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14 août 2011 7 14 /08 /août /2011 06:39

http://www.richesanslaloterie.com/newsletters/Pierre_Corneille.jpg-for-web-large.jpgUn récent téléfilm consacré à Corneille « nègre » de Molière m’a fait reprendre un ouvrage tout à fait iconoclaste dont j’avais fait l’acquisition en 1990 : Molière ou l’auteur imaginaire ? d’Hyppolite Wouters et Christine de Ville de Goyet.

 

Ces deux auteurs belges, pas du tout membres du sérail, n’étaient pas les premiers à fracasser le piédestal sur lequel Molière est juché depuis plus de trois cents ans. Avant eux, Pierre Loüys, Henri Poulaille (Corneille sous le masque de Molière (1957), René-Albert Gutmann s’étaient lancés dans cette entreprise très intimidante. Le travail serait poursuivi par Pierre Vidal, François Vergnaud ou Dominique Labbé.

 

Affirmer que Molière n’a quasiment rien écrit, à part quelques calembredaines, c’est douter de la virginité de Mère Teresa. Attaquer Molière, qui fut, quinze ans durant, le grand pourvoyeur de spectacles théâtraux du Roi-soleil, c’est attaquer la Comédie française, tout le théâtre classique français. C’est mettre au jour le plus grand mensonge culturel de notre pays. Mais si Corneille a effectivement écrit la meilleure part de l’œuvre de Molière, il égale ou dépasse Shakespeare et Dante.

 

Question : pourquoi Corneille a-t-il accepté de travailler dans l'ombre ? Pour deux raisons. La première, d'ordre alimentaire. Quant elle n'était pas bloquée trois ou quatre ans d'affilée, la dotation annuelle que lui versait le roi tombait … tous les quinze mois. Sacré Soleil ! Un vrai patron du XXIe siècle. Or Corneille avait une femme et sept enfants à nourrir. La seconde raison était d'ordre politico-culturel. Corneille voulait promouvoir des idées nouvelles ou dérangeantes que seul Molière, le théâtreux le plus influent – et le plus riche – quinze ans durant, pouvait exprimer sans risquer l'embastillement.

 

La vie de notre auteur chéri est parsemée de zones d'ombre. On pourrait commencer par son pseudonyme, sur lequel il ne s’est jamais expliqué. Deux hypothèses tiennent pour l’instant la corde : il pourrait s’agir du nom de jeune fille de l’arrière-arrière grand-mère de Corneille ou alors un hommage au romancier libertin François de Molières d’Essertines, mort assassiné en 1623. Notons également que sept villages français portent le nom de Molières (en Languedoc, une molière est une prairie humide).

 

De la main de Molière, on ne possède que quelques notes (dont une quittance), bourrées de fautes d’orthographe et de grammaire. Au XVIIe siècle, les nobles ou les bourgeois pouvaient commettre des fautes de français. Racine, Corneille, Boileau, Rotrou : jamais. Quand Molière meurt, sa bibliothèque vaut 130 livres de l’époque. Sa vaisselle, plus de 6000. J-B (Jean-Baptiste Poquelin) gagnait très bien sa vie, mais il possédait à sa mort 200 ouvrages tandis que son disciple Baron en possédait plus de 4000. On se demande bien dans quels ouvrages J-B est allé chercher les innombrables sources de « ses » pièces. Personne n’a jamais été capable de dire avec précision quel genre d’études secondaires ou supérieures J-B avait suivi. On ne possède aucune correspondance adressée à Molière, ni aucun double des lettres qu’il aurait pu envoyer. Mettons que cela se soit perdu. Mais on ne possède pas non plus la moindre lettre de Molière reçue par des correspondants. Molière n’écrivait pas. Diriger soixante personnes, faire le courtisan, intriguer, vivre des amours complexes, tout cela occupait le plus clair de son temps.

 

Vous voulez du Molière authentique ? En voilà (Le Médecin volant) :

 

« Quoi ? Monsieur Georgibus, votre fille ne pisse que des gouttes ! Voilà une pauvre pisseuse que votre fille, je vois bien qu’il faudra que je lui ordonne une potion pissative ».

