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7 juin 2023 3 07 /06 /juin /2023 04:46

Ceci est bien connu des gens de ma génération. Mais ce blog compte aussi des lecteurs jeunes qui n'imaginent pas à quel point Chevalier fut avant, pendant et après la guerre, une grande vedette internationale, dans la chanson et le cinéma.

 

De la drôle de guerre à l’heure de la victoire, Maurice Chevalier se sera comporté en caméléon. Opportuniste, cherchant à tout instant d’où tournait le vent politique, il suit toutes les modes en en tirant le meilleur profit artistique. Dans la période de tous les dangers consécutive aux accords de Munich, Chevalier jouit de l’extraordinaire succès d’une chanson de 1936, insouciante et passablement vulgaire, apologie d’une oisiveté faubourienne, “ Ma Pomme ” (“ J’suis plus heureux qu’un roi ”). Il est, depuis le début des années vingt, une vedette internationale (il a tourné une quarantaine de films aux Etats-Unis), et il personnifie le brassage social qu’a occasionné la grande guerre : “ titi ” parisien originaire du quartier populaire de Ménilmontant, il s’est composé une silhouette élégante d’homme du monde (nœud papillon, costume impeccable). Mais son fameux canotier, qu’il porte sur le côté, connote le voyou qu’il a peut-être été dans sa jeunesse et rappelle le proxénète de sa chanson “ Prosper ”. L’image du prolo en smoking, parfaitement insouciant (il chante : « Dans la vie faut pas s’en faire » dans l’opérette Dédé) s’est donc imposée très facilement.

 

En 1939, il prône l’union sacrée dans “ Et tout ça, ça fait d’excellents français ”, une chanson au rythme entraînant, militaire, mais qui dépeint une société souffreteuse, contrainte de faire la guerre. Pendant la drôle de guerre, le président du Conseil Paul Reynaud assure que « nous vaincrons parce que nous sommes les plus forts », et la bourse tient bon. De même que l’armée, prête et formidable, et qui, théoriquement, n’allait pas se risquer à de simples escarmouches. L’un des plus grands succès de l’hiver est une chanson que Maurice Chevalier interprète au Casino de Paris, dépeignant l’armée comme le reflet de la société :

 

Avec une telle armée, la mobilisation eut tôt fait de tourner à l’immobilisation générale. Une chanson reflétant le fait que 5 millions d’hommes avaient été rappelés – un quart de la population masculine – dont la plupart n’avait plus rien à faire après 5 heures de l’après-midi, et pas grand-chose le reste de la journée. Chaque soldat avait droit à trois-quarts de litres de vin par jour. Pour tous ces hommes, la Pologne ne représentait rien et combattre pour la démocratie n’avait guère plus de sens. Ils se bornaient à accomplir leur devoir en espérant regagner leur foyer au plus vite. Chevalier dresse une typologie très partielle de la société française, composée à ses yeux de gens qui travaillent dans la finance, l’assurance, l’industrie, la Banque de France et la rente. Les paysans et les ou­vriers qui constituent alors 80% de la population française sont donc exclus du tableau. Tous ces braves gens « marchent au pas », mais sont affectés de maladies ridicules, albumine, pilore atrophié, ganglions, coliques néphrétiques, cors aux pieds. La chanson présente donc une armée vouée à la défaite mais qui saura se transcender grâce aux deux potions magiques que le monde entier envie aux Français : « le pinard et le tabac ». Cette chanson envoie donc un double message contradictoire : les Français ont réappris à marcher au pas et sont prêts à se battre, mais l’ensemble des appelés n’est qu’une cohorte de quadragénaires déglingués qui, de toute façon, « désirent tous désormais qu’on [leur] foutent une bonne fois la paix ». Bref, si Hitler écoute attentivement, il n’a guère de souci à se faire.

 

Le colonel était d’Action française,

Le commandant était un modéré,

Le capitaine était pour le diocèse,

Et le lieutenant boulottait du curé.

Le juteux était un fervent socialiste,

Le sergent un extrémiste [à noter, pas « communiste »] convaincu,

Le caporal inscrit sur toutes les listes

Et l’deuxième class’ au PMU.

 

Le colonel avait de l’albumine,

Le commandant souffrait du gros côlon,

Le capitaine avait bien mauvaise mine,

Et le lieutenant avait des ganglions.

Le juteux avait des coliques néphrétiques,

Le sergent avait le pylore atrophié,

Le caporal un coryza chronique,

Et l’deuxième class’ des corps aux pieds.

 

Et tout ça, ça fait

D’excellents Français,

D’excellents soldats

Qui marchent au pas.

 

 

Avec une telle armée, la mobilisation eut tôt fait de tourner à l’immobilisation générale. Une chanson reflétant le fait que 5 millions d’hommes avaient été rappelés – un quart de la population masculine – dont la plupart n’avait plus rien à faire après 5 heures de l’après-midi, et pas grand-chose le reste de la journée. Chaque soldat avait droit à trois-quarts de litres de vin par jour. Pour tous ces hommes, la Pologne ne représentaient rien et combattre pour la démocratie n’avait guère plus de sens. Ils se bornaient à accomplir leur devoir en espérant regagner leur foyer au plus vite. Chevalier dresse une typologie très partielle de la société française, composée à ses yeux de gens qui travaillent dans la finance, l’assurance, l’industrie, la Banque de France et la rente. Les paysans et les ou­vriers qui constituent alors 80% de la population française sont donc exclus du tableau. Tous ces braves gens « marchent au pas », mais sont affectés de maladies ridicules, albumine, pilore atrophié, ganglions, coliques néphrétiques, cors aux pieds. La chanson présente donc une armée vouée à la défaite mais qui saura se transcender grâce aux deux potions magiques que le monde entier envie aux Français : « le pinard et le tabac ». Cette chanson envoie donc un double message contradictoire : les Français ont réappris à marcher au pas et sont prêts à se battre, mais l’ensemble des appelés n’est qu’une cohorte de quadragénaires déglingués qui, de toute façon, « désirent tous désormais qu’on [leur] foutent une bonne fois la paix ». Bref, si Hitler écoute attentivement, il n’a guère de souci à se faire.

