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15 juin 2017 4 15 /06 /juin /2017 05:41

Je propose de larges extraits d’un article de Marjolaine Koch sur le crédit d’impôt recherche.

 

En 1983, le Crédit d'Impôt Recherche est créé pour soutenir les entreprises innovantes qui investissent dans la recherche, et développer l’emploi. En 2008, le gouvernement de François Fillon le modifie pour permettre à plus d’entreprises d’en bénéficier. Pourtant, ce crédit d’impôt pose de sérieuses questions. Presque 10 ans après le lancement de la nouvelle formule, son impact réel reste opaque. Pourtant, lorsque des sénateurs tentent d'en savoir plus, les portes se ferment les unes après les autres. Plusieurs rapports publiés par des chercheurs et des économistes ont tenté, en vain, d'alerter sur le sujet.

 

En 2015, la sénatrice communiste Brigitte Gonthier-Maurin a voulu mettre en place une commission d'enquête sur l’utilisation du Crédit Impôt Recherche :

 

"Cette commission a connu moult péripéties. Pour sa mise en place, sur une période de 6 mois, un mois a été perdu en tergiversations sur l'intitulé de la commission d'enquête. Le rapport n'a pas été adopté par la commission. Je n'ai pas pu aboutir à un vote qui permette la publication du rapport."

 

Résultat : six mois de travail envoyé aux oubliettes, même si le rapport officieux de Brigitte Gonthier-Maurin est toujours disponible en ligne toujours disponible en ligne. Pourquoi est-il si difficile de poser des questions sur ce crédit d'impôt ? Parce qu'il fait l'objet de nombreuses dérives.

 

1. Les dérives du Crédit d'Impôt Recherche

  • Le crédit d'impôt devient une priorité

 

Quel qu’en soit le coût, la consigne envoyée au sommet de l’Etat est de ne pas toucher au Crédit Impôt Recherche. Or, en 2013, la publication d’un rapport de la Cour des comptes montre que ce coût a explosé. Ce rapport stipule qu'entre 2007 et 2011 "le nombre d'entreprises déclarant du crédit impôt recherche a doublé, passant de 9800 à 17900 entreprises. (…) Leurs créances fiscales et passées de 1,8 millions à 5,7 millions €, soit un quasi-triplement. Cette dynamique a été mal anticipée et constamment sous-estimée dans les lois de finances".

 

Si ces chiffres augmentent, c'est parce qu’il n’y a pas de plafond au niveau national : toute entreprise pouvant prétendre au CIR le touche automatiquement. Et plus il y a de dépenses de recherche justifiées, plus les impôts sont faibles. Cette parade est financièrement très intéressante pour une entreprise : toute prestation facturée par un laboratoire public ou agréé, est déductible des impôts pour le double de son montant. Quand une entreprise facture 100€ à un laboratoire extérieur, elle en déduit 200€.

 

Problème : avec cette nécessité de récupérer de l’argent, les chercheurs deviennent des chargés d’affaires. Le cas de Simone Cassette, ex chercheur CGT chez Thalès, illustre bien le fait que le CIR, qui lui a permis de sauver son laboratoire, s'obtient parfois avec une contrepartie :

 

"La contrepartie a été de transformer les chercheurs en ingénieurs d'affaires. On est plutôt là pour rechercher des sous-traitances de la recherche et multiplier les financements. On nous demande de rechercher des laboratoires qui sont intéressants, pour pouvoir travailler avec eux".

 

Ces salariés passent plus de temps qu’avant à démarcher des laboratoires extérieurs ou des start-up. Selon les chiffres fournis par le ministère de la recherche :

 

  • en 2005 : 85% des chercheurs consacraient 100% de leur temps à faire de la recherche et du développement
  • en 2013 : ils étaient moins de 60%
  • De faux rapports pour de vraies subventions
  •  

 

Dans les faits, une véritable industrie de la triche s’est mise en place, à l'intérieur même des entreprises. Patrick, ex-salarié d’une société bénéficiaire du CIR basée à Sophia Antipolis (Alpes-Maritimes), raconte qu'on lui a explicitement demandé de rédiger un faux rapport :

 

"On prenait des articles existants en anglais qui avaient un lien avec notre domaine de travail. On les traduisait en français et on les triturait pour qu'ils ne ressemblent pas trop à l'original. Avec le secret des affaires, ça avait du sens de dire que c'était des articles qu'on faisait pour nous-mêmes, sans les publier. J'ai fait un rapport et je leur ai dit que j'avais un goût de merde dans la bouche, que je ne voulais plus en faire".

