je ? », dans lequel il essaiera de « dire aux Français, surtout de gauche », ce qu’est l’Algérie. Vingt ans après l’appel de Londres du 18 juin 1940, en pleine guerre d’Algérie, il s’adresse d’Alger aux « Français, de gauche » pour leur parler… des mœurs et coutumes kabyles, dans le même temps où il est devenu la plume de Lacoste ! Bourdieu fait son entrée sur la scène de l’histoire. En 1961, suite au putsch avorté, de nombreux cadres du 5ème Bureau rejoignirent le noyau dur de l’OAS. A l’occasion de leur procès ils évoquèrent les cours d’action psychologique. Leurs témoignages contribuèrent à déconsidérer un peu plus l’emploi de l’arme psychologique à l’intérieur des forces armées, si bien qu’à partir de 1963 la psychologie fut retirée des programmes d’enseignement militaire supérieur.

 

 

Un chercheur franco-algérien, qui a relu ce texte, propose l’analyse et les précisions suivantes :

 

"En 1961......supérieur" pourrait également laisser entendre que Bourdieu aurait eu une collusion avec l'OAS. Or, Bourdieu à mon sens est dans les petits souliers des Gaullistes, c'est l'homme ou plutôt l'intellectuel organique (rôle qu'il tient au service du groupe dominant) du plan de Constantine. Il est l'expert qui domine alors, après la mise au ban de Jean Servier [ethnologue favorable à l’Algérie Française]. Bourdieu fait non pas de l'ethnologie mais bien un exercice de sociologie en collectant de l'information très précieuse dans les camps de regroupements pour préparer le Plan de Constantine et notamment ses déclinaisons en Métropole. Autre chose aussi : Pierre Bourdieu […] a construit son parcours de manière souveraine en faisant en sorte qu'aucune instante supérieure à lui ne puisse exister. Ce fut le cas pour sa revue Actes de la recherche en sciences sociales où il n' y avait aucun comité de lecture ou de rédaction, ce fut le cas également, selon moi, par son refus de réaliser une thèse de doctorat ; il ne voulait surtout pas de jury !!!. Seule exception : son audition pour l'entrée au Collège de France.

 

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commentaires

C
Moui. Ceux qui ont fait leur service savent ce qu'il en est du blabla et du pipeau qu'on sert pour avoir la paix. Bonjour la part d'ombre.
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