Depuis une dizaine d’années, on emploie ce terme d’incivilité. C’est du politiquement correct,
de la démission, un refus du réel. Un élève frappe violemment son professeur, c’est de l’incivilité. Un individu vandalise la voiture de son voisin : idem. Dans les faits, l’incivilité étant le contraire de la civilité, elle est le contraire de la courtoisie, de la bienséance, de la politesse. Quand les mots ont un sens, ne pas
offrir sa place de métro à une femme enceinte est une marque d’incivilité. Hurler « crève, salope ! » à son professeur, c’est autre chose.
La liste électronique de la Société des anglicistes de l’enseignement supérieur (SAES), dont je suis destinataire, est agitée depuis quelques jours par la relation d’un grave incident dont a été victime une de nos collègues. Au beau milieu d’un de ses cours, un étudiant se met à hurler. L'enseignante demande à l’étudiant de quitter la salle de classe, espérant le soutien des autres étudiants. Rien ne se passe. Un des étudiants braille alors : « Finis ton cours de merde ! ». L’enseignant quitte la classe. Cette collègue nous écrit pour nous informer et nous demander conseil.
Donner un ou des conseils après coup est toujours facile quand on n’a pas été soi-même dans le feu de l’action. J’en donnerai néanmoins deux.
- Ne jamais quitter la classe (sauf s’il y a danger, bien sûr). D’abord c’est interdit : l’enseignant est responsable de sa classe. Ensuite, c’est une démission, donc une défaite.
- L’administration française a ses lourdeurs qui ont leur intérêt. Il faut laisser une trace écrite de ce qui s’est passé en alertant la hiérarchie, officiellement et de manière très circonstanciée. C’est le seul moyen de briser la solitude, de rendre l’affaire publique en espérant que le nœud sera tranché.
Ces « incivilités » dans l’enseignement supérieur ne datent pas d’hier mais eussent été inconcevables quand j’étais moi-même étudiant ou jeune enseignant. J’en donne un seul exemple. Il y a une bonne dizaine d’années, dans l’université de Tours, une collègue (non angliciste) demande à une étudiante qui, pour la nième fois, entrait en cours de TD avec un quart d’heure de retard et en claquant la porte, de ressortir. L’étudiante refuse et hurle : « Vous nous faites chier ! ».
L’enseignante décide de porter l’affaire devant le conseil de discipline. Elle écrit au président de cette instance, par la voie hiérarchique, évidemment. La directrice de l’UFR bloque la lettre et signifie à la collègue son refus de la transmettre. Très étonnée, la collègue proteste. Réponse orale de la directrice : « Elle ne t’a pas frappée, tout de même. »