 

Ces magouilles peuvent rapporter gros. La majorité des cabinets de conseil se rémunèrent en exigeant un pourcentage du crédit d’impôt décroché par l’entreprise. Il est impossible de connaitre le nombre d'entreprises qui trichent. Mais nous savons que beaucoup intègrent, dans le calcul du CIR, des dépenses qui n’ont aucun lien avec lui. Pour l’économiste Dominique Plihon, professeur à l’université Paris XIII et membre des Économistes atterrés, cette pratique prolifère considérablement :

 

"Je crois que 40% des dépenses déclarées par les entreprises pour être exonérées et profiter du CIR n'ont pas de rapport direct avec la recherche et le développement. Ce sont plutôt des dépenses commerciales et administratives."

 

2. Comment éviter ces dérives ?

 

  • Des contrôles épars

Si des contrôles existent et pourraient ralentir le développement des fraudes, ils s'organisent difficilement. Ils sont réalisés par deux ministères distincts :

 

  • Le ministère des finances pour la partie comptable,
  • Le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche pour la réalité de la recherche.
  •  

 

  • Des contrôles rares
  •  

Finalement, peu de contrôles sont effectués. Anne Guyot-Welker, secrétaire générale de Solidaires Finances Publiques (son rapport sur le CIR accessible ici), le principal syndicat des impôts, explique pourquoi il serait difficile de les multiplier :

 

"Les vérificateurs ont des objectifs : 12 à 13 vérifications par an. Pour certains axes de recherche, on sait qu'on ne part pas pour 3 mois dans une entreprise mais pour beaucoup plus longtemps. Il nous faut de tels moyens derrière que, côté contrôle fiscale, c'est compliqué de vérifier le fondement de ce CIR".

 

En 2016, le ministère de la recherche a reçu 975 demandes d’expertises pour près de 24 000 entreprises déclarant du CIR, ce qui représente 4 à 4,5% d’entreprises contrôlées. Et lorsqu'elles se font contrôler, les entreprises qui trichent peuvent encore passer entre les mailles du filet : une très grande majorité de ces contrôles a lieu sans qu’aucun expert ne se déplace. L'entreprise remplit elle-même le dossier de contrôle. Patricia Egard, qui a lancé en 2011 sa start-up Ideas Voice, une entreprise française qui aide les Start up à se développer, peut en témoigner :

 

"Je rencontre le contrôleur fiscal, il m'a donné un dossier justificatif de mes travaux de recherche et de développement, donc il a fallu que je décrive tous mes travaux en suivant ces plans. Ensuite, on ne sait pas où ça part, on le donne au contrôleur et il va faire appel au ministère de la recherche et du développement. Et s'ils ne sont pas d'accord, on a des nouvelles. C'est très difficile d'avoir des conversations avec eux, ils s'appuient que sur l'écrit".

 

Résultat : c’est un manque à gagner pour le fisc, puisqu’il récupère autour de 200 millions d’euros de redressement par an en ne contrôlant que 4% des entreprises. On peut donc penser que l’Etat pourrait récupérer bien plus d'argent s’il contrôlait plus d'entreprises.

 

Le crédit d'impôt recherche : une niche fiscale hors de contrôle

3. L'impact du CIR sur les emplois de la recherche

 

Un groupe de chercheurs a étudié les chiffres mis à disposition par le gouvernement. Parmi eux, François Métivier, chercheur à l’Institut Physique du Globe de Paris et membre de l’association Sciences en marche (rapport sur le CIR à lire ici), fait un constat sans appel :

"A l'échelle de l'ensemble des entreprises françaises, si on prend la totalité de la créance, qu'on regarde l'évolution du coût pour l'Etat, et qu'on le compare aux emplois nouveaux créés en recherche et développement, on constate qu'il n'y a aucune corrélation. On voit qu'en proportion, il y a une augmentation à peine décelable : sur l'ensemble des entreprises qui demande une créance d'impôt au titre d'un emploi des jeunes docteurs, on reste aux alentours de 8% des entreprises qui déclarent".

