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16 juillet 2022 6 16 /07 /juillet /2022 04:34

 

La start-up nation au-dessus des lois de la République, par Jacques Littauer

 

Alors ministre de l'Économie de François Hollande, Emmanuel Macron a activement soutenu l'entreprise étasunienne de véhicules avec chauffeurs, qui menait une vaste opération de lobbying afin de contourner des lois qui lui étaient défavorables.

C’est l’histoire d’une grande entreprise qui veut se créer son marché en changeant les règles du jeu, prête à presque tout pour parvenir à ses fins et dont le désir va rencontrer celui d’un jeune ministre de l’Économie. L’entreprise californienne Uber était face à un problème : elle voulait « révolutionner la mobilité » à l’échelle mondiale… en ne proposant rien de nouveau.

Uber, ce n’est pas Microsoft, Tesla ou Netflix, entreprises qui ont conquis la planète grâce à leurs innovations (par ailleurs fort discutables). Uber, ce sont des taxis comme les autres. Comment dégager des profits ? Comment se faire sa place sur ce marché très réglementé, les taxis relevant en France du ministère de l’Intérieur, car considérés comme d’ordre public ?

 

Une stratégie simple, et efficace

 

La solution a fonctionné en deux temps. Un : faire exploser les règles existantes, pardon « ouvrir le marché à la concurrence », comme l’on dit à Bruxelles. Deux : faire croire que les chauffeurs Uber seraient des « indépendants ». Une ficelle juridique de la taille d’une corde, les faux indépendants devant respecter les codes de l’entreprise au bouton de chemise près, étant entièrement dépendants de son application, et sanctionnés au moindre écart.

Je n’ai jamais compris que cette farce tienne plus d’une seconde face à la justice, l’inspection du travail en particulier. Mais l’impressionnant travail fourni par les centaines de journalistes réunis au sein du groupement « Uber files » apporte la réponse. Si Uber a pu gruger la loi, c’est qu’il a obtenu le soutien actif de l’État. Soit la définition exacte du néo-libéralisme.

 

Petit précis de lobbying

 

Les dizaines de milliers de documents transmis par une source interne à l’entreprise, restée anonyme, aux journalistes du Guardian détaillent la stratégie de lobbying de la firme californienne pour s’implanter. Comme le dit Travis Kalanick, l’un des fondateurs de l’entreprise : « Nous sommes au milieu d’une campagne politique, et le candidat, c’est Uber. »

Car les taxis sont furieux. Le député socialiste de Saône-et-Loire Thomas Thévenoud sera alors à l’origine d’une loi adoptée en octobre 2014 qui définit le statut des « véhicules de tourisme avec chauffeurs », les VTC. La principale disposition leur interdit de prendre des clients en « maraude » c’est-à-dire hélés dans la rue, sans réservation préalable. Cette possibilité étant réservée aux seuls taxis, elle portait tort à Uber, principale visée.

Pour combattre une loi, il faut une autre loi. Et, pour cela, il faut des parlementaires. Ce sera le rôle du centriste Vincent Capo-Canellas, sénateur de Seine-Saint-Denis, qui rencontre le directeur général d’Uber France, Thibaud Simphal, puis travaille avec, enfin plutôt « pour », les lobbyistes de la start-up qui… lui rédigeront les amendements qu’il parviendra à faire adopter par la haute Assemblée.

Bercy contre Beauvau

 

Le ministre de l’Intérieur de l’époque Bernard Cazeneuve n’appréciant pas la stratégie du « fait accompli » d’Uber, qui offre son service dans plusieurs villes alors qu’elle ne dispose pas des autorisations nécessaires, l’entreprise se tourne vers Bercy pour nous chanter la sérénade des « créations d’emplois ». Par chance pour elle, le siège de ministre est occupé par Emmanuel Macron.

En janvier 2015, Macron reçoit Travis. Ils échafaudent un plan de bataille commun. Un : trouver « un député favorable », idéalement de la majorité. Deux : « lancer une grande campagne de communication par Macron et Uber en parallèle ». Ce qui fut fait, et bien fait, grâce au député socialiste de Maine-et-Loire Luc Belot qui, tout comme Vincent Capo-Canellas, déposera des amendements rédigés par l’entreprise. Interrogé par les journalistes, Luc Belot « assume totalement » ses amendements de l’époque.