 

Corneille et Molière ont aimé une même femme (sans réciprocité), la célébrissime Marquise du Parc. Corneille lui écrivit ceci :

 

Le temps aux plus belles choses

Se plaît à faire un affront

Et saura faner vos roses

Comme il a ridé mon front

 

Le même cours des planètes

Règle nos jours et nos nuits

On m’a vu ce que vous êtes

Vous serez ce que je suis

 

Fou de désir, Molière se met en quatre et écrivit :

 

D’une brillante grâce

Vos traits sont embellis

Et votre teint efface

La rose et le lys

De nos jeunes Phylis

 

L’esprit bien agréable et l’accueil admirable

En vous se trouvent joints.

 

On comprend que Brassens ne se soit pas intéressé à ces rimailleries d’un élève de quatrième aménagée ! Comme dit Poulaille, « un écrivain n’écrit pas mal parce qu’il est pressé. Il sait écrire ou ne pas écrire, mais il ne peut à la fois savoir écrire et ne pas savoir écrire. »

 

    Poquelin se lance dans la carrière théâtrale en 1643, comme acteur et directeur de troupe. En 1658, il traverse subitement toute la France et fonce sur Rouen, la ville de Corneille, qui est alors au fait de sa gloire. J-B reste six mois en Normandie. Il devient alors, à 37 ans, par l’opération du saint-esprit, un auteur de génie. À près de 40 ans, il accède à la maturation par un état de grâce inexplicable. On ne connaît aucun autre exemple dans la littérature, pour ne parler que de cet art, d’un médiocre devenant un phénix à l'approche de la qurantaine. Rimbaud avait cessé d’écrire à 19. Hugo fera jouer Hernani à 28 ans, publiera Notre-Dame de Paris à 29. N’insistons pas pour ce qui est de la musique : Schubert est mort à 31 ans. Quant à Mozart… De 1660 à 1673, J-B va composer 30 pièces. 12, dont quatre chefs-d’œuvre entre 1664 et 1669. Dans le même temps, il montera 65 pièces d’autres auteurs, en assumant trois fois sur quatre le rôle principal.

 

Molière joue alors du Corneille à tour de bras. Georges Couton écrira : « Tout se passe comme s’il avait voulu se faire l’interprète de Corneille, voire s’imposer à Corneille comme son interprète. »

 

En 1660, Fouquet organise une grande fête en l’honneur du Roi. Il demande à J-B une comédie. En quinze jours, celui-ci écrit Les Fâcheux, les fait apprendre et répéter par sa troupe. Mieux qu’un coureur cycliste dopé. Il concède dans sa préface : « comme le temps était fort précipité et que tout cela ne fut pas réglé en même temps par une même tête… ». Il faut dire que Corneille n’était pas loin puisque Fouquet lui avait commandé un Œdipe.

 

En 1665, J-B fait représenter Dom Juan ou le festin de Pierre (Corneille ?). Une pièce très critique de valeurs dominantes à l’époque. Après quelques représentations, il la retire de l’affiche. Anouilh, cité par nos deux auteurs, écrira ces quelques lignes bizarres : « Je suis persuadé que Molière n’a pas su ce qu’il écrivait. Épouvanté, quinze jours plus tard, ayant “ vu ” la pièce, il l’a retirée de l’affiche et il ne l’a jamais fait éditer. » Quatre ans après la mort de Molière, Thomas, le frère de Pierre Corneille, traduit Dom Juan en vers à la demande d’Armande Béjart. Il l’intitule alors simplement Le festin de pierre. Il précise dans la préface : « Cette pièce dont les Comédiens donnent tous les ans plusieurs représentations est la même que feu Monsieur de Molière fit jouer en prose peu de temps avant sa mort. […] J’ai suivi la prose exactement à l’exception des scènes des troisième et cinquième acte. Ce sont scènes ajoutées à cet excellent original et dont les défauts ne doivent point être imputés au célèbre auteur sous le nom duquel cette comédie est toujours représentée. » Difficile pour Thomas de dire que Dom Juan est de Pierre. Mais impossible de dire tout uniment qu’il est de Molière.

 

Lorsque J-B joue Amphytrion, il dédicace la pièce au Grand Condé. Il avoue : « Je n’abuserai pas, Monseigneur, ni de votre nom, ni de vos bontés pour combattre les censeurs et m’attribuer une gloire que je n’ai peut-être pas méritée. »

 

En 1671, avec Psyché, plus d’ambiguïté. L’éditeur fait précéder la pièce de l’avertissement suivant : « Cet ouvrage n’est pas tout d’une main. […] Monsieur de Molière a dressé le plan de la pièce. Quant à la versification, il n’a pas eu le loisir de la faire entière. » Cette fois-ci, sur une musique de Lulli, ils s’y sont mis à trois : Quinault, Corneille, Molière. Corneille a écrit les trois-quarts de la pièce. Quinault les paroles des chansons.

