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15 décembre 2021 3 15 /12 /décembre /2021 06:02

Serge Grah (coordon.) : Jean-Marie Adiaffi Adé. Entre éclairs et foudres. Préface de Jean-Noël Loucou. Abidjan, Valesse Éditions, 2021.

 

Cela fait 22 ans que Jean-Marie Adiaffi est parti rejoindre le monde de ses ancêtres. Il n’était âgé que de 58 ans.

 

On ne remerciera jamais assez le journaliste, poète et essayiste Serge Grah d’avoir coordonné ce très beau livre, très richement illustré, qui fait le tour de la personnalité et de l’écriture de cet homme et de cet écrivain unique.

 

Adiaffi, comme la plupart des intellectuels et des artistes de sa génération, fut formé à l’école de la France : baccalauréat français, Capes de philosophie, IDHEC. Mais peu d’écrivains ont su aussi bien que lui s’approprier, puis se détacher de l’esthétique de la puissance coloniale pour faire surgir une œuvre authentiquement africaine.

 

Pour ce qui me concerne, de 1980 (La carte d’identité) à 1990 (Silence, on développe), je n’eus de cesse que d’attendre son prochain ouvrage, à chaque fois un coup de poing, un cri lancé par une voix tonitruante, cependant suffisamment éraillée pour ne pas être menaçante mais, au contraire, bienveillante.

 

Il m’avait fait l’honneur de me montrer sa case à fétiches dans son petit appartement de Cocody. Nous nous croisions fréquemment sur le campus de l’Université d’Abidjan. Il me vannait d’un « Ça va, petit Blanc ? » auquel je répondais (je le dépassai d’une demi-tête) « fort bien, et toi le grand Noir. » C’est lui qui m’initia aux philosophes présocratiques, Héraclite au premier chef avec sa vision “ mobile ” de l'univers. Comme il me savait profondément athée, il n’insista jamais trop pour m’expliquer le concept du bossonisme, qui était sien, (de bosson, génie en langue agni) qui était pour lui la religion des Africains. Á ses yeux, l’animisme était une perte de temps dans la perspective d’une théologie de la libération africaine, une modernisation sans occidentalisation : « C’est du panthéon d’un peuple, de son projet religieux, ses messagers et ses messages que se déduit son projet de société. Se déterminent se forment également l'ensemble des grandes valeurs intellectuelles, morales, éthiques, esthétiques, spirituelles, fondatrices de sa civilisation. Mais surtout, de sa conscience. Installer donc un peuple au centre de sa religion, c’est l’installer à nouveau dans son propre génie créateur, dans le foyer ardent de sa propre forge. »

 

Hormis mon modeste témoignage, ce livre comporte des textes sur la pensée philosophique d’Adiaffi, son rapport à l’histoire de l’Afrique, aux mythes et légendes, son écriture « en liberté », « débordante », son positionnement politique à mes yeux un peu ambigu : critique parfois virulent du président Félix Houphouët-Boigny, il s’affirmait bédéiste de gauche, du nom d’Henri Konan Bédié, immensément riche et héritier spirituel d’Houphouët. Il admirait ces deux hommes pour leur rapport à leurs racines et à leur identité. Á noter qu’Adiaffi ne prôna jamais le concept d’ivoirité.

 

Écoutons Adiaffi dans son poème Yalé Sonan (homme de misère) :

 

Je suis un nègre d’égout

Camelote carbonisée

Qui plus est.

Homme à blanchir, peine perdue, à l’omo

Á astiquer sans espoir à l’ajax ammoniaqué.

Je suis un nègre noir manqué,

Noir de Chine indélébile

Comme les traces frémissantes du fouet.

[…]

Tant mieux

Si le fouet fait de tout son affaire

Sauf le sourire blanc

De l’homme noir

Le sourire sourire qui

Sourit le cœur riant de gaieté.


 

 

Note de lecture (201)
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commentaires

A
Pour éclairer ce billet, un lien qui permet d'éclairer un peu mieux la personnalité de Bahodine Majrouh (pp. 12 à 19) :<br /> <br /> https://afrane.org/wp-content/uploads/2021/04/2008_NouvellesdAfghanistan_122.pdf
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A
Merci Bernard pour votre témoignage émouvant. Adiaffi me fait penser à un autre grand poète afghan, Sayd Bahodine Majrouh (1928-1988). Permettez-moi de l'évoquer : lui aussi, avait fait ses études en France à Montpellier, docteur en philosophie, professeur à l'université de Kaboul, il est mort assassiné par les Talibans chez lui à Peshawar. (Vous avez parlé de ce problème afghan en septembre je crois).<br /> <br /> "Il repartait le Voyageur.<br /> Il poursuivait sans fin sa marche et son récit.<br /> Il débusquait l'espoir et la clef des énigmes.<br /> Il s'en allait vers le Levant, chaque fois scrutant l'aube, <br /> Et chaque fois l'aube montait, et chaque fois l'aube fondait<br /> Etrangement, comme l'évaporation d'une nuit sans mémoire,<br /> Comme un soleil d'effacement, comme une trappe sans pitié,<br /> Laissant place à la gueule béante d'une fournaise." <br /> <br /> (Le Rire des Amants, Ego Monstre II, Prologue, l'Orient des Fausses Aurores. Le Voyageur de Minuit, Ego Monstre I " est en quelque sorte le pressentiment de sa mort, lui le Voyageur qui sait que :<br /> <br /> "... le chemin unique, <br /> ce qu'il avait à faire,<br /> ce qui restait : <br /> aller droit dans l'antre même <br /> des ténèbres. "
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