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6 février 2022 7 06 /02 /février /2022 06:00
Hanouna, Mélenchon, Zemmour en plein spectacle. Publié par Descartes dans son blog.

Avez-vous regardé « Face à Baba », nouvelle émission « politique » sur C8 ? Moi si. Et je ne suis pas sûr que ce fut une bonne idée. Marx disait, citant Hegel, que l’histoire se répète, la première fois comme une tragédie, la deuxième comme une farce. Et bien, « Face à Baba » est la répétition d’émissions comme « l’Heure de vérité », mais sous format farce. C’est triste de voir où en est tombé le débat politique. On trouve pas mal d’auteurs pour dénoncer les dérives de « l’infotainement », mélange de « information » et « entertainment » (« amusement » en américain). Il faudrait peut-être une nouvelle catégorie, le « politainment », mélange entre « politique » et « entertainment ».

En 1994, lorsqu’il anime le débat entre Bernard Tapie et Jean-Marie Le Pen, Paul Amar ouvre la confrontation en proposant aux deux participants des gants de boxe. A l’époque, le geste fait scandale et Amar paiera chèrement son geste, tout simplement parce que les Français se faisaient une certaine idée du débat politique en démocratie, et n’acceptaient pas qu’il soit réduit au spectacle d’un match de boxe. On imagine difficilement aujourd’hui qu’il fut un temps où tout n’était pas permis, où les émissions politiques étaient un questionnement digne et rationnel, dans un décor sobre, d’un homme politique par des journalistes et des politologues.

En 2022, l’homme politique n’est plus face au peuple ou à l’histoire, mais « face à Baba ». Pour ceux qui ne le sauraient pas, le nom de l’émission vient du petit nom dont la mère de Cyril Hanouna affublait son enfant. Ce n’est pas neutre. L’homme politique parle dans un décor « flashy » destiné à distraire le spectateur, qui pourrait être celui d’une émission de variétés. Il est interrogé par différents personnages médiatiques ou « citoyens de la société civile » qui excellent dans le pathos mais sont incapables de poser une problématique qui soit véritablement politique. Il ne peut sortir de ces confrontations… qu’un match de boxe, des échanges de « vous vous prenez pour qui, vous ? », et des flots de démagogie. Démagogie qui consiste autant en promettre n’importe quoi que de prétendre une fausse empathie avec les malheurs de son public.

Je me suis toujours demandé, en regardant les émissions de Mireille Dumas, comment des gens pouvaient manquer de dignité et d’estime de soi au point d’exhiber leur vie intime à la télévision. Avec les hommes politiques, c’est pareil. Qu’un candidat à la plus haute magistrature se laisse (mal)traiter d’égal à égal par un bateleur comme Hanouna et ses invités, c’est déjà consternant. Qu’un candidat accepte de participer à une telle émission comme « faire valoir » d’un autre candidat, comme l’a fait Zemmour, c’est désolant.

Le spectacle avait chassé l’information de nos écrans, maintenant il chasse la politique. Confronter l’homme politique à la « victime » – ce que Hanouna fait abondamment – tue la politique, parce que la politique nécessite une capacité à s’abstraire du cas particulier pour penser le cas général. « Hard cases make bad law » (« les exemples difficiles font des lois mauvaises ») disent les Anglais, et ils ont raison. Lorsque l’homme politique s’occupe du cas de monsieur X ou de madame Y, il ne fait plus de politique. Faire de la politique, c’est dégager l’intérêt général et le mettre au-dessus des intérêts particuliers. Et l’intérêt général exige quelquefois que madame Y se prenne un coup de matraque dans la gueule, ou que monsieur X meure dans les tranchées. Le malheur individuel peut être mis au service de tout et son contraire : en entendant l’infirmière qui dénonce la misère de l’hôpital, on a envie d’augmenter la dépense publique. En écoutant le gentil transporteur écrasé par les taxes sur l’essence, on a envie de la réduire. On ne peut penser une politique à partir de la superposition des discours individuels.

