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23 décembre 2019 1 23 /12 /décembre /2019 06:14
Par Jacques Littauer. Analyse inspirée par Les Économistes atterrés.
L’erreur de la gauche

 

L’une des fragilités principales de notre système social est sa fragmentation entre professions, legs historique des « corporations ». En 1953 déjà, les régimes des mineurs et des cheminots étaient jugés trop « généreux ». Il appartenait à la gauche, lorsqu’elle était au pouvoir, d’unifier les systèmes de retraite. 

Car il était évident que ces histoires de régimes spéciaux allaient nous péter à la gueule. S’il est clair que l’on ne peut pas être conducteur, ou agent d’entretien mobilisé un week-end sur deux, pendant 42 ans, il y a des centaines de métiers que ces personnes pourraient effectuer, à la SNCF, ou dans un autre service public. Mais cela supposerait que l’État s’occupe de ses agents. Or, s’il y a tant de blocages dans nos services publics, c’est notamment parce que une fois recrutés, en réussissant des concours qui ne les préparent pas à leur futur métier, les fonctionnaires sont trop rarement formés, orientés, conseillés, etc. Ce sujet est beaucoup plus important que ces histoires de statut !

 

Nous ne sommes plus si spéciaux

 

Comme les autres, le statut de retraite de la SNCF a été beaucoup réformé. Le report de deux ans de l’âge de départ, instauré en 2010 par Nicolas Sarkozy, s’appliquera aux régimes spéciaux à partir de 2024. Et, à partir de la génération 1978 (1981 pour les conducteurs), les salariés de la SNCF devront, comme les autres, cotiser durant 43 ans (s’ils y arrivent).


Il n’y a donc, à proprement parler, plus de régimes spéciaux pour ces grandes entreprises. Et qui souhaiterait que disparaissent le régime de la Comédie Française, du Port autonome de Bordeaux, des Clercs et employés de Notaire, et, bien sûr, le régime des Cultes ? Même celui des Parlementaires a été réformé. Il y avait de quoi, puisque, actuellement, les citoyens payent 2 300 euros sur les 2700 euros de retraite moyenne des camarades députés.

 

Quelle solution ?

 

Si l’on veut résorber le déficit, la solution est simple : accroître l’emploi. Nous sommes perdus dans les gares ; des dizaines de « petites lignes » très utiles ont été fermées ; les femmes se font agresser quotidiennement dans les transports ; les trains de nuit ont été supprimés ; le fret a été massacré par les gouvernements successifs, fascinés par le « tout camion », etc. 

Il y a donc des dizaines de milliers d’emplois très utiles à créer. Mais nous prenons la direction inverse. Il est sidérant de voir l’État renoncer à diriger les chemins de fer, tout comme les compagnies productrices d’énergie, à une époque où tout le monde a la « transition écologique » à la bouche. Car l’écologie commanderait de remplacerun maximum de transports par route par le chemin de fer.

La solution au déficit des retraites de la SNCF, c’est l’emploi et le service public. On peut le faire, en taxant la route, en faisant les investissements que tout le monde attend, et en étant à l’écoute des besoins de la société. Bref, en étant pragmatiques et intelligents. Un candidat avait utilisé ces termes lors de la campagne présidentielle de 2017, je ne sais plus qui.

 

Réforme des retraites : les fonds de pension, des pièges à retraités

Les fonds de pension collectent l’épargne des salariés pour spéculer sur les marchés financiers. Petit tour d'horizon des requins qui tournent autour des vieux.

Le plus important d’entre tous les fonds de pension est le CalPERS (pour California Public Employees’ Retirement System). Il s’occupe de la retraite des profs de Californie. Il est public, oui oui. Il gère la modeste somme de 354 milliards de dollars. Et c’est juste un fonds parmi des milliers d’autres, hein. Ce n’est pas parce qu’il est public qu’il se prive de mettre des milliers d’entreprises à genoux pour leur faire cracher du cash. Oh non. C’est pour ses petits vieux de profs, vous comprenez ?

À cause des réformes passées des retraites, plus personne ne croit – à tort – à l’avenir du système collectif. Chacun cherche donc, quand il le peut, des « solutions individuelles d’épargne ». Les banques et assurances l’ont bien compris, qui nous inondent de publicités anxiogènes.