L’année suivant, le député socialiste de Côte-d’Or Laurent Grandguillaume essaie de faire passer une nouvelle loi pour combler les failles de la loi Thévenoud. Il échouera. L’ex-député évoque aujourd’hui « des tracts, des pages de publicité, des tribunes, des tags sur les trottoirs » contre sa loi. « Vous aviez d’un côté les taxis G7, et de l’autre une multinationale. C’est chez Uber qu’était la puissance de feu à l’époque. » G7 contre Uber, comme la loi est joliment écrite dans notre pays !

Uber au-dessus de tout ?

 

Si Uber s’appelle ainsi, c’est parce que, littéralement, Uber, c’est ce qui est au-dessus de tout. Comme l’explique Alain Vidalies, ancien secrétaire d’État aux Transports, « ils avaient un sentiment de toute-puissance, ils pensaient qu’ils étaient en train de révolutionner le monde du transport et de la mobilité ». Or, et c’est presque mignon, ce désir de toute-puissance était aussi celui d’Emmanuel Macron : ils étaient faits pour se rencontrer.

Le problème, c’est qu’Emmanuel Macron se soit activement mis au service d’une entreprise privée qui ne faisait alors pas mystère du tout de sa volonté de s’asseoir sur les lois de la République à son profit. Surtout que cette entreprise pratique allègrement l’évasion fiscale, a été condamnée dans plusieurs pays pour ses violations du droit du travail, et est connue pour sa culture masculiniste, elle aussi à l’origine de condamnations.

Uber est la quintessence de cette Silicon Valley à propos de laquelle les dénonciations de souffrance au travail, de harcèlement et de sexisme se multiplient. Qu’Emmanuel Macron soit fan d’une entreprise aussi toxique, dont le projet économique est par ailleurs minable – mettre fin au monopole des taxis, waouh comme c’est moderne –, au point de mettre son pouvoir de ministre entièrement à son service, en dit long sur sa triste personne. 

 

Source Charlie Hebdo

 

Á lire également cet article du Monde.

Le banquier éborgneur et emmerdeur au service d'Uber
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commentaires

A
Merci pour votre réponse ! Mais au juste qu'est-ce que M. Macron "assume" entouré par une garde plus que rapprochée ? La photo laisse tout de même rêveur (cette façon de se "coller" à son interlocuteur) et est, au vu des rumeurs sur le couple présidentiel, pour le moins étrange ! En outre, citer Jacques Chirac est-ce réellement un bon argument ?
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A
Il y aujourd'hui un verbe qui a énormément de succès : assumer, qui se conjugue surtout à la premier personne de l'indicatif présent, j'assume et à la 3eme, il assume.<br /> Ce serait implicitement une preuve de courage pour celui qui assume s'il y avait un risque. Un courage qui serait en proportion du risque. Les journalistes entretiennent cette farce lorsqu'ils lancent à un opposant : vous voyez il assume !<br /> Dans l'exemple d'UBER, c'est une fois encore le cas et pire, il se double d'un langage de corps de garde qui ne lui va pas. Il surjoue la posture virile. D'autres personnages à ce poste, pour ne prendre que ces exemples, ont-ils eu besoin de jouer de cette corde-là. <br /> Par ailleurs le fait d'assumer légitime-t-il une décision ? <br /> Et c'est ici qu'on en vient à regretter que les journalistes par simple exigence intellectuelle ne s'intéresse pas prioritairement a la légalité des décisions politiques, à leurs conséquences plutôt et seulement qu'aux moyens d'y parvenir.<br /> Nous avons déjà eu droit à cette comédie pseudo virile. On se souvient sur un perron du " il n'y a qu'un responsable et il n'ont qu'à venir me chercher " et puis du jour, plus tard, où il s'est enfuit d'un théâtre au signalement de l'approche de manifestants.<br /> Cet homme n'est qu'une farce, tout du long. Qu'a-t-il fait et qu'aura-t-il fait sinon défaire.
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