 

Ce qui intrigue le plus les déboulonneurs depuis Pierre Loüys, c’est, expliquent Wouters et de Goyet, la présence de deux styles radicalement incompatibles au sein de mêmes œuvres : L’École des femmes, Le Misanthrope, Tartuffe, Dom Juan. Prenons ces deux vers admirables de L’École des femmes :        

 

Un air tout engageant, je ne sais quoi de tendre

Dont il n’est point de cœur qui se puisse défendre.

·                

·  Même merveilles dans Tartuffe ;

·                

L’amour qui nous attache aux beautés éternelles

N’étouffe pas en nous l’amour des temporelles.

 

Dans Le Misanthrope, Pierre Loüys était ébloui par :

 

Sur la foi de mon droit, mon âme se repose.

 

« Il superpose trois abstractions, écrivait-il. Et la tour en trois mots est si bien construite qu’au sommet du dernier étage, toute la force de la phrase, le verbe lui-même, repose. » Mais dans L’École des femmes on trouve aussi :

 

Il faut que sur le champ… Si tu bouges ! Je veux…

Que vous disiez euh ! Oui je veux que tous deux

Quiconque remuera, par la mort ! Je l’assomme.

 

Dans Tartuffe ? on se perd en conjectures devant :

 

Ce monarque, en un mot, a vers vous détesté

Sa lâche ingratitude et sa déloyauté.

 

Dans Le Misanthrope, Alceste se met tout d’un coup à baragouiner :

 

Le poids de sa grimace où brille l’artifice

Renverse le bon droit et tourne l’injustice.

 

Dans Les Femmes savantes, que signifie :

 

On est faite d’un air, je pense, à pouvoir dire,

Qu’on n’a pas pour un cœur soumis à son empire ?

 

Et puis, il y a le pompage direct. De nombreux vers de Corneille se retrouvent chez J-B à peine changés. Le

 

Ah ! Pour être dévot, je n’en suis pas moins homme

 

De Tartuffe, vient en droite ligne de Sertorius :

 

Ah ! Pour être Romain, je n’en suis pas moins homme.

 

Dans Les Femmes savantes,

 

Contentez-vous des yeux pour vos seuls truchements

Tant que vous vous tiendrez aux muets interprètes

 

Vient de La Suivante :

 

Ces muets truchements

Ne se disent que trop leurs amoureux tourments.

 

Dans Le Misanthrope,

 

Demeurez

Je ne puis

Je le veux.

 

Vient du Cid :

 

Va je ne te hais point

Tu le dois

Je ne puis.

 

En ces temps bénis, rappelle Wouters et al., les pseudos étaient fréquents, la propriété intellectuelle inexistante, et les emprunts, pillages et plagiats monnaie courante.

 

Même dans le scato, J-B n’égalais pas son aîné. Dans Les Précieuses ridicules, Mascarille prévient : « Moi, je dis que nos libertés auront peine à sortir d’ici les braies nettes. Au moins, pour moi, je reçois d’étranges secousses. » Du pipi-caca de base. Dans ses Poésies diverses, Corneille parle d'« incaguer les beautés ». Il fallait oser cette perversion !

 

En appendice, François Vergnaud apporte quantité de précisions. J’en citerai quelques-unes.

-       Corneille et celui qu’il nomme « Molière » sont les seuls auteurs de toute l’histoire de la littérature à utiliser le verbe rapaiser, néologisme de leur invention.

-       Molière a emprunté divers thèmes à des auteurs espagnols qui n’ont publié qu’en espagnol, une langue qu’il ne connaissait pas, mais que connaissait très bien Corneille.

-       Il y a de nombreux « normandismes » dans les pièces de « Molière », comme une pimpesouée (une femme légère). Par parenthèse, une petite erreur de Vergnaud : il relie le mot soue  (étable à cochons) à sewer (égout) et sow (et non sew) (truie). Ces mots n’ont pas la même origine : sewer vient du vieux français sever tandis que sow vient du vieil anglais sugu. « Molière » ne connaissait pas le normand. En revanche, il connaissait le gascon et le languedocien, mais aucune de ses pièces de compte de ces particularismes.