 

Spéculation, j’écris ton nom

 

« Enfin des fonds de pension en France ?  » Tel est le cri du cœur de Jean-Charles Simon, dirlo d’une entreprise nommée Optimind, dont le nom ridicule dit tout. Car les fonds de pension, c’est, nous explique Jean-Charles, la « culture du libre choix », « une nouvelle liberté ».

 
Bon, c’est une liberté très select : ainsi, regrette Jean-Charles, la possibilité d’investir dans un fonds de pension ne serait ouverte qu’aux personnes touchant plus de 10 000 euros bruts par mois. Au grand maximum, moins d’un salarié sur 100 pourrait en jouir.


Mais Macron et ses collègues sont obsédés par notre « taux de prélèvements obligatoires  », c’est-à-dire les sommes qui nous sont piquées chaque mois par la Sécu pour financer les retraites, la santé, et le chômage. Comme nous l’avons vu, la force de la Sécu est justement celle-là : ne pas nous laisser le choix de disposer de notre argent, afin d’éviter d’être pauvre lorsque nous serons vieux, malade, ou au chômage. 

Mais, avec les fonds de pension, vous êtes « libre » de placer votre argent à la Bourse, plutôt que d’aller aux Maldives. Cotiser aux fonds de pension est, évidemment, optionnel. Les sommes sont donc sorties des prélèvements « obligatoires ». Et donc cela fait de la France, dans les comparaisons internationales, un-pays-moderne-où-les-impôts-sont-bas.


Et Jean-Charles qui ose dire que les fonds de pension sont « favorables au pouvoir d’achat ». C’est le modèle américain : tu payes moins d’impôts, moins de cotisations sociales, et tout va bien pour toi, sauf si tu as des enfants, sauf si tu es malade, et sauf si tu es encore vivant alors que tu es trop vieux pour continuer à bosser. 

 

La tragédie des fonds de pension

 

Les fonds de pension sont incroyablement nuls. Tout le monde le sait, ils sont risqués : si, en 2048, par malheur, Donald Trump, toujours Président des États-Unis, déclare la guerre au Liechtenstein, Wall Street s’effondre, entraînant dans sa chute la Bourse de Paris, et votre retraite avec. Finies les vacances, vous n’avez qu’à retourner bosser. Je plaisante ? Cela est arrivé à des millions d’Américains.



Par ailleurs, même lorsqu’ils ne s’effondrent pas, les fonds de pension vous mangent toujoursune part très importante de votre retraite. Évidemment, les banques et assurances ne vous parlent que des « rendements » mirifiques qu’ils vous proposent. Mais d’où vient-il, ce pognon ? La BNP, AXA ou la Société Générale ne vont pas le prendre dans leurs caisses.

Cet argent, il découle des placements que leurs traders effectuent, à votre place, sur les marchés financiers. S’ils achètent des actions Google, et que le cours de ces actions augmente, vous allez gagner de l’argent. Mais le camarade trader n’émarge pas précisément au Smic. Il joue avec votre argent, mais il se sert d’abord de votre argent pour se payer… lui ! 

 

Au pays des fonctionnaires spéculateurs

 

Vous vous rappelez peut-être ces publicités pour Préfon retraites qui sont passées durant des années sur France Inter, avec un mec qui beuglait « Fonctionnaires ! », au début, si fort que votre tartine en tombait dans votre bol de café.

Je me rappelle mon directeur de thèse, avec son gros salaire de fin de carrière, me disant, « Jacques, tu devrais cotiser, j’y suis depuis des années, et c’est très avantageux  ». Sauf que mes valeurs de gauche, alimentées par la lecture des articles d’Oncle B. dans Charlie Hebdo, me l’interdisaient. (Et, aussi, le fait qu’il ne me restait pas d’argent à la fin du mois).


Préfon, qui revendique, comme tous les requins de la finance, sa « transparence » n’indique nulle part combien de millions il gère. Par contre, cette association « consciente de sa responsabilité sociale  », et dont les dirigeants se disent « bénévoles » fait gérer les cotisations de ses adhérents par… AXA, Groupama et Allianz, trois entreprises qui jouent de nos peurs les plus profondes – la maladie, la mort – pour nous plumer.