Placer l’homme politique dans un décor de variétés tue la politique, parce que le citoyen finit par se demander si l’homme politique croit plus à ce qu’il dit que l’acteur qui joue Hamlet. Et j’irai plus loin : si l’homme politique accepte de se donner en spectacle, c’est parce que lui-même se met dans la peau d’un acteur (1). Mélenchon est de ce point de vue le pionnier, avec ses « hologrammes » et autres « meetings immersifs ». Insidieusement, la forme prend le pas sur le fond, la sensibilité – et la sensiblerie – sur le discours rationnel. Mais Mélenchon n’est pas le seul, loin de là. Tout le monde est atteint, y compris au plus haut de la pyramide. Quand le président de la République fait une émission avec McFly et Carlito, il fait lui aussi du spectacle.

La politique, la vraie, est une chose sérieuse. Une chose qui nécessite une hauteur de réflexion, une capacité à s’abstraire de l’anecdote. Une chose qui impose des choix tragiques. Si ceux qui sont censés la faire n’y croient pas, pourquoi le peuple le verrait-il autrement ? C’est bien cela le problème : si la politique devient un spectacle, l’homme politique devient un acteur, c’est-à-dire un homme qui débite – bien ou mal – un discours auquel il n’est pas tenu de croire, et qu’il s’adapte au gout du public. Personne ne s’imagine que l’acteur qui joue Macbeth s’intéresse à l’avenir de l’Ecosse.

Descartes

(1) J’invite ceux qui n’auraient pas regardé « face à Baba » avec Jean-Luc Mélenchon de regarder les dix dernières minutes de l’émission, c’est-à-dire, la séquence avec Raquel Garrido. Il y a de quoi faire un sketch…

 