-       « Molière » fait souffler la tramontane en Gascogne. Mais vu de Rouen, bien sûr…

 

Ci-dessous, un extrait du livre d’Henri Poulaille Corneille sous le masque de Molière (1957) :

 

« La vie de Molière a été construite de toutes pièces et elle est fausse d’un bout à l’autre. On ne l’accepte pas moins comme vraie, comme l’on fait sienne l’œuvre de Molière alors qu’elle ne peut pas être de l’inconnu appelé Molière. La courbe d’un auteur peut avoir des écarts de quelque dix ou quinze degrés, mais jamais, s’il est un véritable auteur, ne dépassera ce maximum de fléchissement. Or, l’œuvre signée Molière est une perpétuelle fluctuation du néant au parfait. Dans la forêt moliéresque, il y a quelques arbustes tout de lierre, et des grands beaux arbres, des chênes dressés, solides à vivre durant des millénaires, mais il n’est un de ces chênes qui ne soit gêné, sinon mangé, par ce lierre parasitaire. »

 

Je cite également plus longuement les travaux de François Vergnaud :

 

« L’étude lexicographique et stylistique fait apparaître entre les textes de Corneille et de "Molière" des rapprochements tels qu’il n’en existe nulle part ailleurs entre deux auteurs : rapprochements de vocabulaire, de versification et de style.

• Mêmes occurrences de termes, mêmes proportions, mêmes répétitions d’hémistiches (par ex : "dans le siècle où nous sommes"), mêmes récurrences d’expressions caractéristiques, mêmes emplois de termes très archaïques ; – Plusieurs dizaines de spécifismes, c’est-à-dire de termes ou d’expressions qui existent au XVIIe siècle uniquement chez Corneille et chez "Molière". Il serait totalement impossible de trouver ailleurs de pareilles similitudes ; il s’agit donc d’un seul et même auteur (On peut même citer un néologisme qui n’existe que chez Corneille et "Molière" : rapaiser) ;

• Même syntaxe, avec quelques fautes – les mêmes ;

• Même versification, avec le recours aux mêmes rimes et (fait particulièrement important) même comptage de syllabes caractéristique, lui aussi (par ex : hier et viande : une syllabe) ;

• Même style, avec, pour ne donner qu’un exemple, l’utilisation, que nous pourrions presque qualifier d’obsessionnelle, de l’antithèse. D’autre part, Corneille et "Molière" font assez souvent lire un texte par leurs personnages (une lettre par exemple). Mais immédiatement après, il y a une "reprise" d’un fragment de la citation qui est ainsi mis en valeur. Nous n’avons retrouvé ce curieux procédé chez aucun autre contemporain. 

Autre coïncidence unique : Corneille et "Molière" sont les seuls à avoir construit un néologisme (un verbe) à partir d’un patronyme :

Corneille : "Nous pasquinerons leurs malices (76, Mélanges poétiques).
"Molière" : "désamphytrionner" (Amphitryon). […]

4 – Les auto-références. Cas unique à notre connaissance :

• d’une part Corneille cite lui-même ses propres pièces (par leur titre ou par leurs personnages) à plusieurs reprises à l’intérieur de son œuvre, et "Molière" fait la même chose ;

• d’autre part, "Molière" cite les pièces ou les personnages de Corneille – ou même Corneille lui-même.

C’était sans doute une bonne publicité –absolument impossible à retrouver chez un autre auteur. […]

6 – Les juridismes. […] Des nombreux exemples que nous pourrions citer, nous retiendrons seulement celui-ci : l’emploi du participe passé délibéré, qui est un spécifisme (une occurrence qui ne se rencontre que chez Corneille et "Molière") : " L’affaire… mérite d’être délibérée (Cid, 2, 9) ; "ce que la prudence des pères avait délibéré (Scapin, 3,9). Délibéré en ce sens est un terme de palais dont il n’existe pas d’exemple ailleurs au XVIIe siècle. […]

Nous n’avons pas trouvé dans l’œuvre de "Molière" de termes uniquement utilisés en Gascogne et en Languedoc, dont il était familier ; pourquoi y trouverait-on ces témoins spécifiquement normands ?

