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14 avril 2024 7 14 /04 /avril /2024 05:01

Il y a trois sortes de statut dans l’université : « celui des titulaires, celui des contractuels et celui des vacataires.

 

Dans l’Éducation nationale, seul l’enseignement supérieur utilise autant de vacataires. L’utilisation des vacataires frôle l’illégalité et est l’expression de la désorganisation, pour ne pas parler d’anomie et de détraquement de tout un système.

 

Á l’origine, l’utilisation des vacataires partait d’un bon sentiment : il s’agissait de faire intervenir, pour une période donnée des professionnels de divers secteurs (économie, magistrature, enseignement secondaire) dans l’université afin d’assurer une aide spécifique. Á titre d’exemple, lorsque j’étais en première année de licence d’anglais à l’université d’Amiens, le cours de français, qui portait sur Proust était donné par un proviseur de lycée. Il était l’un des rares, dans la capitale picarde, à pouvoir donner un cours de bon niveau sur La Recherche. Ce proviseur dispensait une heure hebdomadaire que ne pouvaient assurer des fonctionnaires ou des contractuels. S’il avait dû se contenter de cela pour vivre, il aurait eu du mal à nourrir sa petite famille.

 

Le vacataire ne relève pas de la grille indiciaire de la fonction publique. Il ne perçoit pas d’indemnité de résidence ni de supplément familial de traitement. Il peut avoir droit au remboursement partiel de ses frais de transport entre son domicile et son lieu de travail, ce qui n’était pas le cas quand j’étais étudiant.

 

Les vacataires touchent en moyenne 40 euros de l’heure (cela va de 38 à 51 euros). Ce tarif n’a pratiquement pas bougé depuis 50 ans. Si l’on considère qu’une heure de cours demande une préparation de deux heures de travail, nous sommes largement au niveau du smic horaire (9,23 euros), à ceci près que le smicard perçoit des congés payés et qu’il n’est pas rémunéré uniquement après chaque intervention (pour mémoire, le smic horaire est actuellement à 10,15 euros). Le 23 février 2020, Libération racontait l’expérience – limite mais possible – d’une jeune enseignante : « Elle a été vacataire pendant sa thèse à Montpellier [agrégée mais refusant son poste le temps de finir sa thèse], et se souvient des heures de travail à rallonge, non rémunérées : “ J'avais dû préparer un concours blanc d'agrégation. L'écriture m'a pris une semaine, la surveillance sept heures, la correction huit heures. Et j'ai été payée uniquement pour une heure de cours ”. »

 

On pourra comparer cette misère avec une heure de main-d’œuvre chez un garagiste (de 70 à 127 euros) ou d’un électricien (75 euros hors TVA).

 

Et pourtant, l’enseignement supérieur français est – théoriquement – chose sérieuse.

 

L’enseignant statutaire est un chercheur qualifié qui a comparu devant ses pairs à plusieurs reprises pour obtenir les diplômes et les grades nécessaires à l’exercice de son métier. Il jouit d’un statut pérenne pour pouvoir se consacrer, l’esprit libre, à sa tâche. Et, jusqu’à peu, il jouissait encore pleinement des libertés universitaires, en ayant la maîtrise de son enseignement et de sa recherche, dans le respect, évidemment des intérêts et des exigences du groupe auquel il appartient. En 1965, l’astrophysicien hors pair canadien s’installe en France. Un jour de 1981, Bernard Pivot lui demande, sur le plateau de son émission de télévision, pourquoi il a quitté le Canada. Il réponde que, certes, son salaire est nettement moindre en Europe mais qu’il bénéficie en France d’un bien sans prix : la liberté scientifique. Cet aller sans retour, aujourd’hui, surprendrait à l’extrême, l’université française n’ayant aujourd’hui ni le beurre ni l’argent du beurre…

 

