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9 mai 2011 1 09 /05 /mai /2011 14:47
Je reproduis ci-dessous un article du Grand Soir, signé par Paul Delmotte, professeur de sciences politiques en Belgique, sur l'acte de guerre qui a consisté à exécuter Ben Laden.

 

J'en profite pour rappeler que le 28 janvier 2002, Dan Rather, journaliste à CBS, avait annoncé que le 10 septembre 2001, la vieille des attentats contre le World Trade Center et le Pentagone, Oussama ben Laden avait bénéficié d'une dialyse du rein dans un hôpital militaire du Pakistan.  Il était déjà l'instigateur d'actes terroristes extrêmement meurtriers mais il était encore dans les petits papiers de la CIA et de la famille Bush. 

 





Tout d’abord, une précision qui semble bien nécessaire à propos d’un sujet perçu avec tant de manichéisme. Ossama Ben Laden porte bien la responsabilité première du crime contre l’Humanité commis par ses comparses le 11 septembre 2011 aux États-Unis. De même que ceux qui lui ont été attribués par la suite à Londres et à Madrid. Par ailleurs, et bien que se réclamant d’une interprétation ultra-rigoriste de l’islam, l’homme et ses partisans ont causé la mort de plus de musulmans que de « croisés et de juifs » comme il se plaisait à décrire Occidentaux et Israéliens, dans sa vision du monde que l’on pourrait qualifier de « racialo-religieuse ».


Ceci étant précisé, peut-on clamer, comme l’a fait Barack Obama, que « justice est faite » ?

Il me semble qu’une réponse instructive à cette question consiste à en poser une autre. Comment auraient réagi des millions de personnes si un commando – au choix irakien, afghan ou pakistanais – avait, hier, assassiné G.W.Bush à la Maison blanche ou Tony Blair au 10, Downing Street ? Ou si demain, Barack Obama – grand ordonnateur d’attaques de drones qui font des centaines de victimes civiles dans les Zones tribales pakistanaises – était abattu dans cette même Maison blanche ?


Car ces trois hommes ont, eux aussi, du sang sur les mains. Et très vraisemblablement plus encore que celui qu’a fait verser Ben Laden. Verrions-nous avec la même compréhension des foules irakiennes, pakistanaises ou afghanes, leurs victimes, danser dans les rues pour célébrer leur disparition ? Aurions-nous la même mansuétude pour ce qui est bel et bien un assassinat et un acte de vengeance politiques perpétrés dans une guerre opposant un terrorisme d’État à un terrorisme de groupe ? Comme le disent des amis flamands : « la guerre est du terrorisme avec un gros budget »… Assassinat parce que depuis belle lurette, divers responsables étasuniens ont déclaré qu’il n’était pas question de capture ou d’un procès de Ben Laden. Rien ne permet à l’heure actuelle de gloser sur les conditions de l’opération du 1er mai à Bottabad. Ni de jurer que cet homme de 57 ans et que l’on dit fort malade depuis des années, a vraiment « résisté » à l’assaut de dizaines d’hommes, surarmés mais apparemment incapables de l’immobiliser ; ou s’il s’est agi d’une exécution pure et simple, suivie de la disparition d’un cadavre qui aurait peut-être pu « parler ». Tout comme un Ben Laden vivant et passant en justice aurait pu s’avérer fort embarrassant : n’était-il pas un produit de la CIA ?


Or, constatons que ce type d’acte – qui jure avec tous les principes et valeurs de respect de la personne humaine que nous nous honorons de chérir et que nos dirigeants se targuent de faire appliquer de par le monde – « passe » sans trop de problèmes dans les consciences : il y a là, je le crains, une dangereuse évolution.


Certes, nous ne déplorerons pas la mort de Ben Laden. Comme ne le pleurera pas une grande majorité d’Arabes et de musulmans qui n’oublie pas les « victimes collatérales » des attentats d’Al-Qaïda. Et qui n’a jamais apprécié ni sa vision ni ses méthodes que d’aucuns pourtant ont voulu nous présenter comme une émanation de l’islam. Car, il faut le rappeler encore et encore : ce n’est pas l’islam qui « fabrique » les Ben Laden, mais un ordre du monde inique et humiliant pour la majorité des déshérités. Un ordre que des millions d’êtres humains ont voulu, depuis le XIXe siècle – et voudront peut-être demain – combattre et jeter bas en misant sur la fraternité entre les êtres humains. Ce n’était certes pas là la vision de Ben Laden, mais sa rage meurtrière découlait probablement de constats similaires, même s’il en voyait la « solution » dans sa religion.


Or, ce monde inique et humiliant est toujours bien en place.


Et ce sont ceux-là qui en bénéficient le plus et se dédient à le maintenir et à le conforter qui nous disent que « justice est faite » !


