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13 avril 2016 3 13 /04 /avril /2016 05:41

 

Georges Brassens. Premières chansons (1942-1949). Prologue de Gabriel Garcia Marquez. Edition établie et annotée par Jean-Paul Liégeois. Paris : Le Cherche Midi, 2016.

 

Jean-Paul Liégeois et les éditions du Cherche Midi continuent leur exploration de l’œuvre de Georges Brassens. Cet ouvrage est le septième de la collection “ Brassens d’abord ”. J’avais, en son temps, rendu compte de la somme consacrée par Jacques Vassal à la vie et l’œuvre du Sétois.

 

Brassens ne fut pas Rimbaud, et n’a jamais prétendu l’être. Ces textes de chanson, écrits entre 1942 – Brassens avait 21 ans (l’âge où Rimbaud avait tout dit) – et 1949, le prouvent. Issu d’un milieu très populaire, Brassens fut un extraordinaire autodidacte qui, seul, apprit la versification et s’éveilla à l’esthétique de la poésie en dévorant Villon, Hugo, Verlaine et beaucoup d’autres classiques, en les réécrivant pour s’imprégner de leur art, un peu comme les peintres en herbe copient les œuvres des maîtres dans les musées. Par goût, il dénicha des auteurs inconnus (souvenons-nous d’Antoine Pol, de ses “ Passantes ” et des douze années de labeur obstiné de Brassens pour les mettre en musique). Il écrivit comme un fou. Les premiers jets de certains de ses poèmes – ou de ses chansons, car il composa très tôt avant même de maîtriser vraiment le piano et la guitare – pouvaient faire 40 pages. Il organisa ses textes en recueils et fut admis à la SACEM en 1942.

 

Brassens voulait donc être écrivain. Sa carte d’identité de l’époque portait la mention “ homme de lettres ”. Dans ces œuvres de jeunesse, comme le reconnaît Claude Richard, auteur de l’introduction de ce livre, on ne retrouve pas « l’orfèvre des mots couronné par l’Académie française. » La marque, tellement personnelle de Brassens n’est guère présente, même avec le recul. Le fond et la forme étant la même chose, cela tient peut-être au fait que Brassens écrit beaucoup sur lui-même, sans vraie distance, sur ses amourettes, ses déceptions, ses émois adolescents. On cherche en vain une armure qui serait fendue, un sens du tragique. Où sont la guerre, le STO, où sont les privations ? Brassens est dans sa bulle d’innocence. A Basdorf, en Allemagne, il écrit “ A l’auberge du bon Dieu ”, “ Autour d’un feu de camp ”, “ L’amour est optimiste ” (« Belle amoureuse, pourtant votre amoureux vous aime. Et vous l’aimez, je crois, de même »). En cherchant bien, on peut trouver une vague allusion aux malheurs quotidiens des Parisiens dans “ Paris s’est endormi ” (« Paris n’a point souci des gros nuages gris qui crèvent. Car il est endormi sous une étrange pluie de rêve »). Où sont les anarchistes que Brassens a commencé à fréquenter en 1945 ? Mais ce que l’on trouve toujours, c’est l’exigence compulsive du ciseleur de mots, de celui qui veut faire de la poésie chantée, influencé par Jean Tranchant ou Charles Trenet, qui va droit au but, dans la plus grande simplicité :

 

On s’est connu un jour de fête

Y avait du soleil dans les cieux.

Y avait du bonheur sur les têtes

Et de l’amour dans tous les yeux

 

(“ Qu’est-elle devenue ? ”, première chanson déposée à la SACEM en 1942)

 

 

 

 

La rigueur n’empêche pas, au contraire, le jeu avec les mots et les formes, comme l’enjambement avec rejet qu’il utilisera maintes fois dans son œuvre :

 

Son cœur se mit à palpiter quand je

Pris sa bouche en vainqueur,

Ce qui devait se passer

Finalement se passa.

Depuis ce jour, fait étrange,

Ell’ ne peut plus s’en passer,

C’est ça.

 

(“ Vendanges ”)

 

 

En 1942, Léo Marjane crée “ Seule ce soir ”, un des très grands succès de la période d’occupation. Subjugué, Brassens écrit “ Je pleure ” :

 

Je pleure,

Car je suis seul ce soir,

A l’heure

Où elle venait me voir.

 

Heureusement, la fadaise est sauvée par cette fulgurance :

 

Je songe

A nos serments émouvants,

Mensonges

Qu’emporta le premier vent.

 

 

Cette concision, ces retournements, on les retrouvera à foison :

 

Le passé m’échappe,

Alors enchanté.

Le terne présent se drape de réalité.

 

(“ Le passé m’échappe ”)

 

 

Assez rarement, Brassens ose le délire formel, comme dans “ La ligne brisée ” :

 

Sur la sécante improvisée

D’une demi-sphère céleste,

Une longue ligne brisée,

Harmonieuse, souple et leste,

Exécut’ la dans’ de Saint-Guy […]

 

 

Ou, autre figure géométrique de tous les possibles :

 

 

Deux beaux amants de roman,

Perpendiculairement

Au calme pur d’une grève,

Poursuivaient un joli rêve,

En riant de leurs tourments

Perpendiculairement.

 

(“ Perpendiculairement ”, italiques de Brassens)

 

 

Et il ose la transgression, ce qu’il fera ensuite jusqu’à sa mort :

 

Le diable s’est logé dans ma bourse.

Sans me demander la permission

Le diable s’est logé dans ma bourse

Avec de mauvaises intentions.

 

 

Mettre en scène les galipettes interlopes d’un étudiant et d’une directrice d’école, il fallait le faire à l’époque :

 

Et c’est dans la salle de musique

Qu’ils firent pendant plus de deux mois

La culture morale et physique

Qui procure de si doux émois.

 

 

Et puis, déjà et à jamais, cet humour, un peu de biais comme quand, sur scène, il se tournait vers son complice le contrebassiste Pierre Nicolas :

 

Comme il redout’ que des canailles

Convoit’ des rabots des tenailles,

En se couchant il les install’

Au milieu du lit conjugal.

Et souvent la nuit, je m’réveille

En rêvant aux monts et merveilles

Qu’annonce un frôlement coquin.

Mais ce n’est qu’un vilebrequin !

 

(“ La chanson du bricoleur ”)

 

 

Dès lors, il ne lui reste plus qu’à oublier Trenet, Tranchant, Asso, Mireille et Jean Nohaint.

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