Il faut comprendre que ces normandismes, à eux seuls, suffiraient à emporter la conviction. […]

Nous comprenons mieux maintenant à quel point Corneille était un homme d’une extraordinaire complexité. Un fait est tout à fait révélateur ; il existe plusieurs acrostiches chez Corneille, dont le principal a été découvert récemment par M. Gignoux dans Horace et qui nous fut communiqué par Hippolyte Wouters. Il s’agit d’une tirade de noble envolée prononcée par Horace lui-même. En acrostiche, (vers 444 et suivants), on lit SALE CUL. Le calcul des probabilités montre qu’il est impossible que ce soit l’effet du hasard. Cela signifie que Corneille ose se démentir lui-même, récuse ce qu’il fait dire à ses héros. Cela nous en apprend beaucoup sur la complexité de son génie. Et l’on mesure ce qu’il était capable de faire. »

 

Enfin, René-Albert Gutmann s’est livré à l’expérience suivante :

 

« Voici quelques vers ; c’est le jeune Horace qui parle : lisez attentivement.

Combattre un ennemi pour le salut de tous

Et contre un inconnu s’exposer seul aux coups,

D’une simple vertu c’est l’effet ordinaire.

Mille déjà l’ont fait, mille pourraient le faire.

Mourir pour son pays est un si digne sort

Qu’on briguerait en foule une si belle mort.

De ce devoir sacré la juste violence

Etouffe dans mon cœur toute reconnaissance

Et je sacrifierais à de si puissants nœuds

Ami, femme, parents, et moi-même avec eux.

Et Chimène, avide de venger la mort de son père, partagée entre son amour pour Rodrigue et la honte de l’aveu, s’écrie :

Malgré des feux si beaux qui troublent ma colère,

Je ferai mon possible à bien venger mon père,

Mais par un haut refus et d’éclatants mépris,

Ferai-je dans mon choix voir un cœur trop épris ?

Encore une citation. Polyeucte, chrétien ardent et brûlant de courir au martyre, se prépare à aller au temple renverser les statues des faux dieux. Néarque, chrétien plus modéré, cherche à le retenir. Lisez toujours attentivement :

Allons, mon cher Néarque, allons aux yeux des hommes

Braver l’idolâtrie, et montrer qui nous sommes :

C’est l’attente du ciel, il nous la faut remplir,

Je viens de le promettre, et je vais l’accomplir.

Je rends grâce au Dieu que tu m’as fait connaître

De cette occasion qu’il a si tôt fait naître,

Où déjà sa bonté, prête à me couronner,

Daigne éprouver la foi qu’il vient de me donner.

Ce zèle est trop ardent, souffrez qu’il se modère.


On n’en peut avoir trop pour le Dieu qu’on révère.


Des intérêts du ciel pourquoi vous chargez-vous ?

 

Pour punir le coupable a-t-il besoin de vous ?

Laissez-lui, laissez-lui le soin de ses vengeances ;

Ne songez qu’au pardon qu’il prescrit des offenses ;

Et ne regardez point aux jugements humains

Quand vous suivez du ciel les ordres souverains.

Ménagez votre vie, à Dieu même elle importe.


Qui fuit, croit lâchement et n’a qu’une foi morte.

Je voudrais, avant de conclure, citer encore quelques vers, mais tirés cette fois, d’une comédie de Molière. C’est, dans Tartuffe, la pétulante Mme Pernelle qui parle :

Ces visites, ces bals, ces conversations

Sont du malin esprit toutes inventions.

Là jamais on n’entend de pieuses paroles ;

Ce sont propos oisifs, chansons et fariboles ;

Bien souvent le prochain en a sa bonne part,

Et l’on sait y médire et du tiers et du quart.

Mais naturellement femme qui peut se taire

A sur moi tel pouvoir et tel droit de me plaire,

Qu’eût-elle en vrai magot tout le corps fagoté,

Je lui voudrais donner le prix de la beauté.

On a sans doute reconnu les morceaux de ces "puzzles". Le discours du jeune Horace est, pour les six premiers vers, de Corneille (Horace, II, 3), et, pour les quatre derniers, de Molière (Tartuffe, V, 7).

Les vers de Chimène sont, les deux premiers, de Corneille (Le Cid, III, 4) et, les deux derniers, dans Tartuffe (II, 3)

Le dialogue de Polyeucte et de Néarque est, à partir de « Des intérêts du ciel », dans Tartuffe (IV, 1) et les deux derniers vers de nouveau dans Polyeucte.

