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12 janvier 2012 4 12 /01 /janvier /2012 07:00

http://perso.rd.francetelecom.fr/proutiere/ens-s.jpgRenaud Février a récemment publié (chez Rue 89) un article sur “ Sexisme, homophobie, racisme... ou paillardise à Normale Sup ? ”.

Je ne dirais pas que la LRU est directement responsable de cet état de fait. Nous sommes dans le problème (on dit « problématique », maintenant) que je soulevais récemment à propos du vomi de Vic Fezensac : link . La perte de repère, quand tout vaut tout dans un monde (on dit une « culture » maintenant) d’individualisme outrancier. Certes, les monômes, les bizutages et autres bitards existent depuis le Moyen Age. Mais, comme pour le vomi de Vic, nous sommes dans la perte du sens. Ce que la LRU n'a pas inventé mais favorise et institutionnalise.

 

 

Pacôme et Rachel – les prénoms ont été modifiés – sont deux étudiantes de l'Ecole normale supérieure  de la rue d'Ulm, dans le Ve arrondissement de Paris.

 

Elles ont envoyé une lettre ouverte à Rue89 et à d'autres médias pour dénoncer les violences verbales et physiques, sexistes, homophobes et racistes que plusieurs normalien(ne)s auraient subi au cours de soirées organisées par leurs camarades.

Rien de bien nouveau au royaume des grandes écoles (dont certaines de journalisme). Mais l'ENS... précurseur et moteur dans les études féministes, de genre, sur l'homosexualité...

« L'ENS prend cela très au sérieux »

Rue89 a rencontré ces deux étudiantes. Au-delà de faits légalement répréhensibles, elles décrivent un lourd climat, de défiance et de stigmatisation, ressenti par elles et plusieurs étudiants, contesté ou ignoré par d'autres.

Pacôme et Rachel expliquent vouloir « rompre la loi du silence de l'ENS ».

Jointe par Rue89, la direction de l'ENS nous a confirmé être au courant du climat délétère régnant dans les couloirs de l'école. Guillaume Bonnet, directeur adjoint Lettres :

« La direction prend cela très au sérieux. Des personnes sont venues me voir, pour se plaindre d'insultes et de plaisanteries à caractère sexiste ou homophobe.

Cependant, personne ne m'a jamais confié avoir été victime d'une d'agression physique. »

Des agressions sexuelles « organisées »

A l'ENS, la vie étudiante est organisée par le Comité d'organisation des fêtes (COF), semblable aux bureaux des élèves (BDE) d'Instituts d'études politiques (IEP) ou d'écoles d'ingénieur. Dans le sous-sol de l'école, la « K-Fêt », sorte de bar géré par des élèves et qui émane du COF. Pacôme et Rachel :

« Les soirées de l'école, organisées par le COF et la K-Fêt, sont [...] saturées d'agressions sexistes et homophobes [...]. Les mains au cul, “olives” – pratique “marrante” qui consiste à toucher l'anus d'une personne à travers ses vêtements –, et autres “biffles” – pratique très “ marrante ” qui consiste à donner une gifle à quelqu'un avec son pénis, en particulier quand la personne est allongée, par exemple parce qu'elle fait un coma éthylique – sont monnaie courante.

Beaucoup de filles subissent des attouchements auxquels elles n'ont pas consenti, tandis que certains garçons se déshabillent sur le podium pour faire l'hélicoptère – pratique qui consiste à faire tourner son pénis le plus vite possible. Ces agressions sexuelles ne sont pas des “débordements”, elles sont organisées. Il arrive que cela aille jusqu'au viol [les deux jeunes femmes assument le mot, même si à leur connaissance et à celle de la direction, aucune plainte n'a été déposée. Elles qualifient ici de “viol”, le fait d'avoir un rapport sexuel avec une “fille ivre”, dont on peut mettre en doute la réalité du consentement, ndlr].

Pendant ce temps, on urine dans des salles vides, on vomit dans les boîtes des jeux de société. Quelqu'un a même déféqué sur une imprimante de l'école ! Et en rentrant dans sa chambre [d'internat], on peut trouver un camarade de promotion allongé dans l'ascenseur, ivre mort, baignant dans la bière et l'urine. »

« Les gays, je vous encule ! »

La « Rouge et noire », soirée dite LGBT (lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres), est traditionnellement co-organisée avec l'Homônerie (club LGBT de l'école). Pacôme et Rachel :

« Cette soirée est en partie organisée par le COF et cela a posé problème : l'un des DJ est un homophobe notoire, qui avait déjà agressé plusieurs personnes en raison de leur genre ou de leur orientation sexuelle [par exemple, en menaçant un homosexuel avec une bouteille de bière vide, ndlr].