 

L’article 18 de l’armistice contraignait la France à payer 20 millions de marks par jour au titre des frais d’occupation de l’armée allemande. De nombreuses usines travaillaient directement pour Berlin. Les soldats allemands consommaient une bonne partie de la production alimentaire française (les tickets de rationnement donnaient droit à l’équivalent de 1500 calories par jour). C’est dans ce contexte de pénurie sans précédent que Maurice Chevalier crée en pleine guerre “ La symphonie des semelles en bois ”, une chanson qui légitime le pillage du pays. Il poétise l’inconfort pédestre auquel les femmes sont désormais condamnées :

 

J’aime le tap-tap

Des semelles en bois

En marchant les midinettes

Semblent faire des claquettes

Tap-tap la symphonie

Des beaux jours moins vernis

 

Et il termine même sur une touche franchement érotique : « Ah, qu’c’est bon ! ».

 

La passivité, la complaisance de Chevalier déplaisent souverainement aux Français de Londres. En février 1944, Pierre Dac décrète qu’il sera « puni selon la gravité de ses fautes » : « Quand, un jour prochain, nous leur ferons avaler leur bulletin de naissance, il est infiniment probable que la rigolade changera de camp et que, cette fois, il n’y aura pas de mou dans la corde à nœud » (Pierre Dac. Un Français libre à Londres en guerre. Paris : France-Empire, 1972). Chevalier se demande alors s’il ne risque pas d’être condamné à mort (Maurice Chevalier. Ma route et mes chansons. Paris : Julliard, 1946). Il se cache en Dordogne (le Périgord étant son Sigmaringen), où les maquis sont très actifs. Il est arrêté, puis libéré grâce à sa compagne juive, Nita, qui l’emmène à Toulouse, la ville la plus “ rouge ” de France à ce moment-là : « On s’y serait cru dans une ville espagnole pendant la guerre civile. Les rues étaient pleines de soldats en uniformes plus ou moins réguliers. Des jeunes femmes en mantilles priaient dans les églises ; dans les cafés et dans les bureaux de la radio, les intellectuels parlaient de Paris, ville réactionnaire » (Jean Hugo. Le Regard de la mémoire. Arles : Actes Sud, 1984). Chevalier en réchappera grâce, entre autres, à l’intervention de Louis Aragon. Il aura été jusqu’au bout un chanteur de consensus, inscrivant systématiquement ses chansons dans les normes dominantes, servant de caution populaire à l’ordre en vigueur.

 

Maurice Chevalier avait combattu pendant la Première Guerre mondiale. Il avait été blessé et fait prisonnier.

 

Au début de la Seconde Guerre mondiale, il s'était réfugié en Dordogne. Il fut accusé de collaboration, condamné à mort par contumace par le tribunal d'Alger. Il aurait dû être fusillé le 6 juin 1944.

 

Maurice Chevalier pendant la Deuxième Guerre mondiale
Maurice Chevalier pendant la Deuxième Guerre mondiale
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commentaires

A
On connaît tous l'histoire d' Arletty. Nous l'avons entendue 100 fois, le film en plus et surtout son fameux "Mon coeur est français, mais mon cul est international".<br /> Du coup par un renversement des valeurs les antifascistes deviennent des tortionnaires et les collaborationnistes des victimes. Cette opinion est aggravée par une réalité indiscutable, celle qui a été démontrée selon laquelle il n'y avait pas chez les résistants que des hommes ou des femmes sans défaut et dont certains étaient particulièrement condamnables. Mais une chose est certaine c'est que chez les collaborationnistes tous et toutes sans exception sont condamnables. Ainsi il m'est difficile de ne pas rapprocher le doux bonheur amoureux d'Arletty et les millions d'individus qui au même moment subissaient les violences et les crimes fascistes. Je pense en particulier à Hélène Berr puisqu'il s'agit ici de comparer une situation individuelle à une autre. Il est impossible dans de pareilles situations de faire comme on dit la part des choses. <br /> Je terminerai en reprenant un commentaire d'un article d'Arrêt sur image à propos de la phrase de Macron adressée à E. Borne "Vous n'arriverez pas à faire croire à des millions de Français qui ont voté pour l'extrême-droite que ce sont des fascistes" . Le commentaire est le suivant : Cette phrase est absolument criminelle. Comme si les fascistes n'avaient jamais été suivis par des millions de personnes, malheureusement ! " <br /> Ha ! Cette fameuse banalisation du mal !<br /> D'ailleurs à propos du Bien et du Mal un article que je trouve très intéressant et instructif : https://lmsi.net/Plaidoyer-pour-les-bons-sentiments
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