Préfon achète des obligations émises par les États lorsque ceux-ci s’endettent. Sur le site de l’association, on peut se poiler avec leurs « indicateurs » : liberté d’expression, stabilité politique, efficacité gouvernementale, qualité réglementaire, contrôle de la corruption, qualité de l’État de droit… Alors qu’aucun chercheur sérieux en science sociale ne peut définir simplement ces termes, les géniaux experts de Préfon eux, le peuvent.

 

Plus fort encore, ils attribuent une note à chaque critère. Ainsi, ils regrettent que l’indicateur de gouvernance des États soit « en baisse », en particulier concernant les piliers « stabilité politique, violence et terrorisme » pour la France. Qui aurait pensé que les fonctionnaires français soient les victimes collatérales des frères Kouachi, d’Amedy Coulibaly et des auteurs de l’attentat du Bataclan ?

 

La finance nuit gravement à la démocratie

 

Dans les pays où les fonds de pension sont très répandus – parce que la retraite publique est insuffisante –, votre retraite (potentielle) est placée en Bourse, que vous le vouliez ou non. Or pourquoi les États sont-ils en déficit aujourd’hui ? A cause de la crise boursière de 2008, qui a fait exploser le chômage. On l’a tous oublié, mais si les dettes publiques sont si fortes aujourd’hui, c’est parce que la finance dérégulée, censée favoriser la croissance, a fait exploser l’économie mondiale il y a onze ans. Et c’est au nom de la dette publique que l’on massacre les services publics.

Par ailleurs, pourquoi les électeurs américains et britanniques ont-ils voté pour Trump et le Brexit ? Parce que, aux États-Unis et au Royaume-Uni, les banques ont fait faillite, vraiment, et que les banquiers ont été sauvés avec l’argent des contribuables, ce gros nul d’Obama, en particulier, n’exigeant absolument rien d’elles en contrepartie, ce que les citoyens, bizarrement, ont mal vécu. 

Et les banques et assurances financent des bataillons de lobbyistes, d’avocats, de juristes, et d’« experts » en tous genres qui luttent, la plupart du temps avec succès, contre toute velléité de réglementer leurs activités. La finance nuit donc gravement à la démocratie.

 

La guerre des générations

 

De plus, lorsque votre future retraite est placée dans un fonds de pension, vous avez intérêt, au sens strict du terme, à ce qu’elle vous rapporte un max. Et donc que les entreprises dont vous possédez – par l’intermédiaire de votre fonds – des actions, vous versent, en tant qu’actionnaire, des dividendes élevés. 

Pour cela, l’entreprise engrange un maximum de profits. Ensuite, elle paye ses salariés le moins possible. Avec le fonds de pension, vous vous opposez à vos enfants et petits-enfants, qui travaillent : plus leurs salaires sont bas, plus – potentiellement – votre retraite est élevée.

Les fonds de pension alimentent donc la guerre entre générations. Les États, de leur côté, bonnes poires, soutiennent toujours les fonds de pension par des déductions fiscales qui vident les caisses publiques. Et nous devenons tous des soutiens de la Bourse, où notre avenir, littéralement, se joue.

À l’inverse, la Sécu repose sur la solidarité, entre métiers, et entre générations. C’est donc sans doute une coïncidence si, depuis des décennies, aucun gouvernement ne nous a rappelé que l’immense majorité des habitants de la planète rêve de notre bonne vieille Sécu, tandis qu’ils nous chantent les louanges des fonds de pension.

 

Réforme des retraites : La passion française pour les inégalités

 

On l’a dit, le système de retraites est inégalitaire, en raison des différences considérables d’espérance de vie. Aujourd’hui, c’est Robert le maçon qui finance la retraite de Françoise, la prof de français de ses enfants.

Mais, plus généralement, il est faux de penser qu’en France, les riches et les classes moyennes paient pour les pauvres. En fait, c’est l’inverse.