[Il y a une personne qui] a été séquestrée dans les vestiaires [du gymnase de l'école] et agressée. »

Selon les deux étudiantes, cette violence physique s'est accompagnée d'une pluie d'insultes homophobes :

« Un autre garçon a crié plusieurs fois “les gays, je vous encule ! ” et a été extrêmement violent quand des personnes sont allées lui demander de se taire ou de partir [...]. »

Elles racontent enfin que des membres du club LGBT ont été injuriés alors qu'ils rangeaient les lieux vers 5 heures du matin.

« On va les mettre enceintes ! »

Pour les deux jeunes femmes, ces violences ne sont pas des dérapages. Refusant de blâmer l'équipe dirigeante du COF, elles préfèrent regretter une inclination du climat, due à l'ensemble de ses membres. A titre d'exemple, elles décrivent le fonctionnement des assemblées générales du Comité :

« Les AG se déroulent dans une salle de l'école, en général entre 20 heures et 3 heures du matin. La présence y est essentiellement masculine et alcoolisée. Les propos racistes, sexistes et homophobes fusent dans tous les sens. Les membres du bureau du COF participent volontiers à ce déferlement de violences. [Certains n'hésitent pas à] menacer des femmes de viol : “On va les mettre enceintes, ça va les calmer ! ” [...].

Pendant ces cérémonies, des sommes très importantes sont distribuées à tel ou tel club du COF. Il n'est pas rare que l'un d'entre eux, pour obtenir de l'argent, fasse monter sur l'estrade une “jolie fille” à laquelle on hurle des obscénités. »

Les étudiants étrangers, moqués

Le week-end d'intégration des étudiants de l'ENS, le « Méga », est aussi, selon Pacôme et Rachel, une occasion de violences verbales ou physiques :

« Pendant le Méga, les organisateurs hurlent des insultes homophobes dans un mégaphone [...]. Les conscrit(e)s (les personnes qui arrivent à l'école, en première année) doivent [par exemple] monter dans les bus sous le cris de “bande de puceaux ! Bande de sodomites ! ”

Une fois les cars partis, on commence à boire et à éructer des chansons sexistes. Puis, on oblige les conscrit(e)s à jouer au “rugby bus” : traverser le bus en partant du fond, cependant que tout le monde fait barrage de ses bras et de ses mains. Pour beaucoup de filles, c'est bien sûr l'occasion de subir des attouchements non consentis [...]. Ce sont les filles jugées “jolies” par les organisateurs qui sont le plus fortement incitées à jouer. Ces filles sont appelées le “gibier” [...].

L'élection de “Mister et Miss Méga” est aussi un grand moment de sexisme et de racisme. On se moque des étudiant(e)s étrangèr(e)s et on les force à caricaturer leur pays ou leur culture [...]. »

« Tu sers à rien, tu suces pas bien ! »

Le BOcal, journal du COF, institue ces pratiques sexistes et homophobes, selon Pacôme et Rachel :

« Des “blagues” sexistes, racistes, antisémites, homophobes, lesbophobes ou transphobes [y sont publiées chaque semaine]. On y fait sans complexe l'apologie du viol (“Jeudi, c'est sodomie non consentie ! ”), on y traite untel de “tarlouze” parce qu'il ne boit pas assez de “binouzes” (bières). On y stigmatise les “Cachanaises” [élèves de l'ENS Cachan] en ces termes sexistes : “Cachanaise, t'es moche, tu sers à rien, tu suces pas bien ! ”

Certains individus sont au centre de ce système, et alimentent le serveur mail de l'école de “blagues” sexistes, en permanence. [Elles constituent], pour les personnes qui en sont la cible, autant d'agressions : tel groupe est menacé sur une liste mail de se faire “violer avec des godes-ceintures”, tel(le) étudiant(e) reçoit dans sa boîte des blagues homophobes ou sexistes d'une violence inouïe, de la part de personnes qu'il/elle n'a jamais rencontrées [...]. »

Des traditions de « blagues paillardes »

Pacôme et Rachel en veulent à l'administration de l'ENS :

« [L'école est en train de devenir] un lieu de violence ou de malaise pour un certain nombre d'entre nous, en particulier les femmes et les minorités sexuelles [...].

