Serge Grah (coordon.) : Jean-Marie Adiaffi Adé. Entre éclairs et foudres. Préface de Jean-Noël Loucou. Abidjan, Valesse Éditions, 2021.
Cela fait 22 ans que Jean-Marie Adiaffi est parti rejoindre le monde de ses ancêtres. Il n’était âgé que de 58 ans.
On ne remerciera jamais assez le journaliste, poète et essayiste Serge Grah d’avoir coordonné ce très beau livre, très richement illustré, qui fait le tour de la personnalité et de l’écriture de cet homme et de cet écrivain unique.
Adiaffi, comme la plupart des intellectuels et des artistes de sa génération, fut formé à l’école de la France : baccalauréat français, Capes de philosophie, IDHEC. Mais peu d’écrivains ont su aussi bien que lui s’approprier, puis se détacher de l’esthétique de la puissance coloniale pour faire surgir une œuvre authentiquement africaine.
Pour ce qui me concerne, de 1980 (La carte d’identité) à 1990 (Silence, on développe), je n’eus de cesse que d’attendre son prochain ouvrage, à chaque fois un coup de poing, un cri lancé par une voix tonitruante, cependant suffisamment éraillée pour ne pas être menaçante mais, au contraire, bienveillante.
Il m’avait fait l’honneur de me montrer sa case à fétiches dans son petit appartement de Cocody. Nous nous croisions fréquemment sur le campus de l’Université d’Abidjan. Il me vannait d’un « Ça va, petit Blanc ? » auquel je répondais (je le dépassai d’une demi-tête) « fort bien, et toi le grand Noir. » C’est lui qui m’initia aux philosophes présocratiques, Héraclite au premier chef avec sa vision “ mobile ” de l'univers. Comme il me savait profondément athée, il n’insista jamais trop pour m’expliquer le concept du bossonisme, qui était sien, (de bosson, génie en langue agni) qui était pour lui la religion des Africains. Á ses yeux, l’animisme était une perte de temps dans la perspective d’une théologie de la libération africaine, une modernisation sans occidentalisation : « C’est du panthéon d’un peuple, de son projet religieux, ses messagers et ses messages que se déduit son projet de société. Se déterminent se forment également l'ensemble des grandes valeurs intellectuelles, morales, éthiques, esthétiques, spirituelles, fondatrices de sa civilisation. Mais surtout, de sa conscience. Installer donc un peuple au centre de sa religion, c’est l’installer à nouveau dans son propre génie créateur, dans le foyer ardent de sa propre forge. »
Hormis mon modeste témoignage, ce livre comporte des textes sur la pensée philosophique d’Adiaffi, son rapport à l’histoire de l’Afrique, aux mythes et légendes, son écriture « en liberté », « débordante », son positionnement politique à mes yeux un peu ambigu : critique parfois virulent du président Félix Houphouët-Boigny, il s’affirmait bédéiste de gauche, du nom d’Henri Konan Bédié, immensément riche et héritier spirituel d’Houphouët. Il admirait ces deux hommes pour leur rapport à leurs racines et à leur identité. Á noter qu’Adiaffi ne prôna jamais le concept d’ivoirité.
Écoutons Adiaffi dans son poème Yalé Sonan (homme de misère) :
Je suis un nègre d’égout
Camelote carbonisée
Qui plus est.
Homme à blanchir, peine perdue, à l’omo
Á astiquer sans espoir à l’ajax ammoniaqué.
Je suis un nègre noir manqué,
Noir de Chine indélébile
Comme les traces frémissantes du fouet.
[…]
Tant mieux
Si le fouet fait de tout son affaire
Sauf le sourire blanc
De l’homme noir
Le sourire sourire qui
Sourit le cœur riant de gaieté.