 

La proportion d'emploi de jeunes doctorants en recherche et développement a même baissé :

  • en 1997 : 15%
  • en 2011 : 12%

 

 

"L’effet kleenex"

 

Autre pratique que permet ce système : engager un jeune doctorant en premier emploi, décrocher le bonus pendant les deux premières années, puis s’en séparer avant qu’il ne coûte de l’argent.

 

Le chercheur François Métivier a observé cette pratique dans une petite entreprise de deux employés, où un jeune docteur a été licencié après sa période d'essai de 4 mois. Dans ce cas précis, non seulement le salaire du jeune doctorant peut être déduit de 120% les deux premières années, mais en plus, s'il est envoyé dans un laboratoire extérieur, son hébergement peut être facturé le double de son prix réel. Quand l’entreprise dépense 200€ pour le chercheur et le laboratoire, elle peut donc déclarer 320€ au titre du CIR.

 

  • Des chercheurs transférés à l'étranger
  •  

Certaines grandes entreprises développent des brevets grâce à l’argent du CIR. Mais lorsque ces brevets rapportent, elles peuvent déménager à l’étranger pour les exploiter. C’est ce qu’a constaté la sénatrice Brigitte Gonthier-Maurin dans sa propre circonscription :

"Des salariés de Schlumberger Clamart sont confrontés à un deuxième plan dit de sauvegarde de l'emploi. Mais en réalité, Schlumberger est en train de liquider une grosse partie de ces chercheurs pour les transférer aux EU. Nous craignons donc la mobilisation de fonds public aveugle, sans exigence réelle de résultat en terme de progression des dépenses de recherche, et d'impact sur l'emploi scientifique et notamment des jeunes docteurs."

 

  • Paradis fiscal
  •  

Nous l'avons vu, grâce au Crédit d’impôt recherche, une entreprise peut payer moins d’impôts en France. Mais elle peut aussi transférer le gain de ce crédit en payant une fausse licence dans un paradis fiscal. La secrétaire générale de Solidaires Finances publiques, Anne Guyot-Welke, explique cette astuce complexe :

"Il y a souvent un mécanisme d'optimisation fiscale : l'entreprise initiale fait une dépense de recherche sauf qu'elle va vendre son brevet, souvent à l'intérieur d'une même filiale qui est dans un paradis fiscal. Du coup, l'entreprise paie moins d'impôt sur les sociétés. Beaucoup l'utilisent comme un moyen de payer moins d'impôt sur les sociétés en France."

 

4. Pourquoi ce système perdure-t-il ?

 

  • Un appât pour des investisseurs étrangers

En promettant qu'il n’y toucherait pas sur la durée de son quinquennat, François Hollande a sanctuarisé le Crédit d’Impôt Recherche. Il réitérait d'ailleurs cette volonté le 18 janvier 2016 :

 

"L'effort de recherche est essentiel et je confirme que le Crédit Impôt Recherche sera pérennisé dans ses formes actuelles, et que la recherche publique sera dotée de nouveaux moyens pour garder nos talents et en attirer d'autres venant de l'extérieur".

 

D'après l’économiste Dominique Plihon, le Président considère que ce crédit d’impôt est un instrument indispensable pour attirer des investisseurs étrangers en France :

 

"Les gouvernements successifs défendent cette aide parce que c'est un facteur d'attractivité du territoire. Ils pensent que les investisseurs internationaux viendront en France s'ils savent que les conditions fiscales sont favorables. On dit souvent que le niveau d'imposition en France est important mais on dit "attention, il y a des niches fiscales importantes". Donc les pouvoirs publics croient bien faire, mais ces aides n'ont pas un impact significatif et démontré sur la compétitivité par rapport à la concurrence étrangère."

 

  • Entre suppressions d'emplois et projets aboutis
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La fermeture de tous les centres de recherche en France semble donner raison à Dominique Plihon :

 

  • Intel : 750 emplois supprimés
  • Centre d'innovation d'Airbus à Suresnes (région parisienne) : presque un millier d’emplois supprimés
  •  

D’un côté, cette niche fiscale a donc engendré des dérives, mais de l’autre, si elle n’existait pas, c’est peut-être tout un pan de l’innovation française qui s’effondrerait.

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