De 1998 à 2021, le nombre d’étudiants a progressé de 900 000 à 2 970 000. On n’oubliera pas la raison anecdotique de la réussite exceptionnelle au baccalauréat de 2020. Il n’en reste pas moins que la courbe de croissance est constante (695 000 en 1968). Á ceci près qu’en 2022-2023, pour la première fois depuis 2007, les effectifs ont baissé de 1,5%. Pour répondre à cette croissance, il aurait fallu créer de très nombreux postes de titulaires, comme cela avait été le cas, dans les années cinquante et soixante, dans les enseignements primaire et secondaire. Comme la réponse à ce défi fut insuffisante, comme le sous-financement est devenu chronique, l’université a dû recruter toujours plus d’agents publics précaires, contractuels et vacataires. En 2019, l’enseignement supérieur comptait 130 000 chargés de cours (plus de 30% en sept ans). Ce qui signifie que l’université ne fait plus appel aux chargés de cours de manière ponctuelle mais de manière naturelle. Avec certains responsables poussant la perversité à demander à des docteurs sans poste de se déclarer autoentrepreneurs pour être embauchés comme vacataires. Parfois, les vacataires – jeunes docteurs ou non – sont recrutés de manière totalement illégale lorsqu’ils n’exercent pas une autre activité professionnelle à titre principal, ce qui est rare mais qui était très courant dans les années 1970.

 

 

L’Enseignement supérieur n’hésite donc plus à se situer aux marges de la légalité car il contredit sans vergogne les textes qui encadrent le statut des vacataires qui devraient être considérés comme des agents contractuels. Des agents qui ne relèvent ni du code du travail, puisqu’ils sont rémunérés à la tâche, ni du code de la fonction publique. Les vacataires constituent désormais les gros bataillons de l’enseignement supérieur : 60% des enseignants, 25% des heures de cours. Hugo Mosneron Dupin, agrégé de philosophie, ancien élève de l’École Normale Supérieure, dénonce cette dérive : « comme c'est un statut très précaire, les vacataires coûtent beaucoup moins cher qu'un enseignant-chercheur. Ce recrutement vient compenser le manque d'enseignants dû à l'insuffisance de financement alloué à l'université. Cette transformation du personnel enseignant se fait à bas bruit, sans débat public et même sans véritable prise de conscience politique parce que les vacataires sont quasiment invisibles, également au niveau des statistiques du ministère. » (Radio France).

 

Tout ceci ne renvoie qu’à l’argent. Une heure assurée par un vacataire revient cinq fois moins cher qu’une heure de cours assurée par un titulaire (50 contre 300 euros environ). Alors qu’ils représentent les deux-tiers des personnels enseignants, les vacataires n’apparaissent pas dans les effectifs des universités (imaginons que 200 000 enseignants des maternelles et écoles primaires n’apparaissent pas ou disparaissent des statistiques !). Les ministres de l’Éducation nationale peuvent donc de se vanter de ne pas être budgétivores et de ne fonctionner qu’avec moins de 90 000 personnels budgétés. Mais en 2021, les vacataires ont assurés 25% des heures de cours, l’équivalant du service de 15 000 enseignants.

 

Pour un jeune docteur, être vacataire c’est attendre un poste de titulaire. Mais le faible nombre de contrats post-doctoraux, relativement au nombre de docteurs prolonge dangereusement cette attente. On passera rapidement sur les conditions de paiement des vacataires qui doivent attendre parfois des mois – voire un an – leur maigre pitance. Cela n’est pas dû à la mauvaise volonté des administratifs qui s’escriment sur des feuilles de paye d’autant plus difficiles à établir que, justement, les vacataires sont payés à la tâche. On a vu, en 2014 à l'Université Lyon 2, des enseignantes payées au noir, de la main à la main, entre copines.

 

Enfin, il faut relever – car c’est peut-être le plus important – que les vacataires ne bénéficient pas de la garantie individuelle du pouvoir d’achat : l’agent est indemnisé si l’évolution de son traitement brut indiciaire est inférieure sur quatre ans à celle de l’indice des prix à la consommation (les anciens retraités n’en ont pas vu la couleur) ; ils n’ont toujours pas pu compenser les désavantages des contrats courts tels que l’indemnité pour absence de congés payés ; ils ne peuvent pas faire valoir leurs droits à la protection sociale et ne disposent pas de conventions collectives face à leurs employeurs.

 

C'est désespérant, mais la lutte collective est très difficile. Je n'ai observé ces dernières années qu'un exemple d'une semaine de grève du 11 au 17 mars 2019 à l'université de Poitiers, dans la seule UFR de sciences humaines.

 

Ubérisation de l’enseignement supérieur. Vive les vacataires, ma mère !
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