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7 octobre 2011 5 07 /10 /octobre /2011 06:14

http://www.voxnr.com/c_images/icono/0602/limonov.jpgCela fait vingt ans que je me délecte à lire les livres d'Emmanuel Carrère. De la Moustache à d'Autres vies que la mienne (qui m'a vrillé) en passant par L'adversaire ou Un roman russe, j'ai dégusté ses ouvrages page à page, en retardant tant que je pouvais le moment où j'arriverais au mot Fin.


Carrère a un gros défaut, c'est d'être le fils de sa mère et d'être écrasé par cette présence tutélaire. Madame Carrère d'Encausse sut avoir des intuitions remarquables à propos de la fin de l'ex-URSS (L'empire éclaté). Mais, par idéologie, par anticommunisme primaire, elle se fourvoya dans des pronostics hasardeux sur les mutations souhaitables que devraient connaître la Russie et les autres républiques dans les domaines politique et économique. Elle affirma que le capitalisme offrirait rapidement et tout naturellement le salut à ces pays. On sait bien que la privatisation de l'URSS a permis aux mafias, qui existaient déjà sous Brejnev, de prendre le contrôle de toute l'économie et de renvoyer à un bon siècle une véribale démocratisation.

 

Dans son très remarquable ouvrage consacré à Limonov, Emmanuel Carrère, qui pardonne tout à sa maman, revient sur le wishful thinking de la Secrétaire perpétuelle de l'Académie française qui, comme beaucoup d'éminences, aime à prendre ses désirs pour des réalités. Madame Carrère d'Encausse a bien conscience d'avoir proféré une grosse ânerie autrefois. Alors, selon son fils, elle en remet une petite couche en se prenant les pieds dans le tapis : bon d'accord, la Russie est gouvernée par des mafieux mais, comme ils envoient leurs enfants dans les meilleures écoles suisses, la prochaine génération de dirigeants sera policée.


Bon sang, mais c'est bien sûr, Madame le Secrétaire perpétuel ! Allez, Emmanuel, un petit effort. Faites-vous violence. Admettez :

1) que votre mère a un niveau en analyse politique aussi élevé que celui du Café du Commerce, mais sans alcool,

2) que vous êtes bien plus génial qu'elle et que votre œuvre, qui s'est constituée loin de tout réseau mondain, restera.

 

Comme votre Limonov qui, de magistrale manière, nous montre à quel point le pays de vos ancêtres maternels est déglingué, certes, mais à peine plus que les autres pays de notre planète.

 

Je cite pour terminer cette note un passage de ce livre qui m'a particulièrement plu. Pour ce qui est du discours indirect libre, Carrère en connaît un rayon :


Sur tout cela, Édouard [Limonov] était d'accord. La popularité de Gorby, comme disaient ceux qui commençaient à appeler Mitterrand Tonton, l'avait dès le début agacé : le chef de l'Union soviétique n'est pas là pour plaire à des petits cons de journalistes occidentaux, mais pour leur faire peur. […] [Limonov] n'a pas aimé la glasnost, ni que le pouvoir batte sa coulpe, ni surtout que pour complaire à l'Occident, il abandonne des territoires acquis au prix du sang de vingt millions de Russes. Il n'a pas aimé voir, chaque fois qu'un mur s'effondrait, Rostropovitch se précipiter avec son violoncelle et jouer, l'air inspiré, les suites de Bach sur les décombres. Il n'a pas aimé, trouvant dans une boutique de surplus un manteau de soldat de l'Armée rouge, s'apercevoir que les boutons en laiton de son enfance avaient été remplacés par des boutons en plastique. Un détail, mais, selon lui, ce détail disait tout. Quelle idée pouvait bien se faire de lui-même un soldat réduit à porter des boutons d'uniforme en plastique ? Comment pouvait-il se battre ? À qui pouvait-il faire peur ? Qui avait eu l'idée de remplacer le laiton brillant par de la merde moulée à la louche ? Certainement pas le haut commandement, plutôt un connard de pékin chargé de réduire les coûts, au fond de son bureau, mais c'est ainsi que les batailles se perdent. et que les empires s'effondrent. Un peuple dont les soldats sont fagotés dans des uniformes au rabais est un peuple qui n'a plus confiance en soi et n'inspire plus de respect à ses voisins. Il est déjà vaincu.

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commentaires

H
<br /> c'est marrant:qu'on loue ou qu'on accable Carrère,on ne sait jamais trop pourquoi?<br /> en tous cas,il m'a permis de lire du Limonov (crucial) et d'apprécier votre style...<br /> <br /> <br />
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B
<br /> <br /> Pour ce qui me concerne, je loue sans réserve l'écrivain.<br /> <br /> <br /> <br />