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6 janvier 2013 7 06 /01 /janvier /2013 10:14

http://referentiel.nouvelobs.com/wsfile/4601317649065.jpgJ’ai découvert tout récemment l’existence de Noémie Suisse, une blogueuse très intéressante, un esprit libre et très original (on la retrouve, entre autre, ici : link). Sa démarche est parfois proche de la mienne (et vice-versa) dans la mesure où elle recherche les signes de surface qui nous renseignent sur les tendances profondes. J’ai découvert Noémie par le biais d’une revue scientifique électronique qui m’est chère puisque j’en fus l’un des fondateurs : Les Cahiers du Mimmoc (link).

 

Dans le n° 9 de ces Cahiers, Noémie a signé un article savant, mais lisible, sur le rapport de Dominique de Villepin à Twitter : “ Auratiser Twitter: Dominique de Villepin politicien, rhéteur et poète ”. Elle glose en particulier sur ce gazouillis de Galouzeau qui m’a interpellé puisque, résidant à Toulouse (où le beau Dominique a fait une partie de ses études dans le plus chic établissement privé de la ville) et séjournant très régulièrement à Auch, je connais chaque mètre de la Nationale 124.

Toujours hugolien, l’envoi de Dominique dit ceci :

« Toulouse-Auch quel bonheur de cheminer sur la N124 sous un ciel bleu espoir au milieu de cette France rurale trop souvent oubliée. »

Noémie a réagi de la manière suivante :

 

« Le tweet reproduit ci-dessus représente un cas intéressant de live-twitting. Cette pratique consiste à énoncer l'activité que l'on pratique, au moment où on la pratique. J'emprunte avec malice cette phrase à l'Introduction à l'Histoire universelle de Jules Michelet : « Dès qu'un homme a fait, vu quelque chose, vite il l'écrit », énoncé que l'on pourrait paraphraser ainsi, dès lors que l'écran du téléphone portable se substitue au carnet de voyage : c'est au moment même où cet homme fait, voit quelque chose, qu'il l'écrit. Cette simultanéité est autorisée par le caractère instantané du message. Celui que nous prenons en exemple pourrait équivaloir à une simple géolocalisation, autre outil et tendance remarquable des réseaux sociaux. Mais le contenu référentiel est enveloppé, fardé de poésie. La phrase s'ouvre sur un morceau descriptif, une micro-ekphrasis. Les deux caratéristiques de ce trope épousent singulièrement les traits définitoires du tweet que j'exposais précédemment : l'ekphrasis, ou description, a le statut de fragment, de morceau détachable. L'autre caractéristique de ce trope est sa fonction : l'art de rendre présentes les choses absentes. Or quel est le rôle dévolu au média Twitter ? Les followers sont invités à suivre virtuellement, à « faire comme si » (c'est la magie du verbe et l'atout du support virtuel) ils accompagnaient le twittos dans ses déplacements. L'enveloppe lyrique sert une stratégie politique : D. de Villepin est le politique éternellement nommé, jamais élu. Cette absence de légitimité démocratique et d'enracinement local explique l'importance de se montrer pérégrinant à travers la France profonde. Le message politique est le suivant : c'est la « France rurale » qui est le locus amoenus de D. de Villepin, cette France que l'on parcourt « sous un ciel bleu espoir ». Le twittos ne craint pas d'accumuler les lieux communs poétiques les plus éculés. On peut observer le parcours, le cheminement – pour reprendre le verbe utilisé par D. de Villepin – entre le plan poétique et le prisme idéologico-politique. Un jeu – au sens mécanique du terme – s'instaure entre ces deux perspectives, un jeu entre une réalité prosaïque (« les pieds sur terre » ou plutôt la voiture sur la N124) et une mise en forme poétique qui s'appuie presque de manière caricaturale sur une tradition lyrique (« sous un ciel bleu espoir »). Manière, également, pour D. de Villepin d'éviter de donner prises aux critiques poujadisantes, telles que dénoncées par Roland Barthes, selon lesquelles le représentant de l'élite, l'intellectuel, est de substance aérienne, vide. « L'intellectuel plane, écrit Barthes, il ne ''colle'' pas à la réalité ». Le reproche vaut pour le politique, assimilé à cette élite. D. de Villepin s'emploie à désamorcer ce portrait critique en « collant » à la réalité, pour reprendre l'expression de Roland Barthes (« sur la N124 »), tout en sublimant cette même réalité par la force des mots, de leur ordonnancement, de leur musique (« sous un ciel bleu espoir »). »

 

 

J’ajouterai simplement ceci : Toulouse explosant dans les quatre directions, en particulier vers l’Ouest, on ne « chemine » pas sur la RN 124 dans une « France rurale oubliée ». On emprunte une quatre-voies qui nous fait traverser une rurbanité comme il y en a désormais partout en France, et l’on a assez peu l’occasion de contempler le « ciel bleu espoir » car la circulation relativement importante, et naturellement les radars, impliquent une vigilance constante.

 

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commentaires

J
Je suis tombé sur votre site en recherchant plus d'articles…. de Noémie Suisse. Je l'avais écoutée une fois intervenir sur LCP (sans vraiment retenir son nom à l'époque), puis j'ai lu l'un de ses articles dans Le Monde, et le post que vous mentionnez… On reste parfois sur sa faim. On a envie d'en lire plus, de discuter... et me voilà à parcourir le web… jusqu'à votre blog, cher Bernard Gensane, qui est lui aussi un régale. Continuez à penser, à publier, à partager ! Moi, je commence tout juste à vous lire.
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B
Pourquoi Villepin n'en a-t-il pas profité pour rappeler qu'il a privatisé les autoroutes françaises ? Tant qu'à se faire mousser !
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