Par contre, la diatribe de Mme Pernelle appartient, pour les quatre derniers vers, au Menteur, de Corneille.

Ces "mélanges" que j’ai faits touchent un curieux point de l’histoire littéraire. Mon regretté ami, André Doderet, le grand traducteur de Dante et de Gabriele d’Annunzio, m’a raconté souvent que, selon Pierre Louÿs, il y aurait eu, entre Corneille et Molière, une collaboration beaucoup plus étendue que la seule qui soit officielle, celle de Psyché. Quoi qu’il en soit, d’ailleurs, de cette thèse, un fait, qui seul nous intéresse ici, est net. Les vers de Molière, presque seuls à son époque, ont exactement tous les caractères que nous avons essayé de faire ressortir dans les vers de Corneille. C’est le même poète qui semble écrire. On retrouve dans les comédies cet équilibre, cette facture spéciale avec les mots forts placés aux temps forts :

Que de voir des vautours affamés de carnage,

Des singes malfaisants et des loups pleins de rage ?

(Misanthrope)

Cela sent son vieillard qui pour s’en faire accroire

Cache ses cheveux blancs d’une perruque noire.

(École des Maris)

Un air essentiellement "cornélien" marque ainsi tous les vers de Molière.

Lisons, par exemple, Tartuffe :

Il est de faux dévots comme il est de faux braves,

Et comme on ne voit pas qu’où l’honneur les conduit

Les vrais braves soient ceux qui font beaucoup de bruit,

Les bons et vrais dévots qu’on doit suivre à la trace

Ne sont pas ceux aussi qui font tant de grimaces…

Tout conspire, Madame, à mon contentement….

J’y ferai mon possible, et vous le pouvez croire,

Un cœur qui nous oblige engage notre gloire.

Rappelons aussi les deux Dom Juan ou Le Festin de Pierre, publiés, l’un en prose par Molière, l’autre en vers par Thomas Corneille. Or ce dernier, sous le même titre, suit scène par scène la pièce de Molière, avec le même ordre, les mêmes phrases, les mêmes mots, simplement mis en vers. Tout cela, à la demande de Mme Molière, comme si l’on continuait une vieille habitude…

Il faut à l’oublier mettre aussi tous les soins ;

Si l’on n’en vient à bout, on ne doit feindre au moins ;

Et cette lâcheté jamais ne se pardonne,

De montrer de l’amour à qui nous abandonne.

(Vous voudriez que…)
Et vous visse, à mes yeux, passer à d’autres bras

Sans mettre ailleurs un cœur dont vous ne voulez pas ?

et la plupart des vers de l’admirable déclaration de Tartuffe à Elmire (III, 3) ; et d’autres, comme :

L’éclat que fait ce bruit n’est pas à votre gloire

Car enfin le vrai zèle a-t-il quelque maxime

Qui montre à dépouiller l’héritier légitime ?

Qui parle ? Auguste à Cinna ? Non, c’est Tartuffe.

Souvent le vers comique de Molière pourrait, avec peu de changements, passer dans une tragédie de Corneille.

Allons, Flipotte, allons, que d’eux on me délivre.

(Allons, gardes, allons, que d’eux on me délivre)

Vous marchez d’un tel pas qu’on a peine à vous suivre.

(de combats en combats)
Vous marchez d’un tel pas qu’on a peine à vous suivre.

Voici également :

Hé bien ! puisque mon sort ne saurait t’émouvoir,

Laisse-moi désormais tout à mon désespoir ;

C’est de lui que mon cœur empruntera de l’aide

Et je sais de mes maux l’infaillible remède…

vers qui ne dépareraient pas quelque grande tragédie cornélienne, avec cette seule modification du second vers :

Laisse-moi désormais, Prince, à mon désespoir.

Voici encore du Molière :

Que la foudre sur l’heure achève mes destins,

Qu’on me traite partout du plus grand des faquins

S’il n’est aucun respect ni pouvoir qui m’arrête

Et si je ne fais pas quelque coup de ma tête.

qui devient, ainsi transposé, du style type de Corneille :

Que la foudre sur l’heure achève mes destins,

Qu’on méprise mon nom à l’égal des Tarquins

S’il n’est aucun respect ni pouvoir qui m’engage

Et si je ne fais pas quelque coup de ma rage.