Paul DELMOTTE
Professeur de Politique internationale
IHECS- Bruxelles

 

J'ajoute deux autres points de vue. Celui de Comaguer (Le Grand Soir) :

 

 

Le Président des Etats-Unis a endossé face au monde la tenue de l’exécuteur d’une sentence qui n’a été prononcée par aucune juridiction, c’est-à-dire celle du tueur.

 

Un motif à lui seul suffisant pour lui retirer le Prix Nobel de la paix en observant que depuis qu’il a obtenu ce blanc-seing médiatique son comportement agressif n’a fait que croitre : non fermeture de Guantanamo, effectifs supplémentaires en Afghanistan, forces spéciales et bombardements en Libye…

 

La Cour Pénale Internationale si elle ne veut pas définitivement passer pour une juridiction mineure et servile et comme un outil supplémentaire de domination impériale ne peut qu’inculper un chef d’Etat qui revendique l’assassinat d’un personnage dont il fait disparaitre aussitôt la dépouille- ce qui interdit définitivement toute enquête contradictoire sur l’identité réelle du mort - sur le territoire d’un pays étranger.

 

Obama a encore dévoilé plus profondément son idéologie lorsque, parlant récemment de Kadhafi, il a déclaré, faisant sien le langage des lyncheurs du KU KLUX KLAN : « Le nœud se resserre progressivement autour de son cou ». Le dit nœud ne s’est pour l’instant resserré qu’autour du cou de son fils mais le KKK a encore soif de sang.

 

Et celui de Jean-Marie Muller, philosophe et militant pacifiste :


Dans un texte écrit au début de la seconde guerre mondiale et intitulé Considérations actuelles sur la guerre et sur la mort, Freud écrit : "Lorsqu’une décision aura mis fin au sauvage affrontement de cette guerre, chacun des combattants victorieux retournera joyeux dans son foyer, retrouvera sa femme et ses enfants, sans être occupé ni travaillé par la pensée des ennemis qu’il aura tués dans le corps à corps ou par une arme à longue portée ." Ainsi l’homme civilisé n’éprouve-t-il aucun sentiment de culpabilité vis-à-vis du meurtre de ses ennemis. Freud fait remarquer qu’il n’en était pas ainsi de l’homme primitif. "Le sauvage, note-t-il, n’est nullement un meurtrier impénitent. Lorsqu’il revient vainqueur du sentier de la guerre, il n’a pas le droit de pénétrer dans son village ni de toucher sa femme avant d’avoir expié ses meurtres guerriers par des pénitences souvent longues et pénibles ." Freud conclut en soulignant que l’homme primitif faisait ainsi preuve d’une "délicatesse morale qui s’est perdue chez nous hommes civilisés ".

 
Le sage chinois Lao Tseu exprime, dans le chapitre 31 du Tao Té King, la même obligation de prendre le deuil pour celui qui a dû, sous la contrainte de la nécessité, recourir à la violence contre son adversaire :

 
Aussi brillantes qu’elles soient, les armes ne sont jamais qu’instruments de malheur ;
Ceux qui vivent les ont justement en horreur.
C’est pourquoi l’homme du Tao point ne s’en mêle. (...)
Pour le noble, il n’est point d’armes qui soient heureuses ;
L’instrument du malheur n’est point son instrument.
Il y recourt contre son gré, si nécessaire,
Aimant par-dessus tout la quiétude et la paix ;
Même dans la victoire, il ne se réjouit ;
Car pour s’en réjouir, il faut aimer tuer,
Et celui qui se plaît au massacre des hommes,
Que peut-il accomplir dans le monde des hommes ? (...)
Deuil et lamentation pour le massacre des hommes,
Rite funèbre pour donner rang au vainqueur.


Ces considérations de Lao Tseu et de Freud sur l’obligation du deuil pour l’homme meurtrier de son adversaire ne doivent pas être regardées avec la désinvolture amusée que l’on prête volontiers aux anecdotes édifiantes relatives aux us et coutumes d’un temps révolu. Il convient non seulement de les prendre au sérieux, mais il faut les prendre à la lettre. L’homme véritablement "civilisé", s’il s’est trouvé pris au piège de la nécessité qui l’a contraint à tuer son adversaire, n’a pas le goût de fêter une quelconque victoire, il ne cherche pas à se disculper par une quelconque justification, mais il veut prendre le deuil de celui qui est mort de ses mains. Les assertions de Lao Tseu et de Freud sont irrécusables : après le meurtre de l’ennemi, la "civilisation" exige le port du deuil, tandis que la "sauvagerie" incite à fêter la victoire.
Certes, il serait probablement déraisonnable d’attendre du peuple américain qu’il prenne le deuil de la mort de Ben Laden. Il faut tenir cependant avec Lao Tseu que, « pour s’en réjouir, il faut aimer tuer".

 

 

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