Le banquier éborgneur sera allé plus loin que tous ses prédécesseurs en matière de privatisation. Chez lui, ce n'est pas de l'économie, c'est de l'idéologie à l'état pur. Il privatisera bientôt les petits chemins qui sentent la noisette.

 

Un décret, publié au « Journal officiel » le 15 août, établit les conditions auxquelles des sections de routes nationales pourront être cédées au privé. Certains y voient un nouveau cadeau aux sociétés concessionnaires. 

 

 

En plein cœur de l’été, le 14 août, un décret publié au Journal officiel« relatif aux conditions de classement de certaines sections de routes dans la catégorie des autoroutes » est passé totalement inaperçu. D’apparence très technique, ce décret d’application de la loi d’orientation des mobilités (LOM) de décembre 2019 ouvre, en réalité, la possibilité de céder au privé des kilomètres de routes nationales.

 

 

Quinze ans après la privatisation pas tout à fait digérée des autoroutes, cette idée fait frémir ceux qui craignent un nouveau cadeau fait aux sociétés concessionnaires. Le scénario discuté en coulisses depuis quelques années par l’Etat et les compagnies privées est pourtant simple. Ce dernier n’a pas les moyens d’entretenir comme il faudrait ses routes, qui souffrent d’un sous-investissement chronique. Mais si vous nous confiez certaines portions, les derniers kilomètres avant l’autoroute, par exemple, suggèrent les grands groupes, nous les entretenons, nous investissons, et, en échange, vous prorogez nos contrats.

 

 

Or, l’allongement des durées de concession, c’est justement ce qu’il faut éviter, estiment les sénateurs, qui ont enquêté pendant huit mois sur le sujet et dont le rapport devait être rendu public ce vendredi 18 septembre. Selon leurs estimations, au moins deux des trois sociétés concessionnaires auront rentabilisé leurs investissements dès la fin de l’année 2022, alors que les contrats courent pour encore au moins dix ans. Prolonger la durée des concessions reviendrait à priver l’Etat de nouvelles recettes, estime un fin connaisseur du dossier. « Car plus une concession est vieille, plus elle est rentable », explique-t-il.

La voie ouverte par ce décret « est en réalité une pratique ancienne, qui avait cours avant même que les concessions aient été cédées au privé », assure Christophe Boutin, le délégué général de l’Association des sociétés françaises d’autoroutes, l’ASFA. Et quelques années après le partage de 2006, des sections d’autoroute gratuites ont fini par passer dans le giron du privé. La route nationale 205, par exemple, qui monte jusqu’à Chamonix (Haute-Savoie), a été transférée, en 2009, à la société Autoroutes et tunnels du Mont-Blanc. A Grenoble, c’est l’A480 qui a été transférée, en 2015, à l’AREA, une filiale d’Eiffage. En échange de la remise en état de la voie rapide, et de la création d’une voie réservée aux bus et au covoiturage, Eiffage a vu sa concession rallongée de quatre ans. Le transfert a été évalué à 400 millions d’euros.

 

Repris du Monde (18/09/2020)