On trouve enfin, chez Molière, la même absence cornélienne de tout ce qui est harmonie, poésie pure. Bien loin que ces recherches l’attirent, il les raille.

Tout le ravissant morceau :

L’amour, il est vrai, nous soulage

Et nous berce un temps de notre ennui.

Mais, Philis, le triste avantage

Lorsque rien ne marche avec lui

nous est, en réalité, présenté comme un ridicule exemplaire d’afféterie.

Et, comme Corneille, Molière est indifférent aux rencontres malheureuses de sons :

Eh bien ! puisque mon sort ne saurait t’émouvoir.

et aux passages de transition du plus plat prosaïsme :

Mais ce valet m’a dit qu’il s’en allait descendre

Sortez donc, je vous prie, et me laissez l’attendre.

 

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commentaires

B
<br /> Bonne question, cher Torsade.<br /> La différence entre les Anglais et nous, c'est qu'ils ont pris le pb à bras le corps il y a fort longtemps, que des tonnes de littérature ont été écrites sur les différentes hypothèses et que<br /> personne n'a jamais réussi à démonter que les oeuvres de Sh. n'étaient pas de Sh.<br /> Par ailleurs, on a des jugements, des déclarations de nombreux contemporains de Sh disant qu'il était le meilleur. A ma connaissance, mais je ne suis pas un spécialiste du XVIIe français, on n'a<br /> rien de similaire sur J-B.<br /> <br /> <br />
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T
<br /> Bernard Gensane : « Question : pourquoi Corneille a-t-il accepté de travailler dans l'ombre ?»<br /> <br /> Question personnelle: pourquoi Edward de Vere a-t-il accepté de travailler dans l'ombre de M. Shackspere, parfait rustre originaire de Stratford-upon-Avon? (Je vous provoque un peu.)<br /> <br /> <br />
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B
<br /> Cher Monsieur B.,<br /> Je vous avais connu moins enflammé et péremptoire jusqu'ici.<br /> Les deux ou trois douzaines d'universitaires qui souscrivent totalement ou partiellement à cette thèse sont des gens plutôt sérieux et qui ont énormément bossé. Wouters n'a pas travaillé avec<br /> l'outil informatique. Cela a été fait depuis et cela a confirmé les études des anciens.<br /> Je n'ai pas d'opinion sur Hosukai. Mais pour ce qui est de Verdi : Nabucco 1842, Rigoletto 1851. Après 80 ans, Verdi n'écrivit "que" Otello. Le cas de Rameau est différent : de ses années de jeune<br /> adulte, on ne sait pas grand-chose à part qu'il a énormément ... ramé.<br /> Vous ne me convaincrez pas en déformant ce que j'ai écrit. Et surtout, vous ne convaincrez pas ceux qui se sont escrimés sur le sujet et dont je suis les travaux depuis une vingtaine d'années.<br /> <br /> <br />
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M
<br /> Hallucinant. Jusqu'ou la theorie du complot va-t-elle se nicher...<br /> Ce texte n'est qu'un tissu de pataques et de non-sequiturs fondes sur une ignorance abyssale du 17 e siecle, de sa mentalite, de ses moeurs, de sa litterature.<br /> Certaines affirmations sont tout bonnement erronees : par exemple, il y a bel et bien des passages en gascon dans Moliere, dans Monsieur de Pourceaugnac (personnage de Lucette) ou dans le<br /> divertissement final du Bourgeois Gentilhomme.<br /> Quant aux affirmations peremptoires du style «un genie veritable doit l'etre des l'age de 10 ans, 24h sur 24, sinon c'est la preuve qu'il n'est pas un vrai genie et que donc quelqu'un d'autre a<br /> tenu la plume», les bras vous en tombent, on ne sait plus s'il faut en rire ou en pleurer... Pour memoire, Verdi, Rameau, Hokusai n'ont produit d'oeuvres veritablement geniales qu'a 80 ans<br /> passes...<br /> Tout cela laisse un drole d'arriere-gout dans la bouche. Souvenons-nous tous de ce qui est arrive a un professeur de litterature qui avait commence sa carriere en affirmant que les «soi-disant»<br /> oeuvres de Rimbaud etaient un gigantesque canular...<br /> <br /> <br />
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