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13 mars 2012 2 13 /03 /mars /2012 16:36

http://amitie-entre-les-peuples.org/IMG/jpg/racisme-cerveau.jpgJe propose ici de larges extraits d’un très bon article de Dominique Dupart pour Mediapart sur la rhérorique de Sarkozy dans son discours de Villepinte. Tout le monde le dit, ce discours a été écrit par Henri Guaino. Tout comme l’ignoble adresse aux Africains (« pas encore entrés dans l’histoire », les pauvres, alors qu’ils étaient déjà organisés en royaume et en empires quand les ancêtres magyars du kleiner Mann vivaient en tribu sous des tentes !).

 

Guaino, comme dit pudiquement Wikipédia, n’a pas connu son père. Il a été élevé par sa mère, une femme de ménage, et sa grand-mère. Par ailleurs, bien que brillant (parce que brillant ?), il a échoué au concours de l’ENA. Chaque matin, il a une terrible revanche à prendre. Dans d’autres circonstances, il pourrait aller beaucoup plus loin.

 

Villepinte, 11 mars. Le discours du candidat président se clôt sur la mention de Victor Hugo coincé entre Jeanne d’Arc et le général De Gaulle. Le nom du grand écrivain sonne comme un drapeau. Il est la pointe d’un discours très écrit, très travaillé: un discours dont la simplicité apparente –phrases à la première personne, courtes, formulaires, rythmées – révèle une grande éloquence populaire et populiste, destinée à la masse et dont le principe est l’attaque de populations particulières, isolées du reste du pays pour être stigmatisées.

Villepinte, 11 mars. Le discours du candidat président se clôt sur la mention de Victor Hugo coincé entre Jeanne d’Arc et le général De Gaulle. Le nom du grand écrivain sonne comme un drapeau. Il est la pointe d’un discours très écrit, très travaillé: un discours dont la simplicité apparente –phrases à la première personne, courtes, formulaires, rythmées – révèle une grande éloquence populaire et populiste, destinée à la masse et dont le principe est l’attaque de populations particulières, isolées du reste du pays pour être stigmatisées. Un exemple: «…que celui qui n’a jamais travaillé et jamais cotisé… que le profiteur, le tricheur, le fraudeur soit puni parce qu’il vole l’argent des Français, parce qu’il prend à tous ceux qui ont vraiment besoin de solidarité nationale».

Un des grands enseignements oratoires du XIXe siècle est la nécessité d’accueillir dans les discours des personnages spécifiques qui animent, incarnent les idées et des arguments défendus par l’orateur. Dans une grande éloquence démocratique, les idées s’incarnent en des types, des agents, des figures : une sorte de personnel de tribune qui loge traits, caractères, habitudes spécifiques qui animent la parole politique des visages de ceux qui sont supposés l’écouter. Ici, le profiteur, le tricheur, le fraudeur.

Ces types ne sont pas seulement des clichés car un grand orateur, c’est celui qui invente justement un personnel de tribune nouveau, ou celui qui modifie l’axiologie traditionnelle qui le traverse. Par exemple, dans son discours (fameux) sur la misère prononcé à la Chambre le 9 juillet 1849, Victor Hugo dresse les silhouettes de femmes, d’enfants, de familles avilies par la misère, obligés de chercher leur nourriture «dans les débris immondes et pestilentiels des charniers de Montfaucon»: mais ces êtres avilis sortent grandis du discours car se joint à eux, en passant, un «malheureux homme de lettres» mort de faim et ce malheureux homme de lettres sert à une chose: à permettre à l’auditoire et à l’orateur de s’identifier aux miséreux !

La triade du profiteur, tricheur, fraudeur est succincte. C’est du rapide et de l’efficace car l’orateur s’adresse à un auditoire qui possède la connaissance et la jouissance des mêmes implicites accolés aux chômeurs longue durée, ou aux bénéficiaires du RSA. Pas question, ici, d’inventer un nouveau personnel de tribune ou de construire une nouvelle figure démocratique à la Victor Hugo. Autour du même trait trois fois décliné, le profit, la triche et la fraude, s’esquisse la mention éclair de la silhouette d’un bouc émissaire facile et possible.

Le mot-signal dans la triade est celui de fraudeur. La fraude aux indemnités: une pratique unanimement réprouvée par tous et qui déchaîne d’autant plus l’hostilité qu’elle s’incarne ici idéalement en des personnes facilement identifiables. Encore pire que la fraude: le fraudeur.

