Je reprends ici une analyse de Descartes sur les merveilleux résultats du Baccalauréat cuvée 2020 (larges extraits) :
En 2020, le taux de succès au bac (avant rattrapage) fait un bond de 7,6% par rapport à 2019, passant de 88,1% à 95,7%. Même chose pour le brevet des collèges (94% d’admis contre 88%, soit 6% de mieux). Et aux partiels des universités, c’est encore mieux : on gagne une dizaine de points par rapport à l’année dernière.
Résultat d’autant plus remarquable, diront certains cyniques, que collégiens, lycéens et étudiants ont subi trois mois de confinement qui ont obligé de fermer les salles de classe et de remplacer l’enseignement normal par des cours en vidéo et des devoirs transmis par messagerie. Etonnant, n’est-ce pas ? Moins on apprend, et mieux on réussit.
Le système fonctionne comme si chaque étudiant avait le droit d’être diplômé. Et si les circonstances l’empêchent d’atteindre le niveau exigé, c’est à l’Etat de baisser le niveau d’exigence de façon à lui octroyer quand même le diplôme tant convoité. Toute autre solution reviendrait à « pénaliser les élèves ». Le fait qu’on donne le diplôme à ceux qui n’ont pas les connaissances que le diplôme est censé certifier ne semble préoccuper personne : parents, élèves, enseignants et ministres communient dans l’idéologie de la « bienveillance ».
Le bac 2020 ne certifiera qu’une chose : que vous avez usé vos fonds de culotte un certain nombre d’années dans l’enseignement secondaire. C’est la logique du diplôme à l’ancienneté. Le système éducatif devient ainsi une sorte « d’école des fans », où l’on offre le diplôme à tout le monde de peur que les élèves – et leurs parents – pleurnichent.
Il faudrait revenir aux fondamentaux : le diplôme n’est pas un droit, pas plus qu’il n’est une récompense. Et le fait de ne pas l’avoir n’est pas une punition. Le diplôme ne fait que certifier que l’étudiant ou l’élève ont acquis un certain niveau de connaissances. S’ils n’ont pas ce niveau, ils ne doivent pas l’avoir. C’est pourquoi parler de « bienveillance » est une absurdité : un système éducatif est par essence « bienveillant » puisqu’il veut le bien de l’élève. Mais la « bienveillance » n’implique pas de mentir aux gens sur leur propre niveau et faire des « bacheliers » qui ignorent ce qu’un bachelier devrait savoir.
Confieriez-vous votre santé à un médecin diplômé malgré le fait qu’il ne connaît pas l’anatomie parce qu’il n’a pas pu assister aux cours du fait d’une grève ? Confieriez-vous la construction d’un pont à un ingénieur diplômé qui ne connaît pas le calcul différentiel parce qu’une maladie l’a empêché d’en acquérir les bases ? Confieriez-vous votre défense dans un procès à un avocat diplômé qui ne connait pas le droit pénal parce qu’il a dû travailler au McDo pour payer ses études ? Moi pas.
En délivrant des diplômes à ceux qui ne les méritent pas, on fabrique en fait des faux diplômes. Et lorsque beaucoup de faux documents circulent, les gens finissent par perdre confiance dans les vrais. L’exercice du bac 2020 montre combien on cherche à vider les diplômes en général et le bac en particulier de leur valeur certifiante. Normal : quand on veut casser l’ascenseur social, on s’attaque d’abord aux procédures parmi les plus égalitaires : celle de l’examen et du concours anonyme. Pour les classes intermédiaires, il est bien plus intéressant que la sélection à l’emploi se fasse sur les réseaux et le « savoir être » dont leurs rejetons bénéficient par défaut, que sur une évaluation objective des savoirs et compétences intellectuelles qui nécessitent un vrai travail.
Réforme après réforme, on a tué le bac. Un diplôme qu’on accorde à 95% des candidats sert-il encore à quelque chose ?
Réhabiliter la rigueur, le mérite et le travail implique de réhabiliter aussi l’idée d’exigence. Les bonnes âmes veulent nous convaincre qu’un haut niveau d’exigence humilie les étudiants, qu’il leur fait perdre leur confiance en eux. Je suis en total désaccord avec cette vision : c’est au contraire le manque d’exigence – qu’on déguise en « bienveillance » – qui est dégradant, parce qu’elle présume que l’individu n’est pas capable de gérer un échec, de rebondir, de se mettre à niveau. Donner le diplôme à tout le monde c’est insulter ceux qui ont fait l’effort pour répondre à l’exigence. A quoi bon étudier, puisque avec un peu de « bienveillance » le diplôme vous tombera tout rôti dans le bec ?