Je souhaite dire quelques mots du traitement, par les médias (en particulier France 2, France 3 et France Inter) du drame survenu au Chambon-sur-Lignon – le viol puis le meurtre (suivi de crémation) de la jeune Agnès par un de ses camarades de lycée.
Comme souvent, mes remarques sont une critique du journal "en creux", c'est-à-dire de ce qui a été tu, passé sous silence, ignoré ou négligé.
1. Première remarque : les journalistes se sont largement épanchés sur la douleur des parents, des condisciples de la victime, mais aucun n'a eu un mot pour la douleur, la honte, la déréliction des parents et proches du présumé coupable. Or, avoir un proche criminel est aussi une grande douleur que d'avoir un proche victime, douleur psychologique, certes (comme celle des proches de la victime) mais aussi douleur morale, parce que personne ne se précipite pour vous soutenir, personne (à part quelques intimes) ne vous manifeste sa compassion.
Cette situation, pour les parents, est aussi injuste que celle qui frappe les parents de la victime, d'autant plus, en l'occurrence, qu'il n'y a pas de "déterminisme social" (les parents du meurtrier présumé ne viennent pas de la "banlieue", ils ne sont pas immigrés, ils ont même des revenus très corrects, pour payer les importants frais de scolarité du collège cévenol). Ce coup du sort est du même ordre que celui qui les atteindrait si leur fils avait été atteint d'une maladie génétique, d'un dérangement de son organisme – et, à bien des égards, ces pulsions de viol et de meurtre ne sont-elles pas, aussi, un dérangement de cette partie de l'organisme qu'est l'esprit ?
2. Deuxième remarque : les journalistes considèrent comme "anormal" qu'un individu – et, à plus forte raison, un jeune – commette de tels forfaits. Or, ce qui devrait être intégré, c'est que de telles horreurs, loin d'être anormales, sont, dans une société, "normales", entendu au sens d'inévitables. Il est statistiquement normal que, sur 65 millions de Français, des individus sortent de la norme, soit en "bien" (capacités physiques ou intellectuelles exceptionnelles), soit en mal.
On pourrait même estimer que, comme les accidents de la circulation, il est étonnant qu'il n'y en ait pas plus ! Chaque groupe social comporte nécessairement son lot de désaxés, névrosés, etc. et il est même heureu qu'il en soit ainsi et qu'on n'aboutisse jamais à une société "normative" qui, à coup de pilules, de vaccins, ou de modifications génétiques, remettrait ses membres dans une hypothétique "norme". Une telle société atteindrait le fond – si tant est qu'il y en ait – du totalitarisme...
3. Troisième remarque : la perspective de cet horrible fait divers change lorsqu'on le considère non dans son aboutissement (un meurtre) mais dans son origine (une désocialisation, une perte des repères). Or, cette désocialisation, cette perte de repères peuvent aussi bien prendre
les modalités, chez une jeune fille, d'une boulimie ou d'une anorexie, ou chez un jeune homme, de conduites à risque – prise d'alcool, vitesse excessive, recherche de dangers – qui aboutissent exactement au même résultat, soit pour l'individu, soit pour les tiers. Souvent, dans la nuit des samedis aux dimanches, de jeunes conducteurs précipitent leur voiture de plein fouet contre un arbre, contre un mur ou contre un autre véhicule, en tuant trois, quatre ou cinq personnes. La plupart du temps, cela ne fait l'objet que d'une brève, qui ne dure guère plus que quelques secondes - et qui ne passe qu'une fois. Or, quelle est la différence, pour les parents, par rapport à ce qui est survenu au collège cévenol ?
4. Quatrième remarque : parmi les causes qui aboutissent à mourir avant la majorité, le meurtre est l'une des plus rares. L'énorme majorité de jeunes qui meurent avant 20 ans périt d'accidents de la circulation, d'accidents domestiques, de noyades, de chutes d'arbres, de murs, d'immeubles, etc. Le premier souci des parents devrait être de protéger leurs enfants contre tous les dangers - et pas seulement contre celui de meurtre. Dans la focalisation sur ce type de danger, il y a la même irrationalité que dans la phobie des requins alors que les attaques de ces derniers, par an, ne concernent pas plus qu'une dizaine de cas – infiniment moins que les seules piqûres de guêpes, abeilles ou frelons, ou que les morsures des "braves toutous" de la maison...
On peut même se demander, parfois, si la société, plutôt que de chercher à prévenir un acte (viol, crime) ou un fait (mort violente) ne cherche pas davantage à punir un acteur (violeur, criminel) dont elle nourrit une idée préconçue : noir, arabe, immigré, chômeur, déviant (trop volubile, trop taciturne, trop bruyant...). Tout se passe comme si la volonté de punir préexistait à la raison censée l'avoir suscitée.
Philippe Arnaud, Tours.