Ce que l’éloquence populiste d’aujourd’hui conserve, c’est la typification, même si elle est plus rapide, plus allusive qu’autrefois. Ce qu’elle laisse de côté, c’est l’épithète infâmante ou le qualificatif insultant. Jamais le candidat président ne va jusqu’à caractériser le profiteur, le tricheur, le fraudeur de parasite dans son discours de Villepinte. Il s’arrête sur le seuil au moyen d’embrayeurs oratoires typifiant des comportements: à l’auditoire revient de trouver le bon mot qui fait mal «sans langue de bois». C’est le grand progrès de notre démocratie, la cible est toujours autant désignée, mais elle n’est plus nommée en tant que telle par l’insulte.

Cette pudeur rend étrangement et paradoxalement un racisme de tribune toujours possible. Le candidat président ne peut pas tout dire parce qu’il s’adresse à un auditoire feuilleté, mélangé, du meetingproprement dit à l’audience médiatique la plus large : de l’électeur raciste, frontiste à l’électeur seulement conservateur et résolument chrétien ou, dans tous les cas,  anti-raciste. Il invente donc une éloquence feuilletée qui correspond à la perfection à cet éventail aussi large et c’est cette invention qui le rend si efficace et quasi à l’abri de tout reproches, de la censure inoffensive de nos démocraties occidentales.

Si le personnel de tribune possède une histoire oratoire, un vrai passé de tribune, en revanche, ce procédé de l’éloquence feuilletée est tout à fait propre à l’orateur de Villepinte. Un exemple: «C’est pour que l’immigré puisse trouver sa place dans la société, pour que la mère puisse être libre, élever ses enfants, parler à l’instituteur, que je veux mettre au regroupement familial des conditions de revenu, de logement et un examen préalable prouvant un minimum de maîtrise de français et de connaissance des valeurs de la République». Ce n’est pas la peine que j’explique les sous-entendus de cette phrase. Tous les auditeurs, tous les lecteurs le font automatiquement : et pourtant rien ne déborde, absolument rien. La tribune populiste est magique. Elle est aussi sale qu’elle paraît propre, aussi raciste qu’elle paraît humaniste et généreuse. Cette phrase est prononcée, qui plus est, après deux autres phrases similaires qui prenaient pour cible le chômeur (encore !) et le titulaire du RSA (encore !). La grande cible du racisme de tribune inventé par le candidat président Sarkozy possède bien trois visages : le fraudeur, le jeune (si possible au RSA) et – osons le dire frontalement, parce que nous condamnons – l’Arabe.

La sollicitude est l’instrument oratoire même par lequel on mène ces populations à l’abattoir tribunicien, pour cristalliser des réflexes d’exclusion comme on les appelle aujourd’hui.

Au nom de la liberté de la femme, l’étranger ne pourra plus faire venir sa femme. Au nom d’un idéal bucolique de partage symbolique avec l’instituteur, son enfant ne pourra pas aller à l’école en France. Le sous-texte excluant a pris le déguisement d’un humanisme oratoire volé aux Romantiques. Ou encore, l’étranger dont on sait ici qu’il s’identifie principalement aux populations issues de l’Afrique du Nord est pris souterrainement à partie pour sa race, pour sa religion, pour ses mœurs. J’en veux pour preuves la proposition défendue sur la même page du discours, deux microscopiques strophes oratoires plus tard: « Je veux qu’aucune femme ne soit asservie à des pratiques ; à des traditions qui les empêcheraient d’être libres, qui seraient contraires aux valeurs de la République. Nous avons interdit la Burqa ».

La défense de la laïcité isole la même cible : seule l’entrée diffère. Cette fois, ce sont les droits de la femme qui aident à entrer en tribune. Le candidat président fait croire qu’il défend des valeurs cardinales mais ces valeurs cardinales sont seulement mentionnées pour toucher une cible. En réalité, un racisme de tribune, aussi éclatant que nié, recompose opportunément le paysage des valeurs républicaines de base.

Chez Sarkozy, la République éponge le racisme qui imbibe la tribune de l’UMP. Que se passe-t-il alors ? Une complète inversion des perspectives construites artificiellement par ce Romantique de pacotille. Un renversement systématique et automatique des propos entendus : comme si on saisissait la tribune et qu’on la secouait la tête en bas pour mieux l’entendre. Un exemple de relecture inversée : Parce que nous voulons désigner à la vindicte les Arabes bien connus pour bafouer les valeurs de la justice et de l’égalité en brutalisant leurs femmes (contrairement à vous, Français de souche, blancs comme neige, vous qui m’écoutez), nous en appelons opportunément, au cours de ce discours, aux droits de la femme et à la République.

 

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commentaires

B
La technique décrite ici a, paraît-il, été inventée en Australie dans les années 1990. Elle y a reçu le nom de "Dog-whistle politics". Par analogie aux sifflets pour chien inaudibles pour les<br /> oreilles humaines (mais que les chiens, eux, entendent très bien).<br /> <br /> http://en.wikipedia.org/wiki/Dog-whistle_politics
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