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9 décembre 2022 5 09 /12 /décembre /2022 06:01

On évoque de possibles coupures d'électricité dans les prochains mois. Le boy de Rotschild entretient l'inquiétude en restant dans le flou. Pas d'électricité quand il fait froid, je ne connais pas, mais cela ne doit pas être drôle. En revanche, j'ai bien connu l'absence d'électricité quand il fait chaud. Ce n'était pas drôle non plus.

 

Vers 1983, la situation en Côte d’Ivoire commença à se dégrader. Le cours des matières premières (café, cacao) ayant chuté, le pays s’endetta et fit de moins en moins face à ses échéances. Pour les expatriés, la situation demeurait stable, si ce n’est qu’ils étaient désormais au beau milieu d’un peuple qui n’y croyait plus. Les Ivoiriens eurent la grande sagesse de ne pas nous considérer, nous les étrangers, comme des boucs émissaires. Mais les dernières années furent plus moroses que les premières. Nos collègues ivoiriens avaient vu leurs salaires bloqués, au point de devoir exercer des métiers d’appoint (directeur des études dans des institutions privées, entrepreneurs, planteurs etc.) aux dépens de leurs travaux d’universitaires.

 

En 1984, il y eut une pénurie d’électricité qui dura trois mois. Située dans la zone tropicale humide, la Côte d’Ivoire recevait bon an mal an entre 1500 et 2000 millimètres d’eau par an (700 pour la France). Des barrages et des centrales hydrothermiques avaient donc été construits, fournissant la quasi-totalité des besoins en électricité. Une année, il ne plut pas. Les responsables alertèrent le président de la République Houphouët-Boigny et lui demandèrent la permission de réduire la distribution. Réponse du “ vieux sage [ben voyons] de Yamoussoukro ” : « En Côte d’Ivoire, on ne coupe pas l’électricité ». Moralité, le 3 janvier, tout s’arrêta pendant des heures. Des gens furent bloqués dans des ascenseurs, le plastique et le métal se solidifièrent dans les usines, la viande pourrit dans les chambres froides des grossistes et des détaillants.

 

Des semaines durant, nous vécûmes avec une demi-heure de courant par jour. J'habitais une tour d’une dizaine d’étages. J'avais la chance d’être au premier car, à partir du quatrième, l’eau n’arrivait plus puisque les pompes censées la propulser fonctionnaient évidemment à l’électricité. J'avais collé du ruban adhésif sur la porte du frigo pour ne pas l’ouvrir à mauvais escient. À la Fac, les partiels se tenaient, comme d’habitude dans des amphis souterrains, sans électricité (les étudiants avaient apporté des lampes de poche), sans climatisation, donc dans une chaleur humide indescriptible. Le stoïcisme des étudiants fut extraordinaire.

 

Les commerçants libanais avaient importé de Chine des mini-ventilateurs portables à pile permettant aux élèves de s’aérer quelque peu. Les Japonais, quant à eux, avaient envoyé des dizaines de groupes électrogènes qui faisaient un boucan d’enfer jour et nuit. J’avais, en cette circonstance, engueulé l’attaché commercial de l’ambassade de France car je savais que Renault fabriquait ce type de produit. Ce monsieur, vraisemblablement payé à ne pas faire grand chose, n’avait pas percuté et alerté notre grande entreprise ­– à l’époque – nationale. Après six semaines de ce régime, nous étions épuisés. Les gens râlaient tant et plus car ils savaient que la patinoire de l’Hôtel Ivoire (une patinoire sous les tropiques où les bourgeoises se rendaient en manteau de fourrure !) avait fonctionné jusqu’au dernier moment. Pour donner un ordre de grandeur, cette patinoire consommait autant d’électricité que le Burkina Faso, pays voisin, peuplé de cinq millions d’habitants à l’époque. Nous fûmes d’autant plus furieux qu’un soir, alors que la ville était, comme d’habitude, plongée dans le noir absolu, le stade Houphouët-Boigny (situé près du Pont Houphouët-Boigny) brilla de mille projecteurs : l’équipe ivoirienne de football rencontrait celle du Ghana, pays limitrophe, nettement plus pauvre, et il n’était pas question d’annuler le match ou de le jouer dans le noir.

 

Au bout de trois mois, Houphouët se résolut à acheter (ou louer) à une entreprise française une centrale à gaz qui redonna du courant à tout le pays. J’avais un peu moins souffert que ma femme et mes enfants de cette épreuve car je m’étais rendu une quinzaine de jours en France, en plein février, pour participer à un colloque et donner quelques conférences sur George Orwell, dont un des romans était au programme des concours de recrutement. Jamais de ma vie, je n’ai autant apprécié le froid.

 

Couper l'électricité
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