Rien n'est fait pour empêcher ces agressions d'avoir lieu, tout est fait pour encourager les agresseurs à “s'amuser”, et si leur manière de le faire implique de stigmatiser, de brutaliser ou d'agresser sexuellement quelques dizaines de femmes ou d'homosexuel(le)s, ce n'est pas si grave, puisque la parole des victimes n'est jamais entendue. »

Le directeur adjoint de l'ENS affirme pourtant avoir pris des mesures en interne. Des élèves ont été convoqués et la K-Fêt a déjà été fermée à plusieurs reprises. « Mais les gens que je reçois me jurent qu'ils n'ont rien fait et me parlent de provocation de la part du “camp d'en face” », fait valoir le directeur. Le BOcal a quant à lui été prévenu des risques qu'il prenait. Guillaume Bonnet :

« Ce journal maintient des traditions de “blagues paillardes”. On a toutefois mis en garde ses auteurs des problèmes de nature juridique auxquels ils s'exposaient, notamment en matière d'homophobie. »

Le directeur adjoint insiste : cette affaire ne concerne qu'une cinquantaine de personnes sur le millier d'étudiants que compte l'école. C'est pourquoi l'administration tente de désamorcer la situation en prônant le dialogue entre les membres de la K-Fêt, l'Homônerie et le Collectif féministe de l'école.

« J'espère que l'affaire ne prendra pas de tournure juridique. Cependant, on a expliqué à certaines personnes qu'elles avaient le droit de porter plainte. L'école ne fera rien pour étouffer d'éventuels poursuites judiciaires. On ne couvrira personne. »

« Des mains baladeuses, mais pas plus »

De son côté, Paul, président du COF jusqu'à dimanche dernier, reconnaît prudemment qu'il y a eu plusieurs « problèmes » lors des soirées de l'école, principalement dus à des personnes extérieures :

« Parmi les élèves de l'ENS, il y a parfois des mains baladeuses, mais pas plus. »

L'ex-président, qui a officiellement quitté son poste dimanche soir au profit d'une jeune fille, explique que le COF et la K-Fêt agissent en interne pour régler les différents conflits qui peuvent éclater lors des soirées.

« Lorsqu'il y a des problèmes, on va discuter avec les personnes et on leur demande de s'excuser. Parfois on décide de ne plus leur servir à boire, ou de les exclure de manière temporaire ou définitive. Mais la majorité des personnes sont beaucoup plus respectueuses. »

Un climat sexiste ? Paul préfère parler d'un problème de personnalités et de communication entre plusieurs groupes de l'école.

Pour appuyer leur témoignage, Pacôme et Rachel nous ont fait parvenir la copie d'un e-mail édifiant. Un président de BDE d'une école parisienne, qui partage son club rugby avec l'ENS, y raconte le déroulement d'une des soirées de l'école. Pour les jeunes femmes, son comportement (agressions – verbales et physiques –, dégradation des lieux, vol...) est représentatif de ce qui s'y passe.

« Objet : [...] Résumé de la soirée à l'ENS hier

Salut les gorets,

Pour les polards et les tocards qui n'étaient pas présents hier soir pour la réouverture de la kfet à l'ens, je vous propose une petit résumé [...].

[Notre] troupe de gars bonnard se ramene avec une chaussette sur le sexe et enflamme le dancefloor ! Qqs biffles sur le podium, frottements de couilles sur la gente féminine, sans compter la pose de couilles sur le comptoir du bar. [...]

Les rugbymen intellectuels commencent alors à insulter tous les jeunes autour, et à emprunter des chapeaux ou des casquettes. On a d'ailleurs trouvé marrant de trickser un homosexuel véti d'une paire de bretelles, d'un pantalon en cuir et d'une casquette en cuir ! Le pauvre, ce qu'on lui a mis. Mais la bonne humeur des porcelets l'a emporté sur l'envie de mettre quelques droites.

Puis nous rencontrons [une fille] de la kfet, qui avait arrosé les couilles [d'un des nôtres] quand celui ci les avait posées sur le bar. La demoiselle un peu bourrée et demandeuse de calins nous paye pas mal de coups, et demande des plaquages dans la cour aux ernests ! [...]

Ensuite petite session podium, et le fameux moments ou tous les porcelets présents sont montés sur le comptoir, les couilles à l'air. Un grand moment de romantisme ! [...]

On en redemande des soirées comme ca ! ! [...] »

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