Politainment
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commentaires

A
Vous prie d'excuser mon envahissement ! Un p'tit coup de revenez-y ! Avec Mongénéral, nous avons eu Charonne et avant... cette horreur, le 6 février 1934 : pour le premier événement j'avais manifesté tant bien que mal (cimetière du Père-Lachaise) et pour 1934 c'est mon père !! Deux gamins dans leur époque !
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A
Quand je post un commentaire et je le fais souvent, très très souvent je me dis : bon, cette fois on va faire un sevrage de plusieurs jours. D'autant que ça finit par faire version écrite des messieurs/dames troncs des débats fumeux des chaînes info.<br /> Mais voilà souvent, souvent il y a un sujet qui donne une envie qu'on qualifie immanquablement de furieuse mais qui est plus simplement irrépressible.<br /> Comme aujourd'hui.<br /> La séquence Zemmour/Mélenchon a été lamentable de la part de Mélenchon - et croyez que c'est dur d'écrire ce mot - J'ai été profondément gêné : c'était un mélange de propos de matamore et d'altercation de rue. Ça c'est pour la forme parce que côté efficacité, la note se situe en dessous de zéro. Alors qu'il eût fallu laisser l'autre dérouler son discours et venir placer sereinement quelques mots de contradiction.<br /> Je dois dire aussi que j'ai éteins la télé au moment au Raquel Garrido est arrivée, non en raison de sa personne mais parce qu'il y a quelque chose d'insupportable à entendre une personne louer une autre lorsque celle-ci se trouve en sa présence.<br /> Je me demande aussi si arrivé où il en est il existe quelques personnes de son entourage pour émettre quelques conseils pour corriger une pente qui conduisent à ces situations. J'espère qu'une personne comme Manuel Bompard pour qui j'ai une grande estime le fait.<br /> Quant à aller ou non dans ce genre d'émission, je suis en désaccord avec Descartes. Pour exagérer je dirais qu' il faut aller même à la météo pour faire passer son message car combien sont ceux qui écoutent les interventions de Mélenchon à la tribune du Parlement. Pourtant édifiantes et toujours, oui toujours, exigeantes.<br /> Combien sont ceux qui ont écouté son discours ce 4 février au Mans sur l'abolition de l'esclavage ?<br /> Par conséquent il serait injuste de le réduire comme le fait la machine médiatique à ces instants pour étouffer tout le reste et tout le reste est sans commune mesure avec ces faux pas. <br /> Il est erroné de trouver des similitudes entre cette émission TPMP que je ne regarde jamais tant elle est vulgaire et parce qu'elle est une machine à délabrer les esprits et celle de Mireille Dumas qui sont effectivement indécentes ou celle avec Carlito et Machin qui elle relève de la déconnade dépolitisante. <br /> Enfin au sujet de : "On ne peut penser une politique à partir de la superposition des discours individuels". Sans doute car on oublie ou on fait oublier la causes structurelles qui conduisent à ces situations. Cependant j'entends peu de critiques de cette méthode lorsqu'elle est revendiquée par Ruffin et qu'il applique systématiquement dans ces discours. Mélenchon est peu ou pas habitué du fait.<br /> Je veux redire ici que l'intervention du Médecin a été admirable en tout point et particulièrement côté efficacité car elle a donné des exemples concrets de la politique hospitalière et ses effets sur le citoyen lambda. <br /> Malheureusement la perversité d'une mesure politique n'est comprise souvent que si l'auditeur fait un transfert personnel non parce qu'il est démuni de tout jugement mais parce qu'il pense que tout cela relève de la théorie, pire de l'idéologie sans savoir que lui-même il en est tout imprégné, d'idéologie, d'une façon ou d'une autre.
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A
À Esclarmonde,<br /> En effet on se dit qu’on a une stratégie quand on va à ce genre d’émission, face à un Zemmour. On peut supposer que c’est le cas et si ça l’est elle n’est pas la bonne car elle est contre-productive. Face à ce type de personnage il ne s’agit pas de débattre. Le débat lui donne un peu plus de consistance. Il lui faut laisser dérouler ces obscénités racistes et intervenir laconiquement pour placer les idées que l’ont juge essentielles pour en montrer la bêtise. Par exemple celles que Mélenchon évoque par ailleurs : les causes de ces migrations dont nos gouvernements sont largement responsables ou la logistique nécessaire pour retrouver et renvoyer les clandestins à supposer que cela est possible ou encore la fausseté du lien entre cette immigration et les difficultés que rencontrent nos sociétés…
E
participer à ce genre d'émissions nécessite en préalable de dire où, comment et pourquoi . A partir de là on sait où se positionner . Personnellement je ne suis pas du tout consommateur de ce genre d'émissions . Tout doit y être amalgamé, confus mais pourvu qu'il y ait du spectacle et donc des entrées d'argent par la publicité qui est le véritable commanditaire (payeur) de ces émissions. C'est ce qui intéresse avant tout Bolloré .
B
Hélas, hélas, hélas ... aurait dit Mongénéral.
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A
Poilitique de spectacle et spectacle de la politique ! Rien de bien nouveau, hélas, hélas comme pour la "jeune Tarentine" dont les nymphes accompagnent le cercueil : " Toutes frappant leur sein et traînant un long deuil / Répétèrent : "Hélas ! " autour de son cercueil. "<br /> <br /> " Cercueil " qui, craignons-le, pourrait être celui de la mort de la République enterrée par un couple, sans pleur aucun parce que sans scrupule ! Ce spectacle, cette comédie de la politique sont particulièrement bien représentés en 2022 par des ministres dont l'objet est avant tout de gouverner pour régner sous le manteau d'un autre. " Ils sont ambitieux. Ils cultivent, comme M. Hugo, l'art pour l'art. L'art, pour eux, c'est être ministre. Ils gouvernent pour gouverner. " La Revue indépendante (1841-1848), fondée par George Sand, Pierre Leroux et Louis Viardot, article de Pierre Leroux " Aux politiques ".<br /> <br /> Après l'éphémère deuxième république, ce fut Napoléon III. 175 ans... déjà ! Il est vrai que nous avons eu Mongénéral qui a, tout de même, établi la cinquième République !!!