 

 

Il ne faut pas réformer les retraites (IV)

 

Vous voulez payer moins d’impôts ? Soyez riches

 

La première dépense de l’État, de très loin, ce sont les fonctionnaires : police, armée, justice, enseignement, santé. Pour se financer, l’État prélève des impôts : TVA, impôt sur le revenu, taxes sur l’essence, le tabac, etc. 

Une particularité du système français, c’est que la plupart des impôts sont proportionnels au revenu, ou à la dépense. Le cas typique est la TVA : Michel, le SDF du coin de la rue, paye le même montant de TVA lorsqu’il s’achète un T-shirt à 20 euros que Bernard Arnault.

Or la TVA rapporte 130 milliards d’euros par an à l’État, soit presque deux fois plus que l’impôt sur le revenu (70 milliards). À elle seule, la TVA représente presque la moitié des recettes de l’État !

Certes, les riches paient plus d’impôts, parce qu’ils gagnent plus, et dépensent plus. C’est quand même le minimum du minimum. Mais ils ne paient pas nécessairement une part plus importante de leurs revenus en impôts.

 

Tous à la proportionnelle

 

Pour nous autres économistes, il y a trois types d’impôts :

➡les impôts « progressifs » : plus votre revenu augmente, plus le tauxd’imposition augmente ;

➡les impôts « proportionnels » : le taux est le même pour tous ;

➡les impôts « régressifs » : le taux baisse lorsque le revenu augmente.

En France, l’immense majorité des impôts sont proportionnels. C’est notamment le cas de la TVA et des cotisations sociales, qui représentent 80 % des prélèvements.

Les seuls impôts – un peu – progressifs sont l’impôt sur le revenu et les droits de succession. Or ces derniers, contrairement à ce qui est généralement cru, sont minuscules.

Enfin, il existe des impôts régressifs. C’est le cas de tous les impôts dont le montant est fixe, comme les timbres fiscaux, ou les PV de stationnement. Pourquoi sont-ils régressifs ? Parce que la même somme représente une part plus faible d’un revenu plus élevé. Ainsi, en Suède, les PV sont d‘autant plus lourds que vous avez un salaire élevé. Car l’effet dissuasif d’une amende à 135 € est bien plus faible quand vous gagnez 10 000 € par mois que quand vous êtes prof ou infirmière.

 

« Bonjour, c’est la réalité, j’ai un message pour vous »

 

Un : le taux d’imposition le plus faible est celui versé par… les plus riches (partie tout à droite – ça tombe bien – du graphique, où il descend à un peu plus de 30 %).

Deux : le taux d’imposition des plus pauvres n’est que de peu inférieur à celui des classes moyennes (moitié gauche du graphique).

D’où découle cette chose très rigolote qui est que le taux d’imposition des classes populaires est… plus élevé que celui des très riches.

Or, on se rappelle que les plus pauvres vivent dans des endroits à l’habitat dégradé, où les services publics ferment les uns après les autres. La mairie de la Courneuve a mis en ligne un Atlas des inégalités territorialesqui montre qu’il y a moins de médecins, de profs et de, euh, ben, de tout en fait, par habitant de banlieue pauvre dans les quartiers pauvres qu’à Paris. Même les flics sont plus nombreux dans le Ve arrondissement de Paris qu’à La Courneuve.

De leur côté, des familles de Seine-Saint-Denis en sont à faire un procès à l’Étatpour que leurs enfants aient des profs en classe. A l’inverse, les enfants des lycées de centre-ville, plus souvent issus de familles favorisées, sont ceux qui coûtent le plus cher à l’Education nationale, puisqu’ils et elles ont face à eux les profs les plus diplômés et les plus expérimentés, donc les mieux payés.

À l’inverse, les cadres disposent de nombreuses possibilités de payer moins d’impôts, grâce à leurs « conseillers fiscaux », que je pendrais tous haut et court si je pouvais. Ou même de gagner de l’argent grâce aux atroces dispositifs « Pinel », « Scellier », et autres, dont le coût exorbitant pour l’État est dénoncé par l’Inspection générale des finances. Mais au moins « on est tranquille, on aura un petit quelque chose à léguer à Marion, Jules et Sacha ».

Décidément, le mouvement des Gilets Jaunes est vraiment incompréhensible.

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